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5 février 2019 2 05 /02 /février /2019 09:03

Le gouvernement revoit à la baisse son soutien à la filière du biogaz. L’opposition locale aux méthaniseurs grandit. Produire du gaz renouvelable à partir de l’agriculture offre une nouvelle source de revenus pour les éleveurs ; mais le développement des méthaniseurs présente une vraie menace de pollution des sols et d’émission de gaz à très grand effet de serre, bouscule le marché des déchets, intensifie la concurrence entre les cultures, pousse à la concentration des exploitations… sous la pression du syndicat agricole dominant (FNSEA). D’après Stéphane Mandard, Nabil Wakim, Simon Auffret et Julie Lallouêt-Geffroy pour Le Monde et Reporterre. Lire aussi La hausse rapide du méthane alarme les climatologues et Romainville n'aura pas d'usine de méthanisation.

Le méthaniseur de Gramat (Lot), installation classée à risque pour l’environnement, est autorisé à traiter jusqu’à 57 000 tonnes de déchets par an. DOCUMENT LE MONDE

Le méthaniseur de Gramat (Lot), installation classée à risque pour l’environnement, est autorisé à traiter jusqu’à 57 000 tonnes de déchets par an. DOCUMENT LE MONDE

En présentant, le 25 janvier, la feuille de route énergétique de la France, le gouvernement a douché leurs espoirs, en revoyant à la baisse les objectifs de développement du « gaz vert », issu de déchets agricoles ou ménagers. Selon le do­cument de synthèse de la programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE), le biogaz devrait fournir 7 % de la consommation de gaz en France en 2030. La loi de transition écologique de 2015 fixait 10 % à cette date, et la filière gazière espérait même atteindre 30 %.

Pourquoi renoncer à de tels objectifs ? Principalement pour des raisons de coût : le gouvernement ne veut pas d’un soutien public trop important au développement de ce secteur. L’exécutif fixe donc des objectifs en forte croissance – le biogaz représente moins de 1 % de la consommation de gaz en France en 2018 –, mais contrarie les espoirs des industriels en matière de subventions.

Trajectoire « strictement impossible à tenir »

Deux appels d’offres seront certes lancés chaque année, mais le prix d’achat proposé par l’Etat sera très inférieur à celui proposé aujourd’hui. Les entreprises du secteur expliquent depuis plusieurs mois que le développement du gaz renouvelable en France a encore besoin d’un soutien public pour franchir un cap, et in fine faire baisser les prix.

Les associations professionnelles du gaz dénoncent des mesures qui risquent de « condamner l’avenir de cette ­filière sans tenir compte de ses avantages ». Tandis que les syndicats agricoles FNSEA et Jeunes Agriculteurs déplorent une trajectoire « strictement impossible à tenir », qui ne laisse « aucune chance aux projets agricoles et territoriaux de se développer durablement ».

« Il faudrait aller encore plus vite pour atteindre les objectifs de la programmation pluriannuelle pour l’énergie, estime de son côté Marc Cheverry, le directeur en charge de l’économie circulaire et de la gestion des déchets à l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe). Nous avons la possibilité de le faire. Le plus gros frein n’est pas technique, mais la question de l’acceptabilité. »

Ce recul des pouvoirs publics ­intervient en effet au moment où le développement de la méthanisation rencontre des oppositions sur le terrain. Une mobilisation plus faible que contre l’éolien, mais qui prend de l’importance.

Risques de pollutions à tous les stades

Lundi 28 janvier, le cabinet du ministre de la transition écologique et solidaire a reçu pour la première fois des collectifs d’opposants. Créé à l’été 2018, le Collectif national vigilance méthanisation est constitué d’une trentaine d’associations locales. Fondé en décembre, le Collectif scientifique national sur la méthanisation rassemble, lui, une vingtaine de chercheurs de toutes disciplines.

Les deux collectifs s’inquiètent d’un développement mal maîtrisé de la méthanisation et de risques de pollutions à tous les stades du processus : contrôle de la qualité des déchets, possibles rejets de gaz à effet de serre, conditions de stockage et d’épandage du digestat, la matière résiduelle de la méthanisation.

Cette rencontre témoigne de la montée en puissance progressive de ces oppositions, alors que les projets se multiplient : plus de 600 projets de méthaniseurs, de toute taille, sont en cours de développement, selon le bilan annuel de la société de transport de gaz GRT Gaz, avec un objectif de 1 000 installations agricoles en 2020.

