Avec ses importations, l’Union européenne est la deuxième région la plus destructrice de forêts tropicales, avance un rapport de WWF publié le 14 avril 2021. En Europe même, la Pologne a annoncé début mars la reprise des coupes dans la forêt de Bialowieza, considérée comme l’une des dernières forêts primaires d’Europe, ranimant une bataille engagée pour sa protection voilà cinq ans. En France, le ministère de la Transition écologique n’hésite pas à créer de nouveaux espaces protégés, mais rechigne sur le nombre de postes que nécessitent ces lieux riches en biodiversité. Les parcs nationaux ont perdu entre 15 % et 20 % de leurs effectifs en dix ans, créant des souffrances chez ces professionnels investis et passionnés. D’après WWF, Marie-Noëlle Bertrand et Louise Gal pour l’Humanité, mars-avril 2021. Lire aussi Les forêts françaises attaquées par la sécheresse, Face aux méga-feux, la forêt, un commun à préserver, Notre forêt publique est malade de sa course à la rentabilité et « Le Temps des forêts » : l’exploitation de la forêt est entrée dans la démesure.
En 2017, l’Union européenne se classe au second rang des plus grands importateurs de matières premières liées à la déforestation (photo WWF)
Engagements « zéro déforestation », certifications volontaires… les garanties avancées par le secteur privé en matière de préservation du couvert forestier suffisent-elles à freiner l’érosion de la biodiversité ? Non, à en croire le rapport publié le 14 avril par le WWF. « Dans le monde entier, les (écosystèmes naturels) continuent d’être détruits à un rythme alarmant », s’inquiète l’ONG internationale dans cette analyse de données mondiales portant sur la période 2005-2017.
Durant ces treize années, l’expansion de l’agriculture dans les régions tropicales a été responsable, à elle seule, de la perte d’environ 5 millions d’hectares de forêt par an. Soja, huile de palme et viande de bœuf s’affichent comme les productions à plus haut risque de défrichage massif.
Des matières en grande partie destinées à l’exportation, entre autres vers l’Union européenne (UE) : en 2017, et toujours selon le rapport du WWF, cette dernière était responsable de 16 % de la déforestation liée au commerce international. Elle se plaçait ainsi en deuxième place sur le podium des mangeurs de forêts, loin derrière la Chine (24 % de la déforestation dite importée), mais largement devant les États-Unis (7 %).
Une obligation de transparence de toute la chaîne d’approvisionnement
Depuis une petite dizaine d’années, pourtant, les groupes industriels, y compris européens, se sont engagés à apurer leurs fournitures. Labels, engagements et autres certifications d’écoresponsabilité se sont multipliés. Seulement voilà, souligne le rapport du WWF, ces serments sont à portée variable et à impact encore léger.
D’abord, parce qu’ils ne couvrent ni tous les produits, ni partout. En 2018, 62 % des importations européennes de soja en provenance d’Amérique du Sud étaient couvertes par un engagement « zéro déforestation » – objectif volontaire que se fixent les industriels et autres négociants –, contre 19 % des importations de bœuf sud-américain (en 2017).
Concernant le soja, toujours, l’Amazonie brésilienne bénéficiait de la plus grande couverture d’engagement (97 % du volume exporté), tandis que la forêt atlantique (Paraguay/Argentine/Brésil) souffrait de la plus minime (46 % du volume exporté). Surtout, l’effet de ces engagements sur l’ensemble de la chaîne d’approvisionnement « n’est pas, à ce stade, établi dans de nombreux cas », relève le rapport.
L’exemple du soja du Cerrado, forêt à cheval entre le Brésil, le Paraguay et la Bolivie et dont les données annuelles sont « fiables et disponibles », montre que les engagements des entreprises n’ont pas réduit de manière significative la déforestation : dans les années suivant leur adoption, les entreprises n’ont pas connu « une baisse de leur empreinte déforestation par unité de soja sourcée ».
Les systèmes de certification des matières premières affichent eux aussi des résultats ambigus. Censés favoriser une consommation plus durable sur le marché de l’UE, « ces programmes reposent sur un ensemble de critères environnementaux et sociaux qui peuvent être très différents selon la matière première », souligne le rapport. Là encore, ils n’exigent pas nécessairement que l’ensemble de la chaîne d’approvisionnement soit garanti sans déforestation.
Ces systèmes peuvent ainsi permettre à des entreprises d’acheter et de certifier un volume de matières premières, dont une partie seulement provient d’une source garantie. Si, « dans certains cas, la certification a permis de réduire (la perte du couvert forestier) », dans d’autres « elle n’a eu aucun impact mesurable », conclut le WWF.
