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C'est dans la colonne de droite tout en bas...

20 mars 2018 2 20 /03 /mars /2018 09:21

Au cours des années 1980 et 1990, l’idée qu’il n’existait aucune solution de rechange aux démocraties de marché a entraîné une forme de fatalisme. A contrario, le réarmement contestataire observable depuis deux décennies replace sur le devant de la scène les affrontements idéologiques. Au point, parfois, d’attribuer à la bataille des idées un rôle et un pouvoir qu’elle ne possède pas. Par Razmig Keucheyan pour Le Monde Diplomatique de mars 2018. En novembre 2015, Razmig Keucheyan était venu aux Lilas , pour nous parler de son travail, cf. La nature est un champ de bataille, Quand la finance se branche sur la nature, et son livre La nature est un champ de bataille ; Lire aussi du même auteur Ce dont nous avons (vraiment) besoin.

Paul Huxley. — « Fluid Forms 1 » (Formes fluides 1), 1964, Bridgeman images.

Paul Huxley. — « Fluid Forms 1 » (Formes fluides 1), 1964, Bridgeman images.

C’est Mme Najat Vallaud-Belkacem qui, après tant d’autres, le répète dans un article paru en janvier 2018 : le Parti socialiste (PS) a perdu la « bataille culturelle » — l’expression apparaît trois fois (1). Lorsque M. François Hollande a remporté l’élection présidentielle de 2012, le PS détenait pourtant tous les leviers du pouvoir : l’Élysée, Matignon, l’Assemblée nationale, mais aussi le Sénat et vingt et une régions sur vingt-deux. Rien ne semblait empêcher la mise en œuvre de la politique de gauche que Mme Vallaud-Belkacem, au gouvernement pendant toute la durée du quinquennat, appelle rétrospectivement de ses vœux. Mais les vents contraires soufflaient apparemment trop fort. La « bataille culturelle », ce mystérieux génie qui bride l’ardeur des gouvernements de gauche successifs, était perdue.

Au sein de la gauche — toutes sensibilités confondues — circulent à l’heure actuelle des notions qui paraissent politiquement pertinentes, mais qui s’avèrent dangereuses. L’une d’elles est l’argument des 99 % (2). S’appuyant sur des statistiques établies par les économistes Emmanuel Saez et Thomas Piketty, le mouvement Occupy Wall Street a avancé en 2011 l’idée que l’humanité se divise en deux groupes : l’un, les 1 % les plus riches, capte l’essentiel des bénéfices de la croissance ; l’autre, les 99 % restants, pâtit d’inégalités toujours plus vertigineuses. L’argument s’est révélé efficace pour un temps, suscitant des mobilisations dans divers pays. Mais le problème est vite apparu : les 99 % forment un ensemble extrêmement disparate. Cette catégorie inclut aussi bien les habitants des bidonvilles de Delhi ou de Rio que les prospères résidents de Neuilly-sur-Seine ou de Manhattan qui ne sont juste pas assez riches pour intégrer les 1 %. Difficile d’imaginer que les intérêts de ces populations convergent ou que celles-ci constituent un jour un groupe politique cohérent.

L’argument de la « bataille culturelle » souffre d’une malfaçon analogue. Il n’est pas à proprement parler faux, mais il débouche sur une stratégie politique problématique. On le rencontre souvent à gauche, du PS à La France insoumise, mais également à droite, notamment dans les courants qui se réclament de l’héritage de la « nouvelle droite ». Il découle d’une lecture hâtive d’Antonio Gramsci et de son concept d’hégémonie. L’idée est simple : la politique repose en dernière instance sur la culture. Mettre en œuvre une politique suppose au préalable que le vocabulaire et la « vision du monde » sur lesquels elle repose se soient imposés au plus grand nombre. Si les gouvernements n’appliquent pas leur programme, ce n’est pas qu’ils manquent de courage et d’ambition, ni qu’ils refusent de défendre les intérêts de ceux qui les ont élus : c’est que le « fond de l’air » politique s’oppose à son application. Il faudrait donc modifier l’atmosphère afin de rendre la politique en question concevable.

À l’ère de Facebook et de Twitter, on comprend l’attrait de cet argument. En y souscrivant, on peut faire de la politique confortablement installé chez soi, devant son écran d’ordinateur. Laisser un commentaire sur un site ou écrire un tweet rageur deviennent des actes politiques par excellence. Tout comme publier des pétitions ou des tribunes vengeresses dans les colonnes de quotidiens à l’audience déclinante en caressant l’espoir que ces textes fassent le « tour du Net ».

Identifier les vecteurs du changement

La « bataille culturelle » a bien entendu son importance. La Chine, par exemple, prend aujourd’hui très au sérieux son soft power. Il s’agit là d’un concept élaboré par le politiste américain Joseph Nye, qui a conseillé plusieurs administrations démocrates depuis M. Jimmy Carter. Selon Nye, au XXIe siècle, le pouvoir d’un pays se mesure moins à son hard power, c’est-à-dire sa puissance militaire, qu’à sa capacité à influencer la sphère publique mondiale en donnant une image positive de lui-même.

Le gouvernement chinois organise ainsi l’activité de netizens (contraction de net et citizens), des citoyens intervenant sur Internet pour défendre les intérêts de leur pays (3). Comme l’a suggéré le président Xi Jinping lors d’un discours au XIXe Congrès du Parti communiste chinois, en octobre 2017, il s’agit de « bien raconter le récit de la Chine et de construire son soft power  » en diffusant sur le Net une « énergie positive ». Certes, mais voilà : derrière les bataillons de netizens chinois se trouve l’une des grandes puissances mondiales. Son rang dans les relations internationales, la Chine ne l’occupe pas d’abord grâce à son soft power ou à une quelconque « bataille culturelle », mais grâce à sa puissance économique, que ses dirigeants s’emploient à transformer en puissance militaire.

L’expression « bataille culturelle » doit une partie de son succès à l’hypothèse selon laquelle, au cours des dernières décennies, la droite aurait imposé ses idées, donnant naissance au mélange de néolibéralisme économique et de conservatisme moral dans lequel nous baignons désormais.

Mais, d’abord, la droite n’a pas vraiment eu à gagner la « bataille culturelle », dans la mesure où ses catégories fondatrices, comme la propriété privée des moyens de production ou l’économie de marché, n’ont plus été fondamentalement contestées depuis le milieu des années 1970. Même l’impression que l’après-Mai 68 constitua un âge d’or pour la gauche, voire que ses idées y étaient hégémoniques, tient en partie de l’illusion rétrospective : en France, la droite a occupé le pouvoir sans discontinuer pendant toute cette période. Les politiques redistributives et de reconnaissance des droits des femmes qu’elle concéda furent mises en œuvre moins à l’issue d’une « bataille d’idées » que sous la pression du bloc de l’Est et de puissants mouvements sociaux.

Il n’est même pas dit que le racisme, dont on présente parfois la recrudescence comme le symptôme d’une « droitisation » de la société actuelle, se soit aggravé, bien qu’il ait changé de forme. La société française des années 1960 et 1970 n’était certainement pas moins raciste que l’actuelle (4). Depuis les années 1970, le capitalisme a subi de profondes transformations : financiarisation, effondrement du bloc de l’Est et intégration de cette région dans l’économie mondiale, tournant capitaliste de la Chine, désindustrialisation, crise du mouvement ouvrier, construction néolibérale de l’Europe… Dans ce contexte de crise et de restructuration du système, la droite se tenait prête à saisir des occasions. Elle ne s’en est pas privée, poussant dans le débat public des idées cohérentes dans le domaine politique et économique. Mais la nouvelle hégémonie néolibérale n’a pu émerger qu’à la suite des bouleversements structurels qui avaient objectivement affaibli les forces du progrès. S’imaginer qu’il suffirait de remporter la « bataille des idées » pour que le système change, c’est s’exposer à des désillusions.

L’argument des 99 % et celui de la « bataille culturelle » relèvent d’une même conception du monde social. Celle qui considère la société comme une entité indifférenciée, comme un espace fluide que l’on pourrait influencer dans un sens ou un autre en mettant en circulation des discours. Les théories d’Ernesto Laclau et de Chantal Mouffe, sources d’inspiration de Podemos (5) et de La France insoumise, sont exemplaires de cette conception.

Des proches du mouvement dirigé par M. Jean-Luc Mélenchon ont créé au début de l’année une chaîne de télévision en ligne baptisée Le Média et lancé une école de formation. Aux dires de leurs animateurs, ces dispositifs visent à mener la « bataille culturelle », à préparer le terrain pour d’autres politiques (6). Ce faisant, La France insoumise s’inspire, en les actualisant, d’institutions sociales-démocrates et communistes : le journal ouvrier et l’école de cadres. Ceux-ci permettaient la diffusion chez les militants et au sein de leur base sociale d’une vision du monde cohérente.

Il manque pourtant un élément essentiel : quelles classes sociales ou coalitions de classes seront les vecteurs du changement ? À qui s’adressent prioritairement Le Média et l’école de formation ? Les communistes avaient pour base la classe ouvrière et les classes alliées, paysannerie et fractions dominées des classes moyennes notamment. Le « bloc social » concerné par le journal ouvrier et l’école de cadres était celui-ci. Mais dans le cas de La France insoumise ? Une « vision du monde » ne devient politiquement efficace que si elle est celle d’une coalition de classes qui s’oppose à d’autres classes. Reste donc à imaginer les contours d’un bloc social à venir.

Contrairement à ce que certains interprètes lui font dire, Gramsci n’a jamais voulu faire de la « bataille culturelle » le cœur de la lutte des classes. Évoquant l’évolution du marxisme de son temps, il affirme que « la phase la plus récente de son développement consiste justement dans la revendication du moment de l’hégémonie comme élément essentiel de sa conception de l’État et dans la “valorisation” du fait culturel, de l’activité culturelle, de la nécessité d’un front culturel à côté des fronts purement économique et politique (7)  ». Articuler un « front culturel » avec les fronts économique et politique existants : c’est là sa grande idée.

Cela ne suppose en aucun cas une prééminence du « front culturel » sur les autres. Ni que ce front devienne la chasse gardée de militants opérant dans la sphère des idées. Pour Gramsci, le syndicaliste se trouve souvent en première ligne sur le « front culturel ». Par les luttes qu’il organise, il fait évoluer les rapports de forces et laisse entrevoir ainsi la possibilité d’un autre monde. Ce que Gramsci appelle « culture » diffère très sensiblement de ce que nous entendons couramment par ce terme. La notion d’« hégémonie culturelle » ne désigne pas la péroraison incessante d’intellectuels ou de dirigeants contestataires dans les médias dominants, mais la capacité d’un parti à forger et à diriger un bloc social élargi en éveillant la conscience de classe. Les exemples ne manquent pas, ni à son époque ni aujourd’hui.

En décembre 2017, des salariés de l’entreprise de nettoyage Onet, en région parisienne, ont remporté une victoire importante (8). Ces sous-traitants de la Société nationale des chemins de fer (SNCF) chargés de la propreté des gares revendiquaient un rattachement à la convention collective de la manutention ferroviaire de la SNCF, le retrait d’une clause de mobilité qui les obligeait à effectuer de longs déplacements, l’augmentation de la prime de panier (indemnité repas) et la régularisation de collègues sans papiers. Au terme d’une grève de quarante-cinq jours, ils ont obtenu satisfaction sur l’essentiel. Pareille lutte s’annonçait d’autant plus improbable qu’elle était menée par des immigrés récents, au sein d’une entreprise sous-traitante et dans un secteur où l’interruption du travail n’a pas un impact vital sur le cours de la vie sociale. Bloquer une raffinerie, c’est bloquer le pays. Mais cesser de nettoyer une gare périphérique en Seine-Saint-Denis… ?