Dans le Grand Est, les craintes se concentrent sur le développement d’un modèle proche de celui de l’Allemagne, critiqué pour détourner une agriculture consacrée à l’alimentation vers la production d’énergie.

L’association Eaux et Rivières de Bretagne a déposé un recours devant le Conseil d’Etat pour contester l’assouplissement de la réglementation décidée par le gouvernement. « Le principe de la méthanisation est vertueux, note Estelle Le Guern, chargée de mission agriculture de l’association. Mais tout dépend de sa mise en œuvre, et celle choisie ne nous convient pas, notamment par le manque de contrôle des installations. »

Au-delà de ces difficultés de mise en œuvre, c’est le modèle économique de la méthanisation qui risque d’avoir raison des ambitions de la filière. Sans soutien financier de l’Etat, le « gaz renouvelable » est très coûteux à produire et commercialisé à des tarifs largement supérieurs à ceux du gaz naturel.

Le nombre d’accidents de ces usines à gaz est en pleine explosion

Explosions, incendies, fuites, débordements, arrachements, éclatements, percements… les accidents se multiplient sur les sites de méthanisation. Ils sont « en hausse de 82 % en 2017 par rapport à la moyenne des cinq années précédentes », selon une note de mai 2018 du Bureau d’analyse des risques et pollutions industriels (Barpi), rattaché au ministère de la transition écologique et solidaire. Ces accidents ont été recensés dans tous les secteurs contribuant à la méthanisation : agriculture, industrie, traitement des déchets et assainissement de l’eau. « Les exploitants doivent donc redoubler de vigilance lors de la conception, de la réception du matériel ainsi que lors des essais préalables de mise en service », alerte le Barpi. Une attention particulière doit être portée aux installations agricoles, « souvent exploitées avec moins de moyens et une culture de sécurité moins développée que les méthaniseurs industriels de grande taille » et à la formation des intérimaires et sous-traitants qui interviennent sur ces sites.

 

Stockage du digestat dans cette cuve avant épandage.

Stockage du digestat dans cette cuve avant épandage.

L’épandage de digestats polluants

Son voisin avait eu la délicatesse de le prévenir : « Ne soyez pas surpris si des ouvriers débarquent en scaphandre pour épandre dans mon champ. » Alors, au départ, il ne s’est pas préoccupé de la forte odeur. Jusqu’à ce que ses abeilles meurent par milliers. Il les a photographiées, filmées, pesées : 2 kilos de cadavres. « La ruche la plus populeuse a été quasiment intégralement décimée », confie cet apiculteur, qui préfère garder l’anonymat par peur des représailles. Dans ce coin tranquille du Lot, au cœur du parc naturel des Causses du Quercy, tout le monde se connaît. Et peu se risquent à émettre publiquement des doutes sur le nouvel « or vert » de la région, la méthanisation, et son corollaire, le digestat.

A Gramat, 3 500 habitants, un imposant méthaniseur tourne à plein régime depuis un an. Il produit du méthane, transformé en électricité et en chaleur, à partir de la dégradation de divers déchets agro-industriels. Lisiers de canards issus de la grosse coopérative agricole voisine La Quercynoise (5 000 agriculteurs et collaborateurs). Mais aussi des restes d’abattoirs. Mais encore des graisses alimentaires, des rebuts de fabrication de plats préparés…

D’une capacité initiale de 38 tonnes d’intrants, le « digesteur » de Gramat, installation classée à risque pour l’environnement, est aujourd’hui autorisé à traiter jusqu’à 57 000 tonnes de déchets par an. Le digestat est le résidu du processus de méthanisation. En 2018, le méthaniseur de Gramat a recraché près de 44 000 tonnes de digestat brut liquide. Cette sorte de boue est ensuite épandue sur les parcelles des agriculteurs de la coopérative. 2 000 hectares ont été aspergés en 2018 et 4 500 hectares sont, à terme, concernés.

« Vers de terre décomposés »

Détenue à 66 % par Fonroche (premier constructeur de méthaniseurs) et La Quercynoise, Bioquercy, la société qui exploite l’unité de Gramat, présente son digestat, particulièrement riche en azote, comme « un fertilisant vert, peu odorant, en substitution aux engrais chimiques ». « Peu odorant » ? Autour de Gramat, les Lotois sont régulièrement incommodés par des relents nauséabonds. Au point de susciter parfois de violents maux de tête. Le député Aurélien Pradié (LR) a fini, fin décembre 2018, par interpeller le gouvernement sur ces « pollutions olfactives ».

