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C'est dans la colonne de droite tout en bas...

9 octobre 2019 3 09 /10 /octobre /2019 09:31

En plein été, une installation stratégique de la plus grande station d’épuration des eaux usées d’Europe est totalement détruite par le feu à trente kilomètres de la capitale. Il faudra entre trois et cinq ans pour la reconstruire, au prix, dans l’intervalle, d’une pollution gravissime de la Seine. Ce site n’a cessé d’enregistrer des sinistres de plus en plus graves depuis plusieurs années. Sa gestion est entachée par des dévoiements sans précédent en matière de marchés publics. Un désastre absolu, qui ne suscite qu’une inquiétante indifférence. Par Marc Laimé le 27 septembre 2019 pour son blog du « Diplo ». Lire aussi La corruption du marché des eaux usées remonte à la surface en Île-de-France et Dans les Alpes, la neige artificielle menace l’eau potable.

Photo © I. Michel / Sdis78

Photo © I. Michel / Sdis78

Le 3 juillet dernier, un incendie spectaculaire se déclenche sur le site classé « Seveso seuil haut », c’est-à-dire faisant l’objet d’une surveillance particulière en raison de la toxicité des produits qu’il abrite, au sein de l’usine « Seine Aval » (SAV) du Syndicat interdépartemental pour l’assainissement de l’agglomération parisienne (SIAAP) implantée dans la plaine d’Achères, dans les Yvelines (1).

S’étendant sur 600 hectares, la gigantesque station d’épuration, à l’intérieur de laquelle on ne se déplace qu’en voiture ou en camion, est lovée dans une boucle de la Seine, à cheval sur les villes de Saint-Germain-en-Laye, Maisons-Laffitte et Achères. Elle traite 60 % des eaux usées de 9 millions de Franciliens, ce qui fait d’elle la plus grande station d’épuration d’Europe.

C’est un bâtiment de 6 000 m2 servant à la « clarifloculation » des eaux usées (procédé d’élimination des particules en suspension, notamment des phosphates (2)), abritant plusieurs cuves de chlorure ferrique, substance toxique et hautement corrosive, qui a pris feu. L’unité se situe au début de la filière de traitement des eaux usées, et abrite une myriade de colonnes en plastique, dans lesquelles circule le chlorure ferrique. Un énorme panache de fumée noire se dégage aussitôt, visible à plusieurs kilomètres à la ronde.

En l’espace de quelques mois, c’est le quatrième incident grave, incendie ou explosion, sur ce même site.

À 19 heures le sinistre n’était toujours pas maîtrisé par les sapeurs-pompiers du service départemental d’incendie et de secours (SDIS) 78, qui avaient dépêché sur place plusieurs dizaines de véhicules et au moins 70 soldats du feu. À 18 heures 45, d’autres camions et d’autres sapeurs-pompiers continuaient d’arriver sur le site. « Nous avons dû procéder à une alimentation en Seine avec un bateau pompe. Nous avons également utilisé des motos pompes remorquables dans les rétentions des eaux usées », expliquait le lieutenant-colonel Christophe Betinelli, commandant des opérations de secours.

Ce que l’honorable lieutenant-colonel ne pouvait évidemment pas déplorer publiquement, c’est que les conduites alimentant les poteaux d’incendie — sur lesquels les pompiers branchent leurs lances — passaient… sous le bâtiment qui a brûlé. Les poteaux étaient donc inutilisables. « Inconcevable », confiera un pompier présent sur place. Il faudra attendre quatre jours pour que le sinistre soit totalement maîtrisé, après la venue de la gigantesque échelle déjà utilisée pour venir à bout de l’incendie de Notre-Dame de Paris.