Elle-même partie prenante de programmes de certifications, l’organisation plaide pour une législation européenne impliquant, entre autres, une obligation de transparence tout au long de la chaîne d’approvisionnement. Cette réglementation devra s’adresser au vendeur autant qu’à l’acheteur, avance-t-elle en substance, et ce, quelle que soit la taille de l’entreprise.
Quand les europeens consomment, les forets se consument - Rapport WWF 14 avril 2021
En Europe, dans la forêt de Bialowieza, une menace plane sur la biodiversité
Début mars, le pays a annoncé la poursuite de l’exploitation contestée de ce site classé, reconnu comme l’une des dernières forêts primaires du continent. La décision émeut. L’exécutif a beau s’engager à viser une reprise raisonnée des abattages et cohérente avec la protection du lieu, son annonce jette un froid et présage la réactivation d’une longue bataille.
Elle démarre en 2016, peu après la victoire du très réactionnaire parti Droit et Justice (PiS). Sous prétexte d’éviter la prolifération du bostryche typographe, un coléoptère xylophage qui raffole des sapins, le ministre de l’Écologie d’alors, Jan Szyszko, autorise l’abattage d’une large zone de Bialowieza. Le site s’étale jusqu’en Biélorussie, où il est quasi intégralement préservé. Ce n’est pas le cas en Pologne, où une faible part de sa superficie bénéficie d’un statut protecteur. La richesse de son écosystème n’en est pas moins reconnue de part et d’autre de la frontière.
1 500 personnes se relaient pour des actions de désobéissance civile
Ancienne réserve de chasse féodale nationalisée en 1917, Bialowieza s’impose comme une forêt de référence pour les scientifiques depuis le XIXe siècle. En 1976, l’Unesco la classe réserve de biosphère. Ses 125 000 hectares abritent des chênes de plus de 500 ans, des charmes, des bouleaux et des pins, des ours bruns, des loups, des élans, ainsi que la plus grande population sauvage de bisons européens. Tout un monde soudain menacé, côté Pologne, par le plan du gouvernement, qui prévoit alors, sur dix ans, l’abattage de quelque 180 000 mètres cubes d’arbres.
Au printemps 2017, les premières abatteuses arrivent sur place. Au même moment, une résistance s’organise, rassemblant des militants venus de Pologne, d’Espagne ou encore d’Australie. Pendant six mois, près de 1 500 personnes se relaient pour mener des actions de désobéissance civile.
Les défenseurs de l’environnement manifestaient en 2017 pour la défense de la forêt de Bialowieza, un sanctuaire de biodiversité unique en Europe. Janek Skarzynski/AFP
La Commission européenne, de son côté, saisit la Cour de justice de l'Union européenne (Cjue). En avril 2018, cette dernière estime que le motif invoqué par la Pologne ne peut pas justifier de telles « opérations de gestion forestière ». Elle pointe aussi l’absence d’ « évaluation appropriée » préalable et déplore que les décisions ne comportent pas « de restrictions tenant à l’âge des arbres ou aux peuplements forestiers ».
Une réduction des quotas d’abattage qui ne suffit pas à rassurer
Et puis, plus rien. Jusqu’au 18 février dernier, où la Commission européenne a rappelé la Pologne à son devoir. Elle « n’a pas abrogé l’annexe du plan de gestion forestière » de Bialowieza « et ne l’a pas remplacée par des mesures susceptibles de préserver l’intégrité du site », observe-t-elle dans un communiqué, laissant deux mois au pays pour prendre des mesures. Il n’a pas attendu si longtemps.
Le 9 mars, l’exécutif polonais a annoncé la signature d’une annexe au plan de gestion forestière. Les modifications apportées conduisent « à réduire de près de 60 % la quantité de bois récolté », assure-t-il. Elles permettront ainsi « de protéger activement les habitats et les espèces de valeur, conformément aux directives de l’Unesco ».
Tout le monde, toutefois, ne la lit pas ainsi. Greenpeace Pologne singulièrement, selon qui la réduction des quotas d’abattage est loin de garantir à elle seule la protection du site. Les documents avancés « enfreignent le droit à l’environnement à bien des égards », relève l’organisation. « Ils sont fondés sur un inventaire inexact et désuet des habitats forestiers », et continuent de « permettre l’exploitation forestière dans des peuplements naturels vieux de 100 ans. » Le gouvernement polonais « a eu trois ans pour trouver la meilleure façon de protéger la forêt de Bialowieza, conclut, furibarde, l’organisation. Et après trois ans d’inaction, il a décidé de procéder de la manière la plus destructrice. »
Dans les parcs nationaux français, l’emploi des agents est mal protégé
En France, le ministère de la Transition écologique n’hésite pas à créer de nouveaux espaces protégés. Il lésine, en revanche, sur le nombre de postes que nécessitent ces lieux riches en biodiversité. Les parcs nationaux ont perdu entre 15 % et 20 % de leurs effectifs en dix ans. Quitte à créer des souffrances chez ces professionnels investis et passionnés.
