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6 juin 2019 4 06 /06 /juin /2019 09:07

Une vaste étude anglaise révèle que les antibiotiques contaminent la plupart des fleuves du monde, atteignant des concentrations jusqu'à 300 fois supérieures au niveau sécurisé. Les fleuves d'Afrique et d'Asie sont les plus contaminés. La pollution de l'eau peut permettre aux bactéries de développer une résistance aux antibiotiques. D’après Leila Marchand et Claude-Marie Vadrot pour Les Echos et Politis. Lire aussi Les cours d'eau européens gravement pollués par des produits agricoles interdits.

Les échantillons prélevés sur le Danube en Autriche contenaient sept antibiotiques. Shutterstock

Les échantillons prélevés sur le Danube en Autriche contenaient sept antibiotiques. Shutterstock

Des centaines de rivières dans le monde sont contaminées par des antibiotiques, révèle la plus importante étude menée jusqu'à présent sur le sujet et présentée ce lundi à Helsinki. Sur 711 sites testés par les chercheurs, 65 % se sont révélés être contaminés par ces médicaments.

« C'est assez effrayant et déprimant », a déclaré  Alistair Boxall, chercheur en sciences environnementales et coresponsable de l'étude, lors de la  conférence à Helsinki organisée par la SETAC (Société de toxicologie et de chimie de l'environnement). Il s'est dit inquiet que ces niveaux élevés ne participent à la résistance des bactéries aux antibiotiques.

De grandes quantités d'antibiotiques sont libérées dans les cours d'eau par les rejets des stations d'épuration ou par les ruissellements naturels. Dans ces zones en particulier, les bactéries apprennent à s'adapter et résister à ces substances. L'augmentation de bactéries résistantes est une urgence sanitaire mondiale qui pourrait tuer 10 millions de personnes d'ici 2050, a prévenu l'ONU le mois dernier.

Concentrations supérieures aux niveaux de sécurité

« Jusqu'à présent, la majeure partie du travail de surveillance environnementale des antibiotiques a été effectuée en Europe, en Amérique du Nord et en Chine - souvent avec seulement quelques antibiotiques. Nous connaissons très peu l'ampleur du problème à l'échelle mondiale », a déclaré John Wilkinson, chercheur de l'université d'York. « Notre étude contribue à combler cette lacune en matière de connaissances en générant des données pour des pays qui n'avaient jamais été surveillés auparavant ».

Dans cette étude menée par l'université de York, les scientifiques ont recherché 14 antibiotiques couramment utilisés dans 72 pays. Résultat, dans 111 des 711 sites testés, les concentrations en antibiotiques sont supérieures aux niveaux de sécurité. Dans les cas les plus graves, ces concentrations dépassent de plus de 300 fois la limite de sécurité. C'est notamment le cas sur un site du Bangladesh avec le métronidazole, un antibactérien utilisé pour traiter les infections de la peau et de la bouche.

Les fleuves qui posent problème et dont les mauvais résultats ont surpris les chercheurs sont aussi bien européens qu’asiatiques puisque la Tamise qui traverse l’Angleterre comme le Brahmapoutre qui irrigue le Bangladesh sont concernés, même si le second présente une concentration supérieure. Les pays à faible revenu, ne disposant souvent pas de la technologie nécessaire pour éliminer les antibiotiques dans leurs installations de traitement des eaux usées, sont les plus pollués. Trente-cinq pour cent des sites testés en Afrique dépassent les niveaux de sécurité, un fleuve au Kenya étant même tellement contaminé qu'aucun poisson ne peut y survivre, ont déclaré les chercheurs. Des niveaux considérés comme dangereux ont également été identifiés au Pakistan, au Kenya, au Ghana et même dans les rares systèmes d’irrigation situés à la frontière de la Palestine et d’Israël. Les mêmes risques ont été identifiés dans la Seine, le Mékong ou le Tibre.

La Tamise, cocktail d'antibiotiques

Les pays les plus riches ne sont pas non plus à l'abri. Le « beau Danube » réputé bleu, deuxième fleuve d’Europe pour sa longueur, vient au premier rang pour son niveau de pollution médicamenteuse, le record étant détenu lors de sa traversée de l’Autriche. Les échantillons prélevés contenaient sept antibiotiques, dont la clarithromycine, utilisée pour traiter les infections des voies respiratoires, à un taux presque quatre fois supérieur au niveau considéré sans risque.

S’agissant des antibiotiques identifiés, c’est la ciprofloxacine qui a été le plus fréquemment identifiée. Ce médicament est utilisé pour combattre de nombreuses infections, notamment celles qui affectent les poumons et les bronches. Ce produit est interdit d’utilisation pour les enfants et les femmes enceintes, qui risquent donc d'en absorber par le biais de la consommation d’eau. Le produit « vedette » identifié au Bangladesh est le métronidazole, un antibactérien traitant de nombreuses affections allant de l’acné aux troubles intestinaux.

Évidemment, ces résidus de produits antibiotiques n’empoisonnent personne mais ils contribuent à la croissance rapide de la résistance aux pouvoirs de guérison de nombreux médicaments, comme le souligne le professeur Alistair, le patron de l’Institut environnemental de l’université de York qui a réalisé cette étude : « De nombreux scientifiques et des responsables politiques reconnaissent désormais le rôle de l’environnement dans la progression des résistances aux traitements par les antibiotiques. Les résultats préoccupants vont nous ouvrir les yeux car ils montrent à quel point le système mondial des cours d’eau contribue à cette contamination. Régler ce problème sera une tâche gigantesque et nécessitera de lourds investissements dans le domaine du traitement des déchets et des stations d’épuration des eaux. »

La Tamise - dans laquelle deux tiers des déchets sont constitués de microplastiques - recèle un cocktail de cinq antibiotiques, rapporte le « Guardian ».  La ciprofloxacine, utilisée pour traiter les infections de la peau et des voies urinaires, y est présente à un niveau trois fois supérieur au niveau de sécurité.

« Même les faibles concentrations observées en Europe peuvent entraîner l'évolution de la résistance et augmenter les risques de transfert de gènes de résistance à des agents pathogènes humains », a prévenu William Gaze, chercheur spécialisé dans la résistance aux antimicrobiens lors de la conférence. L'équipe de recherche envisage maintenant d'évaluer les impacts environnementaux de la pollution par les antibiotiques sur la faune, y compris les poissons, les invertébrés et les algues.

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22 mai 2019 3 22 /05 /mai /2019 12:19

Le 15 mars dernier, 200 000 jeunes en France sont descendus dans les rues pour dénoncer l’insuffisance de l’action politique face à la crise écologique. Le 24 mai, un nouvel appel à la grève mondiale pour le climat est lancé, avec l’espoir de rassembler bien au-delà de la jeunesse. « Collégiens, lycéens, étudiants, travailleurs, chômeurs, entrepreneurs, retraités, parents, doivent lutter ensemble pour préserver leur droit à un futur vivable » écrivent 77 organisations. Des mobilisations sont prévues dans près de 90 villes en France. D'après la LDH et Basta ! le 18 mai 2019.

« L’écologie doit être au cœur de toute décision » : 77 organisations appellent à une grève mondiale pour le climat le 24 mai

Les rapports du GIEC et de l’IPBES sont clairs. Nous sommes dans une crise écologique majeure : Dérèglement climatique, destruction de la biodiversité, épuisement des ressources naturelles... Tout indique que nos modèles sociaux-économiques sont à l'origine de la 6ème extinction de masse. Pour éviter des catastrophes écologiques et sociales, les émissions de gaz à effet de serre doivent diminuer drastiquement et rapidement.

Pourtant, face à cette urgence, nous constatons l’insuffisance des actions entreprises par nos dirigeants politiques et économiques. Depuis maintenant plusieurs mois, la jeunesse, consciente des dangers qu’elle encourt pour son avenir, se mobilise massivement partout dans le monde : Youth For Climate, et Fridays For Future à l'international, sont devenus le symbole du passage à l’action d’une génération déjà pleinement consciente des changements à effectuer dans notre modèle sociétal. 

Le 15 mars dernier, 200 000 jeunes en France et 1,8 million dans le monde étaient dans la rue pour porter nos revendications. Le lendemain, 350 000 personnes se sont à nouveau mobilisées pour la Marche du Siècle en plus des 2 millions de soutiens exprimés par les citoyens. Ce n'était qu’un début. Le vendredi 24 mai prochain, de nombreux collectifs, associations, ONG, partis et syndicats se joindront à eux pour une deuxième journée de grève internationale.

Cet appel à la grève est intergénérationnel et dépasse toute frontière : collégien.ne.s, lycéen.ne.s, étudiant.e.s, travailleur.euse.s, chômeur.euse.s, entrepreneur.euses.s, retraité.e.s et parents doivent lutter ensemble pour préserver leur droit à un futur vivable. Nous demandons que nos dirigeants prennent des mesures concrètes et à la hauteur des enjeux. Ces mesures doivent être compatibles avec une limitation du réchauffement climatique en-dessous de la barre des +1,5°C. 

A deux jours des élections européennes, nous voulons aussi adresser un message : nous ne pouvons plus nous permettre de délaisser l'écologie, elle doit être au cœur de toute décision. À cette occasion, les jeunes de Francfort, Bruxelles, Luxembourg et Strasbourg s’uniront pour faire entendre leur voix devant les grandes institutions européennes. Le monde entier va se mobiliser pour montrer sa détermination à construire un avenir possible.

Nous n’avons plus assez de temps pour nous satisfaire des petits pas, des promesses non actées et des combats séparés. Il est maintenant nécessaire de faire front commun pour obtenir des mesures à la hauteur des enjeux actuels et futurs. 

Respect existence or expect resistance.

(Respectez l’existence ou attendez-vous à de la résistance.) 

Signataires : 350.org, Action non violente Cop21 (ANVCOP21), Alternatiba, Amis de la terre Association des étudiants en médecine d'Angers (ADEMA), Astérya, Attac, AYYA, Bio consom'acteurs, BIZI!, Boycott Citoyen, CCFD-Terre Solidaire, CEMEA, Centre de recherche et d’information pour le développement (Crid), Citoyen.ne.s pour le Climat
(CPLC), Citoyens Lobbyistes d'Intérêts Communs (CLIC), CliMates, Cnajep, Collectif des Associations Citoyennes, Coopérative Politique Ecologie Sociale, Coopérative EELV, Cop Trotter By EME, Décroissance 2019, Désobéissance Écolo Paris, Écocampus ENS, Éco'llectif Ecologie au Quotidien Rhône Alpes, Enseignants pour la planète, Etudiants et Développement, Fédération des associations générales étudiantes, FIDL, le syndicat lycéen Fondation ELYX, Gauche Démocratiques et Sociale, Génération Ecologie, Génération•s le mouvement, Grands Parents pour le Climat, Greenpeace France, GreenSAT, Gret ll Est Encore Temps, Ingénieurs sans frontières France, Jeunes Écologistes, Jeunes européens  Jeunes Génération.s (Organisation de jeunesse de Génération.s), La P'tite Rustine, Le mouvement, Le tri sera top, Ligue des droits de l'Homme (LDH), Little Citizen for Climate, LUPA - Les Universitaires Planteurs d'Alternatives, MAG Jeunes LGBT, MNL - Mouvement National Lycéen, Mouvement Utopia, Notre affaire à tous, Nouvelle Donne Campus, Nous voulons des coquelicots, Objectif21, One Voice, On est prêt, On the Green Road, Osons les jours heureux, Parents For Future France, Parti communiste Français, Poly'RSE (Collectif DDRS du réseau Polytech), RenéSens, REFEDD - RÉseau Français des Étudiant.e.s pour le Développement Durable, Réseau Action Climat (RAC), SUD éducation, The New Locals, Union syndicale Solidaires, Union national des étudiants français (Unef), Union national lycéenne (UNL), Unis pour le climat, United4Earth, Workers For Future France, Youth For Climate France, ZEA

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13 mai 2019 1 13 /05 /mai /2019 12:02

Lundi 6 mai, la plate-forme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques (IPBES), le « GIEC de la biodiversité », a publié au siège de l’Unesco à Paris, le premier rapport intergouvernemental d’évaluation mondiale sur la biodiversité. Sur la Terre comme au fond des océans, une espèce sur huit, animale et végétale, risque de disparaître à brève échéance – une menace l’espèce humaine. Audrey Azoulay, directrice de l’Unesco, et Robert Watson, président de l’IPBES, alertent sur l’urgence d’agir pour protéger « notre patrimoine mondial environnemental ». Pour Yann Laurans, de l’Institut du développement durable et des relations internationales, le système agroalimentaire est au cœur de l’effondrement du vivant. D’après Robert Watson, Audrey Azoulay, Yann Laurans, Pierre Le Hir, du 6 au 8 mai pour Le Monde.                            Cf. Un rapport mondial mesure l'impact de la perte accélérée de biodiversitéLa Convention sur la Diversité Biologique CDB - COP14 constate l’échec des objectifs fixés en 2010 et Sur tous les continents, la nature et le bien-être humain sont en danger.