Et pourtant, à force de persévérance, les grévistes et leurs délégués syndicaux ont gagné. Les transformations structurelles du capitalisme depuis les années 1970 ont changé la classe ouvrière. Celle-ci n’a certes pas disparu ; elle est devenue plus diverse socialement, ethniquement et spatialement. Livrer la « bataille des idées » consiste à politiser ces nouvelles classes populaires, au moyen de luttes analogues à celle menée par les salariés d’Onet. Leur victoire montre que l’improbable n’en reste pas moins possible. Le « front culturel », articulé aux fronts économique et politique, c’est exactement cela. Ils ne le savent peut-être pas, mais les grévistes d’Onet sont les véritables héritiers de Gramsci.

Razmig Keucheyan, Professeur de sociologie à l’université de Bordeaux.

(1) Najat Vallaud-Belkacem, « Éloge de l’imperfection en politique », Le Nouveau Magazine littéraire, Paris, janvier 2018.

(2) Lire Serge Halimi, « Le leurre des 99 % », Le Monde diplomatique, août 2017.

(3) Cf. Yuan Yang, « China’s Communist Party raises army of nationalist trolls », Financial Times, Londres, 29 décembre 2017.

(4) Cf. par exemple Yvan Gastaut, « La flambée raciste de 1973 en France », Revue européenne des migrations internationales, vol. 9, no 2, Poitiers, 1993. Lire également Benoît Bréville, « Intégration, la grande obsession », Le Monde diplomatique, février 2018.

(5) Lire Razmig Keucheyan et Renaud Lambert, « Ernesto Laclau, inspirateur de Podemos », Le Monde diplomatique, septembre 2015.

(6) Cf. Laure Beaudonnet, « Aude Lancelin, auteure de “La Pensée en otage” : “Tout le circuit de l’information est pollué” », 20 Minutes, Paris, 10 janvier 2018.

(7) Cf. Antonio Gramsci, Guerre de mouvement et guerre de position, textes choisis et présentés par Razmig Keucheyan, La Fabrique, Paris, 2012.

(8) Cf. Cécile Manchette, « Onet. Victoire éclatante des grévistes du nettoyage des gares franciliennes », Révolution permanente, 15 décembre 2017.

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12 mars 2018 1 12 /03 /mars /2018 14:39

Nous vous l’annoncions le 20 février dans Le droit à l’eau doit devenir une priorité politique : Notez aussi, pour amplifier cette "victoire pour l'eau publique", la création d'un Collectif Eau Publique Les Lilas, qui peut être joint à collectifeaupubliqueleslilas@mail.fr, ou en laissant un message sur ce blog.

Dans la continuité d’un débat sur une régie publique de l’eau pour les habitants d’Est Ensemble, tenu en 2010, puis en 2012, et à chaque fois perdu contre la délégation de notre service public de l’eau à Véolia comme depuis une centaine d’années… voir Une victoire pour l'eau publique en Île-de-France, dans un contexte mondial Sécheresse, surexploitation : le monde a soif...

Le collectif Eau publique des Lilas invite au dialogue le 21 mars

Intérêts privés ou gestion publique ?

Ici, l'eau est gérée par VEOLIA, une multinationale dont le seul vrai métier est de rapporter de l'argent à ses actionnaires. A Paris, à l'inverse, c'est une entreprise 100% publique qui produit et distribue l'eau à tous les usagers et qui doit donc être juste en équilibre budgétaire (les gains couvrent les coûts). Il existe une opportunité de faire aux Lilas comme à Paris. Mais pour cela, nous devons nous mobiliser au plus vite, informer et faire partager cette exigence.

Pour quelle qualité ?

Notre eau, celle de VEOLIA, provient à 100% des eaux de surface, les plus polluées. Elle est décantée avec des sels d'aluminium, fortement soupçonnés d'être une des causes de la maladie d'Alzheimer. Les toxicologues recommandent de l'éviter au maximum. Elle contient aussi des résidus de pesticides de l’agriculture intensive francilienne. L'eau de Paris est à plus de 50% produite à partir d'eaux souterraines, moins polluées., elle est décantée avec du chlorure de fer, inoffensif. Aux Lilas comme à Paris, nous voulons une eau de qualité.

Égalité ?

VEOLIA a été condamnée 9 fois pour des coupures d'eau ou des réductions de débit. Le 93 est un des départements où il y a le plus de coupures. Or l'accès à l'eau doit être garanti.

Que faire ?

Grâce à la mobilisation citoyenne, nos élus ont voté pour ne pas ré-adhérer au SEDIF, lié à VEOLIA et qui gère l'eau dans une logique financière, et pour préparer le passage en régie publique mais cela ne se fera pas sans la vigilance, l'information, la mobilisation et la participation des habitants.

Nous ne disposons que de deux ans pour changer de système. D'autres villes d’ Est-Ensemble sont déjà engagées dans l'action à cette fin. Des études sont en cours, et nous voulons que les citoyen-ne-s y soient associé-e-s.

 

Le Collectif eau publique des Lilas dialogue avec la Coordination IdF et Eau de Paris le 21 mars

Réunion publique le 21 mars 2018 à 19h30,                                                              Salle des Commissions, Mairie des Lilas (entrée parking derrière la mairie)

avec 

Jean-Claude Oliva, directeur de la Coordination Eau Île-de-France

Jérôme Gleizes, administrateur de Eau de Paris,                           

et la participation de Daniel Guiraud, Maire des Lilas,

                                     Conseiller communautaire d’Est Ensemble.

Collectif « Eau Publique Les Lilas »

Nous vous invitons à nous rejoindre en écrivant à l'adresse collectifeaupubliqueleslilas@mail.fr.

 

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29 novembre 2017 3 29 /11 /novembre /2017 09:06
Transports pénibles, une ville à repenser
Transports pénibles, une ville à repenser

Dans nos trajets de tous les jours, décidément nous sommes « trop » : conducteurs trop bloqués dans le trafic, piétons et cyclistes frôlés de trop près, passagers de RER et bus trop comprimés, trop perturbés par des incidents ; et tous, trop gavés de pollution. Nos déplacements sont alors des épreuves, longues, incertaines et usantes.

À quoi, ou à qui, la faute ? Un manque de moyens pour les transports en commun, leurs personnels, leurs matériels, la maintenance, les réseaux ? Des défauts d’organisation ? Des situations que l’on a mal anticipées ? Des projets absurdes (plusieurs se préparent, en région parisienne, en ce moment même) ? Ou encore, des villes mal équilibrées, ce qui allonge et multiplie les trajets ?

Dans tout cela, quel est le rôle des calculs financiers, des systèmes de décision, des volontés - ou du manque de volonté - politiques, des débats dans la société, de nos choix de vie ?

À l’inverse, y a-t-il des pistes bien repérées pour améliorer les choses ? Certaines sont-elles déjà explorées ?

Les collectifs « Les Lilas Autrement » et « à Gauche Autrement »
(Pré-Saint-Gervais), deux groupes politiques se réclamant d’une gauche alternative et écologiste dans nos deux villes, invitent à une réunion publique,

                                       le MARDI 5 DÉCEMBRE 2017 à 19H30
Mairie des Lilas / salle des Mariages.

Avec l’intervention de :
Marc Huret, urbaniste, ancien conseiller municipal « à Gauche Autrement » au Pré (et maire-adjoint pendant quelques années), vient notamment de publier l’ouvrage « Une autre ville est possible. L’agenda 2020-2040 de l’urbanisme en France » (éd. L’Harmattan).
Pierre Serne, conseiller régional EELV en Ile-de-France, est membre du conseil d’administration du STIF (Syndicat des transports d’Île-de-France) et du GART (Groupement des autorités responsables des transports).

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25 octobre 2017 3 25 /10 /octobre /2017 12:45

De la biodiversité, aux ressources numériques, comment définir les «communs» ? Plus de 200 contributeurs (économistes, historiens, sociologues) relèvent le défi dans un dictionnaire. Pour la juriste Judith Rochfeld, une des coordinatrices de l’ouvrage, la notion remet en question le principe de propriété privée. Par Amaelle Guiton le 17 octobre 2017 pour Libération. Lire aussi Les communs, un projet ambigu.

Des pêcheurs de Bhola (dans le Barisal au Bangladesh), le long de la rivière Monpura, en août 2017. Photo Probal Rashid. Zuma. Rea

Des pêcheurs de Bhola (dans le Barisal au Bangladesh), le long de la rivière Monpura, en août 2017. Photo Probal Rashid. Zuma. Rea

Ils se sont frayé un chemin entre l’État et le marché, et aussi dans le débat public. Depuis la gestion collective, par des communautés locales, de ressources naturelles menacées de surexploitation jusqu’à la construction de ressources numériques collaboratives, comme les logiciels libres (1) ou l’encyclopédie Wikipédia, les «biens communs» sont au cœur d’expériences pratiques de plus en plus nombreuses. Ils font désormais l’objet d’un épais Dictionnaire des biens communs (PUF), abondé par près de 200 contributeurs. De «Abus de droit» à «Zone à défendre», en passant par «Fablab», «Habitat participatif» ou «Semence paysanne», l’ouvrage dresse un état des lieux du «commun» d’aujourd’hui autant qu’il en explore les fils généalogiques - les «inappropriables» du droit romain, la Magna Carta anglaise de 1215, les écrits de Gracchus Babeuf, de Karl Marx ou de Joseph Proudhon…

Professeure de droit à Paris-I, Judith Rochfeld a coordonné l’ensemble avec la juriste Marie Cornu et l’économiste Fabienne Orsi.

Professeure de droit à Paris-I, Judith Rochfeld a coordonné l’ensemble avec la juriste Marie Cornu et l’économiste Fabienne Orsi.

Comment est né ce Dictionnaire des biens communs ?

Il est parti d’une expérience collective : un projet de l’Agence nationale de la recherche intitulé «Propice» - pour «Propriété intellectuelle, communs et exclusivité» - lancé en 2010, et associant des juristes, des économistes, des historiens… L’objectif était d’étudier les débats et les pratiques qui émergeaient autour de la notion de «communs» : la remise en cause de la propriété intellectuelle, la réaction à certaines privatisations comme celle des gènes, ou du logiciel. Des philosophes, des sociologues se sont joints à ce travail. Il y a eu aussi beaucoup de connexions avec des personnes engagées dans des expériences de communs. Nous nous sommes dit qu’il fallait cartographier toutes ces problématiques, toutes ces expériences, en associant chercheurs et citoyens pour montrer à quel point cette question a pris de l’importance dans le débat public : pourquoi on parle aujourd’hui, par exemple, de la biodiversité comme d’un patrimoine commun.

Comment définir ce qu’est un «commun» ?

Beaucoup de notions circulent aujourd’hui : les choses communes, le patrimoine commun, les communs, le commun… Or on ne sait pas toujours à quoi ces notions font référence, ni comment elles ont été construites. C’est pour répondre à cela, entre autres, que le dictionnaire a été rédigé.