Dès le lendemain matin, le syndicat FO du SIAAP dénonçait une situation « catastrophique » : « La situation à SAV s’est fortement dégradée depuis plus de deux ans. Vendredi dernier, nous avons adressé à l’inspection du travail sept alertes de dangers graves et imminents (dont le SIAAP n’a toujours pas tenu compte malgré ses obligations en la matière), pour des fuites de gaz ou des départs d’incendie. Hier avec l’incendie de la clarifloculation, les herbes hautes et sèches ont pris feu, lequel a failli atteindre la zone Biogaz. »

Premier bilan

Deux jours après l’accident, lors d’une réunion d’information organisée à Saint-Germain-en Laye, le SIAAP confirmait aux élus présents l’existence d’une pollution liée au déversement dans la Seine d’eaux usées qui n’étaient plus que « partiellement » traitées. Au lendemain de l’incendie, d’impressionnantes photos et vidéos d’amoncellement de poissons morts avaient été diffusées par les médias, ou mises en lignes par des associations locales et de nombreux particuliers, notamment des pêcheurs et des bateliers stationnés à Conflans-Sainte-Honorine.

Le samedi 6 juillet en fin d’après-midi, un bateau affrété par le SIAAP était arrimé au quai de l’île Peygrand, face au barrage d’Andrésy (Yvelines). À son bord, deux bennes contenant trois tonnes de poissons morts, mélangés à des algues et détritus divers. Une mortalité due au manque d’oxygénation de l’eau, conséquence de la présence anormale de matières organiques, et donc de carbone. Le syndicat affirmait compter sur la mise en service d’unités de biofiltration pour faire remonter le taux d’oxygénation du fleuve.

Parallèlement, le volume d’eaux traitées sur le site était réduit, passant de 15 m3 par seconde à 8 m3, la compensation étant assurée par deux des cinq autres usines du SIAAP, celles de Colombes (Hauts-de-Seine) et de Triel-sur-Seine. S’engageant sur un horizon de quelques semaines pour obtenir un traitement des phosphates quasi équivalent la situation d’avant l’incendie, le syndicat reconnaissait dans la foulée qu’il faudrait plusieurs années pour reconstruire l’unité de clarifloculation !

Ce même soir à 18 heures, Mme Emmanuelle Wargon, secrétaire d’État à l’écologie, annonçait la convocation des responsables du SIAAP. Quelques heures avant cette audition, un communiqué diffusé par l’association Robin des Bois suscitait de nouvelles inquiétudes : alors que la Seine était en période d’étiage, les égouts de l’Ouest parisien venaient de recevoir de lourdes charges de poussières de plomb consécutives à l’incendie de Notre-Dame de Paris.

L’association révélait surtout que l’incendie du 3 juillet était le onzième accident sur le site de SAV depuis le 10 avril 2017… Et que l’usine avait fait l’objet de quatre mises en demeure du préfet des Yvelines en 2018 pour non conformité à la réglementation, notamment pour le manque de contrôle des tuyauteries et soudures du site.

Le Siaap n’en ayant tenu aucun compte, une astreinte pécuniaire — une amende pour chaque jour de retard dans l’exécution des travaux — avait été prononcée par le préfet des Yvelines fin janvier.

Nouvelle hécatombe de poissons

Dans la nuit du vendredi 26 au samedi 27 juillet, de violents orages provoquaient une nouvelle pollution de la Seine du côté de Sartrouville, Conflans-Sainte-Honorine et Andrésy.

« Nous avons géré au mieux l’assainissement, mais nos capacités actuelles de traitement ne permettent pas d’excéder un débit de 17 m3 par seconde. Or, on a atteint 38 m3 par seconde », expliquait le directeur de SAV. En dépit du stockage dans son réseau et du soutien d’autres usines de traitement en aval, l’usine s’était contentée d’une simple « décantation ».