INFOGRAPHIE LE MONDE

INFOGRAPHIE LE MONDE

C’est un chiffre choc, propre à frapper les esprits, les consciences et peut-être les cœurs : un million d’espèces animales et végétales – soit une sur huit – risquent de disparaître à brève échéance de la surface de la Terre ou du fond des océans. Telle est l’alerte, lancée lundi 6 mai, à Paris, à l’adresse des gouvernants et des peuples, par la Plate-forme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques (IPBES). Pour engager à l’action plutôt qu’à la résignation, celle-ci veut pourtant garder espoir : éviter le pire est encore possible, à condition de mettre fin à la surexploitation de la nature.

Réunis depuis une semaine à la Maison de l’Unesco, les représentants de 110 pays, sur les 132 que compte cette organisation onusienne, souvent appelée le « GIEC de la biodiversité », ont négocié, terme à terme, avant de l’approuver à l’unanimité selon la règle, un « résumé pour les décideurs », d’une quarantaine de pages. Celui-ci s’appuie sur un rapport exhaustif de plus de 1 700 pages, fruit de trois ans de recensement et d’analyse de données par plusieurs centaines d’experts, sur l’état de la biodiversité mondiale. Produit d’années de recherche et de coopération internationale avec des chercheurs du monde entier et le soutien des Nations unies à travers l’Unesco, la FAO [Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture], l’UNEP [programme des Nations unies pour l’environnement], et le PNUD [programme des Nations unies pour le développement], ce rapport a été adopté par 132 pays. Le document final traduit donc un consensus, à la fois scientifique et politique, qui lui donne tout son poids.

« La santé des écosystèmes dont nous dépendons, comme toutes les autres espèces, se dégrade plus vite que jamais, résume le président de l’IPBES, le Britannique Robert Watson. Nous sommes en train d’éroder les fondements mêmes de nos économies, nos moyens de subsistance, la sécurité alimentaire, la santé et la qualité de vie dans le monde entier. » Mais, ajoute-t-il, « il n’est pas trop tard pour agir, mais seulement si nous commençons à le faire maintenant à tous les niveaux, du local au mondial ».

Une disparition accélérée des espèces

« Les activités humaines menacent d’extinction davantage d’espèces au niveau mondial que jamais auparavant », avertit solennellement l’IPBES, qui fait état d’un taux actuel d’extinction « au moins des dizaines ou des centaines de fois supérieur à ce qu’il a été en moyenne durant les dernières 10 millions d’années ».

Ce sont ainsi « environ un million d’espèces [qui] sont déjà menacées d’extinction, pour beaucoup dans les prochaines décennies ». Cela, sur un total de 8,1 millions d’espèces animales et végétales, dont 5,9 millions terrestres et 2,2 millions marines, sachant que ces chiffres sont des estimations, puisque seulement 15 % environ du vivant est connu et répertorié. Autrement dit, une espèce sur huit est en danger de mort.

Il faut noter qu’à eux seuls les insectes représentent plus des deux tiers de l’ensemble des espèces (5,5 millions) et que 10 % d’entre elles sont jugées menacées. Le taux est donc plus élevé pour le reste de la faune et de la flore sauvage. Sur les 97 000 espèces évaluées avec précision par l’Union internationale pour la conservation de la nature, un quart sont en réalité en « liste rouge », c’est-à-dire en danger de disparition.

Chez les vertébrés, c’est le cas de 25 % des mammifères (et 39 % des mammifères marins), 41 % des amphibiens, 19 % des reptiles, 13 % des oiseaux, 7 % des poissons, 31 % des raies et requins. Parmi les invertébrés, 33 % des récifs coralliens, 27 % des crustacés, 7 % des gastéropodes, 15 % des libellules sont dans la même situation. Dans le règne végétal, les taux s’échelonnent entre 16 % et 63 % selon les groupes taxonomiques avec, par exemple, un risque de 34 % pour les conifères.

Et la machine à broyer le vivant s’emballe : si rien n’est fait pour l’arrêter, les experts annoncent « une nouvelle accélération du rythme mondial d’extinction ».

Des écosystèmes sous pression

INFOGRAPHIE LE MONDE

INFOGRAPHIE LE MONDE

Dans une formule saisissante qui n’a pas été reprise dans le résumé pour les décideurs, le rapport scientifique précise que, d’ores et déjà, plus d’un demi-million d’espèces terrestres peuvent être considérées comme des « espèces mortes ambulantes » si leurs habitats ne sont pas restaurés. Car telle est la principale cause de cet effondrement : 75 % des milieux terrestres sont « altérés de façon significative », 66 % des milieux marins subissent « de plus en plus d’impacts cumulatifs », et plus de 85 % des zones humides « ont été perdues ».

L’un des intérêts du rapport est de hiérarchiser les facteurs de la perte de biodiversité, tous imputables aux activités humaines. En tête (30 % des impacts) arrive le changement d’usage des milieux naturels. En clair, la destruction et la fragmentation des habitats, dues en très grande partie à la déforestation au profit des cultures agricoles, des plantations de palmiers à huile ou de l’élevage du bétail – le couvert forestier mondial a reculé d’un tiers par rapport à la période préindustrielle –, mais aussi à l’extraction minière, aux grands barrages hydrauliques, aux routes ou à l’étalement urbain.

S’y ajoute (pour 23 %) l’exploitation des ressources naturelles – chasse, pêche, coupes de bois… – ou plutôt leur surexploitation, souvent par des pratiques illégales. Arrivent ensuite, à égalité (14 %), le changement climatique et les pollutions de toutes sortes, des sols, des eaux et de l’air, en particulier par les pesticides, par les déchets industriels (entre 300 et 400 millions de tonnes de métaux lourds, solvants, boues toxiques sont déversées chaque année dans les milieux aquatiques) et par le plastique, dont le volume a été multiplié par dix dans les océans depuis 1980.

Les espèces invasives, dont la dissémination est favorisée par le commerce mondial, constituent la dernière des grandes menaces (11 %), d’autres perturbations comme le tourisme jouant pour l’instant un moindre rôle.

Alors que le réchauffement n’était jusqu’alors considéré que comme un facteur aggravant, il est donc aujourd’hui reconnu comme un déterminant majeur. Et les chercheurs estiment qu’il constitue un « risque croissant ».

Des « contributions aux peuples » irremplaçables

« Nous dépendons fondamentalement de la diversité du vivant »

En même temps que le tissu du vivant, ce sont aussi « les contributions de la nature aux populations, vitales pour l’existence humaine et la bonne qualité de vie », qui s’amenuisent dramatiquement, mettent en garde les experts. « Ces contributions forment le plus important “filet de sécurité” pour la survie de l’humanité, selon l’Argentine Sandra Diaz, qui a coprésidé l’évaluation de l’IPBES. Mais ce filet a été étiré jusqu’à son point de rupture. »

Plus de deux milliards de personnes dépendent aujourd’hui du bois pour leurs besoins énergétiques, et plus de quatre milliards se soignent par des médecines naturelles. Plus de 75 % des cultures alimentaires, notamment de fruits et légumes, reposent sur la pollinisation. Et les milieux naturels, océans, sols et forêts, absorbent 60 % des émissions de gaz à effet de serre d’origine anthropique. Les écosystèmes sont également indispensables à la qualité de l’air, de l’eau et des terres.

A ces contributions matérielles s’en adjoignent d’autres, plus difficiles à quantifier, d’ordre culturel. La nature est une source « d’inspiration et d’apprentissage, d’expériences physiques et psychologiques » et, plus largement, « d’identité ».

A cet égard, le rapport accorde une large place aux peuples autochtones et aux communautés locales. Ils sont aujourd’hui les gardiens d’au moins un quart des terres de la planète – qu’ils en aient la propriété foncière ou qu’ils les gèrent –, et de plus d’un tiers des territoires encore peu dénaturés par les activités humaines. Mais ce patrimoine est aussi le plus menacé par la prédation croissante de ressources naturelles.

De ce fait, les parties du monde qui subiront le plus des « effets négatifs importants » abritent « de grandes concentrations de peuples autochtones et beaucoup des communautés les plus pauvres ». Les régions tropicales sont ainsi les plus exposées au déclin de leur biodiversité, sous l’effet conjugué du changement climatique, de l’exploitation agricole des terres et du prélèvement de ressources halieutiques. 

Les objectifs de développement durable compromis

D’ores et déjà, il est clair que la plupart des objectifs que la communauté internationale s’était fixés en 2010, lors de la conférence de la Convention sur la diversité biologique d’Aichi, au Japon, ne seront pas atteints. Il s’agissait notamment de faire en sorte que, d’ici à 2020, « le rythme d’appauvrissement de tous les habitats naturels [soit] réduit de moitié au moins et si possible ramené à près de zéro », et que « l’état de conservation des espèces menacées [soit] amélioré ». A l’exception du développement d’aires marines et terrestres protégées, pour lesquelles les avancées sont réelles, la situation n’a fait en réalité que se dégrader.

Mais le rapport souligne que si elle se poursuit, la tendance actuelle va également « saper les progrès » nécessaires aux « objectifs de développement durable » des Nations unies pour 2030. Cela, qu’il s’agisse de la lutte contre la pauvreté et la faim dans le monde, ou de l’accès à de l’eau propre et à la santé.

Dans une approche très « altermondialiste », l’IPBES met ainsi en cause un modèle de consommation insoutenable. Au cours du demi-siècle écoulé, la production agricole mondiale a triplé et celle de bois brut a augmenté de 45 %, tandis que le commerce international a été multiplié par dix. Cette pression accrue s’explique en grande partie par la hausse de la population mondiale. Mais, depuis 1980, la consommation moyenne par habitant de ressources naturelles (produits animaux et végétaux, combustibles fossiles, minerais, matériaux de construction) a progressé de 15 % avec, bien sûr, de très fortes disparités entre pays riches et pauvres.

La raréfaction des biens tirés de la nature et leur inégale répartition « alimentent l’instabilité sociale et les conflits », préviennent les auteurs qui avancent le chiffre de « plus de 2 500 conflits en cours » pour l’accès aux ressources fossiles, à l’eau, à la nourriture ou aux terres.

« Changer en profondeur » l’usage de la nature

La perte du « patrimoine commun » que constitue la biodiversité est-elle alors inéluctable ? Elle peut encore être enrayée, assurent les chercheurs. Ceux-ci ont exploré différents scénarios à l’horizon 2050, en combinant paramètres socio-économiques et climatiques. Dans la plupart des projections, la détérioration se poursuit ou s’aggrave, sauf dans le cas d’un « changement en profondeur » de notre usage de la nature. Ce qui suppose une moindre pression sur les terres pour les besoins énergétiques et alimentaires – en particulier en protéines animales –, une croissance démographique « faible ou modérée », ainsi qu’une « atténuation » du changement climatique.

« Nos scénarios montrent qu’il est possible de changer de trajectoire, si nous agissons très rapidement sur notre modèle de consommation, à l’échelle aussi bien individuelle que planétaire », explique Yunne-Jai Shin, chercheuse en écologie marine à l’Institut de recherche pour le développement, qui a coordonné ce chapitre.

L’IPBES met en avant la nécessité de « réformes fondamentales des systèmes financier et économique mondiaux », au profit d’une « économie durable ». Et souligne notamment la nocivité des subventions accordées aux entreprises de pêche, à l’agriculture intensive, à l’élevage du bétail, à l’exploitation forestière ou à l’extraction de minerais et de combustibles fossiles.

C’est dans la partie consacrée aux solutions concrètes que le rapport est le moins précis, en s’abstenant de préconisations chiffrées que les Etats auraient pu juger trop prescriptives. Il liste des « leviers » d’action, comme des « incitations à la responsabilité environnementale et l’élimination des incitations nocives », des « mesures préventives dans les institutions et les entreprises pour éviter la détérioration de la nature, la limiter ou y remédier », assorties d’un « suivi des résultats », ou le « renforcement » des lois et politiques environnementales. Il appelle aussi à une « coopération internationale accrue ».

Il préconise de « reconnaître le savoir, les innovations et pratiques, les institutions et les valeurs des peuples autochtones » – la mention de leurs « droits », présente dans une version antérieure du résumé, a disparu de cette phrase – et de « s’attaquer à la pauvreté et aux inégalités » pour assurer un développement « soutenable ». Il prône encore la promotion d’une agriculture, d’une pêche, plus vertueuses.

Mais l’IPBES ne définit pas d’objectif aussi clair et mesurable que celui qui, dans le domaine du climat, vise à ne pas dépasser 2 °C – et si possible 1,5 °C – de réchauffement. Telle sera la tâche des Etats qui se retrouveront, fin 2020, à Kunming, en Chine, pour la 15e conférence des parties de la Convention sur la diversité biologique.

« Nous arrivons à un point de bascule. Une prise de conscience des enjeux de la biodiversité est en train de se faire jour, comme cela a été le cas auparavant pour le climat, confiait, dimanche, la secrétaire exécutive de l’IPBES, Anne Larigauderie, qui venait de présenter les conclusions du rapport au G7 de l’environnement, réuni à Metz. Elle doit maintenant se diffuser à tous les niveaux, chez les responsables politiques comme dans les entreprises et chez les citoyens, dans tous les secteurs d’activité. » Tel est précisément le sens de l’alerte rouge des scientifiques.

Photographie aérienne d’un champ d’asperges dans l’ouest de l’Allemagne, en avril 2019. INA FASSBENDER / AFP

Photographie aérienne d’un champ d’asperges dans l’ouest de l’Allemagne, en avril 2019. INA FASSBENDER / AFP

« Nous dépendons fondamentalement de la diversité du vivant »

Tribune. Par Audrey Azoulay, Directrice générale de l'Unesco, et Robert Watson, Président de l'IPBES.

