Près de 100 milliards, c’est, selon un rapport du Sénat, ce que la pollution coûte chaque année.
par Frédéric Mouchon, Le Parisien, mercredi 15 juillet 2015
UNE FACTURE GLOBALE comprise entre 68 et 97 Mds€ annuels, soit le tiers de la dette grecque ! Ramenée à la population française, la pollution de l’air coûterait donc entre 1 100 et 1 600 € par an et par habitant. Voilà, selon nos informations, le montant colossal que dévoilera aujourd’hui la commission d’enquête sénatoriale chargée d’évaluer ce coût. Les membres de cette commission, présidée par le sénateur (les Républicains) Jean-François Husson et dont la rapporteuse est la sénatrice (EELV) Leila Aïchi, ont épluché l’ensemble des études publiées à ce sujet. Ils ont aussi auditionné quatre ministres et près de soixante-dix experts, économistes, responsables d’administrations et grands patrons. A l’issue de ces quatre mois d’enquête, réclamée après les pics de pollution de mars, ils demanderont au gouvernement de « prendre des mesures courageuses » contre ce fléau, estimant que « le coût de l’inaction » est trop élevé.
42 000 décès prématurés chaque année.
A qui la faute ? Aux particules fines, émises notamment par les véhicules diesels. D’après l’OMS, le coût des décès imputables à la pollution de l’air s’élève à 48 Mds€ par an en France. Mais les oxydes d’azote, l’ozone et les particules augmentent aussi le risque de développer des maladies comme l’asthme, les cancers ou certains troubles cardiovasculaires.
Or, la prise en charge des frais médicaux liés à ces maladies a été évaluée entre 1 et 2 Mds€ par an par des chercheurs de l’Inserm.
650 000 journées d’arrêt de travail.
Hospitalisations, consultations chez le médecin, crises d’asthme, bronchites chroniques, développement d’allergies mais aussi journées d’activité restreintes… si l’on met bout à bout tous les effets cumulés de la pollution, la commission d’enquête estime que la facture sanitaire frise, dans sa fourchette haute, les 100 Mds€ annuels. Elle prend notamment en compte les 650 000 journées d’arrêt de travail prescrites chaque année du fait de la mauvaise qualité de l’air. Mais aussi l’impact des polluants… intérieurs.
Des bâtiments à rénover.
Les sénateurs estiment que les particules fines, fumées noires et pics d’ozone ont un impact non négligeable, estimé à 4 Mds€ par an, sur la biodiversité, les rendements agricoles, la qualité des sols et le patrimoine bâti. Dans les grandes villes, les façades des immeubles et bâtiments historiques ont en effet tendance à noircir plus vite du fait des émissions dans l’air de composés soufrés, azotés et carbonés.
« Soumis au fil des ans à leur action, les matériaux des façades, essentiellement la pierre, le ciment et le verre, se détériorent », souligne une étude de l’observatoire de la qualité de l’air parisien Airparif. Ce qui implique des opérations de ravalement plus récurrentes. D’après les données recueillies par la commission, le ravalement de la façade du Panthéon aurait coûté 900 000 €, soit dix fois plus cher que les estimations initiales.
Moindres rendements agricoles.
L’ozone est le pire ennemi des plantes qui ont tendance à vieillir plus vite sous l’effet de cet oxydant. On observe d’ailleurs régulièrement l’apparition de taches ou de nécroses à la surface des feuilles après un pic de pollution à l’ozone. La commission d’enquête s’est penchée sur ce phénomène inquiétant. D’après une étude d’Airparif, « le rendement du blé en région parisienne a été réduit en moyenne d’environ 10% par rapport à une situation non polluée au cours des quinze dernières années ».
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Quelles solutions ?
PARMI les 60 recommandations qu’elle fera aujourd’hui, la commission d’enquête sénatoriale appelle à aligner la fiscalité du gazole sur celle de l’essence d’ici cinq ans (pour ne plus favoriser le diesel) et à la création d’une filière française de bus électriques. Appelant à rompre « avec le cycle des mesures incessamment mises en avant puis oubliées », les sénateurs demandent une réglementation claire en matière de lutte contre la pollution et une remise à jour de la loi sur l’air qui aura 20 ans l’an prochain.
En annonçant l’arrivée le 1er janvier 2016 de pastilles de couleur pour identifier les voitures selon leur niveau d’émissions polluantes, le ministère de l’Écologie espère inciter les agglomérations à développer des zones réservées aux véhicules vertueux. Un principe que souhaite adopter Paris, qui a décidé d’interdire la circulation des camions et des autocars les plus polluants et les verbalisera en septembre. « Avec ce rapport sénatorial, le gouvernement est au pied du mur pour enfin faire de la pollution de l’air une cause nationale sanitaire et économique », estime Franck Laval, porte-parole d’Écologie sans frontière, qui vient de déposer une plainte contre X pour pollution de l’air visant implicitement l’inaction de l’État.
L’Europe aussi doit s’y mettre. D’après une enquête de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) dévoilée en avril, la pollution coûte 1 400Mds€ par an, soit l’équivalent d’un dixième du produit intérieur brut de l’ensemble de l’Union européenne. Elle est responsable de 600 000 décès prématurés et maladies, et 90%des citoyens européens sont exposés à des niveaux annuels de particules fines supérieurs aux recommandations. Ce qui vaut d’ailleurs à la France d’être poursuivie par Bruxelles pour non-respect de la qualité de l’air dans une dizaine d’agglomérations. Frédéric Mouchon
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