Lorsqu’on parle des communs, au pluriel, il y a une filiation dominante : l’idée de biens gouvernés en commun, qui se situent entre la propriété privée et la propriété publique. C’est le travail mené par l’économiste américaine Elinor Ostrom, récompensée en 2009 par l’équivalent du Nobel en économie, et son école, dite de Bloomington. A l’origine, ce travail portait sur des ressources naturelles - des réseaux d’irrigation, des forêts, des pêcheries… - et conduisait au constat que ces ressources, gérées par une communauté d’une centaine de personnes au maximum, faisaient l’objet d’un «faisceau de droits» distribués entre les membres : droit d’accès, droit de prélèvement, droit d’inclure ou d’exclure, droit de gouverner la ressource… Il démontrait, par des exemples concrets, qu’il existe une gouvernance collective qui permet la durabilité du bien et des usages partagés. Ce mouvement a ensuite exploré les ressources immatérielles de la connaissance ; Wikipédia, par exemple, s’inscrit assez bien dans ce schéma de gouvernance. Évidemment, si on envisage de très grands communs comme le climat, la biodiversité ou l’eau, les choses se compliquent : la communauté devient universelle et, on le voit, une gouvernance mondiale est très difficile…

Quels autres aspects recouvre aujourd’hui cette idée de «biens communs» ?

En dehors de la catégorie théorisée par Ostrom, il existe beaucoup d’articulations avec la propriété classique, à partir de l’idée d’un usage ou d’une destination collectifs. Par exemple, si j’ai sur mon terrain de l’eau ou une espèce particulière de plante, je peux être assujetti à des charges de préservation ; je peux être propriétaire d’une œuvre d’art ou d’un monument historique qui font partie du patrimoine commun. Beaucoup de montages juridiques intègrent cette idée. L’autre versant important, c’est la question du commun, c’est-à-dire de l’agir en commun : c’est la décision de gouverner ensemble une ressource qui institue le commun.

On a beaucoup parlé, ces dernières années, de «retour des communs»…

Cette idée d’un «retour» est à la fois très belle et très trompeuse. Très belle, parce qu’elle propose une filiation profonde avec la notion de res communis, les «choses communes» dans le droit romain : des choses naturellement ouvertes à l’usage de la communauté, sorties du circuit ordinaire des échanges économiques. Il s’agirait donc, à suivre cette filiation et alors que l’on a tout transformé en propriété, privée ou publique, de retirer certaines choses du circuit marchand ou de la propriété. Mais là où c’est trompeur, c’est qu’en droit romain, ce caractère commun, voire sacré, était attaché à la chose elle-même, alors qu’aujourd’hui c’est une question de destination sociale : on va décider que, pour tel type de ressource, la propriété privée totalement exclusive n’est pas la plus adaptée. Cela va être le cas pour des composantes de l’environnement - un puits, une terre agricole… -, pour certains biens culturels, ou pour le logiciel libre.

Que change le numérique à cette question ? À la différence des ressources naturelles, la question de la rareté ne se pose pas…

C’est en effet la raréfaction des ressources naturelles qui a fait comprendre, à partir des années 60 et plus encore dans les années 90 en France, qu’il fallait envisager ces ressources comme des choses communes, et qu’on ne pouvait les laisser à la maîtrise des seuls propriétaires privés. Dans le cas des ressources de la connaissance, il y a eu confrontation entre d’une part un mouvement de privatisation très important à partir des années 80, notamment dans le logiciel, et d’autre part la démocratisation de l’accès à la connaissance, la philosophie du partage, liées au numérique. Cela a mis ces questions sur le devant de la scène : jusqu’où va-t-on dans la privatisation des connaissances ? Peut-on aménager la protection d’une création ? Peut-on renoncer à sa propriété, ou l’utiliser autrement ? Les expérimentations et les théorisations autour du logiciel libre, par exemple, retournent notre conception de la propriété : on s’en sert pour mettre en partage le code, et c’est ce qui permet de faire surgir un bien et de développer les usages. Cela montre aussi, et c’est très important, qu’il n’y a pas seulement du commun subi - comme lorsqu’on impose des charges à un propriétaire, parce que son bien fait partie de l’environnement ou du patrimoine - mais aussi du commun volontaire, qui suppose de nouvelles constructions juridiques.

En France, le débat sur les communs n’a vraiment émergé que tardivement. À la différence de l’Italie, par exemple…

En réaction au servage de la société médiévale, la Révolution française a établi la propriété privée comme une manifestation de la liberté individuelle sur les biens. La France est aussi un État très centralisé, dans lequel le public a absorbé le commun. Dans notre tradition, il est très difficile de penser autre chose que la propriété privée d’une part, la propriété publique de l’autre… En Italie, ce débat a une importance sociale très forte. En 2007, le gouvernement Prodi a mandaté une commission, dirigée par le juriste Stefano Rodotà, pour travailler à une réforme du code civil ; Rodotà a alors proposé d’y intégrer, en plus des biens privés et publics, une nouvelle catégorie : les biens communs, définis comme les biens nécessaires à l’exercice des droits fondamentaux. Il y a également des expérimentations citoyennes à Naples, à Bologne ; la gestion de l’eau a fait l’objet d’un référendum national d’initiative populaire en 2011… L’État italien est plus faible et plus tardif que le nôtre, les régions plus puissantes, et la Constitution reconnaît à la propriété une «fonction sociale», dont le propriétaire privé d’un bien doit tenir compte.

Les communs ont été très présents dans les débats sur la loi numérique en France, autour de la reconnaissance du domaine public, du logiciel libre, des «communs volontaires» de la connaissance… Mais il y a eu peu d’effets concrets.

Le simple fait que ce débat ait eu lieu était très important. Les questions ont été posées - or jusque-là, elles ne l’étaient pas. Il y a beaucoup de discussions aujourd’hui sur la protection du domaine public, ou sur des exceptions au droit d’auteur pour les œuvres dites transformatives, par exemple les pratiques de réutilisation de morceaux d’œuvres existantes. Ces discussions ne sont pas achevées, mais il ne faut pas oublier d’où on part… Et puis il y a des changements : la loi sur la biodiversité de 2016, par exemple, reconnaît qu’un propriétaire peut s’imposer des obligations pour la protection de l’environnement. C’est l’aboutissement d’un processus : cela fait des années que cette idée est discutée.

Dans les années 2000, lorsqu’on travaillait sur cette question, on pouvait se sentir isolé. Mais en dix ans, il y a eu beaucoup de discussions sur les questions environnementales, ou sur le numérique. En 2015, un tribunal de La Haye a jugé recevable l’action de près de 880 personnes contre le gouvernement néerlandais, qui n’avait pas respecté ses obligations de protection du climat. Ce tribunal a tranché en leur faveur. C’est bien le signe d’un changement de mentalité.

Comment cette question est-elle appréhendée au plan politique ?

Il y a aujourd’hui tout un mouvement coopérativiste, mutuelliste, qui renoue via les communs avec des idéaux socialistes, autogestionnaires. Cela ne correspond évidemment pas à tout l’échiquier politique… Il existe par ailleurs divers courants au sein de cette sphère des «communs». Pour certains, c’est une alternative totale : on ferait du «tout commun» en remplacement des formes actuelles de propriété, étatique ou privée. Pour d’autres, c’est une zone possible entre la propriété privée et la propriété publique. Cela peut aussi être un moyen d’aménager ces dernières. Ce qui est certain, c’est que, sauf à occulter toute une partie du mouvement social, les politiques ne peuvent ignorer ni l’aspiration à une protection et une gouvernance collectives des composantes de l’environnement, ni les mouvements de mise en partage dans la sphère numérique.

(1) Des logiciels que chacun peut librement utiliser, copier, distribuer et modifier.

Sous la direction de Marie Cornu, Fabienne Orsi et Judith Rochfeld : Dictionnaire des biens communs PUF, 1 280 pp., 39 €.

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4 septembre 2017 1 04 /09 /septembre /2017 12:04

Plutôt que de contempler la destruction du monde, tentons de comprendre à quelles conditions il est possible de vivre dans les ruines du capitalisme. C’est le point de départ d’un livre magistral, Le champignon de la fin du monde, de l’anthropologue Anna L. Tsing. Par Jade Lindgaard le 3 septembre 2017 pour Mediapart.

Le monde est un champignon sauvage dans une forêt détruite

Catastrophe, désastre, effondrement, anthropocène : un glossaire de la destruction a envahi les tribunes de journaux et les rayons de bibliothèque des lecteurs sensibles aux conséquences délétères des dérèglements climatiques et du capitalisme.

Que faire de ce savoir sur les démolitions en cours ? Le point de départ d’un voyage à travers les ruines du monde pour comprendre comment, malgré tout, on continue d’y vivre, propose l’anthropologue Anna L. Tsing dans un livre extraordinaire, tout juste traduit en français, Le champignon de la fin du monde. Et pour suivre ce grand dessein, la chercheuse choisit de raconter l’histoire d’un champignon sauvage, le matsutake.

La particularité de cette espèce rare est de pousser dans les forêts qui ont été surexploitées par les humain.e.s. « Comme les rats, les ratons-laveurs et les cafards, ils sont prêts à supporter une partie du désordre environnemental que les humains ont créé », explique-t-elle en introduction. Le matsutake apprécie les forêts de l’Oregon, sur la côte ouest des États-Unis, victimes de déboisement intensif au XXe siècle. La disparition des arbres les plus grands et les plus forts a laissé la place aux pins, qui sont l’espèce compagne du matsutake. Mythifié au Japon pour sa rareté et son arôme singulier, il fait l’objet d’un commerce international lucratif et codifié. Il est donc aussi un véhicule de mondialisation. Au fil des pages, le petit champignon prend de l’épaisseur sous la plume de l’auteure : espèces survivante, délice gastronomique, figure poétique, objet de spéculation. Il est tout à la fois être discret de la forêt et témoin direct des transformations du système de production de valeurs.

Partie en promenade de cueillette dans les bois au début du livre, Tsing rencontre des migrants du Sud-Est asiatique qui vivent de la vente du matsutake, si difficile à dénicher sous l’humus des feuilles. À sa surprise, elle découvre que des Mien, Hmong et Lao reconstituent dans la forêt américaine des campements villageois semblables à ceux qu’ils ont connu de l’autre côté du Pacifique, souvent sur les routes de l’exil. Dans la forêt américaine, ils côtoient d’anciens soldats de la guerre du Vietnam, des hippies et des survivalistes qui, eux aussi, y ont trouvé un refuge. Autour du champignon, des communautés de vies précaires se sont reconstituées. La chercheuse part à leur rencontre sur d’autres continents : en Chine, au Japon, en Finlande. Son texte palpite de bruits forestiers et de voix aux accents multiples, habitées de mille manière par un incroyable enchevêtrement d’humain.e.s, de végétaux et d’animaux, les « plus qu’humains » que décrit David Abram dans un autre livre prodigieux de cette même collection dirigée par Philippe Pignarre : Comment la terre s’est tue (La Découverte).

Le matsutake est le guide d’Anna L. Tsing dans son périple, mais il n’est pas le but de sa recherche. À quelles conditions la vie est-elle toujours possible dans les ruines du capitalisme ? La question organise tout son récit. La chercheuse récolte des réponses, qu’elle amène par petites touches, en de courts chapitres, tissés de descriptions de choses vues. Cette forme n’est pas fortuite. Car une des grandes idées du livre est d’interroger la notion d’échelle : nul besoin qu’une expérience soit systémique pour qu’elle vaille la peine d’être observée, partagée et reconnue.