Lundi 6 mai, la plate-forme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques (IPBES), le « GIEC de la biodiversité », dévoile, au siège de l’Unesco [Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture], à Paris, le premier rapport intergouvernemental d’évaluation mondiale sur la biodiversité.

Produit d’années de recherche et de coopération internationale avec des chercheurs du monde entier et le soutien des Nations unies à travers l’Unesco, la FAO [Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture], l’UNEP [programme des Nations unies pour l’environnement], et le PNUD [programme des Nations unies pour le développement], ce rapport a été adopté par 132 pays.

Il nous rappelle l’urgence de la situation. L’urgence d’agir pour la biodiversité, qui est notre patrimoine mondial environnemental. L’urgence d’agir ensemble pour les générations futures.

Une menace pour la paix mondiale

La biodiversité est le tissu vivant de notre planète. Sa disparition compromet les contributions vitales qu’apporte la nature à l’humanité, mettant en péril l’économie, les moyens de subsistance, le patrimoine culturel matériel et immatériel de l’humanité dans sa diversité, la sécurité alimentaire et la qualité de vie, et constitue une menace majeure pour la paix et la sécurité mondiales. En outre, la perte de biodiversité touche de manière disproportionnée les populations les plus vulnérables, aggravant ainsi les inégalités.

Nous dépendons fondamentalement de cette diversité du vivant dans ce qui nous constitue en tant que sociétés.

Nous vivons peut-être le début de la sixième extinction de masse des espèces dans l’histoire de notre planète, avec une disparition qui avance à un rythme pouvant être des dizaines à des centaines de fois supérieur au rythme naturel. Le constat est accablant : le rapport estime entre 500 000 et 1 000 000 le nombre d’espèces menacées d’extinction dans les prochaines décennies.

Nous ne pouvons pas accepter de poursuivre sur cette voie qui conduirait à une destruction massive et rapide de la diversité du vivant, qui dilapiderait notre bien commun ainsi que la beauté du monde vivant. Ce qui signifierait une spoliation sans précédent des générations futures

Nous devons agir vite, en profondeur et de manière collective.

Les gouvernements ne pourront pas respecter leur engagement et mettre en œuvre les objectifs de développement durable de l’agenda 2030 [établi par les Nations unies] sans lutter en même temps, et avec la même implication, contre l’érosion de la biodiversité et le changement climatique.

Nous proposons de prendre la voie de la réconciliation entre les humains et la nature : la biodiversité doit être une priorité dans notre quotidien et faire partie de nos modes et de nos lieux de vie

La conservation de la biodiversité contribue en effet à la réalisation des objectifs définis en 2015 dans l’accord de Paris sur le climat. Pour relever ces défis, nous avons les connaissances scientifiques suffisantes et nous pouvons nous appuyer sur des savoirs locaux, sources de solutions.

Le rapport d’évaluation nous confirme que la conservation de la biodiversité au sein des aires protégées est essentielle. Continuons à créer, à développer et à mieux gérer les aires protégées, comme les sites du patrimoine mondial naturel et les réserves de biosphère. C’est souvent un combat que de continuer à protéger ces territoires face à des enjeux de développement économique, mais nous le pouvons et nous le devons.

En plus de créer et de mieux gérer ces aires protégées, nous proposons de prendre la voie de la réconciliation entre les humains et la nature : la biodiversité doit être une priorité dans notre quotidien et faire partie de nos modes et de nos lieux de vie, y compris dans les villes et les zones urbaines. C’est la raison d’être des réserves de biosphère du programme de l’Unesco, qui sont des espaces de vie pour des millions d’habitants dans plus de 122 pays.

Appuyons-nous sur ces exemples pour transformer en profondeur notre rapport à la biodiversité partout sur la planète. Cette réconciliation implique un changement de nos valeurs, de nos pratiques en termes de consommation, de production, d’alimentation, de moyens de transports. Elle nécessite d’impliquer la jeunesse mondiale et de lui redonner confiance dans nos capacités à nous transformer.

Après ce rapport historique de l’IPBES, personne ne pourra dire qu’il ne savait pas. Nous serons comptables de ce que nous ferons ensemble de ce travail devant une jeunesse qui nous regarde, qui s’exprime et qui sait à quel point la période est critique. C’est ensemble et maintenant que nous devons agir pour conserver notre planète. Il en va de notre survie en tant qu’espèce humaine vivant en interaction avec les autres espèces du monde vivant.

« La priorité est de réduire la part des produits animaux dans l’alimentation »

Le système agroalimentaire est au cœur de l’effondrement du vivant. Propos de Yann Laurans, économiste, directeur du programme biodiversité de l’Institut du développement durable et des relations internationales (Iddri), recueillis par Pierre Le Hir.

Les trois quarts de l’usage agricole des sols sont destinés à l’élevage d’animaux et à la production de céréales pour leur alimentation. GUILLAUME SOUVANT / AFP

Les trois quarts de l’usage agricole des sols sont destinés à l’élevage d’animaux et à la production de céréales pour leur alimentation. GUILLAUME SOUVANT / AFP

Les scientifiques alertent sur l’extinction accélérée des espèces. Comment l’éviter ?

Le rapport montre que l’effondrement de la biodiversité terrestre est d’abord dû aux changements d’utilisation des sols, principalement pour l’agriculture et la production de produits animaux. L’agriculture occupe aujourd’hui un tiers des terres émergées. Depuis 1980, sa progression s’est faite à 55 % au détriment des forêts intactes (peu modifiées par les activités humaines) et à 28 % au détriment des forêts secondaires (aménagées). Dans le même temps, son intensification a doublé sa consommation d’eau et de pesticides, a triplé celle d’engrais. Désormais, les trois quarts de l’usage agricole des sols sont destinés à l’élevage d’animaux et à la production de céréales pour leur alimentation.

Pour les océans, le rapport établit que la pêche industrielle est la cause principale du déclin. Ses flottes couvrent 55 % des mers, souvent de façon illégale ou non réglementée, avec des fonds en provenance de paradis fiscaux.

Le système agroalimentaire mondial est donc au cœur de la perte de biodiversité. La priorité devrait être de promouvoir, à l’échelle de la planète, un régime alimentaire réduisant la part des produits animaux, viande et poisson. Mais aussi moins riche en graisses et en sucres, dont la production, par les plantations de palmiers à huile, de betteraves ou de cannes à sucre, accapare, elle aussi, des terres.

Bien sûr, cela suppose de changer notre façon de nous nourrir, individuellement et collectivement. Mais si nous nous y mettions tous, en réduisant notre consommation de produits animaux issus des filières industrielles, le changement ne serait pas aussi drastique qu’il y paraît, et notre santé n’en serait que meilleure. Un engagement des Etats à réduire la part carnée de l’alimentation serait l’une des mesures les plus efficaces pour la biodiversité.

 

 

Le rapport insiste aussi sur l’importance des peuples indigènes. Quel rôle peuvent-ils jouer ?

Une partie de la solution repose en effet sur les peuples autochtones. D’une part, du fait de leur importance numérique : on estime leur nombre entre 300 millions et 370 millions de personnes appartenant à cinq mille groupes et, si on y ajoute les communautés locales, l’ensemble pourrait représenter jusqu’à 1,5 milliard d’habitants, soit 20 % de la population mondiale. D’autre part, parce que leurs pratiques traditionnelles de chasse, de culture, d’élevage, de pêche ou de gestion de la forêt préservent généralement la biodiversité et en sont même les garantes.

Il faut donc trouver des modes de développement économique et social, ainsi que de financement, qui reconnaissent les droits, les terres, les modes de vie, les langues, les identités de ces peuples. La diversité culturelle va de pair avec la diversité biologique.

Quelles devraient être les suites du rapport de l’IPBES ?

Il constitue un consensus scientifique, sur la base duquel les Etats devront prendre des engagements lors de la prochaine conférence des parties de la Convention sur la diversité biologique, qui se tiendra, fin 2020, en Chine. Mais les grands accords internationaux ne suffisent pas si leur mise en œuvre fait défaut, comme c’est aujourd’hui le cas. On ne peut pas, comme il y a dix ans [lors de la convention d’Aichi, au Japon, où avait été arrêtée une stratégie pour 2020], se contenter de constater que les objectifs en faveur de la biodiversité n’ont pas été atteints, et d’en fixer de nouveaux plus ambitieux encore, dans l’espoir de rattraper le temps perdu. Les textes, lois, directives sur la biodiversité sont déjà nombreux. Ce qui manque, c’est leur traduction concrète, dans les politiques agricoles, forestières, de transports, d’aménagement urbain…

Comme pour le climat, où les pays ont pris des engagements chiffrés de réduction de leurs émissions de gaz à effet de serre – même s’ils sont insuffisants pour limiter le réchauffement à 2 °C –, il faudrait, pour la biodiversité, des engagements nationaux, avec des trajectoires qui puissent être évaluées et, si nécessaire, corrigées.

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5 mai 2019 7 05 /05 /mai /2019 09:35

Réunis à Paris depuis le 29 avril, les experts de la Plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services éco-systémiques (IPBES) doivent adopter un rapport de plus de 1.700 pages élaboré par 250 chercheurs et spécialistes d’une cinquantaine de pays. Ce texte doit servir de feuille de route aux 132 pays qui adhèrent à cette structure au niveau des Nations Unies. D’après Gérard Le Puill le vendredi 3 Mai 2019 pour l’Humanité. Lire aussi La Convention sur la Diversité Biologique CDB - COP14 constate l’échec des objectifs fixés en 2010Première étude mondiale sur l’état des sols et Sur tous les continents, la nature et le bien-être humain sont en danger.

AFP

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Dès la première séance lundi dernier, Robert Watson, président de l’IPBES déclarait devant les membres de cette organisation : « Notre destruction de la biodiversité et des services écosystémiques a atteint des niveaux qui menacent notre bien-être au moins autant que les changements climatiques induits par l’homme ».
En réalité, le réchauffement climatique accélère aussi le recul de la biodiversité, surtout quand des phénomènes climatiques comme les sécheresses, les cyclones et les inondations se multiplient un peu partout dans le monde. De même, les échanges mondialisés selon les règles de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) sur fond de dumping, social, fiscal et environnemental constituent un accélérateur du recul de la biodiversité. Ce commerce planétaire accélère aussi le réchauffement climatique de différentes manières.
C’est pour vendre plus de soja, de viande et de sucre de canne au reste du monde que Jair Bolsonaro accélère la déforestation de l’Amazonie depuis qu’il est président du Brésil. La triple conséquence de cette déforestation se traduit par moins d’arbres pour capter du carbone, plus de camions sur les routes pour émettre du CO2 et moins de biodiversité imputable au recul de la forêt primaire. On peut ainsi multiplier les exemples à travers le monde. C’est le cas avec la production d’huile de palme dans de nombreux pays pour exporter du carburant. Il en va de même concernant l’exploitation du pétrole et du gaz de schiste aux Etats Unis où le milliardaire Warren Buffett a décidé de devenir « l’actionnaire de référence » de la firme « Occidental Petroleum » pour l’aider à acquérir Anadarko face à Chevron, selon Les Echos de ce vendredi 3 mai.

Dégradation accélérée de l’environnement terrestre et marin

Ainsi, le projet de rapport qui doit être adopté demain à Paris indique qu’aujourd’hui « 75% de l’environnement terrestre, 40% de l’environnement marin et 50% des cours d’eau présentent des signes importants de dégradation ». Il indique aussi que, dès à présent, la dégradation des sols   a réduit la productivité agricole sur plus de 20% de la surface terrestre. Elle affecte désormais 3 milliards de personnes. Il ne s’agit pas seulement des populations des pays pauvres. En France, un demi-siècle de cultures céréalières intensives en rotations courtes a considérablement réduit la teneur des sols en matière organique de la Beauce à l’Aquitaine, des Haute de France à la plaine d’Alsace, du Grand Est au Lauragais au sud de Toulouse en passant par la Bourgogne.
Il s’est dit aussi à la réunion de Paris que plus de 80% des eaux usées de la planète sont déversées dans l’environnement sans traitement. Mais en même temps, dit le texte qui sera publié demain, « 300 à 400 millions de tonnes de métaux lourds, de solvants, de boues toxiques et autres déchets sont rejetés dans les eaux chaque année ». Cette pollution volontaire s’est accélérée au début de ce siècle tandis que le socialiste français Pascal Lamy, ancien commissaire européen en charge du Commerce à Bruxelles, présidait l’OMC entre septembre 2005 et août 2013. Face à cette pollution « 40% de la population mondiale n’a pas accès à l’eau propre et potable », nous dit encore le texte qui doit être adopté demain.

