Un recours a été déposé devant le tribunal administratif de Montreuil par les opposants à un projet de base de loisirs dans la forêt de la Corniche des forts. D’après Rémi Barroux avec les photos de notre camarade Julien Daniel le 6 janvier 2019 pour Le Monde. Cf. La Forêt passe à l'attaque ! et Plâtre et béton sur la Corniche.
Dans la forêt qui descend en pente, parfois abrupte, de la cité Gagarine, sur les hauteurs de Romainville (Seine-Saint-Denis) vers le quartier du Bas Pays, la marche se fait parfois délicate. La terre gorgée d’eau est boueuse et les feuilles mortes forment un tapis glissant, encombré de ronces qui retiennent les pas. Là, les arbres entremêlent leurs branchages, encombrés de clématites, des lianes envahissantes, un décor sauvage à peine imaginable en plein cœur d’une banlieue urbanisée. Certains troncs sont décorés de pièces de tissus colorés, vestiges de plusieurs marches militantes, dont la dernière le 8 décembre 2018 à l’occasion de la mobilisation pour le climat, organisées par ceux qui s’opposent à un projet de base de loisirs.
Ecopâturage, poney club et espace pour l’escalade
Déjà, la trouée est immense : 655 arbres, pour beaucoup des érables sycomores et des robiniers, doivent être abattus pour permettre l’aménagement de ce qui a été rebaptisé, par la présidente de la région (LR), Valérie Pécresse, « promenade écologique ». Soit une passerelle de 120 mètres d’« observation de la biodiversité », trois kilomètres de promenade qui permettront aux visiteurs de découvrir la zone, une aire d’écopâturage pour des moutons chargés de brouter la renouée du Japon (une espèce invasive d’herbe pouvant atteindre trois mètres de haut), un poney club ou encore un espace pour l’escalade.
Au total, sur les 28 hectares de cette friche verte, 8 sont prévus pour cet espace – dont seulement la moitié sera ouverte au public. Ce sont ainsi 4,3 ha qui seront déboisés et débroussaillés, précise la région.
Vue de la forêt de Romainville le 23 décembre 2018: La cité Gargarine et la tour de télévision de Romainville sont maintenant bien visibles. JULIEN DANIEL / M.Y.O.P
Ouverture prévue à la mi-2020 pour ce projet au sein de la forêt de la Corniche des forts, qui remonte au début des années 2000. Il a été relancé en 2012 et a connu plusieurs versions, réduisant à chaque fois l’emprise de la zone, pour des raisons de complexité technique (dépollution, sécurisation du lieu), et donc financières. Le coût de la dernière mouture du projet est évalué à 15 millions d’euros, indique Patrick Karam, vice-président de la région Ile-de-France, chargé de la jeunesse, des sports, des loisirs et de la vie associative.
« Zone à risque d’effondrement »
Le 5 novembre 2018, la maire (ex-PC) de Romainville, Corinne Valls, a signé l’arrêté municipal pour la « demande de permis d’aménager » de ce terrain qui est sur son territoire, déposée par le conseil régional d’Ile-de-France. Sans surprise, la ville autorise le projet qui, selon elle, « permettra de sécuriser une zone à risque d’effondrement et d’ouvrir au public un nouvel espace de loisirs et d’observation de la nature en ville ».
L’évocation d’une « zone à risque d’effondrement » rappelle que cette forêt a poussé sur ce qui était l’une des plus grandes carrières de gypse de la région, la base du plâtre de Paris, renommé, et abondamment utilisé au XVIIIe siècle. Les exploitations souterraines de gypse en proche banlieue ont été abandonnées dans les années 1970-1980. Le sous-sol est miné par les galeries des anciennes carrières, et contient de nombreuses pollutions liées à cette production et peut-être, redoutent les opposants, aux activités chimiques d’une usine de Roussel-Uclaf, devenu Sanofi, fermée en 2013.
« Par endroits, le sol s’est écroulé en formant des entonnoirs de plusieurs mètres de profondeur, ce qu’on appelle des fontis », explique Sylvain Piron, historien, directeur d’études à l’EHESS, l’une des figures de l’opposition au projet.