Elle propose de réfléchir en termes de « scalabilité », c’est-à-dire « la capacité d’un projet à changer d’échelle sans problème, c’est-à-dire sans que se modifie en aucune manière le cadre qui définit ce projet ». Une entreprise garde la même organisation même si elle se met à produire beaucoup plus, une recherche scientifique ne prend en compte que les données avalisées par les pairs. C’est un problème, car la scalabilité élimine la diversité, celle « qui pourrait bouleverser l’ordre des choses ». Tsing s’appuie sur l’exemple de la plantation coloniale qui a inspiré les formes de l’industrialisation et de la modernisation. Les Européens ont planté la même canne à sucre, clonée et interchangeable, partout. Elle n’avait pas d’espèces compagnes dans le Nouveau Monde. Les esclaves africains exploités dans les plantations étaient eux aussi parfaitement isolés de l’extérieur. Le système les déshumanisait et les rendait interchangeables. Il était scalable : les plantations pouvaient grandir et s’étendre, et leur régime d’aliénation avec elles. « Cette formule a donné sa forme aux rêves que nous avons appelés progrès et modernité », décrit Tsing.

Anna L. Tsing, anthropologue à l'université de Californie, Santa Cruz

Anna L. Tsing, anthropologue à l'université de Californie, Santa Cruz

La forêt de matsutake propose une expérience inverse : le fameux champignon « ne peut pas vivre en dehors de ses relations transformatrices avec les autres espèces. Ils sont la structure reproductrice d’un système souterrain qui ne s’associe qu’à certains arbres de la forêt. Les matsutake permettent à leurs abris hôtes de vivre sur des sols pauvres sans humus. En échange ils sont nourris par les arbres. Ce mutualisme transformatif a rendu impossible la culture humaine du matsutake. Il résiste au système de type plantation. Il a besoin de la diversité dynamique et multispécifique de la forêt avec laquelle il peut nouer des rapports cordiaux de contamination ». Tsing refuse de considérer comme mauvais ce qui est scalable et bon ce qui ne l’est pas. C’est la diversité, l’indétermination, la précarité qui se jouent dans ces agencements qui l’intéressent. Une force incroyable peut y naître, mais « elle peut aussi disparaître en un instant ».

À partir de là, de nouveaux savoirs deviennent possibles : donner de la valeur aux contaminations vues comme des formes métisses de collaboration, reconnaître l’existence de « communs latents » dans les écosystèmes et de pratiques de coopération qui ne sont pas exclusivement humaines. Ainsi, la chercheuse développe au fil de son texte, ponctué de photos prises sur le terrain, comme dans un carnet de travail, l’idée que le changement social ne peut plus se penser sans la collaboration des humain.e.s avec les autres êtres vivants. Que les savoirs précaires, les pratiques fragiles peuvent être aussi importants que les grandes théories bien carrées. Que pour comprendre ces réalités mouvantes, il ne faut pas seulement produire des enquêtes scientifiques, il faut aussi savoir écouter et raconter des histoires.

« À la question de la possibilité de vie dans les ruines du capitalisme, il n’y a pas de réponse globale, analyse la philosophe Isabelle Stengers en préface du livre. Les ruines, lieux de rencontres marquées par la contingence, de connexions marquées par la précarité, ne donnent pas d’assurance et le livre de Tsing n’en donne pas non plus. » De l’ouvrage, elle extrait la notion de « viabilité » : « La question “est-ce viable ?” sera peut-être la question rationnelle par excellence », écrit-elle. Viable pour qui et aux dépends de quoi ? Chaque piste ouverte par le livre de Tsing amorce de nouvelles questions.

Ce monde fragile et coopératif qui se fabrique autour du matsutake n’est ni un modèle ni une dystopie. Il présente des aspects admirables (courage des chercheurs de champignons, solidarité des bivouacs, amour de ses admirateurs pour la beauté des saisons) et des revers (cynisme commercial, défense de son territoire). Tsing ne le juge pas. Elle le repère et elle le situe sur la carte des lieux d’expérimentations sociales. Elle invite son lecteur à déplacer son regard sur son environnement direct et à y déceler les agencements entre humain.e.s et non-humain.e.s, entre survie économique et liberté subjective, entre rationalisation et émotion. Le texte et les images qu’il convoque continuent de vous habiter bien après en avoir terminé la lecture. Petit à petit, le matsutake vous prend dans ses filets.

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9 juillet 2017 7 09 /07 /juillet /2017 09:04

Bienfaits et dangers de la révolution génétique par Jacques Testart, Biologiste, directeur honoraire de recherche à l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm), pour Le Monde Diplomatique de juillet 2017.

Misha Most " Run DNA " (ADN de la course), 2016.

Misha Most " Run DNA " (ADN de la course), 2016.

Le terme « eugénisme » a été inventé à la fin du XIXe siècle par Francis Galton, un anthropologue cousin de Charles Darwin, pour définir la « science de l’amélioration des races ». L’infanticide, la gestion des mariages, la stérilisation, l’extermination ou l’avortement risquent bientôt d’apparaître comme de bien piètres moyens pour améliorer la qualité humaine au regard des apports de la génétique moléculaire, alliée à l’informatique et à la biologie cellulaire.

La période récente a vu l’irruption de technologies génétiques complexes dont les pouvoirs, fascinants et redoutables, ont été popularisés par les médias : le Crispr-Cas9, « ciseau génétique », et le gene drive, ou « forçage génétique ». Un premier essai chinois ayant utilisé la technologie Crispr en 2015 pour réparer des embryons humains anormaux a accéléré l’autorisation de projets de recherche dans plusieurs autres pays dont le Royaume-Uni et les États-Unis. La perspective eugénique est largement évoquée, comme s’il était acquis que cette « édition du génome » (lire « Nous sommes tous des mutants ») puisse être parfaitement maîtrisée, une condition impérativement préalable à toute application humaine. Or un spécialiste l’explique : « Les techniques d’édition entraînent des dommages collatéraux. D’autres portions du génome que celles ciblées sont ainsi modifiées, sans que l’on comprenne toujours pourquoi ou que l’on puisse toujours en prédire l’existence. [De plus], les vecteurs utilisés, qu’il s’agisse de bactéries, de particules ou même d’une micro-injection, sont destructifs comme un bulldozer qui essaierait de venir faire de la dentelle dans votre cuisine : le stress induit laisse des traces incontrôlées, sous forme de mutations et d’épimutations (1)… » D’autres rares critiques modèrent les annonces d’une amélioration prochaine du génome humain (2).

À l’automne 2016 paraissait un résultat scientifique qui nous semble au moins aussi important, mais qui fut largement ignoré. Cette recherche démontre qu’il est possible de fabriquer des cellules « reproductrices » — c’est-à-dire des gamètes — en grand nombre grâce à la réorientation fonctionnelle de cellules prélevées dans la queue d’une souris, c’est-à-dire de fabriquer des embryons en quantité illimitée (3). Tout a commencé en 2005, quand le Japonais Yamanaka Shinya a découvert que des cellules normalement chargées par l’organisme d’une fonction spécifique (cellules de peau, du sang…) pouvaient être « recyclées » en cellules capables d’une fonction différente (cardiaque, rénale, nerveuse, etc.). L’ADN, qui est le même dans toutes les cellules d’un individu, reste susceptible de s’activer différemment tout au long de la vie pour mobiliser des compétences spécialisées, lesquelles sont éteintes parce que non nécessaires dans l’organe où ces cellules se trouvent. Il faut pour cela ramener ces dernières à l’état de cellules à potentiel multiple, ou cellules pluripotentes, avant de les redifférencier dans la fonction voulue.

Cette découverte, qui a valu le prix Nobel de médecine à Yamanaka en 2012, montre que les cellules somatiques (cellules qui constituent le corps) peuvent acquérir des compétences comparables à celles des cellules embryonnaires pour recomposer des organes défaillants, et elle donne déjà lieu à de nombreux essais thérapeutiques.

La question s’est bientôt posée de l’éventualité de transformer ces mêmes cellules somatiques en gamètes, une hypothèse condamnée a priori par le postulat ancien qui sépare absolument le soma (lignée de toutes les cellules pour le fonctionnement du corps) et le germen (lignée des gamètes pour la procréation). En quelques années, une série de travaux menés chez la souris ont marqué des avancées importantes dans la transformation in vitro de cellules somatiques en cellules reproductrices, mais sans parvenir à la production de nouveau-nés, jusqu’à la dernière publication japonaise, qui démontre la faisabilité de cette stratégie. Une telle passerelle induite entre soma et germen constitue un acquis considérable pour la connaissance fondamentale et la recherche, mais elle porte aussi des promesses d’intervention sur l’animal ou l’homme. Les scientifiques impliqués dans cette fabrication de gamètes demeurent peu bavards sur d’éventuelles applications humaines, évoquant seulement de possibles ouvertures pour la conservation des espèces animales menacées et la perspective de conjurer la stérilité de personnes ne produisant pas de gamètes. L’une des rares publications en langue française ayant relayé l’article des Japonais évoque des applications humaines « dans dix à vingt ans », qui pourraient concerner l’aide à la procréation des personnes stériles ou des homosexuels, ou encore l’autoprocréation (4).

L'immense question éthique est absente : quelles conséquences eugéniques si on parvient à fabriquer des gamètes humains en abondance ? Il semble que la sélection des humains qui pourrait en découler échappe aux journalistes comme aux élus, aux comités d’éthique et même aux propagandistes du transhumanisme. Tous n’envisagent la modification de l’espèce, pour la condamner ou pour la souhaiter, que par la modification active du génome de l’embryon — d’où la mobilisation médiatique et éthique autour des techniques d’édition du génome.

Pourtant, une « simple » sélection, rigoureuse et étendue, serait susceptible de conduire au modelage de l’espèce, sans s’accompagner des risques inhérents aux manipulations pour modifier le génome, risques qui viennent d’être montrés pour Crispr (5). C’est par la sélection que l’homme a obtenu des animaux et des plantes conformes à ses besoins. Et, si de très nombreuses générations ont été nécessaires pour une « amélioration » réalisée empiriquement à partir des performances de vivants adultes, l’outil génétique disponible aujourd’hui, ainsi que la profusion prévisible des cibles embryonnaires, permettrait la modification de l’espèce humaine en quelques générations.

Actuellement, le diagnostic préimplantatoire (DPI) permet le tri parmi les quelques embryons issus d’une fécondation in vitro (FIV) afin d’en retenir un (ou plusieurs) qui ne porte pas un caractère génétique redouté et de le transplanter dans l’utérus de la future mère. Cette pratique est limitée par des considérations éthiques (surtout en France), mais principalement par la pénibilité des actes médicaux nécessaires à la FIV d’une part et par le faible effectif d’embryons disponibles d’autre part. Depuis 1994, la loi française de bioéthique a réservé le DPI aux cas de couples « susceptibles de transmettre une maladie particulièrement grave et incurable au moment du diagnostic ». En réalité, les comités locaux d’éthique ont élargi progressivement les indications médicales, depuis les maladies monogéniques (mucoviscidose, myopathie), lesquelles permettent aussi l’interruption de grossesse, jusqu’à des maladies moins graves, comme l’hémophilie, ou même à des situations de risque génétique (en particulier les risques de cancer) au déterminisme complexe et largement imprévisible parce que impliquant de nombreux gènes et des facteurs environnementaux. C’est surtout la crainte motivée de transmission d’une grave pathologie qui amène actuellement des couples à recourir à la FIV-DPI : peu de personnes accepteraient ces servitudes médicales pour choisir le sexe d’un enfant, comme on peut le faire aux États-Unis, ou pour éviter son strabisme, comme cela a déjà eu lieu au Royaume-Uni.

