Malgré un hiver « normal », le littoral français continue à reculer alors que les premières évacuations ont débuté il y a 5 ans. A Lacanau, les autorités étudient l’option du « repli stratégique » et de la relocalisation d’une partie des habitants, qui constituerait une première en France. D’après Patricia Jolly le 6 mars 2018 pour Le Monde. Lire aussi Le sable de la discorde en baie de Lannion.
Le bilan que l’Observatoire de la côte aquitaine (OCA) a rendu public, le 1er mars, est rédigé en termes faussement rassurants. L’hiver 2017-2018 a été jusqu’ici « normal », estime-t-il, et les marées à fort coefficient du début du mois ne devraient éroder le littoral aquitain que dans des « proportions » couramment observées en cette saison. Mais les remarques de cet organisme, qui scrute l’évolution morphologique des côtes de la région depuis plus de vingt ans, soulignent une relative accalmie plutôt qu’ils n’incitent à l’optimisme.
Submersion marine, abaissement du niveau des plages, grignotage des dunes et effondrement des falaises… Sous les coups de boutoir des éléments parfois amplifiés par le changement climatique, le « trait de côte » – limite maximale atteinte par la mer sur le rivage dans des conditions météorologiques normales ou extrêmes – recule en effet inexorablement. Selon le ministère de la transition écologique et solidaire, 26 kilomètres carrés de territoire métropolitain ont ainsi disparu entre 1949 et 2005, soit l’équivalent de 3 100 terrains de rugby.
« Deuxième région littorale la plus attractive en France, la côte aquitaine est aussi la deuxième façade métropolitaine la plus affectée par l’érosion », note Vital Baude, conseiller régional Europe Ecologie-Les Verts et délégué au littoral de la région Nouvelle-Aquitaine. Sur ses 240 km de côtes sableuses qui courent de l’estuaire de la Gironde à l’embouchure de l’Adour, le recul atteint en moyenne 1,70 m à 2,50 m par an, selon un rapport de l’OCA de décembre 2016. Certains épisodes hivernaux sont plus impressionnants : les tempêtes qui ont frappé la France le 28 décembre 2017, puis le 1er et le 4 janvier, ont provoqué localement un recul pouvant atteindre
Le retrait général de la côte sableuse sur le littoral aquitain devrait être « d’environ 20 m d’ici 2025 et même davantage par la suite selon la puissance des vagues et la fréquence des tempêtes », prévient Cyril Mallet, ingénieur en risques côtiers au Bureau de recherches géologiques et minières et chef de projet littoral pour l’OCA. Ces estimations pourraient même être revues à la hausse, car le changement climatique favorise la montée du niveau de l’océan qui se conjugue aux phénomènes d’érosion.
La protection des dunes par une méthode active dite « douce », en installant des palissades de bois et en déposant des branchages afin d’empêcher le sable de s’envoler et les gens de les piétiner, est plus que jamais de mise. Mais il faut aussi assurer celle des biens et des personnes. Or l’Insee estime que les 26 départements littoraux métropolitains devraient concentrer 43 % de la croissance démographique de la France métropolitaine d’ici 2040, avec près de 4 millions de nouveaux résidents.
Dans cette optique, le groupement d’intérêt public Littoral aquitain – adossé à l’OCA – a mis en place en 2012 une stratégie régionale de gestion du trait de côte et a invité chaque collectivité concernée à esquisser un plan pour prévenir l’érosion et préparer le déplacement des populations vers l’intérieur des terres sans tarder.
A Soulac-sur-Mer (Gironde), les vagues ont détruit le bâtiment du club de surf local, le 6 janvier 2014. JEAN-PIERRE MULLER - AFP
Un travail de Sisyphe
Née au début du XXe siècle et développée dans les années 1960-1970 par la mission interministérielle pour l’aménagement de la côte aquitaine, la commune de Lacanau n’a, aujourd’hui, quasiment plus de plage à marée haute l’hiver. Elle ne s’est pas fait prier pour coopérer. Les dépressions météorologiques qui se sont succédé durant l’hiver 2013-2014 ont particulièrement affecté son front de mer, le trait de côte ayant reculé de 10 à 20 m par endroits. Le mauvais temps a détruit les enrochements érigés en rempart contre les vagues, tranche par tranche, depuis la fin des années 1970 et jusqu’au milieu des années 1990.
