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1 février 2019 5 01 /02 /février /2019 09:09

L’anthropologue de la nature Philippe Descola explique les raisons de notre aveuglement face à l’urgence écologique, et appelle à repenser notre rapport à la nature. Propos recueillis par Nicolas Truong le 30 janvier 2019 pour Le Monde. Lire aussi Les citoyens ressentent l’urgence climatique et sanitaire et maintiennent la pression sur les gouvernements et Le monde ne prend pas le « tournant climatique » nécessaire pour limiter le réchauffement sous 1,5 °C.

Philippe Descola, Collège de France.

Philippe Descola, Collège de France.

Anthropologue, spécialiste des Jivaros Achuar, en Amazonie équatorienne (Les Lances du crépuscule, Plon, 1993), Philippe Descola est professeur au Collège de France et titulaire de la chaire d’anthropologie de la nature. Disciple de Claude Lévi-Strauss et successeur de Françoise Héritier, médaille d’or du CNRS (en 2012) pour l’ensemble de ses travaux, Philippe Descola développe une anthropologie comparative des rapports entre humains et non-humains qui a révolutionné à la fois le paysage des sciences humaines et la réflexion sur les enjeux écologiques de notre temps (Par-delà nature et culture, Gallimard, 2005). Dans un entretien avec le journal Le Monde, Philippe Descola analyse la façon dont nous pouvons faire face à la catastrophe écologique.

Depuis que l’information circule en temps réel, nous avons davantage l’impression de vivre dans le même monde et au même instant. Partageons-nous tous le même présent ?

Les systèmes de communication actuels nous donnent cette illusion de simultanéité. La circulation des images et des objets nous fait croire que l’on partage un système de valeurs devenu universel. Or la seule chose qui l’est, c’est le triomphe progressif du marché. En dehors du désir de se procurer des biens sur un marché et d’avoir les ressources pour le faire, chacun des présents varie. Les modes de vie, les aspirations, les valeurs continuent à différer profondément. Notre présent, c’est-à-dire notre capacité à nous projeter dans l’avenir en faisant référence à un passé, diffère selon les lieux et les communautés. Le seul présent collectif, c’est celui de l’état de la planète, mais même celui-là n’a pas la même force, la même pertinence et la même urgence pour tout le monde.

L’idée d’un présent partagé serait donc illusoire ?

Oui. Les présents des communautés autour du monde ne coïncident qu’artificieusement. Le présent d’un Amérindien expulsé de ses terres par une plantation de palmiers à huile ne rencontre le mien que lorsque je vérifie la composition d’un aliment que j’achète. Ce sont des coïncidences de tête d’épingle. On s’imagine partager le même monde, mais nos présents sont fondés sur des prémisses et des agendas différents. Toutefois, aujourd’hui, tous les humains sont confrontés à la question de l’état du système Terre et donc de notre futur commun. Nous devons tous faire face au réchauffement climatique, à l’érosion de la biodiversité, à la pollution, à l’appauvrissement des sols arables. Bref, à la détérioration des conditions d’habitabilité de la terre ; mais là encore, il y a des différences.

L’anthropocène, qui désigne l’âge où les activités humaines modifient l’équilibre de la planète, est-il adéquat pour décrire notre présent ?

Les responsabilités ne sont pas identiques. Le terme « anthropocène » a le mérite de souligner que les humains sont devenus une force naturelle, mettant ainsi à bas le dualisme entre la nature et la culture. Mais, il est inexact parce que ce n’est pas l’anthropos, l’homme en général, qui est responsable de cela. Ce sont certains humains, dans une trajectoire historique particulière, qui ont accouché d’un système singulier d’usage des ressources et d’enquête sur la nature. Et les effets ne sont pas les mêmes pour tous : les populations qui vivent dans des écosystèmes fragiles sont les premières à en souffrir. Celles qui habitent les latitudes les plus septentrionales, dans les régions d’altitude, dans les zones submersibles, où le réchauffement climatique commence déjà à avoir des effets perceptibles.