« Fertilisant vert » ? Quelques jours après avoir constaté l’hécatombe dans ses ruches, l’apiculteur promène ses chiens dans le pré épandu : « A chaque pas, il y avait des vers de terre décomposés, tout blancs, à la surface. » Comme avec les abeilles, il a filmé et pris des clichés. Il demande à son voisin un échantillon de digestat afin de le faire analyser. En vain. « Le lendemain, j’ai reçu trois coups de fil pour me dire : “Commencez pas à raconter que vos abeilles sont mortes à cause du digestat !” »

Liliane Réveillac, médecin-radiologue, ancienne secrétaire générale de la branche lotoise de l’association France Nature Environnement, est membre très actif du tout jeune et très critique Collectif scientifique national sur la méthanisation, reçu lundi 28 janvier au cabinet du ministre de la transition écologique. S. MANDARD / LE MONDE

Liliane Réveillac, médecin-radiologue, ancienne secrétaire générale de la branche lotoise de l’association France Nature Environnement, est membre très actif du tout jeune et très critique Collectif scientifique national sur la méthanisation, reçu lundi 28 janvier au cabinet du ministre de la transition écologique. S. MANDARD / LE MONDE

Le fameux digestat, Liliane Réveillac et Jean-Louis Lasserre ont pu en récupérer après des fuites accidentelles sur plusieurs sites de stockage. Cette médecin radiologue, ancienne secrétaire générale de la branche lotoise de l’association France nature environnement, et cet ingénieur chercheur à la retraite du Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives sont des membres actifs du tout jeune et très critique Collectif scientifique national sur la méthanisation, reçu, lundi 28 janvier, au cabinet du ministre de la transition écologique.

Ils ont fait analyser le digestat par des laboratoires indépendants. Les résultats ont confirmé leurs craintes : des métaux lourds en pagaille, dont certains potentiellement cancérogènes, comme le cadmium ou l’antimoine, ainsi que plusieurs siloxanes, un composé du silicium, dont le D4, un perturbateur endocrinien et reprotoxique.

Sur son site Internet, Bioquercy publie désormais un tableau d’analyses de son digestat. Pas de traces de siloxanes, mais du plomb, du chrome, du mercure, du cuivre, du nickel, du zinc. A chaque fois en quantité « conforme » à la réglementation, précise l’industriel. « L’innocuité de notre digestat est incontestée et incontestable, insiste Fabien Haas, le directeur de l’activité biogaz chez Fonroche. On a un apiculteur qui épand du digestat et il n’a strictement aucun souci. »

« Catastrophe écologique »

L’ingénieur écologue reconnaît seulement le problème d’odeur, « un sujet très sérieux, sur lequel nous travaillons ». Le préfet du Lot, Jérôme Filippini, a pris la plume, le 10 janvier, dans l’hebdomadaire local La Vie quercynoise, pour rappeler la « vigilance constante » des services de l’Etat.

Liliane Réveillac et Jean-Louis Lasserre ne chôment pas non plus. Ils ont confié des prélèvements de terres épandues au laboratoire d’analyse microbiologique des spécialistes du sol Lydia et Claude Bourguignon. Ils observent une forte chute, après épandage de digestat, de la population de collemboles – des insectes qui constituent un bon indicateur de l’état biologique d’un sol. Ces résultats vont « à l’encontre de l’affirmation que ces digestats sont hygiénisés », relèvent les chercheurs.

Une note de l’Agence nationale de sécurité sanitaire (Anses), que Le Monde s’est procurée, arrive à la même conclusion. En janvier 2018, l’Anses a refusé l’homologation d’un digestat produit par un autre méthaniseur du groupe Fonroche, à Villeneuve-sur-Lot, après avoir mis en évidence une contamination bactériologique.