« Ça a été le cadeau empoisonné de mon début de mandat », se souvient Laurent Peyrondet, maire (MoDem) de Lacanau depuis 2014. La réfection de l’ouvrage et la restructuration des accès à la plage, entreprises dès le printemps 2014 grâce à une procédure d’urgence, ont coûté 3,5 millions d’euros financés aux trois quarts par la commune.
« Ce mur est solide mais ne suffira pas à nous protéger jusqu’en 2040 », prédit l’élu, conscient que pour gérer le risque local d’ici à 2100, deux scénarios principaux s’offrent désormais. Soit poursuivre une « lutte active et dure » contre l’océan en continuant à renforcer le front de mer par des enrochements et des apports réguliers de sable – un travail de Sisyphe. Soit se résoudre à « relocaliser ».
Comme quatre autres communes pilotes de la côte aquitaine, Lacanau étudie donc l’option du « repli stratégique », qui constituerait une première en France. « Le ministère parle plutôt aujourd’hui de recomposition spatiale, précise Martin Renard, responsable de l’urbanisme à la mairie. Car il ne s’agit pas de reconstruire plus loin à l’identique, mais de repenser l’aménagement du territoire afin d’équilibrer l’économie. »
« Actions sans regrets »
La station balnéaire a défini son « périmètre vulnérabilité » : 1,3 km de bande côtière sur 200 à 300 m de large concentre 20 % des résidences secondaires et la majorité des activités commerciales du secteur. La valeur des 1 200 logements et de la centaine de commerces sis sur la zone a été estimée à 302 millions d’euros. « Mais en l’état actuel du droit, il faudrait au moins 300 millions d’euros supplémentaires pour gérer la relocalisation des biens concernés », calcule M. Renard. Un débours impossible pour ce gros bourg de 5 000 habitants – 50 000 en été –, au budget annuel de 20 millions d’euros.
« Nous sommes au bout de nos capacités de réflexion et de financement, poursuit M. Renard. Les réponses à nos questions sont désormais du ressort de l’Etat et même de l’Europe. Il faut faire évoluer le cadre juridique. » Et convaincre tous les administrés.
Pour Alain Crombez, président de l’Association des propriétaires et des locataires de Lacanau-Océan, le scénario de relocalisation est trop « sévère ». « On paie aujourd’hui la façon dont la mission interministérielle pour l’aménagement de la côte aquitaine, donc l’Etat, a développé la station balnéaire dans les années 1960-1970, rappelle-t-il. A lui de nous aider à entretenir et à maintenir les protections existantes. »
M. Crombez souhaite également que la métropole bordelaise mette la main à la poche. Distante d’à peine plus de 40 kilomètres de la capitale de la Gironde, Lacanau-Océan est en effet la plage de Bordeaux qui « sature », explique-t-il. Le débat sur la surfréquentation et l’éventuel « repli » n’empêchera pourtant pas le démarrage imminent d’un projet de construction de 15 appartements sur le front de mer. « Les permis de construire ont été délivrés en 2013 alors que la législation le permettait encore », plaide M. Peyrondet. Depuis 2017, s’il prévoit encore le développement économique « a minima et en fonction des besoins », le plan d’urbanisme de Lacanau n’autorise plus que l’édification d’installations « temporaires et à caractère réversible ».
Faute de pouvoir réellement arbitrer pour l’heure, la municipalité envisage de s’« adapter » au travers d’« actions sans regrets ». Comme faire reculer les parkings pour rendre l’espace à la nature. Le Surf Club de Lacanau, installé depuis 1968 près du rivage, n’est pas opposé à quelques ajustements. « Compte tenu de l’érosion, avoir une maison de la glisse les pieds dans l’eau est devenu un luxe, concède son président, Laurent Rondi, qui participe aux concertations. Faire quelques centaines de mètres planche sous le bras ne nous empêcherait en rien de fonctionner. »