En 2018, cinq mille exploitations ont abandonné engrais de synthèse et produits phytosanitaires chimiques pour se convertir au bio. Avec deux millions d’hectares cultivés en bio l’an dernier en France, il y a vraiment « un cap franchi » côté production, « en ligne avec l’objectif de parvenir à 15 % de la surface agricole en bio fin 2022 », a déclaré Florent Guhl, directeur de l’Agence Bio. D’après l’Agence Bio, Le Parisien et Laurence Girard pour Le Monde le 4 juin 2019.
L'aggrozouk, un "véloculteur" équipé d'outils en tout genre, conçu pour circuler entre les rangées de légumes, par l'Atelier paysan/Joseph Templier/Fabrice Clerc
« Je ne voyais plus de perspective dans l’agriculture conventionnelle. Des rencontres et des visites d’autres exploitations m’ont convaincu d’abandonner la chimie » : Frédéric Piot explique ainsi les raisons de sa conversion à l’agriculture biologique.
Après s’être déjà posé la question en 2009, avant de refuser l’obstacle, il a finalement sauté le pas en 2015. Un choix radical négocié par ce quinquagénaire, propriétaire de la ferme d’Egreville à Saint-Germain-Laxis, en Seine-et-Marne.
Sur 230 hectares, il produisait blé, colza et orge. L’exemple même de l’exploitation céréalière d’Ile-de-France. « Nous sommes passés à une dizaine de cultures, comme la luzerne, les lentilles, le soja ou le pois, mais aussi à des cultures valorisées comme le blé, l’orge ou le maïs et nous relançons la betterave. On revient en gros à ce que faisaient nos grands-parents. Et quitte à revenir à avant, nous avons réintroduit l’élevage avec un atelier de poules pondeuses et un troupeau de vaches à viande », explique M. Piot avant d’ajouter qu’il a aussi une vingtaine de chevaux en pension. « Il faut prendre du plaisir à notre métier, mais aussi en vivre », lâche-t-il.
Un exemple de conversion marquant du fait de la taille de son exploitation, mais qui n’est pas un cas isolé. Le bataillon des agriculteurs prêts à jeter aux orties engrais de synthèse et produits phytosanitaires chimiques n’a jamais été aussi important qu’en 2018.
Selon les chiffres publiés mardi 4 juin par l’Agence Bio, 5 000 exploitations supplémentaires sont venues grossir les rangs de l’agriculture biologique, portant leur nombre, en net, à 41 623. Un niveau de recrutement record. Désormais, 9,5 % des fermes françaises sont certifiées bio. En termes de surface, un seuil a aussi été franchi avec le passage du cap des 2 millions d’hectares cultivés selon des principes respectueux de l’environnement. Ce qui représente 7,5 % de la surface agricole utile (SAU) française.
Surcroît de travail
« Nous sommes passés à la vitesse supérieure. Dans plusieurs régions, il y a un phénomène de bascule. Les surfaces converties en bio sont plus importantes, signe que les cultures céréalières s’y mettent également », souligne Florent Guhl, directeur de l’Agence Bio.
La palme reste toutefois détenue par les vergers dont les surfaces plantées en bio dépassent les 23,3 %. En queue de peloton, les grandes cultures avec un pourcentage de bio de 4,3 %, les élevages de poulets de chair (1,6 %) et les élevages porcins avec un maigre 1,3 %.
Une opportunité saisie par Alain Gibault, à Lengronne, dans la Manche. Lorsqu’il a repris la ferme de la Datinière en 2015 et s’est associé avec ses oncles, il a décidé d’installer un élevage de porcs bio dans un bâtiment vide. Des porcs élevés sur paille. Une production qui s’accompagne de neuf cultures différentes en bio sur 280 hectares. Selon la coopérative bretonne Cooperl, une dizaine de ses éleveurs s’est convertie au bio. Sur ce marché de la viande porcine, l’offre ne répond pas à la demande. Et de loin.
