Ils sont massivement utilisés dans l’agriculture depuis les années 2000, et on en retrouve partout, jusque dans nos assiettes. Selon un groupe de spécialistes, qui réclament leur suspension, les fongicides SDHI présentent un risque important pour la santé. Et la Consultation publique sur les pesticides lancée par le gouvernement concernant la distance minimale entre les habitations et les zones d’épandage est hypocrite - seuls les commentaires sur 5 ou 10 m sont possibles. D’après Émilie Torgemen pour Le Parisien, Fabrice Nicolino et https://nousvoulonsdescoquelicots.org/, 6 au 12 septembre 2019. Lire aussi Fongicides SDHi : vers un nouveau scandale sanitaire ?
Villefranche-de-Lauragais (Haute-Garonne), en 2018. Parmi les fongicides SDHI, on compte notamment le Boscalid, vaporisé sur les champs de blé, d’orge et les vergers. (Illustration.) AFP/Rémy Gabalda
Fraises, salades, pommes, blé, gazons des terrains de sport… « Personne ne les connaît, ils sont pourtant épandus partout ! » s'alarme Fabrice Nicolino, qui publiera jeudi 12 septembre une enquête très fouillée sur les SDHI : « Le Crime est presque parfait » (Ed. Les liens qui libèrent, 224p., 20 euros). Cette famille de fongicides est au cœur d'une guerre de tranchées entre scientifiques et experts des autorités sanitaires.
Pourquoi ? Côté pile, les SDHI s'attaquent à la succinate déshydrogénasse, enzyme qui participe à la chaîne respiratoire des champignons, et permettent ainsi de détruire ces nuisibles qui attaquent les récoltes. Mais côté face, selon plusieurs chercheurs, ils peuvent de la même manière bloquer le système respiratoire des animaux et des êtres humains.
« Conséquences potentiellement catastrophiques »
« C'est une folie que d'utiliser massivement ce produit. Nous avons testé ces inhibiteurs en laboratoire, ils tuent aussi bien l'enzyme du ver de terre, de l'abeille que de l'homme avec des conséquences potentiellement catastrophiques », affirme Pierre Rustin, chercheur à l'Inserm.
Ce spécialiste mondialement reconnu a découvert par hasard que les agriculteurs utilisaient massivement ces produits potentiellement très toxiques. « On en relargue des centaines de tonnes dans la nature », se désole le scientifique, qui a aussitôt contacté les autorités sanitaires. Une alerte restée sans réponse pendant des mois.
Alors, aux côtés de huit autres chercheurs -cancérologues, médecins, toxicologues-, Pierre Rustin a publié une tribune appelant à « suspendre l'utilisation tant qu'une estimation des dangers et des risques n'aura pas été réalisée par des organismes publics indépendants ». On soupçonne la SDHI d'entraîner de graves encéphalopathies et d'être à l'origine de cancers.
Des évaluations vont être lancées
En réponse, l'ANSES, l'agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, a publié un rapport en janvier qui conclut que l'alerte n'est pas fondée et qu'il n'y a pas lieu d'interdire ces produits. « Le rapport était d'une indigence incroyable, regrette Pierre Rustin. Il évoque par exemple l'effet dose de ces produits chimiques. Or, dans les maladies mitochondriales ( NDLR : pathologie en rapport avec la chaîne respiratoire ), on ne connaît pas grand-chose mais l'on sait que ce n'est pas la quantité de produit qui crée le problème. »
Les neuf spécialistes travaillent aujourd'hui d'arrache-pied pour publier dans des revues scientifiques des preuves de la dangerosité scientifique des SDHI. Contactée, l'Anses renvoie de son côté vers le point publié cet été sur son site. Ce communiqué rappelait d'une part qu'« à ce jour, aucun nouvel élément n'est venu confirmer l'existence d'une alerte sanitaire », tout en précisant que l'agence qui ne clôt pas ce dossier et va lancer des projets de recherche pour vérifier la dangerosité de ces pesticides.
Quels sont les noms de ces fongicides ?
Il y a le Boscalid, commercialisé par BASF et « vaporisé » sur le blé, l’orge, les vergers. Il y a aussi l’Exteris stressgard spécialiste des gazons de foot, ou encore l’Isopyrazam de Syngenta, entre autres pour protéger les bananes d’un terrible champignon. Sous ces noms commerciaux, onze substances actives de la famille des inhibiteurs de la succinate déshydrogénase (SDHI) sont autorisées en France.
Controversés, ces pesticides luttent contre certains champignons et moisissures qui attaquent les cultures. Ces fongicides ont été utilisés entre les années 1960 et les années 1990, mais c’est surtout depuis les années 2000 que les SDHI font leur grand retour. La plupart ont été autorisées en 2013 en France.
Ils sont depuis omniprésents dans le traitement des récoltes, parfois utilisés en enrobage directement sur les semences. Jusqu’à 80 % des champs de blé sont traités avec des SDHI. Le Boscalid est selon les ONG, le pesticide qui laisse le plus de traces dans nos assiettes.
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Il faut cesser cette folie
Dans son nouveau livre d'enquête qui est sorti le 12 septembre, « Le Crime est presque parfait » (Ed. Les liens qui libèrent, 224p., 20 euros), Fabrice Nicolino s'est penché sur les très controversés fongicides SDHI. L'auteur de « Nous voulons des coquelicots », qui avait initié le mouvement anti-pesticides des coquelicots, réclame avec sa faconde un moratoire immédiat sur ces fongicides.
