Un amendement au projet de loi biodiversité remettrait en cause le principe du pollueur-payeur
par Émile Torgemen pour Le Parisien le 2 mars 2016
UN AMENDEMENT explosif ! Déposé hier par le gouvernement, il pourrait remettre en cause le principe pollueur-payeur et donner aux industriels un permis de polluer aux frais du contribuable. Cette modification du projet de loi biodiversité stipule en effet que « n’est pas réparable [...] le préjudice résultant d’une atteinte autorisée par les lois, règlements et engagements internationaux de la France ». En clair, si ’activité a été dûment autorisée par l’Etat par un permis de construire, une autorisation de forer ou d’exploiter, par exemple, l’industriel pourra se laver les mains en cas de pollution ultérieure : marée noire, pollution aux boues rouges ou même catastrophe nucléaire, pourquoi pas.
Le contribuable paierait
Le projet de loi, qui reviendra en deuxième lecture devant l’Assemblée le 15 mars, devait pourtant être une avancée écologique majeure en inscrivant le préjudice écologique dans le Code civil. « Mais il reprend d’une main ce qu’il donne de l’autre, explique l’avocat spécialiste de l’environnement Arnaud Gossement. C’est une régression très importante. L’amendement part du principe que l’industrie qui crée de l’emploi est profitable pour tous. C’est au citoyen de payer en cas de catastrophe. » L’idée n’est pas nouvelle. Selon l’avocat de l’environnement, « la menace planait depuis 2008 et l’élaboration de la loi sur la responsabilité environnementale ».
Une source proche du dossier confie que ce sont « les organisations patronales Medef et Afep (NDLR : Association française des entreprises privées) qui ont rédigé cet amendement avant de l’imposer au ministère de l’Économie ».
Concrètement, si ce texte avait été adopté avant la marée noire provoquée par l’Erika, en 1999, Total aurait pu s’en saisir pour ne pas payer un centime. Le groupe pétrolier, qui a été condamné à plus de 170 M€, aurait pu tendre la facture aux contribuables.
« Et, à l’avenir, si les boues rouges rejetées dans la Méditerranée à Gardanne (NDLR : Bouches-du-Rhône) polluent une énorme zone sous-marine, l’usine, protégée par un arrêté préfectoral, ne sera pas inquiétée. C’est grotesque ! » s’étrangle l’eurodéputée Europe Ecologie-les Verts Michèle Rivasi (EELV). C’est à Barbara Pompili, nouvelle secrétaire d’Etat à la Biodiversité, elle aussi encartée à EELV, qu’il va revenir de défendre ce projet de loi. « C’est à croire que le gouvernement teste sa capacité à avaler des couleuvres », persifle Michèle Rivasi.
PS : la nuit dernière, face au tollé, le gouvernement a retiré en commission son amendement, estimant que le sujet devait être retravaillé d’ici la séance publique.
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Le gouvernement a vainement tenté de saper le principe du pollueur-payeur
Rude baptême du feu pour la nouvelle secrétaire d'Etat à la biodiversité, l'éco-logiste Barbara Pompili. Mardi 1er mars au soir, lors de l'examen en deuxième lecture, en commission de développement durable de l'Assemblée nationale, du projet de loi sur la reconquête de la biodiversité, elle a dû ré- tropédaler en catastrophe sur la question emblématique du préjudice écologique. Un amendement gouvernemental, qui remettait en cause le principe du pollueur-payeur, a été purement et simplement retiré, devant la bronca des défenseurs de l'environnement, mais aussi de nombreux députés.
L'inscription dans le code civil du préjudice écologique devait constituer l'une des avancées majeures de la loi de biodiversité. Le texte adopté par le Sénat en première lecture, fin janvier, disposait ainsi que " toute personne qui cause un dommage grave et durable à l'environnement est tenue de le réparer ". Il précisait que cette réparation " s'effectue prioritairement en nature ", c'est-à-dire par une restauration du milieu aux frais de celui qui l'a dégradé. Ou, à défaut, par " une compensation financière versée à l'Etat ou à un organisme désigné par lui et affectée (…) à la protection de l'environnement ".
Une façon de conforter, dans le droit français, le principe du préjudice écologique, né à la suite de la catastrophe de l'Erika, un pétrolier affrété par Total qui, le 12 décembre 1999, s'était brisé au large du Finistère, provoquant une gigantesque marée noire. En 2012, la Cour de cassation avait créé une jurisprudence en reconnaissant le préjudice écologique et, en plus des dommages et intérêts accordés aux parties civiles, Total avait déboursé 200 millions d'euros pour le nettoyage des plages.
" Atteinte autorisée par les lois "
Or, un amendement déposé par le gouvernement mettait à mal ce principe, en stipulant que " n'est pas réparable (…) le préjudice résultant d'une atteinte autorisée par les lois, règlements et engagements internationaux de la France ou par un titre délivré pour leur application ".En clair, au motif qu'ils résultent d'activités autorisées, les dégâts infligés à l'environnement, par exemple par un accident industriel, n'appelleraient pas de réparation. Et les responsables des dommages seraient dispensés d'en supporter le coût.
" Une régression incompréhensible, estime Laurent Neyret, juriste spécialisé en droit de l'environnement. C'est comme si l'on disait que les victimes d'un médicament comme le Mediator, parce que sa mise sur le marché a été autorisée, n'ont pas droit à une indemnisation. " Ce faisant, ajoute-t-il, " un texte destiné à réparer le préjudice écologique se transforme en texte protégeant ceux qui causent ce préjudice ".
" Quinze ans d'efforts avec les élus atlantiques pour gagner - sur - l'Erika détruits par trois articles infâmes d'une loi. Total l'a rêvé, la loi le fait ! ", s'est indignée sur son compte Twitter Corinne Lepage, ancienne ministre de l'environnement et présidente du mouvement Le Rassemblement citoyen-CAP 21. De son côté, Europe Ecologie-Les Verts parle d'un véritable " permis de polluer et un feu vert donné aux multinationales les moins scrupuleuses " et va jusqu'à dénoncer une " déclaration de guerre faite à notre environnement ", " quelques semaines seulement après la COP21 ".
Récusant toute volonté du gouvernement d'attenter au " principe constitutionnel du pollueur-payeur ", et évoquant de simples " interprétations divergentes ", Mme Pompili s'est finalement résolue dans la soirée de mardi, au terme de vifs échanges en commission parlementaire, à retirer l'amendement controversé.
Le dossier reviendra devant les députés en séance publique à partir du 15 mars. " Nous avons quinze jours pour travailler tous ensemble à une rédac- tion ", a indiqué la ministre pour apaiser les esprits.
D'autres épreuves l'attendent. Mardi 1er mars également, une soixantaine de députés socialistes et écologistes, dont l'ancienne ministre de l'écologie Delphine Batho et le président de la commission du développement durable de l'Assemblée, Jean-Paul Chanteguet, ont annoncé qu'ils défendraient un nouvel amendement visant à interdire les néonicotinoïdes, des pesticides nocifs pour les insectes pollinisateurs, l'environnement et la santé. Une interdiction à laquelle les sénateurs avaient, en première lecture, mis leur veto.
P. L. H. © Le Monde