« Nous ne sommes pas contre la méthanisation, mais contre l’épandage du digestat brut liquide, alors qu’une autre option, le compostage, certes plus onéreux, existait, expliquent Liliane Réveillac et Jean-Louis Lasserre. C’est une catastrophe écologique pour les sols karstiques [calcaires] très fissurés de notre région. Il s’infiltre facilement et va polluer les eaux souterraines et contaminer nos captages d’eau potable, déjà régulièrement souillés par les effluents de l’agriculture intensive. »

Ils ne sont pas les seuls à s’inquiéter. La Confédération paysanne a déposé un recours devant le tribunal administratif de Toulouse contre un méthaniseur qu’elle juge « surdimensionné ». Et, selon nos informations, une enquête préliminaire a été ouverte à la suite de la plainte d’une habitante du village d’Alvignac après la fuite d’une poche de stockage de digestat sur sa propriété et dont elle craint qu’il termine sa course dans le réseau souterrain du très touristique gouffre de Padirac.

Plusieurs préhistoriens et paléontologues ont écrit au gouvernement (et dans une tribune au Monde) pour alerter sur les risques que font courir les épandages de digestats sur les innombrables sites archéologiques des causses du Lot : grotte ornée des Merveilles, grotte de Pradayrol, ou encore le site mésolithique du Cuzoul de Gramat. Sébastien du Fayet est propriétaire de la grotte de Foissac. Depuis des années, il constate les ravages (mousses blanches, taches noires, odeurs…) des épandages de lisier et s’attend au pire avec le digestat, plus liquide : « Tout ce qui est épandu, on le retrouve sous terre. »

A l’entrée du village de Labathude, 600 mètres d’altitude, un écriteau prévient : « Non au méthaniseur sur cette zone humide. » Avec cette mention : « Non à la dictature. » Quatre unités de méthanisation pouvant traiter jusqu’à 68 000 tonnes de déchets doivent s’installer, ici, dans le Ségala. « Le Ségala, c’est l’autoroute de l’eau. Si on déverse du digestat ici, il se retrouvera inévitablement dans la Dordogne et le Lot. »

Alain Krettly et Jean Ayrolles, qui ont installé le panneau au bout de leurs terrains, en sont convaincus. Sur une banderole, ils ont aussi écrit une équation : « Méthanisation du Ségala. 30 pour et 220 contre = autorisation préfectorale ? Stop au mépris », en référence au résultat de la consultation publique.

La méthanisation risque d’accélérer la concentration des fermes

Le digestat, la substance produite une fois le méthane extrait, peut contenir des pathogènes et permettre à des micro-organismes de devenir plus résistants. Et le digestat est épandu sur les champs comme engrais ! Au contact de l’air, le digestat libère également des molécules qui vont se transformer en gaz à effet de serre, mais aussi des polluants responsables de la pollution de l’air.

Les difficultés de ce mode de production d’énergie se révèlent dans l’air et le sol, mais aussi dans le paysage agricole. Stéphane Bodiguel, comme François Trubert, et une petite centaine d’éleveurs bretons, ont décidé de se lancer dans la méthanisation. « Entre un prix du lait non garanti qui, depuis un moment, est passé en dessous du prix de revient et un prix du gaz stable et garanti, il n’y a pas photo », dit Stéphane Bodiguel.

« L’équivalent de trois départements seront consacrés à 100 % aux cultures intermédiaires (avoine, orge, etc.) pour alimenter les méthaniseurs »

Comme lui, ils sont de plus en plus nombreux à choisir la méthanisation au détriment de l’élevage. Aux vues des faibles revenus des éleveurs, des problèmes de surendettement, de la surcharge de travail, le choix est bien compréhensible. Mais, si on sort de l’échelle individuelle pour se placer à l’échelle régionale et nationale, les conséquences actuelles et à venir du développement de la méthanisation font froid dans le dos.

Le méthaniseur, aussi appelé digesteur, se nourrit de plusieurs tonnes de substrat par jour. Le substrat se compose généralement d’une bonne part de déjections animales, suivies de cultures intermédiaires (avoine, orge, etc.), de déchets de l’agroalimentaire, de déchets verts (coupes de pelouse, de bords de route) et, parfois, de boues de station d’épuration. C’est le savant mélange de ces ingrédients qui permet de produire un maximum de méthane à réinjecter dans le réseau, mais aussi un digestat qui servira d’engrais.

La cuve déverse chaque jour 16 tonnes de substrat à l’intérieur du dôme.

La cuve déverse chaque jour 16 tonnes de substrat à l’intérieur du dôme.