On assiste à une prise de conscience collective de cette condition planétaire, et en même temps on voit surgir des mouvements populistes autoritaires qui s’opposent totalement à cette sensibilité écologique. Pour quelles raisons ?

C’est un problème de temporalité. C’est comme des trains qui circulent à des vitesses différentes. Comme on croise des trains qui roulent plus lentement, on a l’impression qu’ils sont à l’arrêt, mais c’est une illusion. Il faut du temps pour que les trains avancent à la même vitesse. Cette différence vient de la difficulté à se projeter dans un futur lointain. L’on sait maintenant que l’objectif de limiter le réchauffement à 2 degrés à la fin du siècle est absurde. Les spécialistes du climat envisagent désormais un réchauffement global de l’ordre de 4 degrés. Ce qui suppose que des régions entières de la planète vont devenir inhabitables. Les pays riches s’en sortiront, bien sûr, on construira des digues aux Etats-Unis pour éviter la submersion de New York ou Miami. Mais dans une grande partie du monde, ces solutions sont inadéquates. La fonte des glaciers qui alimentent les grands fleuves d’Asie va avoir des conséquences dramatiques pour des centaines de millions de personnes. Ces présents ne sont pas simultanés. Et face à ce constat, il existe tout un éventail de positions : les « sachants », notamment les scientifiques, ont une idée assez claire de ce qui va se passer ; une partie de la population est plus ou moins sensible à cette idée, qui reste très abstraite ; sans oublier ceux qui pour des raisons politiques de très court terme choisissent de nier le réchauffement, et enfin les populations qui sont en première ligne mais ne comprennent pas toujours ce qu’il se passe.

Quelles causes assignent-elles par exemple ?

Dans les Andes, on voit les montagnes comme des entités spirituelles qui se vengent lorsqu’on les agresse, par des glissements de terrain, le tarissement des sources ou des pluies torrentielles : le circuit des eaux est bouleversé. Or les populations locales pensent que c’est parce qu’on n’exécute plus les rituels, qu’on ne respecte plus les montagnes. C’est paradoxal, on a de plus en plus de chamanerie pour les touristes et de moins en moins de chamanes qui s’occupent des dérèglements climatiques.

Notre présent, c’est celui dans lequel cohabitent à la fois la popularité de l’ancien ministre de l’écologie français Nicolas Hulot et, au Brésil, l’élection de Jair Bolsonaro…

Absolument, et le cas du Brésil est exemplaire parce qu’il y a des régions du pays qui étaient en grande partie boisées au XIXe siècle et qui sont maintenant des déserts. On connaît les effets de la déforestation, étudiés par des agronomes, des historiens… Et on a la gorge serrée de voir que ça continue malgré tout.

Comment expliquez-vous que cette prise de conscience du désastre écologique ne mobilise pas davantage ?

Il faut expérimenter dans sa chair les conséquences de ce que l’on a fait. La France de la fin du XIXe siècle était très déboisée. Quand on regarde des cartes postales de certaines régions du Midi, il n’y avait plus que des cailloux. Le reboisement du mont Aigoual pour empêcher l’envasement du port de Bordeaux, par exemple, a porté ses fruits. Il y a eu à ce moment-là une réaction très vive parce que les conséquences étaient perceptibles. La différence, c’est que là, nous faisons face à des conséquences à beaucoup plus long terme. L’idée que, dans soixante-dix ou quatre-vingts ans, il fera 5 ou 6 degrés de plus dans certaines régions de la planète qui deviendront inhabitables est beaucoup plus difficile à imaginer.

Cette prise de conscience ne peut passer que par l’expérience ?

Oui, celle de la catastrophe. Mais est-elle réversible ou pas ? Les exemples historiques sont plutôt inquiétants : dans Les Somnambules, de Christopher Clark [Flammarion, 2015], sur les origines de la guerre de 1914-1918, on découvre a posteriori cet enchaînement de bévues, de bêtises. Ce n’est qu’après qu’on s’est rendu compte des conditions dans lesquelles l’inimaginable s’est déclenché, sur le moment personne ne pensait que ça allait devenir cette monstrueuse boucherie.

