Dans un rapport remis jeudi 5 juillet 2018, une commission d’enquête recommande de renforcer la sécurité des centrales, notamment en encadrant mieux le travail des sous-traitants. D'après Nabil Wakim et Pierre Le Hir le 5 juillet 2018 pour Le Monde. Lire aussi Pour l'arrêt des nucléaires civils et militaires ... avant qu'il ne soit trop tard et Nucléaire : des réacteurs menacés par la rouille.
Un drone envoyé par Greenpeace au-dessus de la centrale nucléaire de Bugey, près de Lyon, le 3 juillet. NICOLAS CHAUVEAU / GREENPEACE VIA REUTERS
Le télescopage n’est pas fortuit. Alors que la commission d’enquête parlementaire sur la sûreté et la sécurité des installations nucléaires, mise en place à l’initiative de la députée (La République en marche) de la Somme Barbara Pompili, rend ses conclusions jeudi 5 juillet, un drone habillé du costume de Superman et piloté par des militants de Greenpeace a survolé, mardi 3 juillet au matin, la centrale du Bugey (Ain), avant de se « crasher » contre le mur de la piscine d’entreposage de combustible usé.
Cette commission a justement été créée après un rapport de l’ONG qui, en octobre 2017, alertait sur les failles dans la sécurité des centrales atomiques françaises et, plus particulièrement, de leurs piscines de combustibles usés. Dans son rapport, la commission ne révèle pas de faits nouveaux mais elle déroule une longue liste d’interrogations et de doutes sur les difficultés du parc nucléaire.
« Il y a une conscience du risque et certaines leçons de [la catastrophe de] Fukushima [en mars 2011] ont été tirées », a expliqué au Monde la rapporteure Barbara Pompili, ancienne membre d’Europe Ecologie-Les Verts (EELV). « Mais le parc nucléaire français comporte plus de fragilités que je ne le pensais », s’inquiète la présidente de la commission du développement durable à l’Assemblée nationale, qui s’est notamment rendue à Fukushima avec certains de ses collègues. « Il s’agit d’un débat politique, et ces questions ne sont pas assez posées collectivement », ajoute-t-elle.
Le rapport est d’ailleurs remis au président de l’Assemblée nationale, François de Rugy, au moment où le gouvernement prépare une première version de la nouvelle programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE), qui doit notamment fixer les équilibres entre renouvelables et nucléaire pour les dix ans à venir.
Au terme de ce travail, les centrales nucléaires sont-elles jugées sûres ? Le rapport ne répond pas de façon tranchée à cette question. Il pointe plutôt une série de fragilités.
Des centrales qui ne sont pas à l’abri du risque terroriste
« Les installations nucléaires françaises semblent souffrir d’une faille originelle à laquelle il sera difficile de remédier : elles n’ont pas été conçues pour résister à une agression de type terroriste », écrit le rapport.
Malgré les auditions de plusieurs hauts gradés, les parlementaires se sont souvent heurtés au « secret défense » et n’ont pu accéder à un certain nombre d’informations. La question de la résistance des piscines d’entreposage n’a ainsi pas obtenu de réponse définitive ; les tests menés par l’armée sur la solidité de leurs murs en cas d’attaque terroriste ont été jugés rassurants mais n’ont pas été détaillés.
Devant les députés, le directeur général d’Orano (ex-Areva), Philippe Knoche, a également précisé certaines des menaces les plus graves pesant sur le parc : la chute d’un avion, le risque d’intrusion et le risque de sabotage interne. Les militaires auditionnés ont souligné le caractère hautement improbable de la chute d’un gros-porteur sur une centrale. En l’absence d’informations détaillées, la commission se contente de recommander la présence « au minimum de quatre gendarmes sur un site à tout instant par réacteur nucléaire ».
Elle s’inquiète également des risques pesant sur le transport des matières radioactives. Les 1 000 à 1 500 convois autorisés à circuler en France chaque année empruntent trop souvent les mêmes itinéraires aux mêmes horaires, estiment les députés, qui recommandent de modifier régulièrement ces trajets pour diminuer le risque d’attaques.