Au cours de la promenade matinale de ce mercredi 2 janvier, dans cet espace interdit aux visites et cerné d’une grande palissade installée fin novembre pour empêcher les militants de s’opposer au travail des bulldozers, Sylvain Piron s’émeut de la disparition d’un joli baguenaudier, un arbuste qu’il affectionnait particulièrement.
Les opposants avaient deux mois pour engager un recours contre l’arrêté municipal. L’avocat Sébastien Le Briéro l’a déposé au tribunal administratif de Montreuil, le jeudi 3 janvier, pour le compte de la fédération Environnement 93, demandant l’annulation du permis d’aménager. Le recours évoque les « insuffisances substantielles de l’évaluation environnementale et des études d’impact ».
« On est dans le minimum de la concertation avec le public, avec quelques réunions d’information et une consultation sur Internet du 18 juin au 25 juillet, avec une évaluation environnementale qui remonte à 2010 et une déclaration d’utilité publique de 2003 », dénonce aussi Sébastien Le Briéro.
A l’issue d’un pique-nique organisé par les militants écologistes et les opposants au projet, une chaîne humaine est organisée devant la forêt, début « officiel » de la mobilisation, le 2 septembre 2018. JULIEN DANIEL / M.Y.O.P
Le recours évoque notamment le problème des infiltrations d’eau, des ruissellements pouvant entraîner des dispersions des pollutions, se référant à l’avis de l’Inspection générale des carrières qui, le 23 mars 2018, énonçait la nécessité pour le maître d’ouvrage de réaliser une « étude d’impact de l’infiltration potentielle d’eau sur les masses de gypse ».
Espèces protégées
Soutenus par des élus, comme la députée (La France insoumise) de Seine-Saint-Denis Sabine Rubin, le conseiller régional (groupe Alternative écologiste et sociale) Pierre Serne, ou encore la chanteuse Catherine Ringer, les opposants évoquent la richesse de la biodiversité, appelant à la « prise en compte de l’urgence écologique ». De nombreuses espèces protégées sont hébergées dans ces bois, tels le hérisson d’Europe, le lézard des murailles, l’orvet fragile, les choucas des tours, le pic-vert, l’épervier d’Europe, des pipistrelles…
Pour Marine Linglart, écologue, directrice du cabinet Urban-éco, chargé des études réglementaires pour les maîtres d’ouvrage, « cette friche est un espace à faible valeur écologique mais à gros potentiel ». « Ce projet est intéressant car il devrait préserver la partie boisée, la laisser mûrir pour devenir un écosystème plus riche qu’il ne l’est maintenant », indique-t-elle.
Pour la région, une opposition « politique »
Et le vice-président du conseil régional Patrick Karam d’évoquer « la sanctuarisation de 20 hectares de bois, fermés au public, de nouvelles plantations : 123 arbres, 7 137 jeunes plants d’arbres et d’arbustes et plus de 32 000 unités de plantes vivaces et grimpantes ». « Nous avons renoncé à construire une base de loisirs, pour pousser un projet écologique pour les habitants », dit l’élu, qui a confié au Monde être « prêt à rediscuter avec les associations de l’aménagement de l’espace ». Il mentionne une opposition d’abord politique contre la majorité du conseil régional, et aussi contre la maire de Romainville, accusée de vouloir développer des projets immobiliers luxueux, à proximité de la forêt.
Le 29 septembre 2018, Valérie Pécresse (en blanc, à droite) se rend sur le site pour défendre le projet d’aménagement comme étant une « promenade écologique » . L’entrée dans la forêt est désormais interdite sous peine d’amende. JULIEN DANIEL / M.Y.O.P
« La partie déboisement est certes quasi terminée, mais le terrassement ne l’est pas. Il faut empêcher les travaux pour éviter que la pollution ne soit accentuée par ces travaux », insiste Hélène Zannier, la présidente des Amis de la forêt de la corniche des Forts. Lundi 7 janvier, les travaux devraient reprendre et les militants comptent bien être au rendez-vous.
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