Quatre-vingts associations lancent une campagne, jusqu’au 21 avril, pour inciter les candidats à la présidentielle à s’engager dans la lutte contre les inégalités. Pour que celles-ci deviennent le nouveau pilier des décisions politiques, rejoignez l’Appel des solidarités sur https://www.appel-des-solidarites.fr/ ! Un article de Julia Hamlaoui le vendredi 24 Mars 2017 pour l'Humanité, suivi des propos de Nicolas Hulot recueillis par Simon Roger et Raphaëlle Besse Desmoulières le 23 mars 2017 pour Le Monde.
Selon ces organisations, l’heure est à faire un choix de société, à savoir « replacer la dignité humaine en haut de nos valeurs ». Charles Platiau/AFP
«Si vous pensez qu’on devrait tous avoir accès à l’éducation, aux soins, à l’emploi, au logement, à une alimentation saine. Si vous préférez construire des ponts plutôt que de dresser des murs. Si vous vous souciez du monde que vous laisserez derrière vous. Répondez présent. » C’est en ces termes que 80 associations ont lancé, hier, un Appel des solidarités, en pleine campagne pour la présidentielle. Le but ? « Imposer durablement la solidarité comme une valeur absolue », a résumé Nicolas Hulot, président de la Fondation éponyme. Avec Thierry Kuhn, le président d’Emmaüs France, ils se sont faits les porte-parole des dizaines d’associations*** réunies derrière eux lors de la conférence de presse de lancement de ce « printemps des solidarités », hier à la maison de la radio, à Paris.
« Une société aussi discriminatoire n’est pas supportable »
Pour le militant écologiste, il s’agit d’en finir avec « l’absurde et l’insupportable » des chiffres égrainés par les associations, hier mais aussi en une de leur nouveau site commun (https://www.appel-des-solidarites.fr/). « Un jeune sur 5 vit sous le seuil de pauvreté », « 795 millions de personnes souffrent encore de la faim dans le monde », « 1 % de la population concentre 53 % des richesses », « 140 000 personnes dorment à la rue », « 6 millions de personnes sont au chômage »… « Derrière ces chiffres, on a tendance à l’oublier, se cachent des hommes, des femmes, des enfants. La solidarité n’est plus seulement possible mais obligatoire », a rappelé Thierry Kuhn.
Pour sortir de la spirale infernale, l’heure, selon ces lanceurs d’alerte, est à faire un choix de société, à savoir « replacer la dignité humaine en haut de nos valeurs ». Et ce sont « 5 caps des solidarités », réunissant pas moins de 500 propositions, portées par l’une ou l’autre des organisations signataires, que le collectif présente avec l’ambition de les voir devenir le guide de « toute action et toute décision politique dans le prochain quinquennat ». Première des priorités affichées : la lutte « contre les inégalités sous toutes leurs formes, contre la fraude et l’évasion fiscale et contre l’impunité des banques, des politiques, des multinationales ». Et pour cause, « ce n’est pas supportable que nous ayons une société aussi discriminatoire, parce que les moyens sont là, a insisté Nicolas Hulot. C’est une question d’équité dans la fiscalité, d’un autre modèle économique qui, au lieu de concentrer la richesse, la partage, qui, au lieu d’épuiser les ressources, les préserve et les gère ». La solidarité avec « la nature et les générations futures », « les personnes en difficulté, exclues, discriminées », « les sans-voix », avec « tous les peuples », constitue les quatre autres volets que les citoyens ont été invités à enrichir de leurs propres propositions.
Car, pour les initiateurs de l’appel, « il ne s’agit pas d’interpeller les candidats comme les enfants tirent sur la manche d’un adulte, mais bien de leur donner un cap, un mandat “impératif” ». « Pour l’imposer, il faut peser et pour peser il faut se compter », concluent-ils. D’où l’invitation aux citoyens à « répondre présent », via le site dédié mais aussi par SMS, au 32.321 en tapant le mot « présent ». Reste que les candidats à la présidentielle sont quand même en ligne de mire : « Trop souvent les politiques, après les élections, nous lâchent. Cette fois-ci, nous, on ne les lâchera pas », a averti Thierry Kuhn. En creux, c’est sans doute le Front national, en tête dans les sondages, qui est le plus visé sans, toutefois, n’être jamais cité. « Il faut, d’une manière suprapolitique, sans instrumentalisation, donner de la rationalité, déconstruire un certain nombre de préjugés. Cette tentation de l’isolement n’est pas une fatalité. Aux nationalismes, aux égoïsmes, nous voulons opposer l’humanisme », a développé Nicolas Hulot. « La violence latente n’est pas née par hasard. (…) Si nous aspirons à des relations pacifiques, il faut changer de focus et faire que les solidarités deviennent le premier critère dans nos choix de politiques », a-t-il expliqué le matin même sur France Inter. Et de formuler un vœu : « Je ne doute pas que derrière ce frémissement il va y avoir un souffle puissant et j’espère qu’il nous empêchera de basculer du mauvais côté. »
*** Parmi les associations à l'initiative de cet appel, figurent notamment Action contre la faim, Alternatiba, les Apprentis d'Auteuil, l'Association des paralysés de France, ATD Quart Monde, Attac, la Cimade, Emmaüs France, la Fondation Abbé Pierre, la Fondation Nicolas Hulot, Forim, France Nature Environnement, le Secours catholique...
Avec sa Fondation Nicolas-Hulot (FNH), le militant écologiste a rencontré les favoris de l’élection présidentielle, à l’exception de Marine Le Pen, pour leur soumettre des propositions.
Quel est le sens de cette initiative ?
