Le texte, élaboré par des juristes internationaux, va être présenté au chef de l’État samedi à l’issue de débats à la Sorbonne. Par Simon Roger le 24 juin 2017 pour Le Monde.
Jamais le Conseil constitutionnel n’avait accueilli un panel aussi international. Vendredi 23 juin, cinquante juges, avocats et professeurs de droit, venus du Brésil, d’Argentine, du Canada, des États-Unis, d’Inde, du Pakistan, de Chine, de Turquie, du Cameroun, de Russie ou de l’Union européenne, se sont réunis à huis clos dans le grand salon qui surplombe le jardin du Palais-Royal, à Paris. Ils étaient là pour une journée de travail sous l’autorité du président du Conseil, Laurent Fabius, et de l’avocat au barreau de Paris et président de la commission environnement du Club des juristes, Yann Aguila.
Depuis plus de six mois, les deux hommes, associés à des experts de quarante nationalités, font cause commune pour faire émerger un « pacte mondial pour l’environnement », dont le projet a été affiné jusqu’en début de soirée. Ce texte, qui aurait valeur obligatoire, pourrait compléter l’édifice juridique constitué par les deux pactes internationaux adoptés par les Nations unies en 1966 : l’un est relatif aux droits civils et politiques, l’autre concerne les droits économiques, sociaux et culturels. Le droit international de l’environnement est aujourd’hui fragmenté en dizaines de conventions thématiques.
Samedi 24 juin, le document d’une trentaine d’articles sera remis à Emmanuel Macron, qui devait clôturer les débats à la Sorbonne. Parmi les personnalités attendues, l’ancien secrétaire général de l’ONU Ban Ki-moon et l’acteur Arnold Schwarzenegger. L’ex-gouverneur de Californie, près d’un mois après la sortie des États-Unis de l’accord de Paris, a rencontré le président français vendredi, et appelé chacun à la « croisade environnementale ».
« Double échec »
Le pacte mondial pour l’environnement « est un texte de compromis, à la fois solide et réaliste, posant des principes généraux et transversaux qui doivent s’appliquer au droit environnemental », résume Laurent Fabius, dans une formulation qui fait indiscutablement penser au « texte de compromis » de l’accord de Paris sur le changement climatique, scellé en décembre 2015.
Car c’est autant le président en exercice du Conseil constitutionnel que l’ancien président de la COP21 qui a donné rendez-vous aux juristes du monde entier. Pour les besoins de cette session inédite, le salon était équipé de douze écrans de contrôle, sur lesquels les participants pouvaient consulter à tout moment les correctifs apportés au projet de texte, et les discussions, alternant entre le français et l’anglais, renforçaient encore l’impression d’assister à la réunion de travail d’une institution onusienne.
A la tête du Conseil depuis mars 2016, M. Fabius s’est rapproché assez vite du Club des juristes, un groupe de réflexion français auteur d’un rapport pendant la COP21 sur les devoirs des États et les droits des individus en matière environnementale.
Le droit international de l’environnement est marqué par un « double échec », soulignent les auteurs du rapport : échec du processus d’élaboration du droit, lié à la lenteur des négociations diplomatiques à 195 pays ; échec dans son application, en l’absence de mécanismes de contrôle et de sanctions. « Notre conclusion était qu’il fallait renforcer la place de la société civile dans l’élaboration et l’application des traités », rappelle Yann Aguila. C’est l’esprit du pacte mondial, qui consacre l’un de ses articles au rôle des acteurs non étatiques.
« Un paquet d’années »
Le projet se présente comme un « texte ombrelle » – couvrant aussi bien le climat, les océans, la biodiversité ou la santé – qui reprend la plupart des principes déjà adoptés dans des déclarations, comme le droit à une vie saine de la déclaration de Rio de 1992, le droit d’accès à l’information environnementale de la convention d’Aarhus de 1998, l’évaluation des impacts sur l’environnement de la convention d’Espoo de 1991, le principe du pollueur-payeur…
Mais ces principes ne produiront leurs effets que si les États les adoptent dans un cadre international. C’est tout l’enjeu de ce pacte qui devrait, le moment venu, être soumis pour approbation à l’Assemblée générale des Nations unies.
Les juristes réunis à Paris ne se bercent guère d’illusions. « On a établi un texte assez équilibré, mais il va être largement remanié en passant par le filtre des intérêts des États », analyse l’Argentin Jorge Viñuales, professeur à l’université de Cambridge (Royaume-Uni). Ses collègues français ne s’avancent pas davantage sur un calendrier. « Le texte va passer désormais dans le champ gouvernemental, relève Laurent Fabius. Nous souhaitons que le chef de l’État français, qui a fait référence à ce pacte durant la campagne présidentielle, trouve des partenaires pour mettre ce projet en avant. »
« Ça risque de prendre un paquet d’années, estime l’avocate et ancienne ministre de l’environnement Corinne Lepage. Ce pacte est un texte international qui doit être signé et ratifié par les États, et il est contraignant. » Autant dire que les freins seront nombreux parmi les pays les moins respectueux de l’environnement.
« Une déclaration de plus ? »
La responsable politique avait été sollicitée par François Hollande, en 2015, pour rédiger un projet de déclaration universelle des droits de l’humanité (DDHU), destinée à passer des droits de l’homme, individuels, aux droits de l’humanité, collectifs.
« Quand j’ai lancé l’initiative en 2015, Laurent Fabius, qui présidait la COP21, me disait que cela ne pourrait pas marcher. Je suis heureuse de voir que, maintenant, il estime que c’est possible de faire évoluer le droit et il s’en empare », confie Mme Lepage. Jusqu’à présent, un pays (les Comores), une région (Tétouan, au Maroc) et plusieurs villes (dont Paris et Strasbourg) ont adopté la DDHU, rappel de droits et de devoirs sans valeur contraignante.
La déclaration est une première étape pour préparer les esprits à un pacte. « Les deux projets se complètent », assure l’avocate, qui ne désespère pas de voir la France adhérer, ajoutant : « Emmanuel Macron est très positif sur cette déclaration. »
Les juristes invités au Conseil constitutionnel privilégient l’option plus ambitieuse du pacte mondial. « Une déclaration de plus ? On a déjà celle, très complète, de Rio, réagit Jorge Viñuales. Il faut arrêter de produire des déclarations et d’édicter de grands principes : ce qu’il faut, c’est commencer à les appliquer ! »
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