Un an après avoir porté plainte contre l’État pour inaction climatique, quatre ONG incitent les citoyens à signaler les évolutions concrètes dans leur quotidien pour cartographier les préjudices induits par le réchauffement partout en France. D’après Frédéric Mouchon pour Le Parisien et Marie-Noëlle Bertrand pour l’Humanité le 17 décembre 2019. Lire aussi Des ONG attaquent la France en justice pour inaction climatique.
Lac de Pierre-Percée (Meurthe-et-Moselle), le 22 octobre. L’un des plus grands lacs artificiels de Lorraine subit de plein fouet la quasi-absence de pluie, due aux canicules et sécheresses successives durant la période estivale. Un paysage de désolation que chacun peut observer.
C’était il y a un an : quatre ONG lançaient ce qui allait devenir, en quelques jours, un hit du mouvement citoyen anti-hot. L’Affaire du siècle, cette plainte déposée par Oxfam, la Fondation Nicolas Hulot (FNH), Notre affaire à tous et Greenpeace contre l’État, pour les préjudices engendrés du fait de son inaction climatique, prenait son envol. Dans les jours qui suivaient, plus de 2 millions de personnes signaient une pétition soutenant la démarche, offrant là un record en termes de paraphes à la minute.
Douze mois se sont écoulés, et l’instruction suit son cours devant le tribunal administratif de Paris. Les organisations, elles, relancent la machine et appellent les citoyens à nourrir le dossier juridique autant que la mobilisation, et « toute personne à partager les changements qu’elle observe » en témoignant de la réalité des bouleversements climatiques. Objectif : dresser une cartographie inédite des préjudices constatés sur le territoire français, via le hashtag #TémoinDuClimat.
Mettre la pression sur l’Etat
« Un an après notre plainte, l’urgence climatique est toujours aussi forte », rappelle Jean-François Julliard, directeur général de Greenpeace France. « Le verdict viendra quand il viendra, en attendant, nous n’allons pas rester les bras croisés », insiste le responsable.
Sur la côte, entre Gascogne et Vendée, Jean-Baptiste a constaté que certaines espèces d’algues brunes sont en train de disparaître, laissant la place libre pour des algues vertes « dont on connaît le danger potentiel ». Quand Catherine, vigneronne dans l’Hérault, a vu « les grenaches, feuilles et grappes brûlées », elle n’a pas pensé à la perte de la récolte mais que « c’était là l’annonce de la fin de l’ère climatique que nous connaissons », « la manifestation de la limite de l’hospitalité de la Terre ». Catherine et Jean-Baptiste ont en commun d’avoir constaté les effets du réchauffement près de chez eux. Ils ont choisi de répondre à l’appel à témoignages lancé par quatre associations écolo désireuses « d’ouvrir les yeux de l’Etat » sur les bouleversements en cours dans l’Hexagone.
« Hausse des températures, multiplication des événements climatiques extrêmes, érosion des côtes, plantes et animaux perturbés… », les quatre associations ambitionnent de constituer une « cartographie inédite de la situation climatique en France ». « Nous demandons aux citoyens de témoigner de ce qu’ils voient en termes de modification des paysages ou d’impact sur la nature, mais aussi de ce qu’ils ressentent, explique Cécilia Rinaudo, coordinatrice générale de l’ONG Notre Affaire à tous. Les sécheresses, les inondations, la pollution et les ouragans dans les territoires d’outre-mer ont un impact sur la vie, les revenus, la santé et le travail de beaucoup de Français. »
« Le réchauffement climatique est déjà une réalité en France, ses conséquences vont encore s’accentuer dans l’avenir et on n’a plus le temps d’attendre pour agir », estime Samuel Leré, responsable du plaidoyer au sein de la FNH. Si les quatre ONG ont lancé cet appel, c’est pour mettre la pression sur l’Etat, qu’elles accusent de n’avoir pris « aucune décision à la hauteur du défi climatique ». D’après les calculs faits par les quatre organisations, au rythme de réduction des émissions de gaz à effet de serre de l’Hexagone constaté entre 2015 et 2018, la France atteindrait ses objectifs climatiques avec un retard de plus d’un tiers de siècle.
