Des travaux scientifiques suggèrent que les océans ont monté, entre 2004 et 2015, 25 % à 30 % plus vite qu’entre 1993 et 2004. Par Stéphane Foucart le 29 avril 2017 pour Le Monde.
La hausse du niveau des mers s’accélère. C’est la conclusion majeure de l’étude d’une équipe franco-suisse conduite par Anny Cazenave, du Laboratoire d’études en géophysique et océanographie spatiales, à Toulouse, et publiée dans la dernière édition de la revue Geophysical Research Letters. C’est la première à déceler une accélération du rythme d’élévation des océans depuis le début des observations satellites, en 1993.
Ces travaux suggèrent ainsi que le niveau marin est monté, entre 2004 et 2015, 25 % à 30 % plus vite qu’entre 1993 et 2004. Ils permettent de réconcilier deux types d’observations : les mesures d’élévation du niveau des mers d’une part, et les mesures de perte des glaciers continentaux d’autre part. Car, jusqu’à présent, le compte n’y était pas. Depuis une décennie, du fait du changement climatique, la perte de masse des calottes glaciaires ne cesse d’accélérer, mais cette observation ne se traduisait pas, comme attendu, par une accélération de la montée des océans.
Selon les chiffres les plus consensuels, le seul inlandsis du Groenland a perdu en moyenne quelque 35 milliards de tonnes de glace par an dans les années 1990, contre environ 215 milliards de tonnes par an en moyenne entre 2002 et 2011. Autant de glaces censées faire grimper toujours plus vite le niveau marin. Pourtant, en dépit de cette accélération, les observations satellites assuraient que, si les océans montaient, ils le faisaient à la même vitesse depuis le début des années 1990.
A qui la faute ? A un appareil défectueux, l’altimètre Topex B, embarqué sur le satellite américano-européen Topex-Poséidon, lancé en 1992. « On savait que l’instrument était sujet à une dérive et il a été remplacé en 1999, raconte Anny Cazenave. Mais pendant plusieurs années, cette dérive n’a pas été quantifiée et on pensait que son effet était mineur. »
Bonne et mauvaise nouvelle
Ce n’était pas le cas. Il faut attendre 2012 pour que des chercheurs français de la société Collecte localisation satellites montrent que la dérive de Topex B est significative, en comparant les mesures satellitaires avec les enregistrements des marégraphes. En clair : l’instrument Topex B exagère ses mesures, chaque année, de quelques dixièmes de millimètre. Trois ans plus tard, une équipe australienne donne une première estimation de ce biais : le défaut de l’appareil ajoute artificiellement, chaque année, entre 0,9 mm et 1,5 mm.
Pour en avoir le cœur net, Anny Cazenave et ses coauteurs ont rassemblé toutes les données disponibles sur les différentes contributions à l’élévation du niveau marin : dilatation thermique des océans, fonte des glaces continentales, perte de glace des calottes glaciaires du Groenland et de l’Antarctique, volume des retenues d’eau douce (barrages, etc.). « Or, après avoir fait des moyennes d’ensemble, nous trouvons que la somme de toutes ces composantes présente un très bon accord avec les mesures satellites de hausse du niveau moyen des mers, mais seulement à partir de 1999 », explique Mme Cazenave.
Sur la période précédente, entre 1993 et 1998, le hiatus qui intriguait tant les scientifiques est donc vraisemblablement attribuable à la dérive instrumentale de Topex B. Un hiatus qui correspond, dit la chercheuse française, « à la fourchette haute de l’estimation publiée en 2015 par nos collègues australiens ». Soit une dérive instrumentale de 1,5 mm par an environ. Ce n’est presque rien pour le béotien, mais largement suffisant pour biaiser significativement les mesures.
Une fois le biais de Topex B pris en compte, la hausse du niveau marin doit être révisée à la baisse pour les années 1990. Au final, elle aurait donc été de l’ordre de 2,5 mm par an au cours de la première décennie d’observation (1993-2004) et d’environ 3,3 mm dans la décennie suivante (2004-2015). La bonne nouvelle est que la tendance globale sur l’ensemble de la période d’observation doit être légèrement révisée à la baisse – de l’ordre de 3 mm par an, en lieu et place de la valeur qui fait jusqu’à présent consensus, soit 3,3 mm par an. La mauvaise est qu’une accélération de la hausse du niveau marin sur les deux dernières décennies n’augure rien de bon pour les projections de hausse des océans, d’ici la fin du siècle.