« Les preuves d’effets néfastes sur la santé liés à l’exposition aux émissions issues du trafic routier sont fortes », alerte l’Agence nationale de sécurité sanitaire. « Notre système de surveillance de la qualité de l’air est obsolète parce qu'il ne mesure que les grosses particules », alerte l'association Respire. D’après l’ANSES, Stéphane Mandard pour Le Monde et France Infos le 16 juillet. Lire aussi Un communiqué reconnaît une « faute » de l’Etat pour « insuffisance » dans la lutte contre la pollution de l’air – pas le jugement !, Des ONG attaquent la France en justice pour inaction climatique et Des citoyens attaquent en justice l’Europe pour son échec à les protéger contre le réchauffement climatique.
Les transporteurs routiers menacent de bloquer le pays à la rentrée pour protester contre la décision du gouvernement de rogner de deux centimes le remboursement de leurs frais de consommation de diesel. Des automobilistes franciliens râlent de devoir laisser leurs vieilles voitures au garage pour se conformer à l’interdiction des véhicules Crit’Air 5 dans le périmètre de la métropole parisienne (et Crit’Air 4 dans Paris), en vigueur depuis le 1er juillet. Pour répondre à ces récalcitrants, les pouvoirs publics vont pouvoir brandir une nouvelle étude accablante sur les effets de la pollution d’origine automobile.
Dans un avis, rendu mardi 16 juillet, l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses) conclut que « les preuves d’effets néfastes sur la santé liés à l’exposition aux émissions issues du trafic routier sont fortes ». Le rapport recommande non seulement la promotion de technologies alternatives au moteur thermique capables de « réduire drastiquement l’émission de polluants » comme l’électrique, « mais aussi et surtout la réduction du trafic ».
Les particules ultrafines à cibler en priorité
L’Anses avait été saisie, en juin 2014, par trois directions générales (santé, énergie et climat, prévention des risques), afin d’évaluer d’une part les effets sanitaires des particules de l’air et d’autre part de déterminer l’impact sur la pollution atmosphérique du parc de véhicules automobiles circulant en France.
L’Anses a passé en revue la littérature épidémiologique et toxicologique produite depuis la parution, en 2013, du premier rapport de référence de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) sur la pollution de l’air. Un corpus de 160 études portant sur 20 composés, 16 sources et 83 modifications physiologiques ou effets sur la santé sur lequel s’est appuyée l’agence pour classer les preuves selon cinq niveaux allant d’« absence d’effet » à « fort ».
Les niveaux de preuve les plus élevés concernent trois types de particules aujourd’hui non réglementées, alerte l’Anses : les particules ultrafines (de diamètre inférieur à 100 nanomètres), le carbone suie et le carbone organique. L’Anses recommande aux autorités de les « cibler en priorité » dans les politiques publiques de lutte contre la pollution, en complément des particules qui font déjà l’objet d’une surveillance : les PM2,5 (inférieurs à 2,5 micromètres [µm]) et les PM10 (inférieurs à 10 µm).
"Notre système de surveillance de la qualité de l’air est obsolète parce qu'il ne mesure que les grosses particules", alertait mardi 16 juillet sur France infos Olivier Blond, président de l’association Respire. Selon les informations du Monde, Airparif, l’organisme de surveillance de la qualité de l’air en Ile-de-France sera en mesure de contrôler les particules ultrafines à partir de septembre. De nouveaux capteurs, capables de détecter des particules inférieures à 10 nanomètres, seront en particulier installés près de voies à forte circulation. Un premier pas.
Aussi appelées « nanoparticules », elles sont particulièrement dangereuses en raison de leur petite taille. A la différence des PM10, qui restent bloquées au niveau des voies respiratoires supérieures (nez et pharynx) et des PM2,5 (alvéoles pulmonaires), elles pénètrent dans le sang et peuvent atteindre le cerveau ou traverser le placenta des femmes enceintes.
Parmi les effets délétères les mieux documentés recensés dans le rapport d’expertise : les pathologies respiratoires (de l’asthme au cancer du poumon), les maladies cardio-vasculaires (infarctus du myocarde ou accident vasculaire cérébral) et les décès anticipés. Selon les estimations, le nombre de morts prématurées, attribué à la pollution de l’air en France, oscille entre 48 000 et 60 000 par an. Les preuves existent, mais sont jugées plus faibles – en raison du corpus d’étude limité – sur la santé neurologique (altération du développement cognitif de l’enfant) ou périnatale (faible poids de naissance).
Évolutions technologiques
Des effets similaires ont été mis en évidence pour le carbone suie et le carbone organique. Le carbone suie est une composante des particules, constituée uniquement de carbone – qui lui donne sa couleur noire –, issue du phénomène de combustion incomplète d’énergies fossiles (carburant des voitures, pétrole dans l’industrie) ou de bois (chauffage). Le carbone organique est un carbone suie auquel est ajoutée une molécule organique qui peut être un hydrocarbure (comme les très toxiques HAP –hydrocarbures aromatiques polycycliques – des fumées de cigarette ou de diesel) ou des impuretés métalliques issues de l’essence ou de l’abrasion des plaquettes de frein.
Les évolutions technologiques (généralisation du filtre à particules, recul des motorisations diesel) devraient permettre « des diminutions plus ou moins marquées » de la pollution, mais « insuffisantes » pour améliorer la qualité de l’air dans les agglomérations, note l’Anses, qui a étudié plusieurs scénarios. A l’horizon 2025, les valeurs limites de l’OMS pour l’exposition aux PM2,5 (10 µg/m3 en moyenne annuelle) seront ainsi toujours dépassées sur la quasi-totalité du territoire.
Principale explication, relève Guillaume Boulanger, l’un des auteurs du rapport, le « faible taux de renouvellement du parc automobile français toujours constitué de vieux diesel ». Spécialiste de la pollution, le radiologue Thomas Bourdel relève, lui, l’« effet paradoxal » des filtres à particules de nouveaux modèles diesel : ils tendent à augmenter la formation de nanoparticules en fragmentant les particules en sortie de pot d’échappement. Outre les polluants issus des gaz d’échappement, l’Anses recommande de s’attaquer également aux autres sources (abrasion des systèmes de freinage et des pneus) qui concernent également les véhicules électriques.
Seul un « scénario ambitieux » permettrait d’améliorer sensiblement la situation (en réduisant les émissions de carbone suie et de PM2,5 d’au moins 30 %) d’ici à 2025. Réalisé à partir des données de l’Île-de-France, il combine une hausse importante des ventes de véhicules électriques (40 %) à une réduction tout aussi drastique (20 % à 25 %) du trafic à l’échelle des grandes agglomérations. « La réduction du trafic peut être encouragée par le renforcement des transports en commun, de l’intermodalité et de modes actifs de transport comme la marche à pied ou le vélo », insiste l’Anses.
En marge de cette analyse centrée sur la pollution automobile, l’agence souligne la nécessité d’accumuler davantage de données sur les effets sur la santé associés à l’exposition à d’autres sources de particules moins étudiées : agriculture, activités aéroportuaires ou transport maritime.
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