Un tiers des stocks de poissons surexploités

Tandis que les océans « récupèrent » chaque année des millions de tonnes de plastiques, la FAO indique, qu’en 2017, plus de 92 millions de tonnes de poissons et de fruits de mer ont été capturés dans monde. Du coup, un tiers de stocks de poissons sont surexploités. Selon Didier Gascuel chercheur à l’IFREMER et qui vient de publier un livre sur la pêche (1) « des stocks surexploités peuvent tomber à des niveaux d’abondance tellement   faible qu’il n’est plus rentable de les pêcher ».
Si la surpêche diminue les stocks de manière préoccupante et pousse aussi à la fraude, y compris sur les zones où cette pêche est réglementée comme dans les eaux de l’Union européenne, le réchauffement des océans provoque aussi des migrations de poissons. Selon Manuel Barange, de la FAO, le changement climatique « va provoquer une certaine redistribution dans les stocks de poissons » et « les régions tropicale comme les petits Etats insulaire vont probablement devoir faire face aux impacts les plus négatifs tandis que les régions polaires bénéficieront d’augmentations ».

Le réchauffement impacte aussi les régions polaires

Mais les régions polaires sont aussi confrontées à de nouveaux problèmes avec la fonte des glaces. En témoigne ce matin Willard Church un pêcheur de 55 ans vivant en Alaska qui déclare à l’Agence France Presse (AFP) : « On a grandi à une époque où l’hiver était un véritable hiver, où nos anciens se souvenaient de congères aussi hautes que le toit des maisons. Aujourd’hui, on s’estime heureux si on a 1,5 mètre de neige sur le sol ».
Ainsi cheminent côte à côte le réchauffement climatique et le recul de la biodiversité pendant que les décideurs politiques des pays développés et de quelques autres continuent de regarder ailleurs.

(1) Pour une révolution dans la mer, de Didier Gascuel aux éditions Acte Sud.

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20 avril 2019 6 20 /04 /avril /2019 09:04

Une étude menée dans les Pyrénées suggère que ces particules peuvent voyager sur de très longues distances, par voie aérienne. Par Sylvie Burnouf le 15 avril 2019 pour Le Monde. Lire aussi Seule la plasticité pourra nous sauver des plastiques, Nous mangeons du plastique et Les océans pollués par des particules invisibles de plastique.

Une usine de recyclage du plastique près de Laval (Mayenne) en France, en 2011(Reuters)

Une usine de recyclage du plastique près de Laval (Mayenne) en France, en 2011(Reuters)

L’air pur de la montagne est-il devenu une illusion ? L’atmosphère pourrait bien y être aussi chargée en microplastiques que dans les grandes villes, selon les résultats d’une étude française menée au beau milieu du parc naturel régional des Pyrénées ariégeoises et publiée lundi 15 avril dans la revue britannique Nature Geoscience.

C’est la première fois que de telles mesures sont réalisées dans un milieu isolé, difficile d’accès, éloigné des villes et de toute activité industrielle. Perchée à 1 425 mètres d’altitude, la station météorologique de Bernadouze, où les chercheurs ont effectué leurs prélèvements, se situe en effet à 6 km du village le plus proche, Vicdessos (500 habitants environ), et à 25 km de Foix.

Sur la période allant de novembre 2017 à mars 2018, ils y ont observé le dépôt quotidien moyen de 365 microplastiques par m2 de surface au sol, amenés là par le vent, la pluie et la neige. « Nous nous attendions à trouver du plastique, mais pas en de telles quantités », soutiennent Steve Allen et Deonie Allen, chercheurs au laboratoire Ecologie fonctionnelle et environnement (EcoLab, Ecole nationale supérieure agronomique de Toulouse) et copremiers auteurs de l’étude.

Ces taux se situent en effet dans la fourchette de ce qui est mesuré dans deux mégalopoles, Paris et Dongguan (Chine), seuls endroits au monde où les taux de microplastiques dans l’air avaient jusqu’alors été documentés. Surprenant ? « Il n’y a pas de frontières dans les masses d’air ; tout ce qui est produit dans la ville se diffuse », répond celui qui travaille justement sur les microplastiques polluant l’atmosphère parisienne, Johnny Gasperi, maître de conférences au Laboratoire eau, environnement et systèmes urbains (LEESU, université Paris-Est-Créteil).

Sur près de 100 kilomètres

Une estimation du parcours des microplastiques atterrissant à Bernadouze, réalisée à partir des relevés météorologiques et de modèles mathématiques, suggère en effet que ces particules ont pu voyager par transport aérien sur près de 100 km. Et « il s’agit probablement d’une sous-estimation », soulignent Deonie et Steve Allen, car ces données reposent sur la vitesse de déposition de particules de poussière, qui sont « beaucoup plus lourdes que les microplastiques ».

Ainsi, même au fin fond des Pyrénées, l’on respire des fragments, des films et des fibres de plastique. Ces microparticules, essentiellement composées de polystyrène (41 % des prélèvements), de polyéthylène (32 %) et de polypropylène (18 %), sont issues, pour la plupart, d’objets en plastique à usage unique, d’emballages, de sacs plastiques et de textiles. « Cela nous met face à nos pratiques : nous utilisons le plastique massivement depuis cinquante ans et nous portons tous des vêtements en fibres synthétiques depuis trente-quarante ans, commente Johnny Gasperi. Tout cela laisse des traces, forcément. »

D’autant que l’atmosphère n’est pas le seul compartiment environnemental à être touché : l’omniprésence des microplastiques dans les cours d’eau et les océans fait en effet l’objet d’un nombre croissant de publications.

« Repenser notre manière de gérer le plastique »

Or, à l’heure actuelle, très peu de choses sont connues quant aux conséquences de cette pollution sur la faune et la flore. Quelques études récentes suggèrent que les micro et nanoplastiques pourraient altérer le système hormonal et modifier le comportement de prise alimentaire et de reproduction des insectes et des vers, mais la recherche n’en est qu’à ses prémices, note Deonie Allen.

En outre, « on ne connaît absolument rien de l’impact pour la santé humaine d’une exposition aux microplastiques », pointe Johnny Gasperi, rappelant à ce titre que la thématique des plastiques était relativement récente en recherche, ayant débuté il y a une dizaine d’années seulement.

Mais face aux données qui s’accumulent sur la présence généralisée de ces micropolluants dans l’environnement, des projets de recherche visant à évaluer les risques pour la santé commencent à émerger. Aux Pays-Bas par exemple, quinze projets d’une durée d’un an, financés notamment par l’Organisation néerlandaise pour la recherche scientifique et le gouvernement, viennent de débuter. Ils devraient permettre de savoir, par exemple, si les microplastiques que nous inhalons peuvent se propager des poumons jusqu’aux autres organes, ou encore si une exposition aux microplastiques peut affaiblir notre système immunitaire.

En attendant, « il nous faut totalement repenser notre manière de gérer le plastique », estiment Steve et Deonie Allen. Les chercheurs plaident notamment pour une considération non plus locale, mais globale, de cette pollution qui n’a pas de frontières.

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11 avril 2019 4 11 /04 /avril /2019 09:36

Un décès sur cinq dans le monde est dû à une alimentation déséquilibrée, selon une vaste étude internationale sur l’impact sanitaire d’un régime alimentaire déséquilibré dans 195 pays. Par Paul Benkimoun et Mathilde Gérard le 4 avril 2019 pour Le Monde. Lire aussi Le « régime de santé planétaire » ? Des protéines végétales et un steak par semaine !, L’agriculture bio est plus efficace que les pesticides contre les agents pathogènes, démontrent des chercheurs français et Nourrir la planète avec une agriculture 100% biologique en 2050, c’est possible.

Les quatre familles d'aliments : sucres lents, protéines, fruits et légumes. MAXIMILIAN STOCK LTD / PHOTONONSTOP

Les quatre familles d'aliments : sucres lents, protéines, fruits et légumes. MAXIMILIAN STOCK LTD / PHOTONONSTOP

Mal manger tue. En 2017, un total de 11 millions de décès dans le monde, soit un sur cinq, étaient attribuables à un mauvais régime alimentaire. C’est plus que le tabac (8 millions de morts chaque année). Aux premiers rangs des facteurs de risque figurent le sel, un apport insuffisant en céréales complètes et une ration quotidienne trop basse en fruits. Ce sont les conclusions d’une étude menée par 130 chercheurs réunis au sein du Global Burden of Disease (GBD, charge mondiale des maladies) par l’Institute of Health Metrics and Evaluation (IHME, Seattle) et que publie, mercredi 3 avril, l’hebdomadaire médical The Lancet.

Alors que les Nations unies ont lancé en 2016 une « décennie d’action pour la nutrition », ce vaste travail confirme la nécessité d’amplifier les efforts en matière de santé publique. « Cette étude est un signal d’alarme : à défaut d’adopter un régime sain, pour notre santé et pour l’environnement, nous n’irons pas très loin », avertit Francesco Branca, directeur du département de nutrition de l’Organisation mondiale de la santé (OMS).

L’étude du GBD vient appuyer la prise en compte croissante des problématiques d’alimentation au niveau mondial. « Il y a une prise de conscience de plus en plus forte de l’impact de la nutrition sur les maladies chroniques, note Mathilde Touvier, directrice de recherche à l’Inserm, qui a participé aux travaux pour la France. La nutrition n’est plus une affaire de second rang, comme on pouvait l’entendre il y a une vingtaine d’années. »

Peu de données fiables sur la consommation de sel

Pour mener à bien cet imposant travail, les chercheurs avaient une triple tâche : constituer une base de données fiable et la plus large possible sur l’alimentation dans 195 pays ; distinguer les différentes consommations (sel, sucres, acides gras trans, fibres…), par excès ou par défaut, associées à un risque accru de maladie chronique et de décès ; enfin, évaluer pour chacune de ces manières de mal s’alimenter la part de maladies et de mortalité qui lui est attribuable, indépendamment des autres causes.

Le réseau du GBD a travaillé à partir de l’ensemble des études de qualité satisfaisante disponibles sur les consommations alimentaires, malgré les difficultés d’harmoniser les données émanant des 195 pays. Il a « également utilisé les enquêtes sur les dépenses des ménages, les chiffres de vente des denrées alimentaires et eu accès à des données non publiques de l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture », comme l’explique au Monde Ashkan Afshin, de l’IHME et premier auteur de l’article.

La sélection des facteurs de risque s’est appuyée sur les relations de cause à effet établies entre le niveau de consommation d’un aliment ou d’un nutriment (sodium, calcium…) et une maladie donnée. « Pour chacun de ces composants alimentaires, nous avons retenu un seuil d’exposition à risque », précise Ashkan Afshin.

Ainsi un régime est considéré comme pauvre en fruit pour une ration de moins de 250 grammes par jour, pauvre en céréales complètes avec moins de 125 grammes quotidiens. Pour le niveau optimal de consommation de sel, la littérature scientifique fournit des valeurs variables. Les chercheurs ont retenu le seuil de 3g/j, avec une marge d’incertitude : peu de pays disposent de données fiables sur ce paramètre.

Ils ont ensuite évalué l’impact spécifique de quinze composants alimentaires sur la survenue de maladies et de décès. L’analyse globale fait apparaître le poids particulièrement élevé de certains facteurs de risque en termes de mortalité et de morbidité : une consommation de sel excessive (près de 3,2 millions de décès), un apport insuffisant en céréales complètes, en fruits ou en noix et graines (respectivement 3 millions, 2,4 millions et 2 millions de morts).

Les pays pauvres touchés par les carences alimentaires

L’étude, financé par la fondation Bill and Melinda Gates, montre qu’aucun pays dans le monde n’échappe à l’impact d’une mauvaise alimentation. Pas une seule des 21 grandes régions géographiques observées ne présentait en 2017 une consommation optimale de l’ensemble des quinze composants alimentaires étudiés, bien que certaines d’entre elles y parvenaient partiellement : l’Asie centrale pour les légumes, les pays riches de la zone Asie-Pacifique (Japon, Corée du Sud) pour les oméga 3, ou encore les Caraïbes, l’Asie du Sud et l’Afrique sub-saharienne pour les légumineuses.

Infographie Le Monde

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Si les carences alimentaires ne sont pas l’apanage des pays pauvres, ces derniers restent les plus durement touchés. L’impact des mauvais régimes y est ainsi beaucoup plus fort. Le taux de mortalité lié à l’alimentation est ainsi 10 fois plus important en Ouzbékistan (892 morts pour 100 000 habitants) qu’en Israël (89 pour 100 000), qui présente le taux le plus faible, suivi par la France, l’Espagne et le Japon.

Un « outil d’aiguillage » des actions de santé publique

« Nous nous attendions à une telle hiérarchie des risques, mais ce bilan permet de guider les actions de santé publique », note Mathilde Touvier. Pour la chercheuse, ce travail peut servir d’« outil d’aiguillage, dans un contexte où certaines mesures politiques sont contestées, comme par exemple la taxe soda mise en place dans plusieurs pays. »

L’un des principaux enseignements est l’impact sur la santé de la sous-consommation d’aliments sains (fruits et légumes, légumineuses, fruits à coques…). En 2017, il y a eu davantage de décès liés à un apport insuffisant en céréales complètes, fruits, noix et graines, que de morts associées à une consommation élevée d’aliments contenant des acides gras trans (présents dans les produits laitiers, les viennoiseries, les pizzas…), de boissons sucrées ou viandes rouges ou transformées.