Il faut imaginer le bouleversement à venir si la réalisation de la FIV n’imposait plus d’actes médicaux pénibles sur les femmes (sauf un prélèvement de tissu cutané) et si elle permettait simultanément l’élimination de nombreux traits génétiques réputés indésirables, voire la sélection de traits désirés. Il y a toutes les raisons de croire que ce qui fut possible chez la souris le sera dans notre espèce, et l’enjeu immédiat de la recherche va être d’optimiser les conditions expérimentales afin de rendre possible l’application biomédicale de la fabrication des gamètes. D’abord augmenter le rendement cellulaire, qui est actuellement d’environ un ovule obtenu pour mille cellules de peau, un rapport très faible mais classique dans les expériences pionnières. Ainsi, s’il a fallu d’innombrables cellules il y a vingt ans pour cloner la première brebis Dolly, cette performance a été depuis reproduite à des dizaines de milliers d’exemplaires, chez de nombreuses espèces. Ensuite, et c’est le plus important, vérifier que les reconversions imposées aux cellules et les manipulations nécessaires n’ont pas d’effets susceptibles de retentir sur la normalité et la santé de l’enfant à naître.

Rappelons que, si les cellules manipulées d’un individu (de banales cellules de peau) possèdent toutes le même génome, les gamètes qui en seraient issus sont tous différents pour avoir subi les mécanismes de la méiose (division cellulaire) : les chromosomes en provenant sont distribués aléatoirement dans chaque gamète, si bien qu’il est impossible que la même composition génétique se retrouve dans deux ovules ou dans deux spermatozoïdes issus de la même personne. Ainsi, les embryons « faux jumeaux » qui seraient produits en abondance constitueraient une population hétérogène propice à une démarche sélective. L’outil informatique décèle des situations de plus en plus nombreuses où la description de l’ADN est corrélée avec des probabilités : on constate que telle configuration d’un gène ou d’un ensemble de gènes correspond plus ou moins souvent à telle caractéristique de la personne, sans que soit connue la causalité biologique entre ces éléments. C’est dans ce champ que le DPI peut trouver des développements sans limites pourvu que les embryons testés soient abondants.

On peut penser que, dès qu’une méthodologie efficace, indolore et sécurisée sera proposée pour choisir un enfant parmi tous ceux qui auraient été possibles, l’afflux des couples saturera les services biocliniques. Les patientes étant dispensées des servitudes actuelles (stimulations hormonales, dosages sanguins, échographies, ponction ovarienne), un véritable criblage des génomes embryonnaires deviendrait possible, afin d’en comparer chaque aspect à celui du « génome normal » — lequel n’existe pas naturellement, puisque tout individu est porteur de plusieurs gènes potentiellement pathologiques —, et les critères choisis devraient largement converger vers une norme médicale ou sociétale. Cette nouvelle sélection diffère de l’ancienne en ce qu’elle est demandée par les futurs parents plutôt qu’imposée. Mais ses critères de choix risquent d’être communs à tous les couples, comme le remarque le Conseil d’État en notant qu’un certain eugénisme peut résulter de la convergence de décisions individuelles. L’économie de la santé bénéficierait de la réduction attendue de la fréquence de graves maladies par la présélection des naissances, mais l’appréciation statistique de prédispositions génétiques au déterminisme complexe pourrait conduire à des désillusions, surtout individuelles. Dans ce processus de normalité fabriquée visant le « meilleur » du patrimoine biologique de l’humanité, les différences ou déviances par rapport à la norme, y compris la norme comportementale et les maladies mentales, devraient s’avérer intolérables. Les dérives autoritaires au nom du bien collectif ne sont pas exclues, tandis que le nivellement « par le haut » des génomes pourrait conduire, en quelques générations, à s’écarter de l’Homo sapiens selon les vœux des transhumanistes et au péril d’une réduction drastique de la diversité.

Toutes les étapes pour la sélection humaine sont désormais réalisées ou en voie de réalisation :

— disposer d’ovules en grand nombre hors du corps féminin grâce à la reconversion de cellules somatiques (dont on vient juste de démontrer que c’est faisable) ;

— savoir les féconder, cultiver quelques jours les embryons et prélever deux cellules sur chacun (c’est ce que font déjà la FIV et le DPI) ;

— comparer le génome de ces cellules à un génome « normal » grâce à des algorithmes (le séquençage du génome entier est promis à court terme pour 1 000 euros) ;

— identifier les génomes indésirables et éliminer ces embryons avec le « consentement éclairé » des géniteurs ;

— transplanter in utero le « meilleur » embryon et conserver (cryopréservation) les autres embryons acceptables pour des usages ultérieurs (nouvelle chance de grossesse, don à un autre couple ou à la recherche).

Le concept de l’eugénisme souffre aujourd’hui de deux caricatures opposées : les stérilisations obligatoires du premier tiers du XXe siècle, et surtout les crimes de la période nazie, ont provoqué une « répulsion démocratique » qui réduit l’eugénisme à une politique autoritaire et nie ainsi le caractère potentiellement eugénique de toute pratique volontaire ; par ailleurs, l’exigence de protection de toute vie humaine, principalement par l’Église catholique, entraîne la qualification d’eugénisme pour tout acte éliminant un embryon ou un fœtus. Ainsi se trouve négligée une caractéristique essentielle de l’eugénisme : son potentiel de modification de l’espèce. C’est bien ce potentiel que pourrait nourrir le tri embryonnaire, sans commune mesure avec l’avortement sélectif après diagnostic prénatal, lequel ne peut évaluer qu’un fœtus par an, et seulement au prix de souffrances morales et physiques. Comment des résolutions éthiques ou législatives seraient-elles capables de s’opposer à la revendication de procréer des enfants « de meilleure qualité » dès que la proposition en sera faite ?

Pourtant, c’est dans l’indifférence que se prépare la sélection des humains dans les éprouvettes des biogénéticiens.

Jacques Testart

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28 mai 2017 7 28 /05 /mai /2017 09:15

À trop courir après le modèle industriel, les progressistes n’ont pas imaginé un nouveau rapport à la nature. Pourtant, selon le philosophe, de Fourier à Reclus, écologie et égalité ont toujours été liées. Par Sonya Faure et Simon Blin le 26 mai 2017 pour Libération, suivi de Les affinités écologiques de la gauche, ear Fabien Escalona et Jade Lindgaard pour Mediapart le .

Serge Audier : La société écologique et ses ennemis - pour une histoire alternative de l'émancipation

Serge Audier : La société écologique et ses ennemis - pour une histoire alternative de l'émancipation

Privée d’un véritable candidat à l’élection présidentielle, l’écologie a trouvé une place de choix dans le nouveau gouvernement sous la houlette de Nicolas Hulot, nommé ministre d’État, dont l’intitulé du ministère, «Transition écologique et solidaire», allie action écologique et transformation sociale. Logique, d’après le nouveau rapport à la nature que le philosophe Serge Audier reconstitue dans son ouvrage la Société écologique et ses ennemis. Rappelant que la société écologique a été maltraitée par les mouvements progressistes au cours des deux derniers siècles, le maître de conférences à l’université Paris-Sorbonne (Paris-IV) estime que le respect de la nature et les questions d’égalité sociale sont indissociables.

Lors de la campagne présidentielle, Benoît Hamon ou Jean-Luc Mélenchon ont clairement mis en avant leurs préoccupations écologiques. La gauche s’est-elle réconciliée avec ces questions ?

On assiste à une montée de la sensibilité écologique dans la société civile et les discours politiques. Par-delà les frontières françaises, le mouvement altermondialiste ou les Indignés ont promu le thème des «biens communs», ces ressources fondamentales aussi bien écologiques que sociales. Durant la campagne présidentielle, Hamon a repris le thème des limites des critères classiques de la richesse : le PNB occulte les dégâts sociaux, sanitaires et environnementaux de la croissance. Mais il a été lâché sans convaincre que son avenir était «désirable». Mélenchon a, lui, prôné une planification écologique et une «règle verte». Cependant, l’écologie se marie-t-elle avec son «populisme de gauche» emprunté à la philosophe Chantal Mouffe ? Celle-ci exalte les «affects» populaires nationaux, et, de fait, la stratégie mélenchonienne a privilégié un horizon très stato-national. Or, les enjeux écologiques relèvent aussi du cosmopolitisme. Quant aux «affects», sont-ils le moyen privilégié de promouvoir une politique écologique, qui suppose aussi un espace public réfléchi où prévalent les solutions argumentées ? Quoi qu’il en soit, l’échec de Hamon et de Mélenchon montre l’ampleur du défi : il n’y a pas d’hégémonie écologique. Ce qu’a confirmé le débat télévisé entre Marine Le Pen et Emmanuel Macron, où l’écologie fut absente, comme s’il était acquis que les exigences de l’économie et des électeurs sont ailleurs. L’avenir dira si la nomination de Nicolas Hulot, dans un gouvernement si peu écologique, infléchit ces tendances.

Vous montrez que «les gauches» se sont penchées sur la nature et l’écologie avant d’oublier cette préoccupation…

Les mouvements socialistes puis anarchistes ont manifesté, dès les années 1820 et pendant quelques décennies, une sensibilité aux mutilations de la nature et de la santé provoquées par le capitalisme industriel. Des visions de la société future ont esquissé un lien entre transformations sociales et environnementales, en inventant un nouveau rapport à la nature qui ne soit pas destructif. Mais ces projets se sont souvent perdus ensuite, ou dilués dans le socialisme et le communisme. La gauche, par-delà son hétérogénéité, s’est convertie au modèle industrialiste qu’elle a nourri : le «progrès» industriel devait abolir la subordination des pauvres et diffuser le bien-être. Parallèlement, la critique de l’industrialisme a été captée par des milieux conservateurs, réactionnaires et préfascistes. Ce qui a renforcé la difficulté de la gauche à imaginer un nouveau rapport à la nature.

Vous ouvrez votre livre avec une phrase de Marcel Gauchet : «Sous l’amour de la nature, la haine de l’homme…»

Ce slogan fut lancé en 1990 dans la revue le Débat. Il est symptomatique d’une vulgate longtemps dominante véhiculant l’opposition binaire entre l’humanisme et le souci de la nature. L’article de Gauchet a inspiré d’autres diatribes anti-écologiques de Gilles Lipovetsky, de Luc Ferry [le Nouvel Ordre écologique] ou Pascal Bruckner [le fanatisme de l’Apocalypse], c’est-à-dire des intellectuels qui ont voulu incarner une sorte de «retour à la normale» dans les années 80-90. Avec l’eau du bain gauchiste qu’ils exécraient, ils ont jeté le bébé de la conscience écologique qui avait ressurgi dans les années 70. Ce que j’ai appelé la «pensée anti-68» a, de fait, réhabilité une forme de capitalisme libéral, en balayant des critiques subversives portées par le mouvement écologique après les contestations des années 60. Déjà, des protestataires contre la guerre du Vietnam avaient mis en avant, en plus de la tragédie humaine, la dévastation de la nature vietnamienne par le napalm. Puis le Club de Rome et les luttes écologistes avaient enclenché de fortes remises en question, provoquant des résistances à gauche, singulièrement dans le Parti communiste français. Mais la crise et le chômage ont agi comme une massue disciplinaire, qui a freiné l’effervescence écologique à gauche, tandis que la contre-révolution néolibérale - Milton Friedman et tant d’autres - assénait que les législations environnementales nuisaient à la croissance et aux libertés économiques. Après l’ennemi communiste est apparu l’ennemi écologiste.

