Une vaste étude anglaise révèle que les antibiotiques contaminent la plupart des fleuves du monde, atteignant des concentrations jusqu'à 300 fois supérieures au niveau sécurisé. Les fleuves d'Afrique et d'Asie sont les plus contaminés. La pollution de l'eau peut permettre aux bactéries de développer une résistance aux antibiotiques. D’après Leila Marchand et Claude-Marie Vadrot pour Les Echos et Politis. Lire aussi Les cours d'eau européens gravement pollués par des produits agricoles interdits.
Des centaines de rivières dans le monde sont contaminées par des antibiotiques, révèle la plus importante étude menée jusqu'à présent sur le sujet et présentée ce lundi à Helsinki. Sur 711 sites testés par les chercheurs, 65 % se sont révélés être contaminés par ces médicaments.
« C'est assez effrayant et déprimant », a déclaré Alistair Boxall, chercheur en sciences environnementales et coresponsable de l'étude, lors de la conférence à Helsinki organisée par la SETAC (Société de toxicologie et de chimie de l'environnement). Il s'est dit inquiet que ces niveaux élevés ne participent à la résistance des bactéries aux antibiotiques.
De grandes quantités d'antibiotiques sont libérées dans les cours d'eau par les rejets des stations d'épuration ou par les ruissellements naturels. Dans ces zones en particulier, les bactéries apprennent à s'adapter et résister à ces substances. L'augmentation de bactéries résistantes est une urgence sanitaire mondiale qui pourrait tuer 10 millions de personnes d'ici 2050, a prévenu l'ONU le mois dernier.
Concentrations supérieures aux niveaux de sécurité
« Jusqu'à présent, la majeure partie du travail de surveillance environnementale des antibiotiques a été effectuée en Europe, en Amérique du Nord et en Chine - souvent avec seulement quelques antibiotiques. Nous connaissons très peu l'ampleur du problème à l'échelle mondiale », a déclaré John Wilkinson, chercheur de l'université d'York. « Notre étude contribue à combler cette lacune en matière de connaissances en générant des données pour des pays qui n'avaient jamais été surveillés auparavant ».
Dans cette étude menée par l'université de York, les scientifiques ont recherché 14 antibiotiques couramment utilisés dans 72 pays. Résultat, dans 111 des 711 sites testés, les concentrations en antibiotiques sont supérieures aux niveaux de sécurité. Dans les cas les plus graves, ces concentrations dépassent de plus de 300 fois la limite de sécurité. C'est notamment le cas sur un site du Bangladesh avec le métronidazole, un antibactérien utilisé pour traiter les infections de la peau et de la bouche.
Les fleuves qui posent problème et dont les mauvais résultats ont surpris les chercheurs sont aussi bien européens qu’asiatiques puisque la Tamise qui traverse l’Angleterre comme le Brahmapoutre qui irrigue le Bangladesh sont concernés, même si le second présente une concentration supérieure. Les pays à faible revenu, ne disposant souvent pas de la technologie nécessaire pour éliminer les antibiotiques dans leurs installations de traitement des eaux usées, sont les plus pollués. Trente-cinq pour cent des sites testés en Afrique dépassent les niveaux de sécurité, un fleuve au Kenya étant même tellement contaminé qu'aucun poisson ne peut y survivre, ont déclaré les chercheurs. Des niveaux considérés comme dangereux ont également été identifiés au Pakistan, au Kenya, au Ghana et même dans les rares systèmes d’irrigation situés à la frontière de la Palestine et d’Israël. Les mêmes risques ont été identifiés dans la Seine, le Mékong ou le Tibre.
La Tamise, cocktail d'antibiotiques
Les pays les plus riches ne sont pas non plus à l'abri. Le « beau Danube » réputé bleu, deuxième fleuve d’Europe pour sa longueur, vient au premier rang pour son niveau de pollution médicamenteuse, le record étant détenu lors de sa traversée de l’Autriche. Les échantillons prélevés contenaient sept antibiotiques, dont la clarithromycine, utilisée pour traiter les infections des voies respiratoires, à un taux presque quatre fois supérieur au niveau considéré sans risque.
S’agissant des antibiotiques identifiés, c’est la ciprofloxacine qui a été le plus fréquemment identifiée. Ce médicament est utilisé pour combattre de nombreuses infections, notamment celles qui affectent les poumons et les bronches. Ce produit est interdit d’utilisation pour les enfants et les femmes enceintes, qui risquent donc d'en absorber par le biais de la consommation d’eau. Le produit « vedette » identifié au Bangladesh est le métronidazole, un antibactérien traitant de nombreuses affections allant de l’acné aux troubles intestinaux.
Évidemment, ces résidus de produits antibiotiques n’empoisonnent personne mais ils contribuent à la croissance rapide de la résistance aux pouvoirs de guérison de nombreux médicaments, comme le souligne le professeur Alistair, le patron de l’Institut environnemental de l’université de York qui a réalisé cette étude : « De nombreux scientifiques et des responsables politiques reconnaissent désormais le rôle de l’environnement dans la progression des résistances aux traitements par les antibiotiques. Les résultats préoccupants vont nous ouvrir les yeux car ils montrent à quel point le système mondial des cours d’eau contribue à cette contamination. Régler ce problème sera une tâche gigantesque et nécessitera de lourds investissements dans le domaine du traitement des déchets et des stations d’épuration des eaux. »
La Tamise - dans laquelle deux tiers des déchets sont constitués de microplastiques - recèle un cocktail de cinq antibiotiques, rapporte le « Guardian ». La ciprofloxacine, utilisée pour traiter les infections de la peau et des voies urinaires, y est présente à un niveau trois fois supérieur au niveau de sécurité.
« Même les faibles concentrations observées en Europe peuvent entraîner l'évolution de la résistance et augmenter les risques de transfert de gènes de résistance à des agents pathogènes humains », a prévenu William Gaze, chercheur spécialisé dans la résistance aux antimicrobiens lors de la conférence. L'équipe de recherche envisage maintenant d'évaluer les impacts environnementaux de la pollution par les antibiotiques sur la faune, y compris les poissons, les invertébrés et les algues.
commenter cet article …