Il est 8 heures, en ce frais matin de mars. Géraldine Costes, garde monitrice au sein du Parc national des Cévennes (PNC), commence sa mission de terrain dans une forêt qui surplombe le village de Meyrueis. Elle y effectue un diagnostic écologique afin que le propriétaire en connaisse les enjeux et sache comment l’administrer. Aujourd’hui, celle qui a les yeux qui pétillent lorsqu’elle parle de son métier est à la recherche de l’érythrone dent-de-chien, une fleur rare au sein du parc, afin d’en cartographier la présence.
Il faut une fine connaissance de la forêt, un grand sens de l’observation et surtout du temps pour repérer ces petites fleurs roses dissimulées par la neige. Mais, du temps, les gardes moniteurs n’en ont plus, regrette Géraldine Costes, en poste depuis quinze ans « Ça a bien changé, on a perdu environ 20 % du personnel en dix ans alors que les sollicitations augmentent. Nos triages se sont donc agrandis et nous devons, en plus, remplir des missions supplémentaires depuis la charte de 2007. »
Le Parc national des Cévennes a perdu 18,8 % de ses effectifs, mais il n’est pas le seul touché. L’ensemble des parcs ont en effet perdu entre 15 % et 20 % de leurs effectifs en dix ans. À cela deux raisons. La première est la mise en place, en 2007, de la Révision générale des politiques publiques (RGPP), qui a entraîné le non-remplacement d’un fonctionnaire sur deux partant à la retraite.
Avec la RGPP, les transferts de postes sont devenus la règle
L’autre cause est la création de nouveaux parcs nationaux sans postes nouveaux, comme le Parc national des Calanques, créé en 2012, rappelle Frédéric Goulet, garde moniteur au Parc national des Écrins et cosecrétaire du Syndicat national de l’environnement-FSU. Pour les faire fonctionner, les transferts de postes sont devenus la règle d’un lieu à un autre.
C’est ce qui était prévu lors de la création, en 2019, du Parc national des forêts de Bourgogne. Mais, pour la première fois, les transferts n’ont pas été le seul dispositif actionné. Un licenciement est prévu. L’archiviste du centre de documentation et d’archives du Parc national des Cévennes voit son emploi menacé. « C’est ce qui a fait déborder notre colère : pour la première fois, une collègue en poste voit son contrat non renouvelé », confie Kisito Cendrier, géomaticien au PNC.
Des mesures insuffisantes
La riposte ne s’est pas fait attendre : à l’appel d’un regroupement syndical, des manifestations ont été organisées pour dénoncer la mise en danger des parcs nationaux. Le gouvernement a finalement pris la décision, fin février, de geler les suppressions dans les effectifs pour l’année 2021 et de créer 20 postes pour les parcs nationaux. Une bonne nouvelle, qui n’en est pas forcément une. À y regarder de plus près, cette annonce apparaît bancale et bien insuffisante, au regard des enjeux sociaux et environnementaux actuels.
« Il y a une publicité mensongère. Ce n’est pas une mauvaise nouvelle, mais on ne sait pas comment vont être créés ces postes, alors que la loi de finances 2021 a déjà été votée et ne les prévoit pas », s’inquiète Patrick Saint-Léger, le secrétaire général du SNE-FSU, juste après avoir raccroché avec la secrétaire générale du ministère de la Transition écologique et solidaire. Celle-ci venait de lui confier qu’elle n’en savait rien.
« Ils font une annonce de création et, aujourd’hui, ils sont incapables de dire comment cela va se faire. C’est hallucinant ! » s’exclament les représentants du SNE-FSU, qui trouvent, quoi qu’il en soit, ces mesures insuffisantes : « Pour nous, on est sur du rattrapage, on ne nous donne pas des moyens, on évite d’en enlever. » La « bonne nouvelle » soulage encore moins les agents du PNC que les autres. En effet, « le parc est considéré comme étant en suremploi, on risque donc de perdre deux à trois postes malgré les annonces, dont celui de l’archiviste », déplore Kisito Cendrier.
Des missions essentielles
Pourtant, avec des prérogatives plus importantes et des moyens humains qui ne cessent de se réduire depuis dix ans, les gardes moniteurs du PNC ont bien du mal à trouver le temps de tout faire. Ils ont trois missions : effectuer un suivi de la faune et de la flore, mener des actions de sensibilisation auprès des écoles et de la population et, enfin, une mission de surveillance pour laquelle ils sont assermentés, afin de réprimer toute infraction en lien avec la nature.