En quoi l’histoire des mouvements de gauche permet-elle de dépasser les dichotomies - l’écologie contre le progrès, les hommes contre la nature… - qui ont longtemps détourné la gauche des questions écologiques ?

Mon livre est une tentative de produire un autre récit qui montre que, logiquement et historiquement, les luttes pour la liberté et l’égalité se sont articulées à des luttes pour défendre la «nature». Des mouvements émancipateurs ont investi avec cohérence, très tôt, ces enjeux, que ce soit parmi des libéraux républicains modérés, des anarchistes ou des socialistes. Alfred Russel Wallace, un savant proche de Darwin, de conviction socialiste, est l’un des premiers grands penseurs de la destruction de la planète par une logique capitaliste. Avant lui, un pionnier du socialisme, Charles Fourier, formule dès les années 1820 l’idée que le capitalisme industriel ravage le globe, que la déforestation a un effet catastrophique sur les sols et le climat. D’où le projet de Fourier et de ses disciples d’une reforestation de la Terre. Les utopies fouriéristes prônent un rapport esthétique à la nature, une relation de soin et de valorisation, qui relève d’un «socialisme jardinier». Mais il y a aussi une tendance humanitaire et romantique, représentée par George Sand ou Marie d’Agoult, célèbre militante républicaine des années 1830-1840. On trouve dans ces fragments de pré-écologie progressiste, sociale et féministe, une dimension universaliste qui les distingue de la critique réactionnaire de la modernité. Le géographe libertaire Elisée Reclus est quant à lui emblématique de la sensibilité des milieux anarchistes à la nature. Par anti-hiérarchisme et anti-autoritarisme, ce courant a déployé une vive critique de l’industrialisme capitaliste et du propriétarisme bourgeois, pointant leurs conséquences destructrices tant sur l’individualité que sur le monde naturel. Loin de l’allergie réactionnaire au monde urbain, Elisée Reclus voit dans la ville «verte» qu’il imagine le lieu même de la vie démocratique. Il croit aux progrès de la science et à la conquête du bien-être universel - pourvu que ces avancées s’effectuent dans la connaissance et le respect de la nature.

Au XIXe siècle, l’historien Jules Michelet - le républicain par excellence - attirait l’attention sur le sort fait aux animaux et aux océans…

On trouve chez Michelet, précurseur de l’éthique animale, une très grande réceptivité aux dévastations des océans et de leur faune. J’évoque aussi un savant lié aux cercles républicains, Edmond Perrier, le directeur du Muséum d’histoire naturelle, qui invitait les humains à cesser de détruire la Terre pour devenir ses sages usufruitiers sur le très long terme. Ces penseurs de la solidarité avec les animaux et la nature participaient d’un horizon républicain : pour eux, la République devait prendre soin de l’environnement et des générations futures.

Pourquoi l’écologie échoue-t-elle alors à chaque fois à s’imposer ?

Les pionniers de cette sensibilité pré-écologiste - Fourier, Reclus, Kropotkine - ont été marginalisés. Surtout, une puissante intériorisation de la nécessité d’une domination exponentielle de la nature s’est imposée. Un imaginaire de la croissance d’autant plus séduisant qu’il nourrit une promesse de bien-être universel. Les précurseurs de l’écologie ont peiné à prouver qu’un autre chemin pouvait être épanouissant pour tous.

Comment la gauche peut-elle concrétiser son ambition écologique ?

La bataille culturelle pour une écologie de gauche est devant nous. Et il faudrait établir une relation créative entre les mouvements de la société civile et la politique institutionnalisée. Tout un pan de l’écologie se déploie sous forme d’expériences locales ou de transformation personnelle. Mais si ces mouvements ponctuels ne s’articulent pas à la politique au niveau national et international, s’ils n’emportent pas la conviction de la majorité et échouent à générer une législation contraignante, ils risquent de rester des contre-expériences sans débouchés et d’apparaître comme excluant une grande partie de la population.

A quoi ressemblerait une «société écologique» ?

C’est une société solidaire qui ne se conçoit pas comme «l’autre» de la nature mais qui invente un rapport de partenariat et de soin vis-à-vis d’elle sur le très long terme. Tous les auteurs que je cite avaient déjà compris que l’être humain se réalise autrement que par la maximisation de son intérêt, que le travail et la nature ne sont pas des marchandises. La société écologique doit proposer un modèle alternatif de bien-être et de richesse, de relation à soi, aux autres et à la nature, de partage - autant d’intuitions qu’avaient déjà les présocialistes.

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Les affinités écologiques de la gauche
ar Fabien Escalona et Jade Lindgaard pour Mediapart le .

Depuis toujours, la gauche est un creuset de théories et de luttes écologiques, mais celles-ci ont été recouvertes par d’autres récits d’émancipation, au nom des Lumières, des luttes sociales et contre les discours réactionnaires de défense de la nature. C’est ce que démontre le philosophe Serge Audier dans La Société écologique et ses ennemis.

Il y a une « patte » Serge Audier, dont les plus fidèles de ses lecteurs sont conscients et s’amusent parfois entre eux, impressionnés par une érudition jamais surplombante, guidée qu’elle est par un sens et un goût évidents pour la pédagogie de ce spécialiste des idées politiques. Administrant sans relâche la preuve de ses affirmations, à travers une profusion de références en trois ou quatre langues, il cherche régulièrement à « déshomogénéiser » des courants de pensée (le républicanisme, le socialisme pré-marxiste, le néolibéralisme…) et à sortir de l’oubli des approches et des auteurs qui seraient pourtant précieux dans les débats intellectuels contemporains (solidaristes, socialistes libéraux, libertaires de gauche…).

Ce souci de briser les images d’Épinal de la philosophie politique, d’en complexifier les récits dominants et de rendre justice aux « perdants » ensevelis sous une Histoire souvent écrite par les vainqueurs se retrouve tout au long du nouveau livre d’Audier, La Société écologique et ses ennemis. Cette somme de plus de 700 pages, qui se lit néanmoins avec facilité, est tout entière tournée vers la mise au jour d’une « voie écologique, […] toujours minoritaire et bloquée », qui a existé « au sein des mouvements luttant pour l’égalité et l’émancipation de tous ». Les critiques à la fois écologistes et progressistes de la société capitaliste industrielle ont existé quasiment depuis les débuts de celle-ci, nourrissant également des propositions d’alternatives dont la richesse, une nouvelle fois, a largement été oubliée.

Conscient des dérèglements du système Terre, citant les travaux les plus récents qui attestent des menaces qui en résultent pour l’espèce humaine, Audier entend donc démontrer par l’exemple qu’il n’existe aucune incompatibilité logique entre les combats historiques de la gauche au sens large et les combats à mener aujourd’hui sur le front climatique. Réservant à un prochain ouvrage une véritable investigation sur les causes de l’échec de cette voie alternative vers l’émancipation, il fait de celui-ci un plaidoyer pour des « Lumières écologiques ». Au cours de l’entretien, il insiste sur le fait que les Lumières « réellement existantes » ont abrité deux « noyaux de sens », l’un tourné vers la domination, l’autre vers l’autonomie. C’est bien sûr ce dernier qu’il entend réévaluer, « en traçant les lignes d’une autre gauche […] qui conçut autrement que le pôle productiviste ce que le “progrès” pouvait vouloir dire ».

 
 
 

Serge Audier, La Société écologique et ses ennemis. Pour une histoire alternative de l’émancipationLa Découverte, 27 euros.

 

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19 février 2017 7 19 /02 /février /2017 09:59

Le 25 mars 2017 se tiendront les premières Rencontres de La Plaine, manifestation large pour favoriser l’échange entre militant-e-s de l’ESS et l’interpellation des responsables politiques en cette année électorale. Collectif le 16 février 2017

Dans un contexte international inquiétant, et compte tenu des échéances électorales, 2017 doit être, tant pour l’ESS que pour la société tout entière, une année de luttes et de résistances face aux multiples enjeux.

Pour l’ESS,

• d’un côté la banalisation accélérée d’un trop grand nombre de ses grandes enseignes, de ses institutions,

• de l’autre, la résistance qui s’exprime au sein de certains secteurs mutualistes, coopératifs et associatifs, mais surtout la consolidation, l’émergence de structures innovantes engagées dans la transformation sociale.

L’enjeu, la survie d’une économie de l’initiative citoyenne, de la solidarité, d’un « entreprendre autrement » fondé sur la propriété collective, la gestion démocratique et la non-lucrativité, c’est-à-dire l’affectation des nécessaires résultats au développement du projet commun ancré dans les grands enjeux de notre époque.

Pour la société tout entière,

• d’un côté : la poursuite, l’accélération du démantèlement de l’État social, le développement des inégalités, la promotion par des médias entre les mains des pouvoirs économiques d’un modèle fondé sur le lucre et des conceptions antihumanistes des progrès technologiques, le développement de la crise écologique, l’absence de perspectives politiques du fait de l’éclatement du champ politique notamment du camp progressiste,

• de l’autre : les résistances de secteurs de plus en plus larges de l’opinion telle qu'elles se sont, par exemple, exprimées dans le soutien au mouvement social du printemps 2016, l’émergence de nouvelles formes de solidarité, les aspirations à un autre monde au-delà de toutes les frontières.

L’enjeu, la survie de la démocratie, économique, sociale, culturelle et environnementale, des conquêtes de deux siècles de mouvement social.

Pour nous, militant-e-s d’une ESS de transformation sociale et écologique et du mouvement social, conscient-e-s de notre tradition historique commune, il s’agit de définir une autre voie, de faire entendre d’autres voix, pour prendre toute notre place dans les initiatives de résistance et de reconquête d’une opinion dominée par la « doxa » libérale.

Cela passe notamment par des confrontations entre acteurs, une promotion des initiatives, une prise de parole dans le débat public et dans les campagnes présidentielles et législatives.

C’est pourquoi nous proposons l’organisation d’une manifestation, la plus large possible, associant des médias du mouvement social et progressiste afin de lancer un échange entre militant-e-s, qui permettra l’interpellation des forces politiques et une adresse à l’opinion.

Les Rencontres de La Plaine se tiendront le samedi 25 mars 2017 (9h30-17h) à la Maison des sciences de l’homme Paris-Nord, 20, avenue George-Sand, 93210 Saint-Denis (métro Front populaire, ligne 12)

À l’initiative de : François Longérinas – CFD/EMI –, Jean-Philippe Milesy – Rencontres sociales –, Jack Potavin – Groupement des organismes employeurs de l'ESS (GOEES) –, Patrick Vassallo – conseiller territorial de Plaine-Commune.

Contacts : rencontresdelaplaine.ess@gmail.com / Jean-Philippe Milesy milesy@rencontres-sociales.org ; 06 85 56 38 58.

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7 février 2017 2 07 /02 /février /2017 15:07

Pourquoi l’humanité met-elle à mort des animaux pour les manger ? Pourrait-elle s’en passer ? Comment et pourquoi ? La philosophe Florence Burgat réfléchit aux raisons de la violence faite aux animaux, guidée par le souci d’étendre leurs droits. Un bel entretien avec Florence Burgat, par Lorène Lavocat pour Reporterre le 2 février 2017.

Lire aussi L'avis des bêtes, Pour un secrétariat d'État à la condition animale, et    Le véganisme est-il un humanisme ?... et aussi De nouvelles préconisations nutritionnelles... Pas d'usine, on cuisine !