Les chercheurs estiment donc qu’en matière de politique de santé, il est plus efficace de promouvoir ces aliments bons pour la santé, plutôt que de stigmatiser d’autres types de consommations plus délétères. « La notion de plaisir doit être centrale, insiste la chercheuse britannique Corinna Hawkes, directrice du Centre for Food Policy de la City University London. Il ne s’agit pas de forcer les gens à manger des aliments qu’ils n’aiment pas, mais de donner le goût et le plaisir de consommer, à un prix accessible, des fruits et des céréales complètes notamment. »

L’enquête du GBD apporte également la preuve de l’importance pour la santé d’une alimentation variée. Bien que le travail mené ne porte pas sur la sous-nutrition ou l’obésité, deux facettes de la malnutrition, Francesco Branca, de l’OMS, estime que la réponse aux crises alimentaires, qui affectent de façon aiguë plus de 100 millions de personnes dans le monde, selon un rapport de la FAO publié mardi 2 avril, ne peut porter seulement sur l’apport brut en calories, et qu’il faut veiller à maintenir dans toutes les régions une production suffisante en fruits et légumes.

Tout en agissant sur les prix : « Jusqu’à présent, les politiques se sont efforcées de convaincre les consommateurs de modifier leurs comportements alimentaires, mais nous devons travailler sur l’offre, relève M. Branca. Il faut que le modèle économique des systèmes alimentaires rende possible le choix d’une nourriture saine. »

L’équipe de GBD va prolonger ce travail, en collaboration avec l’OMS, en évaluant l’impact combiné de l’ensemble des problèmes de nutrition – malnutrition, surpoids et obésité, qualité de l’alimentation et sous-nutrition. Les résultats devraient être publiés à la fin 2019. « Nous devrions ainsi montrer comment certains pays supportent une double ou triple charge de maladies liées à ces problèmes », explique Ashkan Afshin, en évoquant des pays en développement.

Infographie Le Monde

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29 janvier 2019 2 29 /01 /janvier /2019 16:21

Près de 150 000 manifestants se sont rassemblés en France et en Belgique les 26 et 27 janvier pour un week-end d’actions (marches, chaînes humaines, die-in, flashmobs, etc.) organisées dans une centaine de villes françaises et étrangères par des collectifs citoyens apparus cet automne et déterminés à se rassembler chaque mois. Les formations à l'action directe et non violente préparent à la désobéissance civile. La prochaine étape devrait être une grève scolaire mondiale, le 15 mars. D’après Audrey Garric, Jean-Pierre Stroobants, Richard Schittly pour Le Monde. Lire aussi Agora pour le Climat le 27 janvier 2018, Le monde ne prend pas le « tournant climatique » nécessaire pour limiter le réchauffement sous 1,5 °C et Des ONG attaquent la France en justice pour inaction climatique.

Les citoyens ressentent l’urgence climatique et sanitaire et maintiennent la pression sur les gouvernements

Ils étaient 70 000 à Bruxelles, 8 500 à Paris, 5 000 à Montpellier et Lyon, 3 500 à Grenoble, 3 000 à Nice, 2 000 à Nantes, Rennes et Toulouse – présents également dans une quinzaine d’autres pays – à dénoncer « l’inaction » des gouvernements et à exiger de leurs dirigeants des politiques ambitieuses face à l’urgence climatique, scandant un slogan devenu leur leitmotiv : « Changeons le système, pas le climat ».

« Une petite révolution » belge

A Bruxelles, le mouvement Rise for Climate Belgium, qui avait appelé à manifester, a vu ses espérances dépassées : son action visait initialement à « maintenir la pression » après une première manifestation qui avait réuni 65 000 personnes le 2 décembre 2018, à l’appel d’une « Coalition climat » regroupant des mouvements de défense de l’environnement, des ONG et des syndicats.

Depuis, des jeunes ont eux aussi défilé à trois reprises dans la capitale belge. Séchant les cours, ils étaient 35 000 réunis par le groupement Youth for Climate, jeudi 24 janvier. Ils affirment qu’ils seront encore plus nombreux jeudi 31 janvier, quand leur action sera appuyée par des étudiants des universités.

Beaucoup d’entre eux, rejoints par leurs parents et/ou leurs grands-parents, étaient en tout cas à nouveau présents dans le cortège dimanche. La manifestation comptait également des groupes de citoyens prônant des actes de désobéissance civile non violente. Quelques-uns de leurs membres ont été appréhendés à l’approche de la zone neutre, siège des institutions politiques fédérales.

Quelques délégations de partis politiques ont participé au défilé, dont celle des formations écologistes Ecolo et Groen. Actuellement dans l’opposition, ils comptent bien capitaliser sur cette mobilisation dont l’ampleur surprend tous les observateurs. Une étude menée par l’Université de Gand et l’institut néerlandais Burat indique que si la question environnementale occupe la septième place dans les préoccupations des Belges de plus de 50 ans, elle arrive en tête pour les 18-25 ans.

Manifestation pour le climat à Bruxelles, dimanche 27 janvier. YVES HERMAN/REUTERS

Manifestation pour le climat à Bruxelles, dimanche 27 janvier. YVES HERMAN/REUTERS

« Une petite révolution », selon les termes du politologue Carl Devos, qui pourrait bénéficier d’abord aux Verts lors des prochaines élections fédérales et régionales qui seront couplées, en Belgique, avec les européennes du 26 mai. Déjà en forte progression lors des municipales qui ont eu lieu en octobre 2018, les partis écologistes exploitent, en outre, les carences des partis au pouvoir, auxquels Anuna De Wever, 17 ans, figure déjà emblématique du mouvement des jeunes, a lancé un nouvel appel, dimanche.

« Je suis un peu déçue par leurs réactions, affirmait dimanche la jeune étudiante de Gand, à l’issue de la manifestation. J’ai le sentiment qu’ils ne perçoivent pas la nécessité d’agir d’urgence. Les solutions existent. Les experts indiquent qu’il faut décider maintenant, mais pour les politiques, ce n’est pas totalement clair. » Elle exhorte les dirigeants à élaborer rapidement une politique cohérente fondée sur les rapports du Groupe d’experts intergouvernemental sur le climat (GIEC) – dont le dernier, publié en octobre 2018, appelait à une action « sans précédent » pour limiter le réchauffement à 1,5 °C.

Ce n’est pas la voie suivie par la Belgique. Faute d’un accord entre les quatre ministres de l’environnement du royaume début décembre, le pays s’est rangé aux côtés de la République tchèque pour tenter de rejeter les objectifs européens en matière d’efficacité énergétique et d’énergies renouvelables. Ce vote, lors d’un conseil des ministres européens, a été l’un des moteurs de la contestation actuelle. Comme les incertitudes quant à la sortie du nucléaire : promise pour 2025 compte tenu, notamment, du vieillissement du parc de centrales, elle semble toujours très incertaine.

Action en justice contre l’Etat

En France, la mobilisation prend des formes différentes de la grande manifestation bruxelloise : marches multiples, agoras, chaînes humaines, flashmobs, die-in et actions non violentes dans 120 villes. « Le mouvement ne fait que s’amplifier », affirme François Dubreuil du collectif Unis pour le climat, créé en septembre 2018. Il en veut pour preuve les 2,1 millions de personnes qui ont signé la pétition soutenant l'action en justice contre l'Etat pour inaction climatique, un record. Quelques « gilets jaunes » étaient visibles parmi la foule dans plusieurs villes, venus partager leur préoccupation écologique en défendant un référendum d’initiative citoyenne sur le sujet.

A Paris, c’est Place de la République que s’est tenue l’Agora pour le climat, le 27 janvier. RAFEL YAGHOBZADEH / AP

A Paris, c’est Place de la République que s’est tenue l’Agora pour le climat, le 27 janvier. RAFEL YAGHOBZADEH / AP

« Nous sommes ceux qui regardons la réalité en face »

8 500 personnes ont participé à un Grand Débat place de la République à Paris dimanche 27 janvier, lors d’une après-midi d’« agora », afin de proposer des pistes d’action dans la lutte contre le dérèglement climatique, au niveau local et global. Mais c’était leur grand débat à eux, ni voulu ni encadré par le gouvernement. Au contraire, ceux qui se rassemblaient souhaitaient dénoncer l’inaction des Etats contre le changement climatique. « Plus chaud, plus chaud que le climat », les manifestants ont bravé la pluie et le froid.

 

« Face à l’urgence climatique, avez-vous vu des actions du gouvernement ? La politique des petits pas ne suffit pas ! », ont lancé les cinq collectifs citoyens organisateurs (Alternatiba, le Collectif citoyen pour le climat, Unis pour le climat, Rise for climate et Il est encore temps), qui cherchent à maintenir la pression. Les citoyens, de tous âges et toutes professions (dont une majorité d’étudiants), étaient appelés à débattre, d’abord en binôme, puis à quatre et enfin à huit, dans le cadre de cinq ateliers thématiques : « Fin du monde, fin du mois », « Changer sa ville », « Mobilisation étudiante et lycéenne », « Le grand débat » et « Désobéir pour le climat ».

« Bloquer des institutions »

« J’ai du mal à croire que l’on va faire bouger les choses en discutant. Je commence à m’imaginer bloquer des institutions et des points de passage, comme le fait Extinction Rebellion à Londres », lance Xavier Capet, 45 ans, océanographe à l’Institut Pierre-Simon Laplace, en référence au mouvement de désobéissance civile créé en novembre au Royaume-Uni et qui essaime partout dans le monde. « Avoir des scientifiques au sein de ce mouvement permet de le légitimer de manière institutionnelle », ajoute-t-il. « Je suis d’accord, mais c’est risqué dans le climat de répression actuel, avec les forces de l’ordre qui usent de fumigènes ou de Flash-Balls », prévient Laurent Le Guyader, un électronicien de 56 ans, ancien « faucheur volontaire » d’OGM.

Plus loin, sous une autre tente, on s’interroge sur comment « consommer moins et mieux ». Valentine, libraire de 23 ans à Paris, défend le modèle de la Louve, un supermarché coopératif du 18e arrondissement de la capitale. « On devrait multiplier ce type d’initiatives, pour accéder à des produits bio et locaux peu chers », affirme la jeune femme, qui se dit prête à y « bosser deux heures par semaine ». « Dès que l’on s’éloigne de Paris, c’est difficile d’adopter un mode de vie écolo », rétorquent Rebecca, Johanne, Augustin et Michaël, un groupe d’étudiants en première année de HEC.

Sur leur campus de Jouy-en-Josas (Yvelines), ils ont développé des paniers bio et remplacé les gobelets en plastique par des verres réutilisables. « Ce n’est pas parce qu’on étudie dans une école de commerce que l’on est tous des capitalistes débridés », s’amusent les deux jeunes filles, qui se destinent à l’entreprenariat social et l’action publique.

Sensibiliser les enfants pour toucher les adultes

Autre grande école, autre lutte : Djamila Vuilleumier-Papaloïzos et Alexia Beaujeux, deux étudiantes en urbanisme à Sciences po, ont créé en janvier 2018 l’association Villes & décroissance, qui réfute l’idée que « développement et durabilité puissent être compatibles ». « On nous apprend à imaginer des politiques publiques pour agrandir les villes ou accroître les déplacements mais pas comment réduire les émissions de gaz à effet de serre », regrette Alexia, 22 ans, qui propose, entre autres, de stopper la métropolisation et de relocaliser la production de nourriture dans les villes.

Les familles ne sont pas en reste : à l’atelier « kids », animé par l’association Little citizens for climate, créée en novembre, on cherche à sensibiliser les plus jeunes pour toucher les adultes. « Notre idée, c’est de donner aux enfants une tribune et d’agir dans les écoles, avec les enseignants, pour montrer ce que l’on peut faire à notre niveau », expliquent Stéphane et Anne Dierick, un informaticien et une médecin investis dans le Collectif citoyen pour le climat. « Les solutions, c’est le zéro-déchet, manger moins de bœuf, utiliser les transports en commun, acheter d’occasion », récitent leurs enfants, Pauline, 12 ans, Lucie 9 ans et Baptiste, 6 ans.

« S’approprier » le grand débat national

A l’issue de trois heures de débat, on convient d’occuper des mairies, de changer de banque « tous en même temps », de récupérer la nourriture non consommée dans les supermarchés et les écoles, de taxer les logements énergivores et les entreprises polluantes, de dénoncer les magasins qui n’éteignent pas la lumière, d’occuper le nouveau site d’Amazon en France, de permettre un accès moins cher au bio, ou d’organiser des conférences dans les établissements scolaires avant la grève internationale des étudiants prévue le 15 mars.

Quant au grand débat national, les citoyens ont décidé de « s’approprier le questionnaire » jugé « trop orienté » et aux « thématiques trop restreintes » en faisant leurs propres propositions. « Il y a aussi l’idée de se rassembler dès que possible avec la famille, les amis, les voisins, les collègues pour débattre, ainsi qu’avec les gilets jaunespour trouver des points de convergence », précise Gabrielle Valente-Le Pors, professeure des écoles à Meudon (Hauts-de-Seine), qui a modéré l’atelier « Le grand débat ».

« Dès demain, j’espère que vous passerez à l’action. Il faut enclencher un vrai rapport de force », a lancé à la foule Victor Vauquois, l’un des fondateurs de la campagne « Il est encore temps » des youtubeurs engagés pour la protection de l’environnement. « On vous traite de radicaux, d’illuminés, d’extrémistes ou d’utopistes, poursuit-il. Mais ce que nous ont appris des milliers de scientifiques, c’est que nous sommes les gens raisonnables, ceux qui regardent la réalité en face. »

A Marseille, plusieurs centaines de personnes ont participé à deux flashmobs, restant figées durant cinq minutes, pour symboliser l’immobilisme de la société face à l’urgence climatique, avant de chanter « Nous, nous changerons ».