« On n’arrive plus à faire tout le suivi d’espèces que l’on faisait avant. Quand je suis arrivée, on avait le temps de tourner dans notre secteur sans mission précise afin de bien connaître le terrain. Actuellement, le jour de la prospection, en fonction de la saison, on peut passer à côté de certaines choses », déplore Géraldine Costes, qui regrette également de ne plus disposer de temps pour sensibiliser la population.
« Le contact avec la population se perd »
Le Parc national des Cévennes est l’un des rares habités de façon permanente, la sensibilisation y est donc capitale afin que la population comprenne les enjeux du territoire au sein duquel elle vit. « Le contact avec la population se perd ; avant, je connaissais tout le monde, plus maintenant. Je suis presque gênée parce que les gens nous le font souvent remarquer », se désole la garde monitrice, persuadée qu’il est primordial d’instaurer une relation de confiance avec la population afin d’éviter des actions irréversibles sur l’environnement.
Émeric Sulmont, également garde moniteur au sein du parc depuis 2003, officie avec tout autant de passion sur une partie du mont Lozère. Mais il se sent parfois impuissant. Alors qu’il évolue sur un sentier en direction d’une forêt pour vérifier qu’une coupe d’arbre a bien été effectuée dans le respect de ses recommandations, il tombe sur une zone humide récemment brûlée par son propriétaire. La déception se lit sur son visage : « C’est un échec pour nous, l’agriculteur n’a pas conscience qu’il change la composition de cette zone. À chaque fois qu’on est face à ce type d’événement, on se dit qu’on n’a pas réussi à suffisamment partager. On a encore un travail colossal à faire sur le partage de nos enjeux. Ce n’est pas la réglementation qui va nous sauver, mais une sensibilisation de la population. »
Désenchantement et surcharge de travail
Or, entre les suppressions de postes et un intérêt accru des touristes pour la nature, les gardes moniteurs restants se trouvent parfois dépassés. « Cet été, on n’avait clairement pas la capacité humaine pour gérer l’affluence, se souvient Émeric Sulmont. S’il y a deux agents en vacances en même temps et deux agents en constat pour une attaque de loup, il ne reste plus grand monde pour intervenir. On est aussi très justes pour faire face aux imprévus, comme la rave party qui a eu lieu sur le causse Méjean au mois d’août 2020. » Les agents se retrouvent alors obligés de refuser certaines demandes d’intervention dans des écoles ou d’organisation d’événements au sein du parc. Un véritable crève-cœur pour des passionnés de leur métier.
Au milieu d’une forêt paisible, non loin du mont Aigoual, Géraldine Costes exprime le mal-être qui touche le personnel du parc : « J’ai fait ce métier car c’était mon rêve ! Mais c’est vrai que, quand on le fait trop en courant, ça décourage. » Ce mal-être, Samy Jendoubi, garde moniteur au sein du Parc national des Écrins, le remarque également : « Il y a eu trois démissions l’an dernier, car il y a une perte de sens et une surcharge de travail. La balance est tellement déséquilibrée que certains finissent par partir. »
Précarisation constante
Alors que les enjeux environnementaux sont plus importants que jamais, le gouvernement précarise des emplois de terrain, pourtant indispensables à la protection de ces espaces. Entre un concours de recrutements inexistants de 2008 à 2018 et des conditions de travail de plus en plus difficiles, certains postes de garde moniteur sont désormais vacants. Ils sont alors occupés par des contractuels, qui n’ont pas les mêmes compétences : ils ne peuvent, par exemple, pas réaliser le travail de police d’un garde moniteur.
Sur douze postes de garde moniteur, deux sont à l’heure actuelle occupés par des contractuels au sein du PNC. « On précarise pas mal de gens qui travaillent dans le parc. Les agents contractuels ont une pression de dingue. Ils n’osent rien refuser et sont très stressés car ils ont peur de ne pas être renouvelés. Le rapport au travail n’est pas le même », rapporte Émeric Sulmont. Pourtant, le cadre de travail fait rêver sur ce massif parsemé de chaos granitiques.
Mais la beauté des lieux et la passion des agents ne sauraient suffire à surmonter le lent désengagement de l’État. « Actuellement, tout repose beaucoup trop sur la motivation du personnel, qui va faire beaucoup plus d’heures que prévu. Ce n’est pas normal, cela ne peut pas durer comme ça ! » fulmine Sandrine Descaves, cosecrétaire de la section SNE-FSU du PNC. Entre les suppressions de postes et la précarisation des emplois restants, face à des prérogatives grandissantes et une fréquentation touristique qui ne cesse d’augmenter dans les parcs nationaux, les syndiqués du SNE-FSU commencent à se demander à quoi « sert le ministère de l’Écologie ».
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