Estimez-vous que nous sommes somnambules ?

Oui, certains moins que d’autres. Les mesures économiques qu’on peut envisager (un marché du carbone, le fait de rapatrier les externalités écologiques) sont utiles, mais au fond, c’est le système général qui est fou. La croissance devenue une divinité, la consommation comme seule valeur, la production de richesses infinie… Le modèle est complètement épuisé mais on continue à y vivre.

Qu’est-ce qui, dans les initiatives présentes, nous laisse penser que l’on pourrait éviter la catastrophe ?

Je ne sais si on pourra l’éviter. Ce sont moins des individus qui sont en cause que le système général du capitalisme. Ce que j’ai appelé le naturalisme se cristallise à la fin du XVIIIe siècle avec le développement de la machine à vapeur et du capitalisme industriel. Tout à coup, on a la possibilité, grâce aux transports maritimes notamment, de faire circuler de grandes quantités de marchandises partout sur la planète, d’obtenir des sources d’énergie qui permettent de produire massivement des biens industrialisés que l’on peut vendre très loin. C’est un dispositif fondé sur l’exploitation effrénée de la nature, sur l’idée que les humains, certains d’entre eux, ont des droits « naturels » sur les ressources et les biens communs : énergies fossiles, terre, air, eau… Ce phénomène de privatisation s’est mis en place avec le mouvement des enclosures à la fin du Moyen Age et n’a cessé de croître. Pour le stopper, il faut une révolution mentale : les humains n’ont pas de droits sur la nature, c’est la nature qui a des droits sur eux. Aussi bizarre qu’elle paraisse, c’est une conception commune et que les anthropologues connaissent bien. Dans les Andes, par exemple, les populations autochtones se voient comme membres de collectifs formés d’humains et de non-humains ; aussi, quand un élément du collectif, une montagne ou une source, est agressé, la totalité des membres doit le défendre.

Est-ce qu’il existe des leviers qui vont dans le sens de cette révolution mentale, intellectuelle ? Des points d’appui, des laboratoires de vie commune qui explorent des fonctionnements dans lequel le respect de nature serait inclus ?

Oui, des expériences comme la ZAD de Notre-Dame-des-Landes, par exemple. C’est un laboratoire social où la vie commune n’est pas fondée sur les principes du consumérisme capitaliste. Il y a des exemples assez nombreux en Europe et dans le monde. Autre signe intéressant : la personnalité juridique concédée au fleuve Whanganui en Nouvelle-Zélande. On a donné des droits non pas à la nature, qui est une abstraction, mais à un milieu de vie. Si l’on veut dépasser l’individu maître et possesseur de la nature, il faut transformer des milieux de vie en sujets de droit. Ce n’est pas absurde, ça s’est fait dans le droit romain, lorsque des dieux étaient propriétaires de terres dont les temples avaient la charge. Les juristes diront : « Oui, mais les humains sont responsables parce qu’ils ont des droits et des devoirs, et un fleuve n’a pas de devoirs. » Sans doute, mais le fait que les humains tirent leur légitimité juridique du fait qu’ils habitent les rives de ce fleuve, qu’ils contribuent à son bien-être et que, de ce fait, ils contribuent au leur, est une transformation profonde de la philosophie classique du droit de propriété. Ces petites transformations nous orientent vers l’idée d’un monde formé de communautés locales, beaucoup plus indépendantes et pourtant interconnectées.

Le grand défi de ce siècle, c’est d’imaginer des institutions rendant possible la vie commune entre des collectifs territorialisés relativement autonomes mais qui respectent tous des devoirs vis-à-vis du système Terre. Nos instruments internationaux ne permettent pas cela, ce sont des systèmes entièrement interétatiques. Un gigantesque travail conceptuel et philosophique reste à accomplir, analogue à celui réalisé par les philosophes du XVIIIe siècle et les penseurs socialistes du XIXsiècle. Face à une situation très dégradée et injuste, de nouvelles formes politiques sont à inventer.

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