« On veut respirer », clament ces manifestants à Lyon dimanche 27 janvier, pour enjoindre aux autorités d’agir pour le climat. JEAN-PHILIPPE KSIAZEK / AFP

« On veut respirer », clament ces manifestants à Lyon dimanche 27 janvier, pour enjoindre aux autorités d’agir pour le climat. JEAN-PHILIPPE KSIAZEK / AFP

A Lyon, les manifestants, toutes générations confondues, ont constitué une immense chaîne humaine, encerclant complètement la presqu’île entre le Rhône et la Saône. Deux grandes banderoles noires emmenaient les défilés étirés sur plusieurs kilomètres. « Lyon suffoque » disait l’une ; « On veut respirer », répondait l’autre. « On veut démontrer à quel point le climat préoccupe la population, et pas seulement une poignée de bobos », explique Maxime Forest, 25 ans, membre d’Alternatiba, l’un des principaux mouvements organisateurs, qui propose de limiter les voitures dans le centre des villes, et de programmer la fin du diesel et de l’essence.

Grève scolaire mondiale

La pollution de l’air était au cœur de la plupart des conversations. Les associations de défense de l’environnement réclament l’expérimentation d’une journée par mois sans voiture en ville. « Il est grand temps de faire quelque chose, on pense à nos enfants, nos petits-enfants, les décisions politiques ne sont pas à la hauteur de l’enjeu », estime Pierrette, 65 ans, venue d’Oullins avec un masque sur la bouche, décoré en papillon et portant le message : « Je ne veux pas disparaître ».

Dans tous les rassemblements, chacun avait en tête la prochaine étape : l’appel à une grève scolaire mondiale, le 15 mars, lancé par l’adolescente suédoise Greta Thunberg. Elle sera suivie par une journée internationale de mobilisation le 16 mars.

Les citoyens ressentent l’urgence climatique et sanitaire et maintiennent la pression sur les gouvernements

Extinction Rebellion se prépare à « entrer en résistance » en France

C’est un logo qui devient viral sur les réseaux sociaux : un sablier à l’intérieur du cercle de la Terre, peint en noir. Cet emblème est celui d’Extinction Rebellion, un mouvement actif depuis novembre 2018 au Royaume-Uni, qui appelle à la désobéissance civile pour dénoncer la passivité des gouvernements face à la crise écologique et climatique.

Blocages des ponts de Londres, interruption du trafic automobile ou obstruction d’un ministère : ces militants, qui luttent de manière radicale mais non violente, sont prêts à risquer la prison pour se faire entendre. Leur message a rapidement séduit : 40 000 personnes ont désormais rejoint le mouvement dans 119 pays, dont la France.

« Le succès du mouvement est lié à l’urgence de la situation. Nous sommes en rébellion pour changer l’ensemble du système et non le climat », affirme Tina, d’Extinction Rebellion Royaume-Uni. Le soutien de la jeune Suédoise Greta Thunberg, qui a lancé un mouvement international de grève scolaire pour le climat, a contribué à populariser Extinction Rebellion, notamment auprès des plus jeunes. Et l’appui de 200 universitaires et intellectuels (dont le linguiste américain Noam Chomsky et l’essayiste canadienne Naomi Klein) lui a donné ses lettres de noblesse.

« On tente de contourner les GAFA »

En France, plus de mille militants sont désormais inscrits sur le forum interne, hébergé sur un serveur privé et alimenté par des énergies renouvelables. « Les services de messagerie et de partage de documents ont tous été décentralisés pour éviter que nos données soient récupérées par les autorités, et aussi parce que l’on tente de contourner les GAFA [les entreprises les plus puissantes d’Internet, Google, Apple, Facebook et Amazon] », explique Armelle, 26 ans, l’une des membres d’Extinction Rebellion France, « XR » comme tous le surnomment. 

Des citoyens se forment à la désobéissance civile à l’appel du mouvement Extinction Rebellion France. Julien Daniel

Des citoyens se forment à la désobéissance civile à l’appel du mouvement Extinction Rebellion France. Julien Daniel

« Déclaration de rébellion »

Dans les conversations en ligne, les « rebelles », sous pseudos, débattent pour savoir si le mouvement est anticapitaliste, quelle convergence est possible avec les « gilets jaunes » ou comment « faire bouger les lycées ». On s’échange des articles, on organise des rencontres, on se répartit les groupes de travail (actions et logistique, coordination internationale, arts ou médias et messages). Surtout, on prépare les actions à venir, c’est-à-dire l’entrée en résistance concrète.

Elle aura lieu le 24 mars, officialisée par une « déclaration de rébellion », en présence d’activistes et de personnalités écologistes qui liront les revendications à tour de rôle. Comme outre-Manche, les Français demandent aux gouvernants de reconnaître la gravité des crises actuelles, de réduire immédiatement les émissions de gaz à effet de serre pour atteindre la neutralité carbone d’ici à 2025 et de créer une assemblée citoyenne chargée de décider des mesures à mettre en place pour atteindre ces objectifs. S’y ajoute une quatrième revendication propre à l’Hexagone : l’arrêt immédiat de la destruction des écosystèmes océaniques, terrestres et aériens.

« Faire perdre de l’argent au système »

« Les actions débuteront de une à deux semaines après cette déclaration pour ne plus s’arrêter, dans une logique d’escalade de la rébellion », explique Damien, 25 ans, un autre membre d’« XR » France. Comme à Londres, ils imaginent bloquer et occuper l’espace public, détourner des publicités ou immobiliser des voitures. « L’idée finale, c’est quand même de cibler les lieux de pouvoir, comme par exemple le quartier de la Défense à Paris ou des banques, pour déranger l’économie et le système, lui faire perdre du temps et de l’argent », poursuit Damien.

En parallèle des grandes opérations spectaculaires, Extinction Rebellion incite à la multiplication des actions locales et spontanées, à partir du moment où trois personnes sont d’accord. « On se veut un mouvement très décentralisé, horizontal, sans porte-parole et accessible à tous », avance Damien. Une manière de recruter largement des profils de tous âges (même si les jeunes sont majoritaires) et de tous métiers (ingénieur, psychologue, maraîcher, artiste, etc.) Tous s’attellent déjà à la préparation de la Semaine internationale de la rébellion, prévue mi-avril. L’insurrection est lancée.

Face à l’urgence climatique, les militants se tournent vers la désobéissance civile

L’action directe s’est démocratisée. Elle attire de plus en plus de citoyens, qui veulent inverser le rapport de force et retrouver un collectif. Avec l’arrivée de cette armée de militants prêts à aller en prison pour leur cause, mais aussi la contestation sociale des « gilets jaunes », les stages de désobéissance civile font le plein. « Les gens veulent savoir comment réagir face aux violences policières et au contexte de tensions. On organise désormais des stages tous les week-ends, contre une fois par mois auparavant », constate Rémi Filliau. Le jeune homme de 35 ans appartient au collectif des Désobéissants, qui a formé près de 2 000 personnes depuis sa création en 2006 par un ancien de Greenpeace.

Apprentissage des techniques pour ralentir l’évacuation par les forces de l’ordre. JULIEN DANIEL

Apprentissage des techniques pour ralentir l’évacuation par les forces de l’ordre. JULIEN DANIEL

Agir de manière non violente et à visage découvert est « essentiel », juge-t-il. Il invoque des raisons éthiques : « On ne peut pas construire un monde plus juste en utilisant des moyens injustes. » Mais aussi d’efficacité, pour recruter largement, en dehors des cercles militants traditionnels : « La violence dissuaderait beaucoup de gens de nous rejoindre. Or plus nous sommes nombreux, plus nous avons du poids et plus nous pouvons créer un rapport de force avec nos adversaires. »

Car c’est bien là la spécificité du mouvement actuel : la démocratisation de l’accès à la désobéissance civile, un concept imaginé par le philosophe, naturaliste et poète américain Henry David Thoreau au milieu du XIXe siècle.

« On se met physiquement en danger »

Les stagiaires ont de 18 à 75 ans, dont une majorité de jeunes et de femmes. Certains ont déjà milité, voire participé à des actions, mais tous cherchent à « aller plus loin » dans leur engagement. Il y a Carolina Granado Torres, 24 ans, étudiante catalane en master d’histoire et de philosophie des sciences à Paris, qui considère que les « actions individuelles, même si elles sont importantes, ne changent pas grand-chose » : « C’est une façon pour les gouvernements de ne pas agir, assure-t-elle. Nous devons changer le système capitaliste. »

Il y a aussi Valérie, 47 ans, libraire-épicière en Corrèze, qui a fait sa « première manif écolo à l’âge de trois semaines » mais a « l’impression que rien n’a avancé depuis quarante ans dans la protection de l’environnement ». Comme d’autres, elle se demande jusqu’où aller dans la désobéissance civile. « J’ai un gamin de 8 ans », justifie-t-elle. « C’est un gros engagement, qui a un coût émotionnel, économique, en temps et en responsabilité, abonde Paul (le prénom a été changé), un ingénieur de 26 ans. On se met physiquement en danger. Je dois réfléchir à quels risques je suis prêt à prendre. »

Le premier exercice apporte un début de réponse. Les stagiaires doivent se positionner en fonction de leur adhésion ou non aux actions proposées. S’allonger par terre devant l’Elysée pour symboliser les morts du changement climatique ? « Cela nécessiterait une action de masse pour que je le fasse et que je prenne le risque d’une garde à vue », affirme Véronique, une ingénieure dans la gestion de l’eau. Hélène, de l’équipe médias d’Extinction Rebellion, est plus confiante et table sur « un écho médiatique intéressant ». Taguer une pub d’EDF ? « On ne sait plus quel message on fait passer : contre la pub ou contre EDF », juge Paul.

L’humour pour « désarmer l’adversaire »

Le formateur dévoile ensuite un éventail de techniques utiles lors des actions pour ralentir l’évacuation par les forces de l’ordre : « la tortue » ou « le petit train » qui consistent à s’emmêler bras et jambes, « le poids mort » ou le fait de s’enduire de peinture. L’humour est également un outil efficace afin de « désarmer l’adversaire » et s’attirer « la sympathie de l’opinion publique », explique Rémi Filliau.

L’humour est un outil efficace afin de « désarmer l’adversaire » et s’attirer « la sympathie de l’opinion publique », explique le formateur Rémi Filliau, du collectif des Désobéissants. JULIEN DANIEL

L’humour est un outil efficace afin de « désarmer l’adversaire » et s’attirer « la sympathie de l’opinion publique », explique le formateur Rémi Filliau, du collectif des Désobéissants. JULIEN DANIEL

Au-delà de la méthodologie, c’est aussi une quête du collectif que viennent chercher les stagiaires. « Je vois la désobéissance civile comme un moyen de ne pas rester inactif ou résigné, mais aussi d’éviter de déprimer grâce à la rencontre de personnes qui ont le même engagement », témoigne Phillip Shapiro, un informaticien de 60 ans, venu d’Auray (Morbihan).

« L’élément moteur, c’est de retrouver la montée d’adrénaline, avec des actions théâtralisées et souvent spectaculaires, comme interrompre une assemblée générale d’un groupe du CAC 40. C’est plus stimulant et amusant que de faire une énième fois le trajet République-Bastille, à Paris, avec le camion de la CGT et les merguez », analyse Manuel Cervera-Marzal, postdoctorant à l’université Aix-Marseille, qui a réalisé une thèse sur la désobéissance civile.

« Une méthode qui montre des résultats »

Un engagement d’autant plus attirant qu’il est devenu accessible et non plus réservé aux militants les plus chevronnés. Depuis 2015, des ONG comme Alternatiba (avec sa branche de désobéissance civile ANV-COP21), Les Amis de la Terre ou 350.org ont développé des formations faciles à mettre en place et à reproduire, sorte de kits pour apprentis désobéissants.

De début juin à début octobre 2018, l’association a organisé son Tour Alternatiba, 5 800 km à vélo à travers la France, qui a donné lieu à 105 formations à l’action non violente, rassemblant près de 2 500 participants. Elles ont débouché sur la création d’une quarantaine de nouveaux groupes d’action locaux ANV-COP21. Et sur une mise en pratique immédiate, avec 253 actions de « nettoyage », balais et éponges à la main, menées de septembre à décembre devant les locaux de la Société générale pour protester contre son financement des énergies fossiles.

 « Les gens ont désormais confiance dans une méthode qui montre des résultats », justifie Elodie Nace, la porte-parole d’Alternatiba France. Au-delà de la légendaire occupation du plateau du Larzac dans les années 1970 ou du mouvement des « faucheurs volontaires » anti-OGM, elle cite, plus récemment, la décision de la banque BNP Paribas de ne plus soutenir les énergies fossiles les plus sales, en octobre 2017, ou l’abandon du projet d’autoroute 45 entre Lyon et Saint-Etienne, en octobre 2018.