Les ONG veulent « montrer la diversité géographique des territoires touchés, ainsi que celle des préjudices induits ». Denis Charlet/AFP
« La neutralité carbone à l’horizon 2050 a été inscrite dans la loi énergie climat votée en septembre 2019, mais si l’on continue au rythme actuel, en prenant en compte les baisses d’émissions constatées dans chaque secteur d’activité depuis 2015, on n’atteindra cet objectif qu’en 2093, soit avec quarante-trois ans de retard », s’alarme Samuel Leré. « Même lorsqu’ils sont inscrits dans la loi, l’Etat ne respecte pas ses engagements », enrage Cécilia Rinaudo. « Se fixer des objectifs plus ambitieux sans se donner les moyens d’accélérer, c’est tout le problème de l’inaction climatique, estiment les associations. Et cela nous conduit tout droit vers le retard du siècle. »
Que s’est-il passé durant ces douze mois ? Côté action étatique, rien qui ne permette de se sentir rassuré. En février, l’État a reconnu dépasser les plafonds établis dans le cadre de la Stratégie nationale bas-carbone (SNBC). Sur la période 2015-2019, son « budget carbone » révèle ainsi un excès de 4 %. Depuis, la France continue de traîner à prendre les mesures en conséquence. Certes, elle a décrété l’urgence climatique et pris, en septembre, la résolution d’atteindre la neutralité carbone en 2050. Mais rien ne vient étayer la sincérité de son discours. Elle envisage toujours de n’avoir réduit ses émissions de gaz à effet de serre (GES) que de 40 % en 2030. Insuffisant, insistent les ONG, s’appuyant sur les données du Giec. « À ce rythme, la neutralité carbone ne serait obtenue qu’en 2093, soit avec quarante-trois ans de retard », relèvent-elles, plaidant pour porter cet objectif de moyen terme à -55 % de GES, comme l’Union européenne s’est récemment engagée à le faire.
Vagues de chaleur et pluies intenses
Côté recours en justice, la procédure a consisté, pour l’heure, en un aller-retour de courriers et autres requêtes. Le 18 décembre 2018, les quatre ONG se sont donc saisies du levier juridique pour demander à l’État de rendre compte des préjudices subis du fait de ses carences fautives en matière de lutte contre le réchauffement. Celui-ci disposait de deux mois pour répondre. Le 15 février, il plaidait non coupable sous la plume de François de Rugy, alors ministre de la Transition écologique et solidaire, lequel estimait en faire déjà beaucoup sur la question. À la suite de ce rejet, les organisations ont déposé une requête sommaire devant le tribunal administratif de Paris contre l’inaction climatique de l’État, consolidée, en mai, d’un mémoire complétant leur argumentaire. La balle, à présent, est dans le camp de l’État, dont on attend de nouveau la réponse.
D’ici à ce qu’elle tombe, les organisations entendent maintenir la pression, entre autres en cartographiant les impacts du réchauffement en France. « On a souvent tendance à les croire réservés aux pays du Sud », reprend Jean-François Julliard. Mais intensification des tempêtes et sécheresses ne sont pas l’apanage de l’Asie ou de l’Afrique. Vagues de chaleur et pluies intenses se multiplient aussi en France, y compris métropolitaine. « Nous voulons montrer la diversité géographique des territoires touchés, ainsi que celle des préjudices induits. » Ils sont émotionnels, quand les événements extrêmes induisent de l’angoisse ; économiques, quand ils génèrent des pertes de revenus, par exemple agricoles ; ou encore environnementaux, quand des écosystèmes s’en trouvent bouleversés. « Nous nous réservons la possibilité de proposer que les témoignages les plus étayés soient versés au dossier que nous présenterons lors de la première audience », conclut Jean-François Julliard. Les avocats des quatre ONG comptent que celle-ci puisse avoir lieu avant le début 2021.
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