Reste que passer au bio, n’est pas sans risque ni aléas. « Tous les matins vous êtes seuls face à votre problème. Avec la chimie, c’est comme si vous aviez une gomme. Quand vous faites un mauvais dessin, vous prenez la gomme et vous effacez. En agriculture bio, quand vous faites une erreur, vous payez cash », explique M. Piot. Il souligne aussi le surcroît de travail inhérent à sa nouvelle organisation. Même constat à la ferme de la Datinière, qui emploie quatre salariés contre un auparavant. D’où la forte hausse du nombre d’emplois direct. Les fermes bio en totalisent 100 300, ce qui représente 14 % de l’emploi agricole.
Les retards de paiement des aides de l’État n’ont cessé de s’accumuler, mettant en difficulté nombre d’exploitations
Pendant la période charnière de transition entre les deux modes de production, des aides à la conversion sont prévues pour soutenir l’agriculteur. Elles sont versées pendant cinq ans, sachant que le temps de conversion stricto sensu dure trois ans. Période pendant laquelle les productions n’ont pas encore le label AB et n’ont donc pas la valorisation correspondante.
Des aides au maintien devaient par ailleurs prendre le relais après le cap des cinq ans. Le gouvernement s’était ainsi engagé à un financement de 1,1 milliard d’euros pour le plan bio sur la période 2018-2022.
Oui mais voilà, le versement de ces aides a viré au casse-tête. Les retards de paiement n’ont cessé de s’accumuler mettant en difficulté nombre d’exploitations. « Les dates de versement ne sont pas respectées. Nous n’avons rien touché au titre de l’année 2018. Ce qui représente entre 40 000 et 45 000 euros. Nous avons dû faire des prêts à court terme pour compenser », explique M. Gibault.
Même son de cloche chez Gwenaël Le Berre. Propriétaire de la ferme de Kerdroual à Gourlizon dans le Finistère, il a cumulé depuis son passage en bio, il y a trois ans, une « dette d’Etat » de même ordre et n’a rien touché au titre de 2018. « L’échéance de paiement est maintenant fixée au 30 juin », assure M. Le Berre, qui a choisi d’abandonner l’élevage laitier conventionnel pour se tourner vers un élevage bio de race à viande Angus.
Un retard préjudiciable alors que, dans le même temps, l’Etat a fixé dans la loi Alimentation un objectif de 15 % de surface agricole française cultivée en bio en 2022. « Même si nous sommes sur une bonne pente, le rythme n’est pas suffisant pour atteindre les objectifs fixés par la loi. Il faudrait 7 000 conversions par an », tempère M. Guhl.
Un risque de guerre des prix
Face à cette progression de la production, l’appétit des consommateurs est scruté de près. « La consommation de produit bio croît à un rythme très proche de celui de la production. En 2018, les Français ont dépensé 1,4 milliard d’euros supplémentaires soit un total de 9,7 milliards d’euros, ce qui représente 5 % des achats alimentaires des ménages », estime M. Guhl, qui tient à souligner la stabilité de la part des importations, à 31 %. « Le bio est une valeur refuge, gage d’innocuité, face à la peur des pesticides », analyse Charles Kloboukoff, président de la société Léa Nature.
Si la grande distribution, qui compte bien profiter de ce marché, joue un rôle clé dans la démocratisation du bio, certains s’interrogent sur un risque de guerre des prix qui pourrait bousculer la chaîne de valeur de cette agriculture.
« Malheureusement, les marchés porteurs, comme le bio ou le végétal, peuvent être identifiés comme des marchés d’appels. La pression de la grande distribution est entière. Il y a presque une logique de dire qu’il est important de se positionner de manière compétitive sur ces tendances de consommation », affirme Olivier Clanchin, dont l’entreprise Triballat Noyal a été un des pionniers du bio dans les magasins spécialisés mais aussi dans la grande distribution avec sa marque Vrai.
Il met aussi en garde contre l’excès de production de lait bio en France. « L’offre est passée de 600 millions de litres en 2016 à 1 milliard de litres aujourd’hui », précise-t-il
Tout l’enjeu pour les agriculteurs bio est de défendre des prix rémunérateurs. M. Le Berre, qui vend sa viande en circuit court, s’est associé à trente éleveurs pour soutenir un projet de réouverture d’un petit abattoir public dans le Finistère. Ou comment allier bio et local, un argument précieux aux yeux des consommateurs.
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