« Ce n’est pas seulement grâce à la désobéissance civile, prévient-elle, mais aussi au travail de plaidoyer pour proposer des revendications concrètes et des alternatives crédibles. » Grâce également à la mobilisation citoyenne plus classique. Manuel Cervera-Marzal résume : « C’est souvent parce qu’on participe aux marches qu’on veut ensuite aller plus loin. »
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23 janvier 2019 3 23 /01 /janvier /2019 14:52

Limiter le réchauffement global à 1,5 °C implique d’atteindre le pic mondial d’émissions de CO2 en 2020. L’orientation n’est pas tenue, alerte un rapport du World Resources Institute. D’après Marie-Noëlle Bertrand et Audrey Garric le 22 janvier 2019 pour Le Monde et l’Humanité. Lire aussi Des ONG attaquent la France en justice pour inaction climatique, Des Etats inCOPables de sauver l’humanité ? et Un maire attaque l’Etat pour inaction climatique pour la première fois en France.

La centrale thermique de Cordemais (Loire-Atlantique)

La centrale thermique de Cordemais (Loire-Atlantique)

Se demander si l’on suit le bon cap en matière de lutte contre le réchauffement relève de la rhétorique. Savoir dans quelle mesure on dévie de l’objectif, et dans quelle direction braquer le gouvernail pour rejoindre la bonne voie, reste, en revanche, une question à se poser, et vite.

Un rapport du World Resources Institute (WRI), un think tank américain travaillant sur les sujets environnementaux, tente d’y répondre. Mis en ligne lundi soir, il dresse une photographie des progrès réalisés mondialement en matière de réduction des gaz à effet de serre (GES) et les met en regard avec des ambitions que se sont fixées les États dans le cadre de l’accord de Paris sur le climat. Adopté en 2015, celui-ci engage la communauté internationale à limiter la hausse globale des températures bien en deçà de 2 °C, et si possible à 1,5 °C par rapport aux niveaux enregistrés avant l’ère industrielle – le rapport du Giec, Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat, publié en octobre est venu préciser que viser la cible la plus ambitieuse était primordial. Or, rappelle le WRI, « la meilleure chance de limiter la hausse des températures à 1,5 °C est d’atteindre le pic mondial d’émissions de gaz à effet de serre en 2020 et de les réduire drastiquement après cela ».

L’objectif d’un pic des émissions en 2020 s’éloigne

En 2017, un consortium d’universités et de think tanks (Yale, Potsdam Institute for Climate Impact Research, Carbon Tracker Initiative, etc.), réunis dans le cadre d’une campagne nommée « Mission 2020 », avaient défini six étapes à atteindre dans les domaines clés de l’énergie, des transports, de l’utilisation des sols, de l’industrie, des infrastructures et des finances – chacune divisée en objectifs précis. L’idée était d’infléchir les courbes et de mettre le monde sur une trajectoire de réchauffement « bien en deçà de 2 °C », « si possible 1,5 °C », comme le prévoit l’accord de Paris adopté en 2015.

Dans ce scénario, dès 2020, les énergies renouvelables devront détrôner les combustibles fossiles pour la production d’électricité dans le monde entier, la déforestation à grande échelle sera stoppée au profit de la restauration des terres et la majorité des nouveaux projets de mobilités s’avéreront propres.

Mais alors qu’il reste moins de deux ans pour y parvenir, presque tous les voyants sont encore au rouge. Dans un rapport d’étape publié mardi 22 janvier, le World Resources Institute, un think tank américain spécialisé dans les questions environnementales, montre que les progrès sont insuffisants dans la majorité des secteurs, de sorte que l’humanité n’est pas sur les rails pour viser un pic des émissions en 2020.

Le boom des énergies renouvelables

Part d’énergies renouvelables dans la production d’électricité mondiale. Elle était de 25 % en 2017 et pourrait atteindre 30 % en 2020. WRI

Part d’énergies renouvelables dans la production d’électricité mondiale. Elle était de 25 % en 2017 et pourrait atteindre 30 % en 2020. WRI

Cette synthèse, qui compile des études d’agences internationales, contient une seule lueur d’espoir : l’envolée spectaculaire des énergies renouvelables, portées par une baisse rapide de leurs coûts. Elles ont fourni 25 % de la production d’électricité mondiale en 2017, comptant pour plus de deux tiers des nouvelles capacités électriques

Selon les estimations, elles s’avéreront compétitives avec la plupart des combustibles fossiles d’ici à 2020. De sorte que pour le WRI, l’objectif d’atteindre au moins 30 % de renouvelables dans le mix électrique mondial est « à portée de main si les tendances actuelles s’accélèrent ». Dix-sept pays produisent déjà plus de 90 % de leur électricité à partir du solaire, de l’éolien ou encore de l’hydraulique.

Le tableau s’assombrit en revanche pour les deux autres objectifs énergétiques : ne plus construire de centrale à charbon et programmer la fermeture de celles existantes. Malgré un ralentissement de l’usage de ce combustible, le plus émetteur de CO2, la puissance installée nette des centrales thermiques au charbon continue de croître à l’échelle mondiale – avec 65 gigawatts (GW) de nouvelles capacités en 2017, en particulier dans les pays en développement, pour 28 GW d’installations fermées.

Transports : trop peu de voitures électriques

Nombre de voitures électriques en circulation dans le monde (en millions). WRI

Nombre de voitures électriques en circulation dans le monde (en millions). WRI

Deuxième levier essentiel dans la lutte contre le changement climatique : les transports, responsables de 18 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre. Les ventes mondiales de voitures électriques ont considérablement augmenté (+ 54 % en une année) pour atteindre 1,1 million en 2017. Mais en raison de leur prix souvent prohibitif, elles ne représentaient alors que 1,4 % des ventes totales de nouveaux véhicules et ne devraient pas dépasser 3 % en 2020, très loin de l’objectif de 15 % à 20 % établi par la « Mission 2020 ».

Les progrès sont aussi insuffisants dans le domaine des transports en commun qui totalisaient 19 % des déplacements dans le monde en 2015, moins que les 32 % fixés par les experts. En outre, un carton jaune est adressé au secteur de l’aviation, dont l’intensité énergétique a diminué de 4,5 % entre 2013 et 2015 ; « il faut accélérer le rythme pour atteindre une réduction des émissions de 20 % d’ici à 2020 », écrivent les auteurs. De manière plus surprenante, le rapport donne un bon point au transport maritime pour s’être engagé à réduire ses émissions de carbone de 50 % d’ici à 2050 par rapport à 2007, même si aucune avancée tangible n’est pour l’instant enregistrée.

Sols : hausse de la déforestation

Déforestation (en millions d’hectares). En noir, la perte de couvert forestier, et en bleu la perte nette de forêts (différence entre la déforestation et le reboisement). WRI

Déforestation (en millions d’hectares). En noir, la perte de couvert forestier, et en bleu la perte nette de forêts (différence entre la déforestation et le reboisement). WRI

La situation n’est guère plus optimiste en ce qui concerne l’usage des sols. La déforestation a augmenté au cours des dernières années, en grande partie à cause de la consommation de bois, de bœuf, de soja ou encore d’huile de palme. La perte nette de couvert forestier (différence entre la déforestation et le reboisement) est en baisse, se félicitent les auteurs. Mais de prévenir : « Regarder juste les chiffres peut nous tromper car la perte de forêt à un endroit ne peut pas être comptée de manière équivalente que le reboisement à un autre. » Près de 23 millions d’hectares de terres dégradées ont été restaurés, loin des 150 millions promis d’ici à 2020. Et les émissions agricoles ont poursuivi leur croissance, de 4,6 gigatonnes de gaz à effet de serre en 2000 à 5,3 Gt en 2016.

Les industries lourdes comme la chimie, l’acier et le ciment sont, elles, collectivement responsables d’environ un quart des émissions mondiales de CO2. Si certaines entreprises se sont engagées à réduire leurs rejets, le rapport note que les données publiques font défaut pour en mesurer les effets. Du côté des infrastructures, les bâtiments à énergie positive, malgré une forte croissance, représentent toujours moins de 5 % des constructions et bien moins de 1 % du parc immobilier mondial.

Finance : des investissements en hausse

Evolution des financements climat (en milliards de dollars). WRI

Evolution des financements climat (en milliards de dollars). WRI

Reste la question cruciale des financements, clé du succès de l’ensemble des objectifs pour 2020. Selon le rapport, les investissements mondiaux destinés à la lutte contre le changement climatique se sont élevés à entre 455 milliards de dollars et 681 milliards de dollars (jusqu’à 600 milliards d’euros) en 2016. « L’objectif de 1 000 milliards de dollars par an d’ici à 2020 pourrait être atteint même si le manque de données ne permet pas de trancher », expliquent les auteurs. En revanche, les subventions aux énergies fossiles restent encore trop élevées (373 milliards de dollars en 2015).

« Malgré quelques progrès, ces tendances montrent que nous n’atteindrons pas le pic des émissions en 2020 », regrette Kelly Levin, l’une des auteures du rapport, chargée du programme climat au WRI, alors que les rejets de CO2 sont repartis à la hausse en 2018. « Les pays doivent se présenter au secrétaire général des Nations unies avec des annonces en vue d’accroître rapidement leurs engagements », ajoute-t-elle, en référence au sommet spécial que convoque Antonio Guterres en septembre à New York.

« Cette étude prouve qu’il est impossible de limiter le réchauffement à 1,5 °C, car aucune politique n’est en place pour y parvenir dans les secteurs déterminants », constate Philippe Ciais, chercheur au Laboratoire des sciences du climat et de l’environnement. Il en va pourtant de notre environnement, de notre santé, de notre économie, bref de notre vie.

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14 décembre 2018 5 14 /12 /décembre /2018 11:00

La plupart des Etats réunis en Pologne pour la COP24 ne semblent pas prêts à faire de gros efforts pour réduire leurs émissions de gaz à effets de serre. Certains mettent en garde contre un accord « médiocre ». Un projet de décision vient d’être publié, mais les divisions restent fortes sur l’application de l’accord de Paris, la hausse des efforts des Etats et les financements. D’après Emilie Torgemen pour Le Parisien et Audrey Garric pour Le Monde le 14 décembre 2018. Lire aussi La France rétrogradée en 21ème position des performances climatiques et Les ONG décryptent les enjeux de la COP 24.

Le secrétaire général des Nations unis Antonio Guterres, et le président de la COP 24, Michal Kurtyka, à Katowice (Pologne), le 12 décembre. AP

Le secrétaire général des Nations unis Antonio Guterres, et le président de la COP 24, Michal Kurtyka, à Katowice (Pologne), le 12 décembre. AP

Jeudi 13 décembre, à la veille de la fin officielle de la conférence mondiale sur le climat (COP24), l’effervescence est palpable au sein du « Spodek ». Dans ce site en forme de soucoupe volante, construit sur une ancienne mine de Katowice, au cœur de la région charbonnière de la Pologne, un projet de décision vient d’être publié par la présidence polonaise des débats. Les ONG s’activent pour tenter d’en décrypter la teneur, les pays multiplient les consultations ministérielles et tous se prêtent au jeu classique des observateurs de longue date des COP : parier sur le retard que prendront les négociations.

L’enjeu est important : cette grand-messe, la plus importante depuis la COP21, doit à la fois mettre en musique l’accord de Paris conclu en 2015 et renforcer les financements pour favoriser la transition vers un monde neutre en carbone. Surtout, les Etats doivent s’engager à augmenter leurs efforts pour réduire leurs émissions de gaz à effet de serre alors que la planète se dirige vers un réchauffement de 3,2 °C d’ici à la fin du siècle.

Mais face à l’ampleur de la tâche, dépassés par des enjeux à la fois complexes et très techniques, les négociateurs des 196 Etats présents à la COP ont pris du retard. Beaucoup de retard tant les divisions restent fortes.

Mardi, le président des débats, le secrétaire d’Etat polonais à l’environnement, Michal Kurtyka, a repris les rênes pour retravailler lui-même le texte. Il a également nommé des « paires de ministres », issus d’un pays développé et d’un pays en développement, afin d’accélérer le processus et enlever ces fameux « crochets » – les différentes options à trancher – qui ponctuent les projets de décision.

Questions à trancher

Jeudi soir, soit deux jours plus tard que prévu, la présidence polonaise a publié une quinzaine de textes qui formeront les chapitres du guide d’application de l’accord de Paris (le rulebook, dans le jargon des négociations), c’est-à-dire l’ensemble des règles qui permettront de le rendre réellement opérationnel pour maintenir l’envolée des températures sous le seuil des 2 °C.

« Le texte n’est pas encore équilibré, plusieurs sujets clés n’ont pas encore été tranchés et certains éléments essentiels ont disparu du texte, prévient Lucile Dufour, responsable des négociations internationales au Réseau action climat, qui fédère les ONG actives sur le sujet. La présidence polonaise doit enfin jouer son rôle de chef d’orchestre pour rectifier le tir dans la dernière ligne droite. »

Parmi les points épineux qui restent à régler, l’article sur l’utilisation des marchés carbone compte le plus de crochets, avec des interrogations sur leur fonctionnement, leur gouvernance ou les règles de comptage. Le mécanisme de transparence, qui devrait intervenir à partir de 2024, est également encore en débat, pour savoir de quelle manière les pays rendent compte des progrès accomplis et quel est le degré de flexibilité accordé aux pays en voie de développement.

