Comme la COP15 pour la biodiversité, une série d’événements majeurs prévus en 2020, dont la COP26 pour le climat, devraient être reportés. D'après AFP, Audrey Garric et Perrine Mouterde le 23 mars 2020 pour Le Monde. Pour la reprise de ce blog en temps de confinement, lire aussi « Nous dépendons fondamentalement de la diversité du vivant » et surtout Une Biorégion Ile-de-France résiliente en 2050 toujours d'actualité !
Des officiers sanitaires inspectent des chauves-souris confisquées et sur le point d’être abattues, à Solo (Indonésie), le 14 mars. AP
Ce devait être une année cruciale pour le climat et la biodiversité, une étape charnière pour accroître les efforts dans la lutte contre le dérèglement climatique et la destruction des écosystèmes. Mais la pandémie de Covid-19, si elle a provoqué une réduction à court terme des émissions de CO2 et une protection accrue pour les animaux sauvages, est en train de réécrire l’histoire.
En reléguant ces dossiers au second plan et en entravant la diplomatie nécessaire pour les faire avancer, la crise sanitaire risque de saper les engagements de long terme en faveur de l’environnement. A moins qu’après l’épidémie les États ne profitent de la relance de l’économie pour accélérer la transition bas carbone et financer la protection de la nature.
Plusieurs événements majeurs étaient prévus en 2020. Lundi 23 mars, la 15e Conférence des parties (COP15) de la Convention des Nations unies sur la diversité biologique, prévue fin octobre à Kunming, en Chine, a été officiellement reportée à 2021. Ce rendez-vous crucial devait permettre d’aboutir à l’adoption d’une feuille de route mondiale pour sauver l’ensemble des écosystèmes. « Une réunion d’experts prévue en mai à Montréal dans le cadre des travaux préparatoires va être reportée, explique Basile van Havre, l’un des deux coprésidents de la COP15. Or nous avons besoin d’environ neuf semaines entre chaque réunion de travail. C’est pour cela que les autres rendez-vous, dont la COP, doivent aussi être retardés. »
Réunions physiques annulées
A Glasgow, au Royaume-Uni, doit se tenir en novembre la 26e conférence mondiale des Nations unies sur le climat, considérée comme le moment de vérité de l’accord de Paris de 2015 : les Etats doivent venir avec de nouveaux plans climatiques plus ambitieux. Si des sources évoquent aussi un possible report de cette COP, le ministre britannique des affaires étrangères, Dominic Raab, a déclaré le 19 mars attendre « de voir quel sera le calendrier du coronavirus ». « Il est encore possible aujourd’hui que cela soit faisable », a-t-il indiqué.
La Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques (CCNUCC), qui a annulé toutes ses réunions physiques pendant deux mois, décidera par ailleurs début avril de maintenir ou non les négociations climatiques intermédiaires prévues début juin à Bonn, en Allemagne.
S’interroger sur les causes
Le secrétariat exécutif de l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN), dont le congrès mondial devait se tenir en juin et constituer un temps fort de mobilisation de tous les acteurs avant la COP15, a également demandé un report de cet événement. La France, pays hôte de ce rassemblement, doit maintenant se prononcer sur son maintien. « En plus des délégations, il est prévu que le congrès soit ouvert pour la première fois au grand public, et environ 100 000 visiteurs sont attendus », précise Sébastien Moncorps, directeur du comité français de l’UICN.
La conférence des Nations unies sur les océans, prévue en juin à Lisbonne et visant à soutenir les utilisations durables des océans, des mers et des ressources marines, est d’ores et déjà repoussée.
Craintes pour l’Afrique
Pour l’instant, aucune date n’a pu être fixée pour ces rendez-vous. A quelle échéance ces grands événements, qui rassemblent jusqu’à des dizaines de milliers de délégués et d’observateurs de quelque 200 pays, pourront-ils de nouveau se tenir ? « On peut deviner que des continents tels que l’Afrique vont être touchés après l’Europe et il est possible qu’ils mettent plus longtemps à venir à bout de la pandémie, précise Yann Wehrling, ambassadeur de la France pour la biodiversité. Or, on ne peut pas faire de réunions internationales sans l’Afrique. »
Pour continuer à faire avancer négociations et travaux préparatoires, les rencontres diplomatiques par visioconférence ne pallient qu’en partie l’absence de réunions physiques. Si les discussions bilatérales ou multilatérales restreintes peuvent se poursuivre, les échanges plus larges restent compliqués.