Florence Burgat : « L’institution de l’alimentation carnée reflète un désir très profond de l’humanité »

Florence Burgat est philosophe, directeur de recherche à l’Inra, détachée aux Archives Husserl de Paris (ENS-CNRS). Ses recherches portent sur les approches phénoménologiques de la vie animale ; la condition animale dans les sociétés industrielles : le droit animalier (épistémologie juridique) ; l’anthropologie de l’humanité carnivore, à laquelle elle consacre son nouveau livre, L’humanité carnivore (Seuil).

 

Reporterre - Comment en êtes-vous venue à vous intéresser à la cause animale ?

Florence Burgat - Ce sont des images d’abattage que j’ai vues par hasard dans un film portant sur tout autre chose. En quelques instants, la viande a pris à mes yeux un sens totalement différent et je me suis mise à associer à cette chair inerte la réalité de son processus d’engendrement. J’ai alors pris une décision réfléchie : si je ne voulais pas participer à ce que je venais de voir, il était impératif de cesser de manger les animaux. J’ai compris que la viande n’avait aucune autonomie, qu’elle était la chair équarrie d’un animal tué — de trois millions d’animaux tués chaque jour en France, dans ses abattoirs.

Par la suite, j’ai décidé de consacrer mon travail en philosophie à cette question. Ma première interrogation a été la suivante : comment expliquer qu’une société comme la nôtre, policée et tranquille, puisse comporter dans ses replis des lieux où l’on égorge des animaux pour les manger alors que les ressources alimentaires dont nous disposons nous en dispensent ? Comment expliquer que nous nous accommodons si bien de cette violence, que nous nous racontons qu’elle n’existe pas ? L’abattoir est une monstruosité au sens propre du terme, une anomalie, un vice, une difformité engendrée par l’humanité carnivore, un lieu où le mal se déploie et se répète en toute impunité.

Qu’entendez-vous par autonome ?

Jusqu’au milieu du XIXe siècle, les animaux sont abattus et vendus dans la rue. Personne ne peut se raconter que la viande sur les étals n’a rien à voir avec les animaux dont elle provient. À partir de 1850 (et de la loi Grammont portant sur les mauvais traitements envers les animaux), les premiers abattoirs sont construits, pour des raisons d’hygiène, mais aussi pour soustraire aux yeux du public la mise à mort des animaux. Pour le législateur, la banalisation de la violence envers les animaux émousse en l’homme la disposition — c’est d’ailleurs ce que dit Kant — la plus utile à la moralité : la pitié ou la compassion. Autrement dit, s’habituer à la vue du sang, à la cruauté envers les animaux, c’est s’habituer à l’ouvrier qui tapera sa femme, ou à d’autres types de violence.

En quelques décennies, l’abattage des animaux va donc être soustrait à la vue du public. Les consommateurs n’auront plus affaire aux bouchers qui vendaient les animaux qu’ils avaient tués, mais à des commerçants dont le rôle est cantonné à la vente. Bien d’autres éléments concourent au mécanisme psychologique de « l’oubli » de l’animal dans la viande. Mentionnons parmi eux les stratégies parfaitement maîtrisées du marketing et leurs slogans publicitaires, les images trompeuses qui illustrent les « produits animaux » ou encore les discours vantant les mérites nutritionnels, prétendument irremplaçables, de la viande.

Longtemps, j’ai cru que cette occultation du processus de mise à mort expliquait la facilité avec laquelle nous mangeons de la viande sans penser que nous mangeons en vérité des animaux. Mais à présent, cette analyse me semble relever d’une courte vue. Nous n’ignorons en fait rien de cette vérité, et les animaux entiers ou reconnaissables dans les étals des bouchers sont là pour nous rappeler qu’il s’agit bien de cadavres d’animaux qui peu de temps auparavant étaient en vie comme nous souhaitons tous le rester ! La mauvaise foi ne doit pas être évincée de l’analyse, et moins encore l’ambivalence qui est au fondement de la vie psychique. « Nous savons bien, mais quand même », pour reprendre une formule chère aux psychanalystes…

Frans Snyders. Étal de gibier, entre 1625 et 1635.

Frans Snyders. Étal de gibier, entre 1625 et 1635.

L’idée selon laquelle nul (ou presque) ne veut renoncer à l’alimentation carnée s’est confirmée au moment de la diffusion des images de L214. La médiatisation des vidéos faisant la lumière sur la mise à mort des animaux dans les abattoirs aurait dû, si nous étions vraiment dans « l’oubli » de cette généalogie, entraîner une réaction massive de rejet de cette viande, dont la vérité était révélée. Il n’en fut rien, même si le véganisme a le vent en poupe, comme on dit. En effet, de nouvelles stratégies surgissent, de nouveaux discours œuvrent à pérenniser la consommation de « viande », qu’il est pourtant désormais impossible de dissocier de la mise à mort des animaux.

Dans mon livre L’Humanité carnivore, je montre en quoi l’institution de l’alimentation carnée reflète un désir très profond de l’humanité, qui n’est bien sûr pas à entendre comme l’agrégat des individus, mais comme une entité qui prend conscience d’elle-même en se pensant contre l’animalité. La manducation [Ensemble des actions mécaniques qui constituent l’acte de manger, NDLR] des animaux ne répond plus depuis longtemps à une nécessité ; l’enjeu est métaphysique et identitaire dans cette violence très singulière qui ne consiste pas simplement à tuer, mais à manger, c’est-à-dire à absorber, digérer, excréter.

L’horreur que nous inspire le cannibalisme confirme la spécificité de la violence propre à la manducation qui suit une mise à mort. Les anthropologues ont en effet mis au jour un « cannibalisme de gourmandise », où des hommes mangent d’autres hommes « parce c’est bon ». Il peut être curieux de penser que le cannibalisme nous répugne plus que la torture, qui constitue une situation où l’autre continue à être tenu pour un sujet qui doit répondre à une question. La manducation, qui implique un processus de décomposition, ravale celui qui est ainsi traité à un rang qui ne peut être comparé à aucun autre. Quoi de plus absolu que la manducation pour affirmer une forme d’anéantissement d’autrui ?

Et quelles sont les pistes de réponse que vous avez pu trouver pour expliquer l’attachement de l’humanité à la manducation des animaux ?

Il n’y a pas une explication simple, d’une part, et l’on ne peut pas s’en tenir à l’Occident moderne et technicien, d’autre part, car c’est l’humanité tout entière qui est embarquée. C’est finalement à l’archéologie de la violence que la question de l’humanité confronte.

La violence de la manducation, quand elle s’institue, serait consubstantielle au moment où l’humanité prend conscience d’elle-même comme d’une entité séparée des animaux ; c’est du moins ainsi que, métaphysiquement, elle se pense. Elle aurait pu se penser autrement, et le transhumanisme qui se prépare constitue peut-être une définition entièrement neuve de l’humanité. Il est frappant de constater que même les sociétés dites « continuistes », qui, ne posant pas de coupure radicale entre l’humain et les non-humains, qui considèrent les animaux comme leurs lointains parents, les tuent et les mangent. Les rituels de « pardon » ne sont que des mascarades.

Frans Snyders. Nature morte avec fruits, gibier mort, légumes et singe, écureuil et chat vivants, avant 1657.

Frans Snyders. Nature morte avec fruits, gibier mort, légumes et singe, écureuil et chat vivants, avant 1657.

C’est dans le dernier chapitre de mon livre que je tente de montrer comment l’humanité pourrait changer de régime. Ce changement ne serait pas motivé par un sursaut moral ou éthique, mais pourrait être la réponse aux problèmes environnementaux et aux injustices causés par l’élevage. La végétalisation de l’alimentation pourrait s’imposer pour des questions de survie d’une humanité extraordinairement nombreuse. Si ce renversement advient, je pense que la cuisine végane, les viandes végétales, la viande in vitro [fabriquée à partir de cellules musculaires d’animaux] pourraient tout à fait continuer à occuper la place de la viande. Grâce à ces similicarnés, nous pourrions passer à un autre régime tout en pensant que nous mangeons toujours des animaux. Le marketing pourra en l’occurrence jouer un rôle déterminant, comme il joue actuellement un rôle déterminant dans l’édification de nos représentations de la viande que nous mangeons, en ménageant sciemment une distance avec les animaux dont elle provient. C’est lui qui forge de bout en bout nos représentations de la viande, de l’animal.

Faites-vous une distinction entre différents types d’élevages, de chasses ? N’y a-t-il pas notamment une différence à faire entre un élevage industriel et un élevage paysan ?


Les pratiques d’élevage incriminées dans le contexte de l’industrialisation — la séparation des animaux, la contention, les pratiques de mutilation — sont aussi anciennes que l’élevage. Par exemple chez les Romains, pour que les volailles grossissent sans bouger, on les mettait dans des poteries, puis dans des petites cages. Le processus est le même, seulement, il s’aggrave. L’élevage d’antan faisait en petit ce que l’élevage industriel fait en grand. La sélection génétique des animaux était réalisée par bricolage empirique, aujourd’hui elle utilise les outils de la génétique. Mais fondamentalement, l’élevage industriel n’a rien inventé. La différence tient dans des moyens scientifiques et techniques qui permettent à l’industrie de l’élevage d’enrôler dans son entreprise un nombre considérable d’animaux.

Antoine van Dyck et Frans Snyders. Chasse au sanglier, vers 1619.

Antoine van Dyck et Frans Snyders. Chasse au sanglier, vers 1619.

Pourrait-on imaginer créer un élevage qui respecte les animaux ?


Que signifie « respecter les animaux » ? Estimez-vous que faire naître dans le but d’engraisser rapidement un individu dans le but de le tuer pour le manger s’accommode avec le « respect ». Que respectez-vous dans un tel contexte, même si vous créez des conditions de vie convenables pour les animaux ? Le mot ne va pas. Je pense qu’il peut y avoir des règles du métier, une déontologie, un cahier des charges. Mais le respect, qui est un terme très fort, dont la connotation est d’abord morale, est incompatible avec le « meurtre avec préméditation » par lequel certains auteurs qualifient l’élevage pour la boucherie.

Bien sûr, il peut y avoir des conditions de vie différentes d’un type d’élevage à l’autre, mais aussi d’un éleveur à l’autre. Mais si l’on respecte les animaux, par principe, on fait autre chose qu’un métier qui vit de la mort, qui plus est en bas âge, des animaux.

Un collègue végétarien me rapportait une remarque qu’on lui avait faite : « Un animal qu’on aurait bien soigné, qui aurait eu une bonne vie, cela te gênerait-il de le manger ? » Sa réponse est d’après moi très intéressante : « En somme, tu me demandes si cela me gênerait de manger mon chat. »

Pourquoi fondamentalement ne faut-il pas de manger des animaux ?

Dans la mesure où nous ne sommes plus les charognards que nous avons été durant le paléolithique, manger les animaux revient à les tuer, et à les tuer en masse, puisque l’humanité est carnivore. On a envie de retourner la question à l’envoyeur : pourquoi la boucherie est-elle une bonne chose et pour qui ? Nous ne sommes pas dans des situations de survie ou de légitime défense qui, seules, justifient à mes yeux la mise à mort.

Dans deux précédents ouvrages de phénoménologie animale, j’ai montré que la vie animale est individuée, subjective. Contrairement à une vision contemporaine qui fait de l’animal un « simple vivant » et de l’homme un « existant », il faut convenir du fait que l’animal en face de moi est aussi un existant qui n’a qu’une vie à vivre, que son existence est singulière et que c’est la sienne. Aucune autre vie ne peut la remplacer. Voilà ce que l’éleveur de boucherie ne voit pas : il pense au mieux l’animal comme un élément d’un ensemble (le troupeau). La vie animale est elle aussi persévérance dans l’être.