Les ONG déplorent un recul majeur : que le thème des « pertes et préjudices », c’est-à-dire des dommages irréversibles causés par les dérèglements du climat tels que les ouragans ou les inondations, soit relégué en note de bas de page, alors qu’un article de l’accord de Paris lui est pourtant consacré. « Nous regrettons ce choix car la demande des pays en développement de prendre en considération cet enjeu est légitime », réagit Yamide Dagnet, experte au World Resources Institute, un think tank américain.

« La mention du respect des droits humains a également disparu. Pourtant l’action climatique peut avoir des effets pervers, comme lorsque la construction de barrages hydrauliques déplace des populations entières », renchérit Anne-Laure Sablé, chargée de plaidoyer pour CCFD-Terre Solidaire.

Hausse de l’ambition

Les lignes ont en revanche commencé à bouger sur la question de l’ambition – c’est-à-dire la hausse de l’effort pour combattre le réchauffement –, longtemps reléguée au second plan.

Jeudi, une cinquantaine de pays parmi les plus vulnérables au changement climatique ont appelé à l’action face au « risque d’extinction » de leurs nations. Leur groupe informel, le Climate Vulnerable Forum, qui représente plus d’un milliard de personnes dans quarante-huit pays en Afrique, en Asie et dans les petites îles, s’était déjà engagé en octobre à accroître leurs engagements pour limiter les gaz à effet de serre (NDC) d’ici à 2020.

« Les décennies d’apathie et de procrastination doivent s’arrêter ici à Katowice », a lancé le commissaire philippin au climat Emmanuel De Guzman.

Marche pour le climat le 8 décembre à Katowice, Pologne

Marche pour le climat le 8 décembre à Katowice, Pologne

En parallèle, plus de soixante-dix Etats (onze pays européens, des Etats insulaires, le Canada, la Nouvelle-Zélande ou encore le Costa Rica), ainsi que le commissaire européen au climat et à l’énergie, regroupés en une « coalition de la haute ambition », ont également publié, mercredi, un appel dans lequel ils se disent « déterminés à augmenter l’ambition d’ici à 2020, dans le respect de l’accord de Paris ». Cela passera, indiquent-ils de manière imprécise, par la révision à la hausse des NDC. Fait notable, c’est la première fois que l’Union européenne (UE), en proie à de fortes divisions, s’engage sur le sujet.

Ce vent d’espoir est pourtant encore trop léger pour emporter l’ensemble de la communauté internationale. Pour l’instant, malgré des annonces de plusieurs pays, seules les îles Marshall ont d’ores et déjà mis sur la table une nouvelle NDC.

Surtout, les principaux pollueurs, la Chine, les Etats-Unis et l’Inde, n’ont livré aucun signal montrant qu’ils étaient prêts à aller plus loin. Pire, l’élan a été freiné, au milieu des deux semaines de la COP, par la tentative de l’Arabie saoudite, du Koweït, de la Russie et des Etats-Unis d’édulcorer une référence au rapport historique du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) sur la nécessité de limiter le réchauffement à 1,5 °C, une façon d’ignorer l’urgence à agir.

« Si la délégation américaine suivait les orientations du président Trump, elle serait en train de torpiller les négociations, ce qui n’est pas le cas », relativise un expert du dossier. « Il est handicapant de ne pas avoir de représentation de la France à haut niveau pour avancer », juge de son côté Lucile Dufour, alors que Brune Poirson est rentrée précipitamment à Paris mardi soir en raison de la crise des « gilets jaunes ».

Financements insuffisants

Pour les pays les plus vulnérables, l’action est bien trop lente. « Les émissions de CO2 continuent à augmenter, augmenter, augmenter. Et tout ce que nous semblons faire c’est parler, parler, parler. Nous soulevons toujours les mêmes questions fastidieuses », a déploré l’ancien président des Maldives Mohamed Nasheed.

« Rater l’opportunité d’agir ne serait pas seulement immoral, mais suicidaire », a prévenu mercredi le secrétaire général des Nations unies (ONU), Antonio Guterres, qui doit revenir à la COP24 vendredi, pour maintenir la pression sur les Etats.

Reste la question des financements, le nerf de la guerre des négociations. Nombre de pays développés ont fait un geste envers ceux en développement, en promettant un total de 129 millions de dollars (114 millions d’euros) pour le Fonds d’adaptation et de 28 millions de dollars pour le Fonds pour les pays les moins développés.

Surtout, l’Allemagne et la Norvège ont annoncé doubler leur contribution (portées à respectivement 1,5 milliard d’euros et 350 millions d’euros) dans le Fonds vert, le principal mécanisme de transfert des flux financiers du Nord vers le Sud.

« C’est bien moins que ce dont ont besoin les pays en développement » pour s’adapter au réchauffement, regrette Issa Abdul Fazal, le coordinateur du Forum pour le changement climatique en Tanzanie. L’absence de promesses pour la suite, après 2025, inquiète également les pays du Sud. Le temps est désormais compté, d’ici à vendredi, samedi ou au pire dimanche, pour résoudre une majorité de conflits.

Manifestation pour le climat en marge de la COP24 le 8 décembre 2018 à Katowice, Pologne.

Manifestation pour le climat en marge de la COP24 le 8 décembre 2018 à Katowice, Pologne.

« A ce stade on a de grosses inquiétudes sur l’aboutissement de cette COP », glisse de son côté Fanny Petitbon, spécialiste climat pour l’association CARE. Ce qui explique l’alerte donnée jeudi par les pays les plus vulnérables, inquiets du « risque d’extinction » de leurs nations : « Nous appelons toutes les parties à s’unir contre toute conclusion médiocre de la COP24 », martèle ainsi dans un message vidéo la présidente des Iles Marshall, situées au beau milieu de l’océan Pacifique.

Citoyens à la rescousse

Tout n’est pas encore perdu. Le sort des COP, expliquent les connaisseurs, se joue jusque dans les dernières heures. Faute d’accord, la clôture des négociations pourrait être décalée. Parmi les rares signaux positifs, une coalition de 26 pays a appelé à relever les engagements dans la lutte contre le réchauffement climatique. Parmi les signataires, la France.

Encore faut-il que notre pays, hôte de la COP21, soit crédible alors que la crise des Gilets jaunes a fait beaucoup jaser dans les couloirs de cette conférence internationale. « Cet épisode doit rappeler aux Etats que pour mobiliser, la transition écologique doit être équitable et comprise », insiste Pierre Cannet. Sans compter que l’Hexagone n’est pas dans les clous dans ses engagements, puisqu’en 2017, ses émissions censées baisser repartent à la hausse. Parce que le carburant a été moins cher. Parce que le déploiement des énergies renouvelables prend du retard. Et la France n’est pas la seule : aucun des 28 États membres de l’Union européenne ne s’est mis en ligne avec l’accord de Paris.

Pour que Katowice ne soit pas une COP pour rien, des citoyens ont lancé un « off » parrainé par plusieurs personnalités dont Pierre Larrouturou, Corinne Lepage et Jean Jouzel. Dans la lignée des mouvements citoyens comme #ilestencoretemps, #onestpret, etc. De son côté, le mouvement #Cop24NonOfficial a prévu d’exercer « un véritable lobby citoyen » sur les pays via les réseaux sociaux. « Nous ne pouvons plus déléguer aveuglément à nos dirigeants la responsabilité d’agir pour notre avenir commun », expliquent-ils. L’initiative encourage par exemple le public à soutenir les actions en justice menées par des enfants contre des États.

Une ado appelle à faire grève pour le climat

« VAGUES de chaleur, inondations, ouragans tuent des centaines de personnes et dévastent des communautés du monde entier. Mais à quoi bon connaître les faits si les adultes les ignorent ? »

Lassée des atermoiements des « grands » censés agir à la COP24, Greta Thunberg, une adolescente suédoise de 15 ans, appelle aujourd’hui à une grève internationale dans chaque école pour le climat. Relayées sous le hashtag #Climatestrike, ses nombreuses vidéos ont fait le tour du monde et son appel à déserter les écoles a déjà été entendu en Suède, en Australie et au Japon où des élèves ont lâché leur cartable pour inciter leurs leaders politiques à prendre les mesures. Greta elle-même a déjà manifesté devant des lieux symboliques du pouvoir dans son pays et elle appelle, au dernier jour de la conférence climat de l’ONU, jeunes et moins jeunes à agir.

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13 décembre 2018 4 13 /12 /décembre /2018 12:05

Les grands pays ne sont pas sur une trajectoire permettant d’éviter un réchauffement à moins de 1,5 °C. C’est ce que révèle l’indice de performance des changements climatiques 2019 publié le 10 décembre 2018. D’après Agnès Sinaï pour Actu Environnement et Alexandra Chaignon pour l’Humanité le 13 décembre 2018.        Lire aussi Les ONG décryptent les enjeux de la COP 24 et La vie humaine totalement perturbée par le changement climatique : décès, famines, pénuries d’eau, migrations…

La Pologne est enferrée dans les énergies fossiles. Des manifestants n’ont pas manqué de le rappeler à l’occasion de la COP24 . Karolina Jonderko/NYT-REDUX-REA

La Pologne est enferrée dans les énergies fossiles. Des manifestants n’ont pas manqué de le rappeler à l’occasion de la COP24 . Karolina Jonderko/NYT-REDUX-REA

L'indice de performance des changements climatiques 2019 (CCPI), publié le 10 décembre à la COP 24 à Katowice (Pologne), montre que seule une poignée de pays ont commencé à mettre en œuvre des stratégies visant à limiter le réchauffement de la planète en dessous de 2°C voire de 1,5°C.

Selon cette étude, qui évalue et compare chaque année les actions engagées par 56 pays et l’Union européenne – responsables à eux seuls de près de 90 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre –, aucun n’est sur la bonne trajectoire pour contenir l’élévation des températures bien en dessous de 2 °C. « Les émissions augmentent à nouveau, après trois années consécutives d’émissions de CO2 stables. Seuls quelques pays ont commencé à mettre en œuvre des stratégies visant à limiter le réchauffement de la planète en dessous de 2 °C voire de 1,5 °C », relèvent les organisations Germanwatch, New Climate Institute et Climate Action Network (CAN), corédactrices de ce classement.

Selon le classement, qui compte quatre critères (les émissions de gaz à effet de serre, les énergies renouvelables, la consommation énergétique et la politique climatique), « aucun des 56 pays, ni l’Union européenne n’est sur une trajectoire de 1,5 °C dans ses performances globales, malgré des signaux encourageants dans certains pays ».

La France rétrogradée en 21e position

Désignée championne du climat après son engagement diplomatique pour la COP21, la France est ainsi tombée de son piédestal. En baisse, elle est aujourd’hui classée à la 21e place, avec la mention « passable », bien loin du leader, la Suède, mais aussi du Maroc, qui a considérablement accru sa part en énergies renouvelables, de la Lituanie ou même de l’Inde (11e). « Passable » également pour l’Allemagne, qui chute de nouveau, passant de la 22e à la 27e position, ses émissions n’ayant pas chuté depuis 2009. « Les décisions relatives à l’élimination du charbon ou à une stratégie de décarbonisation du secteur des transports font encore défaut », analyse Jan Burck, coauteur de l’étude chez Germanwatch. Classée 16e, l’Union européenne, qui s’est fixée comme objectif de réduire de 55 % ses gaz à effet de serre à l’horizon 2030, a, elle, un engagement jugé « trop faible ».

L'Inde passe au onzième rang en raison d'une amélioration de ses performances en matière d'énergies renouvelables et de niveaux d'émissions par habitant relativement faibles. La Chine se rehausse au 33e rang, faisant partie pour la première fois du groupe des pays à performance moyenne.

Dans le groupe des pays très peu performants, on trouve près de la moitié des pays du G20 : Japon (49e), Turquie (50e), Russie (52e), Canada (54e), Australie (55e), Corée (57e) et, en bas de l’indice, les États-Unis (59e), qui perdent encore plusieurs places en raison de la politique climatique de l’administration Trump, et enfin l’Arabie saoudite (60e). Mais les experts ont mis en évidence « certains signaux positifs en raison de l’action climatique menée dans plusieurs États et villes ». Les résultats de la Pologne, pays hôte de la COP24, sont eux aussi qualifiés de « mauvais ».

Les trois premiers rangs du CCPI 2019 restent inoccupés, car « aucun des pays ne se situe clairement sur une trajectoire en deçà de 2 °C dans sa performance globale ». « Au total, l’ambition des pays et le niveau de mise en œuvre ne sont pas assez élevés », analysent les organisations à l’origine de ce classement. Celles-ci pointent notamment « un manque de volonté politique de la plupart des gouvernements d’éliminer progressivement les combustibles fossiles ». « Sur la base des développements techniques de ces dernières années, le retard dans la mise en œuvre de solutions sobres en carbone ne peut guère être justifié », déplore ainsi Jan Burck.

En clair, l’écart entre les niveaux d’émission actuels et ce qui est nécessaire pour mettre le monde sur la bonne voie, bien en dessous de 2 °C, se creuse. Une fois de plus, les ONG appellent les pays à se montrer « plus ambitieux le plus rapidement possible pour atteindre les objectifs de Paris ». Même appel du pied à l’Europe des 28. Comme l’exhorte Stephan Singer, de CAN : « Il est très important que l’Union européenne renforce son engagement actuel en faveur du climat pour faire preuve de leadership. »

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