Cet « appel des solidarités », du 23 mars au 21 avril, peut être une inspiration, et une respiration, salutaire dans la campagne électorale. Nous pesons chacun dans nos domaines, mais nous ne représentons pas une force collective. On a besoin de se compter pour montrer que la solidarité est peut-être le premier parti de France. Mis bout à bout, ces réseaux dépassent les 10 à 12 millions de personnes. Tous les ans au minimum, cet archipel des solidarités se réunira et évaluera les politiques publiques et l’état des inégalités. Si effectivement nous faisons masse, ce que j’espère, le prochain gouvernement aura à cœur de tenir compte de nos propositions.
Comment imposer ce rapport de force ?
L’action humanitaire ne doit plus être le paravent de l’indifférence ou de l’inaction politique. Dans notre monde connecté, on ajoute de l’exclusion à l’exclusion et on produit de l’humiliation, qui explique les formes d’intégrisme et d’exaspération qui se développent. On ne peut plus s’accommoder, par exemple, que des centaines de milliers d’enfants meurent de maladies que l’on sait guérir, simplement parce qu’ils ne sont pas nés au bon endroit. Cette situation ne peut perdurer puisque nous avons ouvert en grand le livre du monde. Par notre mouvement, nous voulons rappeler cette injonction de solidarité.
Ce message est-il audible alors que les affaires polluent la campagne présidentielle ?
Notre campagne est justement un appel d’air dans un climat pollué par les affaires, les préjugés et autres idées reçues qui risquent de nous emmener dans l’impasse du repli sur soi.
Le repli sur soi serait par conséquent la pire des solutions ?
Cette tentation est contraire au sens de l’Histoire. Si nous y cédons, l’issue sera chaotique. On sent bien déjà que nous arrivons à un point de rupture. Nous sommes obligés de préférer la main tendue aux bras croisés, de construire des passerelles plutôt que des murs, de passer d’un modèle économique de compétition à un modèle de coopération. Chacun le sent intimement, on danse sur un volcan en feu. Se replier sur soi, c’est la réaction de l’animal qui se réfugie dans son terrier. Nous qui sommes censés être les animaux les plus évolués, nous ne devons pas céder à cet instinct primaire.
Parmi les 500 propositions portées par cet appel, y en a-t-il une qui vous tient plus à cœur ?
La fiscalité. C’est ce qui permet de structurer les modes de production et de consommation et d’accompagner leurs mutations. La révision de la fiscalité repose sur deux grands principes : d’une part soulager la fiscalité du travail pour libérer de l’emploi, d’autre part pénaliser les activités responsables de forts impacts environnementaux et taxer les revenus issus du capital, de rente, etc.
Quel regard portez-vous sur la campagne en cours ?
Force est de reconnaître que chez Jean-Luc Mélenchon – et ce n’est en aucun cas un soutien –, chez Benoît Hamon plus récemment, et même chez Emmanuel Macron, il y a un certain nombre de propositions qui ne sont pas inintéressantes. Et on assiste mine de rien à un renouvellement : Hamon est nouveau, Macron est nouveau, même si la nouveauté n’est pas forcément une garantie de fiabilité. Une recomposition est en cours, certains schémas vont voler en éclats. L’écologie va renaître quelque part, même si je ne sais pas sous quelle forme.
M. Macron a déclaré devant les chasseurs qu’il était favorable à la réouverture des chasses présidentielles…
Cela a été l’objet de mon premier SMS cinglant. C’est pour moi révélateur d’un état d’esprit. Qu’ont représenté ces chasses présidentielles si ce n’est un privilège entre chefs d’Etat ? Comme si M. Macron avait besoin d’aller flatter les chasseurs au moment où il est crucial de redonner des droits à la nature. Dans ce cas, il faut qu’il aille voir aussi les cueilleurs de champignons, les pêcheurs à la mouche, les chasseurs de papillons ! Il ne faut pas juste additionner quelques mesures mais respecter une cohérence et des principes éthiques, philosophiques, humanistes.
François Fillon, lui, apparaît particulièrement silencieux sur ces sujets…
Je m’étonne que lui qui assume sa foi religieuse n’ait pas été interpellé par l’encyclique du pape sur l’écologie. Le modèle productiviste a longtemps dominé les débats mais à gauche, au moins, on sent que les positions ont évolué. Depuis 2012, la France a sa loi sur la transition énergétique, et François Hollande, avec son entêtement sur la conférence climat (COP21), a permis de franchir un pas important fin 2015.
Votre message est-il aussi d’inciter les électeurs à se rendre aux urnes ?
Oui, il faut aller voter. L’abstention profitera en premier au Front national. Il n’y a jamais de candidat parfait mais la démocratie permet de voter pour une vision, une exigence, et de se déterminer sur des critères humanistes.
L’extrême droite peut-elle accéder au pouvoir en mai ?
Il y a des pays européens qui se sont réveillés un matin avec des extrémistes au pouvoir alors que la veille, ils n’y pensaient pas encore. On sent bien qu’il y a un relâchement moral et une déculpabilisation d’adhérer à ces thèses. Nous devons être les garde-fous de cette tentation. Je ne jette pas la pierre à ces électeurs, mais je leur dis que ce vote ne réglera rien.
Comment expliquez-vous qu’en Autriche ou aux Pays-Bas, des candidats écologistes aient émergé face à l’extrême droite ?
Dans ces deux pays, les écologistes sont apparus comme une alternative. En France, les écologistes n’ont pas réussi, sans parodier Benoît Hamon, à dessiner un futur désirable. Leur difficulté à convaincre ceux auxquels ils s’adressent est leur principale faiblesse. Si l’on veut faire évoluer l’agriculture, il ne faut pas commencer par mettre tous les agriculteurs dans le même panier. En même temps, si on avait écouté davantage les écologistes, nous serions aujourd’hui dans une situation moins critique.