Il y a encore quelques années, l’agro-industrie payait pour se débarrasser de ses déchets. « Ça allait jusqu’à 90 euros la tonne, rappelle François Trubert, éleveur et producteur de gaz près de Rennes, maintenant, elle les vend jusqu’à 20 euros la tonne. » Dans l’équation économique, ça a de quoi changer la donne et renverser une rentabilité auparavant garantie. « Moi, je refuse d’acheter des déchets, je trouve que ce n’est pas normal. »

Stéphane Bodiguel, éleveur et producteur de gaz, fait lui le choix inverse : « Il n’y a presque rien qui vient de ma ferme. J’achète du fumier à mes voisins, des déchets céréaliers, des résidus d’huile de colza et de tournesol, du marc de pomme et de citron. » Ses dépenses pour acheter des déchets explosent, mais sa production de méthane lui permet de rester bénéficiaire.

Pierre Aurousseau est un agronome à la retraite, membre du Collectif scientifique national pour une méthanisation raisonnée (CSNM). Selon lui, si on continue dans cette voie, les méthaniseurs vont se multiplier et de nombreuses terres seront consacrées à la production de cultures destinées au digesteur. « Avec le CSNM, nous avons fait le calcul à partir des projections de l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe). Si les objectifs gouvernementaux sont atteints, l’équivalent de trois départements seront consacrés à 100 % aux cultures intermédiaires (avoine, orge, etc.) pour alimenter les méthaniseurs. Et lorsque nous n’aurons plus assez de place pour les élevages, nous importerons des effluents à l’étranger. C’est ce qu’a fait l’Allemagne en achetant des effluents en Pologne. On marche sur la tête ! » Pierre Aurousseau cite à l’appui de ses propos un documentaire d’Arte diffusé en 2013. Et évoque le risque de concurrence entre les cultures pour nourrir les animaux et celles pour nourrir le digesteur.

« Notre interprétation est que cet élevage a été créé pour alimenter le digesteur en premier lieu » 

Pour Jean-Marc Thomas, porte-parole de la Confédération paysanne de Bretagne, « la méthanisation ne répond absolument pas aux besoins des agriculteurs. Le besoin premier est une juste rémunération. Le choix politique est d’aller vers la méthanisation pour trouver un complément de revenus pour ceux capables d’investir, et pas de prendre le problème à la racine : des prix trop faibles, non rémunérateurs ».

Et le choix est vite vu. Certains lâchent l’élevage au profit de la méthanisation. Une production plus rémunératrice avec un prix plancher garanti sur vingt ans, il y a de quoi être tenté. Surtout que la méthanisation ouvre de nouveaux débouchés : une partie du méthane extrait est convertie en électricité pour être réinjectée dans le réseau. Une autre, sous forme de chaleur, chauffe l’exploitation et la maison mais peut aussi créer de nouveaux débouchés prometteurs, tels qu’un atelier de séchage ou une production de spiruline, comme chez Stéphane Bodiguel. Cette microalgue réputée pour ses qualités nutritionnelles a le vent en poupe. En discutant autour d’un café et d’un chocolat à la spiruline, Stéphane se montre franc : « On n’avait pas la passion du lait et des bêtes. Aujourd’hui, ce qui m’intéresse et me passionne, c’est la méthanisation et la spiruline. Je vis avec mon temps. » Cette diversification heureuse de son exploitation pose tout de même question. Si tous les éleveurs font le même choix, que restera-t-il ?

Le méthaniseur, reconnaissable à son dôme, rejette dans cette cuve le digestat, qui sera ensuite épandu dans les champs comme engrais.

Le méthaniseur, reconnaissable à son dôme, rejette dans cette cuve le digestat, qui sera ensuite épandu dans les champs comme engrais.