Pourquoi ? Côté pile, les SDHI s'attaquent à la succinate déshydrogénasse, enzyme qui participe à la chaîne respiratoire des champignons, et permettent ainsi de détruire ces nuisibles qui attaquent les récoltes. Mais côté face, selon plusieurs chercheurs, ils peuvent de la même manière bloquer le système respiratoire des animaux et des êtres humains.
Dans votre ouvrage, vous semblez accuser l'Anses (Agence nationale de sécurité sanitaire, de l'alimentation, de l'environnement et du travail) d'avoir délibérément négligé l'alerte de grands chercheurs ?
Fabrice Nicolino : Bien sûr. L'Anses est l'organisme qui donne les autorisations de mise sur le marché pour les pesticides et qui doit ensuite en être le juge. De qui se moque-t-on? Cette agence a démontré que, même secoué par d'éminents scientifiques, elle ne peut pas fournir une expertise indépendante. Après la première alerte de Pierre Rustin (NDLR : ce chercheur à l'Inserm a publié une tribune appelant à « suspendre l'utilisation tant qu'une estimation des dangers et des risques n'aura pas été réalisée par des organismes publics indépendants » ), qui aurait dû stopper la diffusion le temps d'avoir des études indépendantes, l'agence a fait le mort près de neuf mois.
Le problème n'est-il pas simplement celui des tests réglementaires moins performants que la recherche fondamentale ?
Non. Les autorités sont désormais trop liées aux industries. Chaque année, elles publient des notes pour vanter ce type de fongicides et dire comment épandre ces produits potentiellement toxiques. Est-ce le rôle de l'Anses qui vit de l'argent public et promet de protéger la société? Poser la question, c'est y répondre. Le problème est que cette famille de fongicide est un nouvel Eldorado. On estime que son chiffre d'affaires mondial de 2 milliards d'euros va encore augmenter.
Que réclamez-vous ?
Moi, je me contente de répéter la demande légitime de scientifiques reconnus. Ils estiment que les SDHI représentent un danger colossal, qu'il faut stopper l'utilisation immédiatement. De mon point de vue, rien ne changera sans une mobilisation massive de la société. Il faut cesser cette folie avant que les SDHI ne deviennent le nouveau scandale sanitaire, comme la chlordécone dans les Antilles (un insecticide cancérigène utilisé dans les bananeraies) ou le DDT (interdit depuis trente ans mais dont on trouve encore des traces).
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Le gouvernement organise depuis le lundi 9 septembre une consultation publique sur les conditions d’épandage des pesticides, à laquelle chacun est invité à donner son avis. Cette consultation publique est une farce, car le résultat en est d’ores et déjà annoncé: à partir de 2020, il faudra respecter une distance de 5 à 10 mètres entre les traitements chimiques et les habitations.
Ni 5 mètres, ni 10 mètres
Une telle décision est une insulte à la science et à notre santé, car les pesticides ne respectent pas les décrets. Ils voyagent sur des kilomètres, rejoignent les cours d’eau, montent dans l’air et les nuages, atteignent facilement le cœur des villes et jusqu’aux foetus. Ils saturent l’air et polluent les pluies. Le lobby des pesticides vient de montrer une nouvelle fois sa puissance. La seule solution scientifiquement fondée, comme le réclame le mouvement des Coquelicots depuis un an: la fin de tous les pesticides de synthèse.
Le gouvernement regarde ailleurs
Des maladies en pagaille. Une nature qui disparait silencieusement. Un monde agricole au désespoir. Une autonomie alimentaire qui n’est plus qu’un rêve… Si près de neuf Français sur dix sont pour la fin des pesticides en cinq ans, c’est qu’ils ont compris que ces poisons sont une impasse mortelle. Pour tous. Mais il n’y a pire sourd que celui qui a intérêt à ne pas entendre et l’incroyable scandale des pesticides montre le gouffre qui s’agrandit chaque jour entre dirigeants et dirigés. La démocratie, ce n’est pas cela. Un élu de la République n’est pas au service des intérêts privés. Il doit d’abord et avant tout protéger la population dont il a la charge. Et il ne le fait pas. C’est très grave.
A quoi joue l’ANSES?
Pour préparer son décret-scélérat, le gouvernement et son ministère de l’Agriculture s’appuient sur des recommandations de l’ANSES, notre agence publique sanitaire. Entre 5 et 10 mètres, donc. Mais nous n’avons plus aucune confiance en elle. L’affaire des SDHI https://www.youtube.com/watch?v=dDjHyukzu-k&t=22s – une nouvelle classe de fongicides toxiques pour la santé – montre qu’elle a partie liée avec l’industrie des pesticides (1). Car malgré des alertes lancées par des scientifiques indépendants, elle laisse ce redoutable poison être épandu dans toute la France. Cette agence, celle-là même qui donne les autorisations de mise sur le marché (AMM) de ces poisons peut-elle sérieusement nous protéger contre ses propres décisions? Cela ne peut plus durer. Cette consultation publique est une honte pour notre République.
Plus que jamais, l’Appel des coquelicots, qui exige la fin de tous les pesticides de synthèse, est la seule issue!
(1) Un livre paru ce 12 septembre 2019 raconte cette affaire: «Le crime est presque parfait, l’enquête-choc sur les pesticides et les SDHI» (LLL), par Fabrice Nicolino, fondateur de Nous voulons des coquelicots.
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