Des projets de réglementation de la Commission européenne vont à l’encontre du développement des énergies vertes par Pierre Le Hir pour Le Monde le 18 novembre 2016.
A Gelsenkirchen, en Allemagne, en 2013. INA FASSBENDER / REUTERS
Des paroles et des actes… L’Europe, qui se pose volontiers en championne de la cause climatique, a bien du mal à tourner la page des énergies du passé. La Commission de Bruxelles doit présenter, mercredi 30 novembre, un ensemble de projets législatifs dont certaines dispositions auraient pour effet de freiner l’essor des énergies renouvelables, tout en encourageant le recours aux centrales thermiques brûlant des combustibles fossiles (charbon, pétrole et gaz). « Le travail est en cours et les textes ne sont pas finalisés », affirment les services de la Commission. Les versions provisoires, que Le Monde a pu consulter, n’en constituent pas moins un bien mauvais signal.
Les documents en question sont une série de huit propositions de réglementation portant sur l’Union européenne de l’énergie et sa régulation, le marché de l’électricité, les énergies renouvelables, l’efficacité énergétique et les performances énergétiques des bâtiments. Il s’agit de la mise en œuvre du « paquet climat-énergie 2030 » qui, adopté en octobre 2014, fixe aux Vingt-Huit trois objectifs à l’horizon de la fin de la prochaine décennie : réduction de leurs émissions de gaz à effet de serre d’au moins 40 % (par rapport à 1990), hausse de la part des énergies renouvelables dans leur consommation à au moins 27 %, amélioration de leur efficacité énergétique d’au moins 27 %.
Fin de la priorité aux renouvelables
Comme souvent, le diable se cache dans les détails. En l’occurrence, dans quelques articles disséminés au milieu d’un corpus législatif touffu de plusieurs centaines de pages, ainsi que l’a révélé le site d’information spécialisé EurActiv. L’un de ces articles remet en cause la priorité d’accès au réseau dont bénéficie l’électricité d’origine renouvelable. En vertu d’une directive communautaire de 2009, les Etats membres doivent aujourd’hui s’assurer que les gestionnaires des réseaux respectent cette priorité. A l’avenir, cette obligation deviendrait facultative. Les industriels qui investissent dans les filières vertes perdraient ainsi la garantie d’un avantage nécessaire à leur développement.
« Le risque est que par extension, les gestionnaires des réseaux électriques soient autorisés, en cas d’offre supérieure à la demande, à réduire d’office la production renouvelable », s’inquiète Damien Mathon, délégué général du Syndicat des énergies renouvelables français. L’organisation professionnelle redoute aussi une autre clause. Lors de leurs appels d’offres pour la construction d’installations renouvelables, les Etats membres pourraient se voir imposer une « neutralité technologique ». En clair, ils ne pourraient plus différencier éolien, solaire ou hydroélectricité dans les appels d’offres, dont le seul critère de sélection serait le prix. Un principe qui, dénonce à l’avance Damien Mathon, « priverait les différentes filières de visibilité et empêcherait de construire un mix renouvelable diversifié ».
Subventions aux fossiles
Ce n’est pas tout. Un autre article inquiète les écologistes. Il porte sur les « mécanises de capacité », un dispositif qui vise à assurer la sécurité de l’approvisionnement électrique lors des pointes de consommation, par exemple en période de grand froid. Il y faut des réserves de capacité de production, pour lesquelles les électriciens peuvent obtenir une rémunération qui, au final, est payée par le consommateur sur sa facture d’électricité. Un tel système est déjà en place au Royaume-Uni et en Allemagne, tandis qu’en France, il entrera en vigueur en 2017.
D’autres pays, comme la Pologne, s’apprêtent à se doter de mécanismes de capacité. Or, en l’état actuel de ses propositions, Bruxelles ne fixe aucun critère de qualité environnementale – tel que les rejets de CO2 – pour les capacités de production mobilisables. Ce qui revient à autoriser l’octroi de « subventions massives » à des centrales thermiques exploitant des ressources fossiles, dénonce l’eurodéputé luxembourgeois Claude Turmes (groupe des Verts). Le mécanisme de capacité pourrait pourtant être fléché vers des énergies renouvelables comme l’hydroélectricité, elle aussi mobilisable rapidement en période de pointe.
Manque d’ambition
S’ajoute, déplore le député européen, un manque d’ambition en matière de renouvelables. En l’état, les propositions de Bruxelles se contentent de reprendre l’objectif de 27 % du mix énergétique d’ici à 2030. Ce chiffre est certes conforme au paquet climat-énergie des Vingt-Huit, mais cette feuille de route était des plus minimalistes : l’effort sur la décennie 2020-2030 – passer de 20 % à 27 % de renouvelables – est inférieur à celui de la décennie précédente où il s’agissait de passer de moins de 10 % à 20 %, alors même que les technologies vertes sont devenues plus matures et moins coûteuses.
« Les propositions de la Commission européenne ne sont pas à la hauteur de l’accord de Paris ni de l’urgence climatique, juge Joël Vormus, directeur adjoint du Réseau pour la transition énergétique. Il faut aller plus loin. » Reste à savoir quelle sera la rédaction finale des documents qui seront mis sur la table fin novembre. Et surtout si leur examen par le Conseil et par le Parlement permettra à l’Europe de verdir sa politique énergétique.
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