« Il paraît quasi impossible d’organiser une conférence entre des milliers de personnes, présentes sur tous les fuseaux horaires et avec parfois des problèmes de connexion Internet, assure Paul Watkinson, qui suit les négociations climatiques depuis vingt ans et qui présidait certains travaux techniques de la Convention ces dernières années. Surtout, une COP, ce sont des assemblées plénières, mais aussi six-sept réunions en parallèle, beaucoup de diplomatie dans les couloirs, ainsi que des échanges avec la société civile. »
Dans une lettre adressée le 16 mars à la présidente de la CCNUCC, que Le Monde a consultée, le président du groupe Afrique, le Gabonais Tanguy Gahouma Bekale, alerte aussi sur le fait que les 54 pays qu’il représente « sont confrontés à des défis considérables pour participer aux réunions virtuelles, du fait d’infrastructures informatiques déficientes » et demande que toutes les réunions importantes soient reportées « jusqu’à ce que la pandémie ait été entièrement contenue ».
Au-delà des enjeux techniques et de calendrier, la crise sanitaire peut peser sur la volonté des pays à relever leurs ambitions en faveur de l’environnement. La République tchèque a ainsi demandé l’abandon du Green Deal européen pour mieux se concentrer sur le coronavirus, tandis que la Pologne veut suspendre le marché européen du carbone pour que les pays puissent dégager de l’argent afin d’aider leurs entreprises et leurs citoyens.
« Dans quelle mesure les efforts qui seront engagés en faveur de la relance des économies pourront-ils s’aligner sur les efforts en matière de biodiversité ? Et comment parler au grand public de biodiversité alors que les populations seront occupées par des questions de logistique et de vie quotidienne ? », s’interroge Basile van Havre. Comme d’autres, le coprésident de la COP15 espère toutefois que cette crise sanitaire sera l’occasion de s’interroger sur les causes sous-jacentes de cette pandémie et sur les liens entre santé publique, perte de biodiversité et changement climatique, notamment à l’heure où des plans de relance seront débloqués.
« Les sujets de biodiversité et du climat ne vont pas perdre de leur intérêt dans l’agenda diplomatique international, mais vont être abordés dans un contexte différent, estime Pierre Dubreuil, le directeur général de l’Office français de la biodiversité. Le lien entre santé et biodiversité va intéresser beaucoup de gens, à nous de le documenter sérieusement pour que l’on réfléchisse à une nouvelle relation entre l’homme et la nature dans un contexte mondialisé. »
« Accélérer l’action climatique »
« Il serait bien dommageable que les plans de relance envisagés viennent aggraver le fond du problème, juge aussi Aleksandar Rankovic, chercheur à l’Institut du développement durable et des relations internationales. Si l’on prend le secteur agroalimentaire, par exemple, il sera primordial de débattre du type d’activités que l’on viendra soutenir avec ces fonds publics. »
« Gérer seulement la crise sanitaire serait une erreur monumentale. C’est un moment crucial pour accélérer l’action climatique et non pas revenir en arrière », plaide aussi Laurence Tubiana, la directrice de la Fondation européenne pour le climat, qui propose aux Etats européens de développer une diplomatie verte autour du Green Deal. Le directeur de l’Agence internationale de l’énergie, Fatih Birol, a appelé tous les gouvernements et les institutions financières internationales à déployer des plans de relance de l’économie « durables », favorisant la transition vers les énergies propres.
« Devrions-nous nous diriger vers un mode de développement plus intégré, plus prudent et plus résilient ? S’il est trop tôt pour avoir une réflexion complète sur les solutions, il est temps de poser ces questions », affirme Basile van Havre.