Et que faites-vous des relations de prédation : il y a bien des animaux qui mangent d’autres animaux…

Certains animaux, les carnivores physiologiques, tuent d’autres animaux pour se nourrir, en effet. L’homme est un omnivore physiologique, qui peut donc adopter plusieurs régimes alimentaires. L’humanité n’a jamais été aussi libre qu’aujourd’hui pour choisir son régime. Et il n’est pas un prédateur comme un autre : il est armé de puissants artéfacts… Par ailleurs, il est curieux de voir que, s’agissant de l’alimentation carnée, l’interlocuteur qui la défend se plaît tout à coup à se présenter comme un « animal comme un autre », un vulgaire prédateur qui aurait lui aussi le droit naturel de tuer d’autres animaux. Alors que c’est évidemment en raison d’une position de surplomb, de supériorité sur le monde animal que nous avons institué un système dans lequel les animaux sont systématiquement les perdants, et l’homme le gagnant.

Frans Snyders. Lion tuant un sanglier.

Frans Snyders. Lion tuant un sanglier.

Qu’en est-il des végétaux ?

Les dissertations sur la vie végétale arrivent à un certain point de la conversation pour noyer le poisson, si l’on ose dire. Les plantes seraient elles aussi douées de sensibilité, etc. de sorte que les manger serait un geste aussi problématique que celui qui consiste à égorger un mammifère. L’argument manque de finesse et de discernement. La sensibilité ainsi entendue peut être une irritabilité, une réaction à une situation. Les plantes n’ont pas de soi, de vie personnelle, d’expérience en première personne.

Je mentionne ici quelques-uns des critères phénoménologiques qu’il faut prendre en compte. L’animal vit sa vie en première personne, c’est lui qui est sujet de ses expériences. Qu’est-ce qui atteste dans le comportement de la plante cette autonomie, cette liberté, cette spontanéité, cette épreuve de la vie et de la mort qui sont ce qui rassemble dans un même ensemble ontologique humains et animaux ?

Si nous devions établir des droits des végétaux, il faudrait fonder ces droits sur d’autres critères que ceux qui fondent les droits fondamentaux humains et ceux sur lesquels doivent de même être fondés ceux qu’il faut conférer aux animaux. Je veux parler du critère de la sensibilité : l’être sensible fait l’expérience de la douleur, précisons : de sa douleur.

On voit quand même des avancées, il y a des évolutions juridiques… par exemple, l’animal a été reconnu comme un être sensible.

Oui, vous avez raison. Des signes d’une évolution sont indéniables. La prise de conscience, comme on dit, précède toujours le changement dans les comportements et dans les pratiques. Le travail de déconstruction que nous faisons — les philosophes, les historiens, les juristes — joue un rôle déterminant dans la prise au sérieux d’un problème tourné en ridicule il y a encore très peu de temps. Dans les milieux universitaires, la question animale suscite beaucoup moins de la brutalité verbale et d’exclusion qu’il y a quinze ans. Quand j’ai commencé à travailler sur la « question animale », j’étais complètement isolée et mes amis à l’université jugeaient cette option de recherche suicidaire, du point de vue de la carrière. Je constate que plusieurs collègues ont modifié leur façon de penser et… leur façon de se nourrir. Une minorité, certes.

Frans Snyders. Le Concert des oiseaux, vers 1630

Frans Snyders. Le Concert des oiseaux, vers 1630

Que pouvons-nous faire, chacun d’entre nous, pour la défense de la cause animale ?

Bien des choses, selon ce qui nous touche le plus. Certains sont révoltés par la fourrure, d’autres par la corrida, d’autres encore par la chasse, d’autres par les abandons d’animaux dits de compagnie. Renoncer aux produits animaux constitue l’acte le plus important, et il est celui qui commande tous les autres. On n’a jamais vu un « végétarien éthique » être pour la fourrure, la corrida et les mauvais traitements envers les animaux ! C’est aussi l’acte le plus contraignant d’un point de vue moral en tout cas, le plus volontaire — tandis qu’être contre la chasse ou la corrida, voilà qui ne demande pas grand effort.

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6 janvier 2017 5 06 /01 /janvier /2017 09:41

Pour sortir de la crise sociale, redistribuons les gains de productivité issus de l’automatisation en rémunérant le travail hors emploi. Tribune de Bernard Stiegler, philosophe, directeur de l'Institut de recherche et d'innovation, auteur de La Société automatique  (tome 1 : «  L’avenir du travail  », Fayard, 2015), tribune publiée par Le Monde le 4 janvier 2017.

LUCKEY_SUN/FLICKR/CC BY 2.0

LUCKEY_SUN/FLICKR/CC BY 2.0

L’avènement du Web en 1993 aura eu la même portée économique et politique que l’avènement de la chaîne de montage de la Ford T en 1913. L’une comme l’autre auront bouleversé les économies industrielles. Mais à la différence du taylorisme, qui fut la condition de l’avènement de l’« American Way of Life », l’automation fondée sur les algorithmes, la « data economy », les objets autonomes et la révolution robotique crée très peu d’emplois.

L’horizon économique et politique que verrouillent les entreprises de prédation, dont Uber est devenu le symbole, apparaît ainsi hermétiquement bouché, et c’est d’autant plus vrai que cette économie, qui est fondée sur le calcul automatisé, tend à former avec le capitalisme des plates-formes des systèmes clos sur eux-mêmes, éliminant la diversité qui seule pourrait nourrir des systèmes ouverts.

Ce que la juriste Antoinette Rouvroy (université de Namur, Belgique) a décrit comme une « gouvernementalité algorithmique » accroît ainsi les tendances au désordre entropique dont le mathématicien américain Norbert Wiener (1894-1964) analysait les dangers dès 1950 dans Cybernétique et société (1952, rééd. 2014, Seuil, « Points »). Ces tendances entropiques et court-termistes sont en outre aggravées par le fait qu’elles se combinent avec ce que les chercheurs en gestion Mats Alvesson (université de Lund, Suède) et André Spicer (Cass Business School, City University of London) ont décrit comme une « functional stupidity » managériale (la gestion par l’absurde dans les entreprises).

Ces caractères autodestructeurs – dont procédait aussi l’immense krach de 2008, dont aucune leçon n’aura pourtant été tirée – sont au sens propre précipités par la disruption qui semble de plus en plus inéluctablement conduire à la ruine des structures sociales. Dans un tel contexte, il est impossible que les populations qui subissent les conséquences de l’impuissance publique face à cette dynamique sans pilotes – mais non sans bénéficiaires – ne deviennent pas de plus en plus hostiles à ce qui est pourtant une évolution historique irréversible, en attendant de devenir proprement « furieuses ».

Processus de prolétarisation

Que faire ? Comme à l’époque du « New Deal » du président Roosevelt (1934), le monde entier – et pas seulement l’Amérique du Nord – est confronté à une mutation technologique et industrielle destructive qui requiert une transformation macro-économique de très grande ampleur. En sortir suppose une « nouvelle donne » capable de rendre durable un système industriel devenu planétaire à travers des réseaux numériques qui, faute d’une bifurcation majeure, accroîtra irréversiblement et fatalement son caractère autodestructeur.

Le développement industriel a conduit à une dégradation massive de la qualité de la vie en général et de l’espérance de la survie de l’espèce humaine, en particulier parce que depuis la fin du XVIIIe siècle, la division industrielle du travail a conduit à un immense processus de prolétarisation qui affecte désormais tous les types d’emplois, à tel point que le travail a été progressivement éliminé par l’emploi salarié. Si tant d’emplois sont susceptibles d’être remplacés par des automates logiques ou physiques, c’est parce qu’ils ne requièrent plus aucun savoir, c’est-à-dire plus aucune capacité de désautomatisation.

Au contraire de l’emploi ainsi prolétarisé, le travail est en effet ce qui produit du savoir – sous toutes ses formes : savoir vivre, savoir faire, conceptualiser… Autrement dit, le savoir est ce qui est capable de produire des bifurcations limitant l’entropie destructrice. Dès lors, il faut revaloriser le travail dans un contexte de dépérissement de l’emploi, ce qui signifie aussi qu’il faut redistribuer une part significative des gains de productivité issus de l’automatisation en rémunérant le travail hors emploi. C’est d’autant plus indispensable que faute de redistribution, le système engendrera une immense surproduction.

Revenu contributif conditionnel

Tels sont les constats et les concepts fondamentaux de « l’économie contributive », qui distingue fondamentalement travail et emploi, mais sans les opposer : il y a évidemment encore des emplois qui rémunèrent du travail – à peu près 50 % des emplois actuels si l’on en croit Carl Benedikt Frey et Michael Osborne, à Oxford (The Future of Employment : how susceptible are jobs to computerisation ?, 2013) et Andrew McAfee et Erik Brynjolfsson, au MIT (Le Deuxième Age de la machine, éd. Odile Jacob, 2015).

Cette économie repose sur un revenu contributif conditionnel, inspiré à la fois par un régime d’allocation de ressources hors emploi, comme le régime des intermittents du spectacle, par l’organisation coopérative du travail qui s’est déployée depuis plus de trente ans autour du logiciel libre, et par l’organisation des « communs » définis par l’économiste américaine Elinor Ostrom, en tant que communautés de savoirs. Un modèle de revenu, de travail et d’emploi que la communauté d’agglomérations Plaine Commune entend expérimenter en Seine-Saint-Denis au cours des dix prochaines années.

Conditionnel comme l’est le régime des intermittents, le revenu contributif est complémentaire du revenu minimum d’existence, qui lui est en revanche inconditionnel. La combinaison de ces deux nouvelles formes de redistribution, conçues comme deux aspects d’une nouvelle réalité macro-économique et d’une nouvelle dynamique industrielle, rendra les économies contemporaines durables, désirables et capables de retrouver la rationalité qui leur fait désormais tellement défaut. Ce faisant, elles regagneront leur crédibilité auprès de populations profondément et dangereusement désemparées.

En complément : « Le capitalisme a réduit notre champ de vision sur le travail » , « Ce n’est pourtant pas le travail qui manque ! » , et Et si on remplaçait l’emploi par le travail ?

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Derniers échos de la révision du PLU des Lilas

Les Sans Radio retrouvent les ondes

Europacity : le débat public se conclut sur des positions inconciliables

Le parc (George-Valbon La Courneuve) debout !

Grand Paris : non à la logique financière

Pour une gestion publique, démocratique et écologique de l'eau

Le revenu de base ? Débat mardi 14 juin 20h

C'était la Grande Parade Métèque 2016...

La nature : une solution au changement climatique en Île-de-France

Participer à la Grande Parade Métèque samedi 28 mai 2016

PLU des lilas: enfin un diagnostic et état initial de l'environnement ... à compléter

Avec la loi « Travail », où irait-on ? Débattons-en mercredi 30 mars

Réduire la place de la voiture des actes pas des paroles

La COP 21 aux Lilas

La nature est un champ de bataille

Alternatiba et le Ruban pour le climat des Lilas à la République

Un compost de quartier aux Lilas

Devoir d'asile : de l'Etat jusqu'aux Lilas

Un ruban pour le climat aux Lilas

Six propositions vertes pour une révision du PLU véritablement utile

La Grande Parade Métèque samedi 30 mai

Fête de la transition énergetique et citoyenne le 9 mai aux Lilas