Jane Goodall, Nicolas Hulot et Audrey Azoulay signent une tribune collective où ils appellent à s’organiser pour que cesse la destruction des conditions d’habitabilité de la planète, notre « maison commune ». Parue le 23 mars 2021 dans Le Monde. Lire aussi Appel des Soulèvements de la Terre, Jane Goodall : « Nos actes individuels peuvent aider à changer le monde » et Les fin de mois et la fin du monde.
« C’est une triste chose de songer que la nature parle et que le genre humain n’écoute pas. » Ce constat que faisait déjà Victor Hugo en son temps prend aujourd’hui un sens inédit. Alors que la crise due au Covid-19 menace nos vies, nous ne devons en effet pas oublier que nous sommes largement responsables de ce qui nous arrive.
Les crises de plus en plus nombreuses – le dérèglement climatique, l’effondrement de la biodiversité, la mauvaise santé des océans, l’épuisement général des ressources – nous montrent que nous ne pouvons plus continuer ainsi.
Ce mode de relation à la nature et au vivant, fondé sur la domination et l’exploitation, a déjà entraîné la destruction de 75 % des écosystèmes terrestres et de 40 % de l’environnement marin. Le rythme des extinctions est déjà de dix à cent fois plus rapide que le rythme moyen des dix derniers millions d’années ; et il s’accélère encore. Des huit millions d’espèces animales et végétales qui peupleraient notre planète, un million sont désormais menacées d’extinction. La situation est maintenant intenable.
Un droit fondamental pour l’humanité
C’est à une révolution que nous appelons : une refondation complète de notre rapport à la nature et au vivant. Ce n’est pas un luxe, mais une nécessité pour notre survie à tous, car la santé de l’humanité dépend de celle de notre environnement, comme de celle des espèces avec qui nous cohabitons sur la planète.
Il y a urgence à agir. Et agir, c’est d’abord prendre ensemble l’engagement de ne plus détruire les conditions d’habitabilité de notre maison commune. Pour nos générations actuelles, mais aussi pour les générations futures, car habiter dans de bonnes conditions sur notre planète est un droit fondamental pour l’humanité.
Il nous faut par conséquent consacrer les moyens nécessaires – et surtout avoir cette ambition – pour protéger et restaurer l’ensemble des écosystèmes, qu’ils soient naturels ou gérés. Dans le cadre des négociations de la convention sur la diversité biologique, les États travaillent à protéger, d’ici à 2030, 30 % de la surface du globe, surfaces terrestres comme maritimes. Nous ne partons heureusement pas de rien, puisque, avec les 252 sites du Patrimoine mondial naturel, les 714 réserves de biosphères et les 161 géoparcs mondiaux de l’Unesco, 6 % de la surface terrestre est déjà protégée.
Un changement radical des modèles de production, agricoles comme industriels, est également indispensable. Nous ne pouvons continuer à faire reposer la croissance sur la destruction de la nature. Le nouveau cadre commun des Objectifs du développement durable donne le cap : le développement durable doit apporter une réponse à la pauvreté, aux inégalités, aux droits humains, à l’éducation, à la santé, mais aussi aux écosystèmes.
Sur ce chemin vers les Objectifs du développement durable, nous devons faire un véritable effort de créativité et d’imagination. Il faut explorer d’autres manières d’être au monde. Cela implique de concevoir et de mieux gérer des espaces où la faune et la flore puissent s’épanouir, se renouveler et dans lesquels les conditions sont réunies pour que perdure un lien respectueux entre l’humanité et le vivant.
Il nous faut aussi écouter les peuples autochtones, eux qui ont toujours considéré que la nature était notre passé, notre présent et notre avenir. Leurs droits doivent être reconnus et protégés, car leurs savoirs traditionnels constituent un vivier unique de solutions pour la protection des écosystèmes.
S’appuyer sur l’éducation
Cela passe, enfin, par la transmission et la prise de conscience. Protéger et respecter le vivant nécessite de s’appuyer sur le pouvoir transformateur de l’éducation, y compris en développant la connaissance des océans, car c’est par elle que nous pouvons obtenir des résultats sur le temps long. Il est donc nécessaire d’inclure davantage l’éducation à l’environnement dans les programmes scolaires et de former les enseignants – comme l’Unesco s’y engage.
En conclusion, au-delà d’une proportion de territoires à protéger, c’est bien 100 % de la population mondiale que nous voulons réconcilier avec le vivant. Et cela nécessite de mettre la science au centre de nos décisions et de nos actions, compte tenu du rôle essentiel de la biodiversité dans l’économie, la santé et notre bien-être.
Un tel changement de paradigme ne nous demande en rien de renoncer à nos valeurs humanistes et de progrès. Bien au contraire : les plus vulnérables sont justement ceux qui souffrent le plus des conséquences des dérèglements climatiques ; comme ce sont en général eux qui savent innover pour y trouver des solutions. Affirmons-le donc : il n’y aura pas de justice sociale sans justice environnementale.
Il est temps que l’humanité comprenne que la Terre ne lui appartient pas : elle en dépend au contraire. Pour partager un monde commun, il nous faut faire de la protection et de la transmission du vivant la priorité de nos sociétés ; ou, dans le cas contraire, nous apprêter à en subir les conséquences.
Audrey Azoulay, directrice générale de l’Unesco ; Antonio Guterres, secrétaire général des Nations unies, pour la COP26 ; Docteure Jane Goodall, fondatrice de l’Institut Jane Goodall et messagère de la paix des Nations unies ; Ana María Hernandez Salgar, présidente de la Plateforme intergouvernementale sur la biodiversité et les services écosystémiques (Ipbes) ; Nicolas Hulot, journaliste, écrivain, ancien ministre français de la transition écologique et solidaire ; Hindou Oumarou Ibrahim, militante pour les peuples autochtones et le climat et conseillère du secrétaire général des Nations unies ; professeur Hoesung Lee, président du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) ; princesse Sumaya de Jordanie, envoyée spéciale de l’Unesco pour la science au service de la paix ; Peter Thomson, envoyé des Nations unies pour les océans.
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