Une interrogation renforcée par certains projets de méthanisation qui font de l’élevage d’abord un fournisseur d’effluents. Ainsi, un méthaniseur d’une puissance de 1,2 MW a été inauguré en juin 2018 à Montauban-de-Bretagne, à 35 km de Rennes. Cette installation est alimentée par les effluents d’une quinzaine d’exploitations avoisinantes. Ce qui a mis la puce à l’oreille d’Eaux et rivières de Bretagne est que, une fois le projet monté, une demande d’autorisation pour la création d’un élevage de 144.000 poulets a été déposée et acceptée. L’alimentation du digesteur fait entièrement partie du modèle économique de l’exploitation. « Notre interprétation est que cet élevage a été créé pour alimenter le digesteur en premier lieu », explique Marie-Pascale Deleume, membre du groupe méthanisation de l’association. Un sentiment renforcé par l’absence de plan d’épandage pour l’exploitation et le méthaniseur. En effet, toute exploitation doit avoir un plan d’épandage : des terres pour épandre ses effluents à des périodes et selon des quantités définies par la réglementation. Mais rien dans le cas présent. Étonnée, l’association a interpellé les autorités, qui ont expliqué que le digestat produit par le méthaniseur serait épandu sur les terres d’agriculteurs voisins. « On voit donc, reprend Marie-Pascale Deleume, que ce méthaniseur n’est pas destiné à améliorer les systèmes des exploitations, mais à produire du gaz. Puis on s’arrange pour le digestat. »

Cette inversion des logiques avait déjà été dénoncée dans le cas emblématique de la ferme-usine des Milles Vaches. Grâce aux subventions et au prix garanti pour le rachat du gaz, la méthanisation était devenue l’activité principale, à partir des effluents des bovins, et la production de lait, une activité secondaire.

Et Pierre Aurousseau, agronome retraité va même plus loin : « Avec une méthanisation rentable, il sera possible de tirer les prix de vente des porcs et du lait vers le bas. Ce qui va accélérer la disparition des fermes les plus fragiles et accroître la concentration des autres. » Si une exploitation tire son chiffre d’affaire de la méthanisation, à quoi bon se battre pour des prix élevés sur la partie élevage de l’activité ? À l’inverse, pourquoi pas tirer ces prix vers le bas et prendre de nouvelles parts de marché ? Sauf qu’à ce jeu, ceux qui vivent de l’élevage ne pourront pas s’aligner sur des prix tirés à la baisse, des prix déjà en-dessous du prix de revient. Ils seront poussés, par la force des choses, à mettre la clef sous la porte. De quoi libérer des terres, intéressantes à racheter pour agrandir des exploitations existantes.

La méthanisation devrait s’adapter aux moyens et à la taille de la ferme, et pas le contraire

Malgré les nombreuses limites soulignées tout du long de cette enquête, les acteurs les plus critiques se montrent également, pour certains, optimistes. Il en va ainsi de Daniel Chateigner, chercheur physicien à l’École nationale supérieure (ENS) d’ingénieurs de Caen et membre du CSNM, avec Pierre Aurousseau. « Plus je fouille cette question de la méthanisation et plus je me dis qu’il faut en profiter mais seulement si on utilise de vrais déchets. » Mais, pour le moment, les études sur les conséquences environnementales et sanitaires manquent.

François Trubert, éleveur ayant investi dans la méthanisation, fait à sa façon figure de modèle. « S’il n’y avait pas eu la méthanisation, dit-il, la ferme n’existerait plus aujourd’hui, à cause de la surcharge de travail et du prix du lait. Aujourd’hui, j’ai davantage de revenus, j’ai embauché, j’ai acheté un robot de traite et j’ai trois week-ends par mois. Et puis, surtout, ma ferme est beaucoup plus autonome. Je n’achète presque plus d’engrais, la rotation des cultures est bien rodée : ma ferme est une économie circulaire. »

Comme Bruno Mahé, de l’agence locale de l’énergie des Ardennes, l’expliquait à Reporterre en 2014 : « La méthanisation doit s’adapter aux moyens et à la taille de la ferme, et pas le contraire. » Des inquiétudes palpables pas plus tard que fin décembre 2018, lorsque la Confédération paysanne a envahi un site dans la Sarthe où doit s’implanter un méthaniseur. Le syndicat dénonce « les dérives de la méthanisation et d’un modèle industriel qui accaparent des terres, gaspillent des productions qui ne servent plus qu’à alimenter des méthaniseurs et non à nourrir des animaux ». Avant de prêcher pour « une méthanisation qui s’inscrive dans un projet qui rémunère les paysan-ne-s, leur permette de vivre de leur métier, et ce sans avoir besoin d’accaparer des terres. Face à la course en avant des pouvoirs publics, nous demandons que les aides publiques consacrées à la méthanisation soient plafonnées et dégressives ».

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commentaires

B
Merci pour vos articles
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B
Merci pour vos articles
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D
Article très complet. Pour aller plus loin: https://twitter.com/CSNM9
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