Le problème de la sous-traitance
Cela avait été l’une des conséquences directes de l’accident de Fukushima : la France s’était engagée à limiter le nombre de sous-traitants intervenant dans la filière nucléaire. Mais, note le rapport, « malgré l’adoption de nouvelles normes (…), des failles demeurent en matière de sûreté et de sécurité » dans ce domaine.
La filière emploie près de 220 000 salariés, dont 160 000 travaillent pour des sous-traitants. Selon le directeur général de l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN), Jean-Christophe Niel, auditionné par la commission, EDF sous-traite « 80 % de la maintenance sur le gros matériel ». Des données qui inquiètent les syndicats du groupe public ; ces derniers estiment que l’entreprise à trop tendance à externaliser certaines tâches essentielles. Ces sous-traitants sont particulièrement mobilisés lors des arrêts de tranche, lorsque le risque de radioactivité est le plus élevé.
Si le recours à des sous-traitants n’est pas en lui-même porteur de risque, son usage systématique comporte des dangers, souligne la commission d’enquête. « La sous-traitance entraîne la dilution des responsabilités. Il y a moins de vigilance, une perte de compétences, et cela entraîne des failles dans la culture de sûreté », estime Barbara Pompili, qui rappelle que, lors de la catastrophe de Fukushima, les sous-traitants avaient quitté les lieux immédiatement.
La commission souligne que la sous-traitance est une variable d’ajustement pour EDF ou Orano (ex-Areva), mais que « la recherche du moins-disant économique affecte indubitablement la sûreté des installations ».
Elle propose de mieux protéger les personnels concernés par la mise en place d’une convention collective, « un statut commun à l’ensemble des salariés des entreprises sous-traitantes travaillant dans le domaine nucléaire et opérant en zone contrôlée ». Elle demande aussi un contrôle plus strict des règles de la sous-traitance et une précision de l’attitude à adopter par les salariés en cas d’accident.
Reposer la question de la gestion des déchets
La France, qui pratique le retraitement (le combustible nucléaire, après avoir été « brûlé » dans la réaction de fission, est en partie recyclé en combustible neuf), a choisi de mettre à refroidir le combustible usé, pendant plusieurs années, dans des piscines d’entreposage, situées près de chaque réacteur et à La Hague (Manche). Ces installations contiennent au total près de 15 000 tonnes de combustible.
La commission estime que la possibilité alternative d’un entreposage à sec, adoptée par la plupart des pays – qui ne procèdent pas au retraitement –, « doit être approfondie », dans la mesure où cette solution, non tributaire d’une alimentation en eau froide et en électricité, offre une meilleure sûreté « passive ».
Elle « préconise d’envisager, chaque fois que possible, le refroidissement à sec des combustibles usagés ». Plus largement, elle invite à s’interroger sur « la pertinence » du retraitement réalisé par Orano, qui « constitue une quasi-exception française » et qui « conduit à une multiplication des transports de matières radioactives ».
Constatant par ailleurs les difficultés rencontrées par EDF pour démanteler ses anciens réacteurs, notamment les six unités à graphite-gaz dont la « déconstruction » a été reportée au début du siècle prochain, elle demande à EDF de « publier un programme prévisionnel des réacteurs à démanteler avec les coûts et les dates estimées », ainsi que d’en provisionner les charges réacteur par réacteur, et non de façon globale.
Améliorer le contrôle de la filière nucléaire
La Commission d’enquête recommande également de renforcer le rôle de l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN). Elle propose de la doter de compétences dans le domaine de la sécurité, pour participer à la prévention du risque terroriste. Autre préconisation : allouer un budget supplémentaire au gendarme du nucléaire pour mieux traquer les fraudes, après le scandale des falsifications survenues à l’usine du Creusot (Saône-et-Loire) d’Orano.
Mais la commission souhaite aussi créer une « délégation parlementaire au nucléaire civil dont les membres auraient accès aux informations classifiées ». Une manière de souligner la difficulté pour les élus d’accéder à des données « secret défense », mais aussi d’obtenir des informations qu’EDF a parfois rechigné à donner.
L’électricien ne sera pas le seul à déplorer les conclusions de ce rapport. Les élus Les Républicains de la commission se sont désolidarisés du texte, qu’ils jugent « malhonnête intellectuellement » et qu’ils accusent d’être « un procès contre la filière nucléaire ».
commenter cet article …