Une décision européenne devrait intervenir cet été pour déterminer si le pesticide est « cancérogène probable » ou pas. Par Stéphane Foucart le 9 février 2017 pour Le Monde.
La saga mouvementée de la ré-homologation du glyphosate dans l’Union européenne (UE) devrait connaître son dénouement dans les prochains mois, après deux années et demie de vives controverses.
Mais la société civile maintient la pression sur Bruxelles. Une quarantaine d’organisations de défense de la santé ou de l’environnement (Greenpeace, Les Amis de la Terre, Health and Environment Alliance, etc.), issues de quatorze États membres, ont lancé, mercredi 8 février, une initiative citoyenne européenne (ICE), afin d’obtenir l’interdiction de l’herbicide – principe actif du Roundup de Monsanto – et une réorientation de la politique communautaire en matière d’agriculture et de produits phytosanitaires (insecticides, fongicides, herbicides).
Prévue par le traité de Lisbonne, l’ICE permet d’« inviter la Commission européenne », de manière formelle, à prendre des dispositions législatives. Pour être considérée comme valide, elle doit rassembler un million de signatures en moins d’un an.
Emblématique, le glyphosate est le pesticide de synthèse le plus utilisé en Europe et dans le monde, et le plus fréquemment retrouvé dans la nature. De toutes les substances utilisées en agriculture, il n’est toutefois ni le plus néfaste pour l’environnement ni le plus dangereux pour la santé humaine.
« Opacité »
Mais son classement par le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC) comme « cancérogène probable pour l’homme », en mars 2015, en a fait un abcès de fixation. D’autant plus que le processus de ré-homologation du produit était alors en cours au niveau européen, concluant, à l’inverse du CIRC, au caractère probablement non cancérogène de la substance et proposant donc sa remise en selle en Europe…
« Le glyphosate a nourri la controverse parce que sa sûreté a été évaluée par les instances européennes à partir d’études industrielles secrètes, explique Martin Pigeon, chercheur à l’ONG Corporate Europe Observatory, participant à l’initiative citoyenne. Cette opacité favorise l’industrie et empêche de contrôler scientifiquement les décisions européennes en matière de sûreté de l’alimentation. Les pesticides ne devraient être évalués que sur des éléments de preuve scientifiques publiés. »
Aux côtés de la demande d’interdiction du glyphosate sur le Vieux Continent, c’est l’une des trois principales requêtes portées par l’initiative.
Le troisième axe de l’ICE relève plutôt d’un rappel à la loi. « Nous demandons aussi à ce que des objectifs de réduction de l’usage des pesticides soient fixés au niveau européen, précise François Veillerette, porte-parole de l’association Générations futures, associée à l’ICE. Mais en théorie, cette disposition est déjà présente dans la directive de 2009 sur les pesticides. Il semble seulement que tout le monde ait oublié son existence… »
À la différence d’une majorité d’autres États membres, la France a choisi de s’y conformer, avec le plan Ecophyto, dont la première version prévoyait une division par deux de l’usage des pesticides entre 2008 et 2018. Mais l’échec est consommé – l’utilisation des « phytos » ayant augmenté depuis 2008 – et la deuxième version du plan prévoit cette fois-ci d’atteindre le même objectif, mais en 2025. Ce qui paraît en l’état tout aussi irréaliste.
La fixation d’objectifs obligatoires au niveau européen permettrait, ajoute M. Veillerette, « d’éviter des distorsions de concurrence entre les agriculteurs au sein même de l’UE ». Et, pour rendre de telles mesures acceptables, « tout cela doit aller de pair avec des mesures de soutien aux agriculteurs », précise M. Pigeon.
L’initiative aboutira-t-elle ? Le temps presse. Car la décision européenne devrait intervenir cet été, après la remise d’une dernière expertise, confiée à l’Agence européenne des produits chimiques (ECHA). Celle-ci doit arbitrer la controverse entre le CIRC, pour qui le glyphosate est « cancérogène probable », et l’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA), pour qui il ne l’est pas… L’ECHA doit conclure avant l’été. « Pour avoir une chance de peser sur le processus de décision, il nous faudra réunir le maximum de signatures d’ici quatre à cinq mois », décrypte M. Veillerette.
Réévaluation aux États-Unis
Un paramètre inattendu pourrait aussi jouer un rôle dans la décision européenne. Le glyphosate est en effet, aussi, en cours de réévaluation aux États-Unis, où l’expertise de ce type de substance incombe à l’Environmental Protection Agency (EPA). En cours de reprise en main par l’administration Trump, l’EPA n’a pas donné d’échéance pour la remise de ses conclusions. Mais si elles étaient rendues avant celles de l’ECHA, elles pourraient influencer ces dernières.
Outre-Atlantique, les grandes manœuvres ont commencé avant l’élection de M. Trump. Les premières réunions du groupe d’experts assemblé par l’EPA ont déjà généré leur lot de polémiques. Dans une lettre du 12 octobre 2016 révélée par l’association US Right To Know (USRTK) et adressée à l’EPA, CropLife America (le syndicat américain représentant les intérêts de l’agrochimie) demande ainsi que l’un des experts choisis par l’agence, l’épidémiologiste Peter Infante, soit démis de ses fonctions. Le syndicat met en cause la neutralité d’un autre scientifique du panel, le biostatisticien Kenneth Portier…
Aux États-Unis, la bataille ne se joue pas uniquement au niveau fédéral. Poursuivie par Monsanto pour avoir décidé de rendre obligatoire l’étiquetage des produits à base de glyphosate comme cause possible de cancer, l’agence de sécurité sanitaire de Californie (Office of Environmental Health Hazard Assessment) a obtenu gain de cause, le 27 janvier, devant la justice de l’Etat. Ce qui ne changera pas l’opinion des firmes agrochimiques, pour lesquelles le glyphosate est actuellement le désherbant le plus sûr du marché.
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