821 millions de personnes sont sous-alimentées ou en manque chronique de nourriture, selon un rapport de la FAO publié le 11 septembre 2018. D'après Rémi Barroux pour Le Monde.
Sécheresses en Afrique, inondations et tempêtes en Asie… Les dérèglements climatiques de plus en plus nombreux et intenses affectent la capacité des populations à se nourrir, et menacent les progrès qui avaient été réalisés dans la lutte contre la faim dans le monde depuis le début des années 2000, constate l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), dans un rapport publié mardi 11 septembre. Avec les conflits et les crises économiques, la « variabilité du climat » et ses phénomènes extrêmes sont une des principales causes de la sous-nutrition et de l’insécurité alimentaire dans le monde, selon la FAO.
Or le nombre d’habitants de la planète souffrant de la faim est en progression pour la troisième année d’affilée, et retrouve son niveau d’il y a dix ans. « Le nombre total de personnes sous-alimentées est passé de 804 millions en 2016 à près de 821 millions en 2017 », avance l’étude, publiée avec le concours du Fonds international de développement agricole, de l’Unicef, du Programme alimentaire mondial et de l’Organisation mondiale de la santé.
L’objectif de développement durable (ODD) numéro 2, « faim zéro » à l’horizon 2030, adopté en septembre 2015 par les Nations unies, apparaît donc inatteignable. Au nombre de dix-sept, les ODD visent à assurer un avenir durable pour tous, et concernent l’éducation, la santé, l’agriculture, la lutte contre la pauvreté, l’énergie, l’eau… « Nous sommes extrêmement préoccupés, déclare Dominique Burgeon, directeur de la division des urgences à la FAO. On craignait l’an dernier que cette évolution ne devienne une tendance. Nos craintes se sont révélées exactes. »
« Il faut promouvoir des solutions de long terme »
Le message tombe à la veille de la 73e session de l’Assemblée générale des Nations unies, qui s’ouvrira à New York le 18 septembre. La FAO appelle à des « financements de grande ampleur en faveur de programmes de réduction et de gestion des risques de catastrophe et d’adaptation au changement climatique ». C’est aussi la question de l’aide humanitaire aux pays confrontés aux crises climatiques qu’il faut revoir, selon l’organisation. « Il faut faire de l’humanitaire de façon différente, affirme Dominique Burgeon. Après une catastrophe, les vies doivent certes être sauvées, mais cela ne suffit pas. Au-delà de l’urgence, il faut promouvoir des solutions de long terme, atténuer la vulnérabilité des pays touchés. »
Le constat est sans appel. Inondations, sécheresses et tempêtes tropicales sont les risques qui ont le plus d’incidence sur la production alimentaire. Le réchauffement climatique est directement en cause – même si la FAO prend la précaution de préciser que tout ne peut lui être imputé. Il influe sur la variabilité du climat, « qui se manifeste par un début précoce et/ou un raccourcissement de la saison de végétation », accroît l’intensité des événements, y compris les températures extrêmes (chaudes ou froides) et les variations des précipitations, partout dans le monde. « En 2017, 124 millions de personnes, dans 51 pays, ont été confrontées à des crises de sécurité alimentaire aiguës et ont eu besoin d’une aide alimentaire d’urgence. Dans 34 de ces pays, la cause principale était liée au choc climatique », explique Dominique Burgeon.
Selon la FAO, les inondations provoquent plus de catastrophes que les autres événements climatiques extrêmes. Ce sont elles qui ont connu la plus forte augmentation (+ 65 %) depuis vingt-cinq ans. L’Asie est la région qui en subit le plus. Ces phénomènes ont en revanche diminué en Afrique depuis une douzaine d’années. La fréquence des tempêtes océaniques et des cyclones tropicaux n’a pas autant augmenté que celle des inondations, mais ils représentent la deuxième cause de catastrophes liées au climat.
Le document cite de nombreux exemples illustrant les interactions entre dérèglement climatique et progression de la sous-nutrition. A Wenchi, au Ghana, les agriculteurs estiment que la mauvaise répartition des précipitations et les sécheresses fréquentes sont les changements liés au climat les plus importants. Au Vietnam, dans le delta du Mékong, les variations de date et d’ampleur de la submersion en saison des pluies ainsi que l’invasion d’eau salée en saison sèche ont une incidence sur la culture du riz. Les catastrophes liées au climat au Pakistan (cyclone en 2007 et inondations en 2007, 2010 et 2011) ont occasionné des dommages et des pertes d’un montant de 6,6 milliards d’euros, un chiffre quatre fois supérieur au budget que l’Etat pakistanais a consacré au secteur agricole entre 2008 et 2011.
« Il faut promouvoir des agricultures paysannes et familiales »
« Au Malawi, une hausse de température de 1 degré Celsius fait reculer la consommation globale par habitant d’environ 20 % et la ration calorique de près de 40 % », détaille le rapport. Moindre qualité nutritionnelle, maladies pour les personnes et pour le bétail, retards de croissance sont aussi pointés par la FAO. En Afrique de l’Est, plus de la moitié des manifestations d’El Niño se sont accompagnées d’une flambée épidémique d’une maladie virale transmise aux animaux d’élevage, la fièvre de la vallée du Rift. « En 2006 et 2007, une épidémie dans le nord-est du Kenya a tué plus de 420 000 moutons et chèvres, et les pertes de lait prévues ont été estimées à plus de 2,5 millions de litres en raison des avortements subis par le bétail et les dromadaires », notent les auteurs.
Avant de mettre l’accent sur les conséquences du changement climatique, la FAO s’était intéressée en 2017 à l’influence des conflits sur la malnutrition. « Les deux problèmes sont souvent liés, avec des conséquences sur l’accès aux terres, à l’eau, aux pâturages. Sans ces problèmes d’accès aux ressources et de pertes de récoltes, la planète pourrait largement fournir de quoi nourrir tout le monde », insiste Dominique Burgeon.
Cet accès limité à la nourriture, « et en particulier à des aliments bons pour la santé », contribue aussi bien à la dénutrition qu’à l’excès pondéral et à l’obésité. Alors que le nombre d’enfants de moins de 5 ans avec un excédent pondéral reste à peu près stable, à 38 millions, soit un enfant sur cinq, l’obésité chez les adultes s’aggrave, un sur huit étant touché dans le monde, soit plus de 672 millions de personnes. Le risque d’insécurité alimentaire et de malnutrition augmente surtout parmi les populations les plus pauvres, alerte la FAO, leurs moyens d’existence étant particulièrement sensibles à la variabilité du climat.
Dès la publication du rapport, l’ONG Oxfam France a plaidé pour que les responsables politiques s’attaquent aux causes structurelles de la faim. Selon Hélène Botreau, chargée du plaidoyer sur la sécurité alimentaire à Oxfam France, « il faut promouvoir des agricultures paysannes et familiales, dont on sait qu’elles permettent de nourrir l’humanité, et garantir des financements aux pays les plus pauvres afin de permettre leur adaptation au changement climatique ».
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