Selon une étude exclusive Elabe-Mutuelle familiale, 97 % des sondés associent dégradation de l’environnement et explosion des maladies chroniques. D'après Stéphane Guérard, suivi d’un entretien réalisé par Alexandra Chaignon avec André Cicolella, Président du Réseau Environnement santé le vendredi 21 Septembre 2018 pour l’Humanité. Lire aussi « Les cobayes lancent l’alerte » : appel pour la marche « vérité et justice » pour la santé environnementale.
Bisphénols, phtalates, parabènes, glyphosate, particules fines, CFC, méthane, métaux lourds, nitrates… inconnus du plus grand nombre, il y a encore quelques années, ces noms barbares de perturbateurs endocriniens, pesticides et autres polluants de l’air, des sols et des eaux, ont désormais leur place dans les dictionnaires. Un signe parmi d’autres du fait que ces vecteurs de dégradation de notre environnement sont entrés dans le quotidien des Français. L’enquête d’opinion menée par l’institut Elabe pour la Mutuelle familiale, en partenariat avec le Réseau Environnement santé, que nous révélons ici, vient formaliser ce ressenti.
La malbouffe mise en cause
Pour 97 % de nos concitoyens (69 % en sont certains, 28 % le jugent probable), le lien est désormais établi entre qualité de l’environnement et santé. L’opinion est très largement partagée, du cadre et professions intermédiaires (76 % certains) aux employés et ouvriers (63 %), du Parisien (75 %) aux habitants de communes rurales (64 %). Un niveau de certitude qui atteint même 80 % parmi les gens souffrant de maladie chronique.
« On voit rarement une telle quasi-unanimité sur d’autres sujets de société, souligne Bernard Sananès, président de l’institut Elabe. Le niveau de maturité sur le lien entre santé et environnement est élevé, voire très élevé. Certains débats lors de la dernière élection présidentielle ont pu concourir à cette prise de conscience. Mais le premier vecteur de sensibilisation a trait à l’alimentation. » D’ailleurs, la malbouffe est identifiée comme la deuxième cause de maladies et de décès, juste derrière la pollution chimique, dont les perturbateurs endocriniens. Et la qualité des produits alimentaires est le premier domaine préconisé par les Français pour réduire la mortalité et les maladies chroniques, devant l’environnement et les conditions de travail. Les actions contre la pollution de l’air, contre la sédentarité ou en faveur d’une meilleure qualité des produits du quotidien, sont citées à un moindre degré comme des vecteurs d’amélioration, devant la lutte contre la pollution des sols, de l’eau et la qualité de l’habitat.
Si les solutions désignées sont multifactorielles, les acteurs d’une meilleure prise en compte de la santé environnementale sont clairement pointés. Au premier rang se trouvent les « industriels et producteurs », « les individus, chacun d’entre nous » et les « professionnels de santé ». « Comme à chaque étude consacrée à l’environnement, pour les Français, la responsabilité est collective. Il y a ceux à la source des problèmes sanitaires et environnementaux, ceux qui traitent des conséquences et les citoyens consommateurs qui ont une responsabilité dans leurs choix », relève Laurence Bedeau, d’Elabe. Le gouvernement et les agences de sécurité sanitaire arrivent juste après dans ces réponses à choix multiples. Signe que les Français attendent beaucoup de ceux qui peuvent prendre des décisions. C’est bien là que le bât blesse.
La semaine prochaine, l’Assemblée générale de l’ONU s’apprête à reprendre les objectifs fixés par l’Organisation mondiale de la santé : réduction de 30 %, d’ici à 2030, de la mortalité prématurée due à des maladies chroniques et arrêt de la progression du diabète et de l’obésité. La France devrait signer ces objectifs. Les maladies chroniques, très souvent liées à des causes environnementales, représentent déjà 60 % des dépenses de santé de la Sécurité sociale. Mais elle a déjà prévu de ne pas s’y conformer. Le plan santé dévoilé par Agnès Buzyn ne contient pas une ligne sur la santé environnementale. Quant à la loi alimentation, en instance d’adoption parlementaire, elle n’a pas avancé sur la transformation du modèle agricole productiviste français. D’ailleurs, le ministre de l’Agriculture a de nouveau bloqué, il y a une semaine, un amendement imposant la fin de l’utilisation du glyphosate d’ici trois ans.
Refus de la fatalité
Les ONG environnementales, associations de patients ou acteurs de santé ont donc encore du pain sur la planche pour que le système de santé intègre ces enjeux. « À la Mutuelle familiale, nous sommes aux premières loges de l’augmentation des maladies chroniques. Mais nous n’acceptons pas cette fatalité ou le discours de culpabilisation des malades. Nous avons un rôle à jouer », souligne sa présidente, Léonora Trehel. La Mutuelle organise donc, avec le Réseau Environnement santé, ce vendredi matin, au Conseil économique, social et environnemental, un colloque sur les coûts de l’action et de l’inaction.
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André Cicolella « On est en situation de crise sanitaire »
Face à l’explosion des maladies chroniques, André Cicolella attend que les politiques agissent enfin sur les causes.
Le lien entre qualité de l’environnement et santé est fait par 97 % des Français. La bataille de l’opinion semble gagnée ?
André Cicolella J’ai été surpris, je ne m’attendais pas à un tel score ! Il y a encore dix ans, la santé environnementale, ça ne parlait pas aux gens. On sent bien qu’il y a une prise de conscience, qui s’explique par la croissance des maladies chroniques. Lesquelles sont à l’origine de l’explosion des dépenses de santé. C’est le fond du problème. Prenez l’infertilité. Cette question est une vraie préoccupation, notamment chez les jeunes parents, qui s’inquiètent pour la santé de leurs enfants. L’OMS, depuis 2006, parle d’épidémie mondiale de maladies chroniques et s’attend à « une mise en péril du système d’assurance-maladie ». Pour moi, on est en situation de crise sanitaire…
L’AG des Nations unies organise, fin septembre, une réunion sur ce thème des maladies chroniques. Cela va dans le bon sens ?
André Cicolella Oui. Et, cette fois, devraient être adoptés des objectifs quantifiés, comme la baisse de 30 % de mortalités prématurées d’ici à 2030. C’est important, car c’est un enjeu sanitaire, social, économique et politique.
La France va signer ces objectifs… qu’elle n’appliquera pas ! Le plan santé n’en parle pas…
André Cicolella Il y a une contradiction. La France va voter un texte qu’elle n’appliquera pas. Certes, la France a pris le leadership européen sur la question des perturbateurs endocriniens, et c’est une bonne chose. Certes, la France s’est dotée d’une stratégie nationale sur le sujet. Mais il y a un problème de financement. En outre, c’est encore une chose de dire qu’on s’engage à réduire la mortalité prématurée…
Quels sont les leviers qu’il faudrait mettre en place ?
André Cicolella Il faut refonder notre politique de santé. Il est nécessaire de soigner, mais il faut aussi se préoccuper d’agir avant. Il faut donc construire une politique s’attaquant à ces causes, qui sont en grande partie identifiée. C’est transformer le mode de production agricole ; c’est arrêter le tout-plastique ; c’est repenser notre système de normes, qui est obsolète… De son côté, la société civile, elle, a mûri, elle est prête. C’est le message donné par le sondage. Aux politiques de faire des propositions.
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