© Odile Tambou

© Odile Tambou

Dans toute la région parisienne, les gigantesques émissaires du SIAAP reçoivent en effet par temps de pluie, outre des eaux usées, des quantités énormes d’eaux « pluviales », fortement polluées après avoir ruisselé sur les chaussées. Comme Achères traite en temps normal jusqu’à 60 % des flux de l’agglomération, le scénario catastrophe se reproduira mécaniquement aussi longtemps que l’unité de « clarifloculation » n’aura pas été reconstruite, ce qui demandera trois à cinq ans et devrait coûter une centaine de millions d’euros. Avec pour conséquence de graves pollutions de la Seine, qui placeront la France en position délicate vis-à-vis de l’Union européenne, puisque plusieurs directives nous contraignent depuis le début des années 1990 à reconquérir une bonne qualité des eaux, sanctions financières à l’appui si l’objectif n’est pas atteint.

Fin juillet on recensait déjà un minimum de 10 tonnes de poissons morts.

Un mystère persistant

La préfecture des Yvelines organisait une nouvelle réunion le 5 septembre. On y apprendra que c’est seulement ce même jour, soit deux mois après l’incendie, qu’une mission d’experts avait pu accéder au site pour tenter de comprendre l’origine du sinistre !

Explication : « Le point de départ du feu était inaccessible pour des raisons de sécurité. (…) Les experts avaient besoin de rentrer dans la clarifloculation (…). La difficulté était double. D’abord parce qu’on avait des eaux d’extinction qui avaient servi à arrêter le feu qui se trouvaient au fond du bâtiment mélangées à du chlorure ferrique, et il était nécessaire de prendre un certain nombre de précautions, pour vider ces eaux, sans avoir un impact fort sur le milieu et la Seine. »

Avant juillet, le site traitait chaque jour 2,3 millions de m3 d’eaux usées. Une capacité tombée à 1,45 million de m3 après l’incendie. « Nous allons atteindre 1,7 millions de m3 à la fin de l’année, avant de parvenir à 2 millions au printemps 2020 », assurait le directeur de SAV. Côté calendrier, 2019 allait être consacré au nettoyage et au diagnostic complet des travaux à mener ; 2020 aux passations de marché, avant que le chantier ne démarre en 2021 pour s’achever à la fin 2022. À l’avenir, le chlorure ferrique sera stocké à l’extérieur de l’unité et non plus au centre comme c’était le cas, tandis que « la charpente et la toiture seront repensées », précisait le syndicat.

Arnaud Péricard, maire de Saint-Germain-en-Laye, indiquait qu’il tenait à la disposition des élus « tous les courriers qu’il a écrit depuis deux ans. Je ne veux pas être alarmiste inutilement, mais je ne suis pas optimiste sur la situation. Je me suis d’ailleurs permis d’appeler Mme le maire de Paris pour le lui dire. Elle m’a dit qu’elle allait regarder ça. Je rappelle que la ville de Paris a une part prépondérante dans ce conseil d’administration. »

Comme lors des deux précédentes réunions tenues en juillet, seuls des représentants de l’État, des élus et quelques rares représentants associatifs triés sur le volet avaient été conviés à y assister. De public, de riverains, point ! Du coup, alors que le site est classé « Seveso seuil haut » depuis 2009, l’annonce, seulement relayée par l’édition locale du Parisien et la Gazette des Yvelines — seuls médias à avoir suivi l’affaire —, de la mise en œuvre bien tardive d’un Plan particulier d’intervention (PPI), ou la refonte d’un Plan de prévention des risques technologiques (PPRT) n’avait aucune chance de rassurer des riverains excédés.

Rencontrés le 23 septembre, des résidents de Conflans-Sainte-Honorine qui préparent une liste citoyenne pour les prochaines élections municipales ne décoléraient pas : « On se moque de nous, depuis le début, nous n’avons aucune information sérieuse. Y a-t-il des risques sanitaires si l’on remet en service les anciens bassins de décantation qui vont nous empuantir des kilomètres à la ronde ? Qu’est-ce qui nous garantit que de nouveaux accidents ne vont pas survenir ? » Difficile de leur donner tort. Le SIAAP, qui verrouille sa communication d’une main de fer, à fait imprimer à des milliers d’exemplaires des tracts distribués dans les mairies qui répètent en des termes lénifiants que tout est déjà rentré dans l’ordre, ce que bien évidemment personne ne croit.

On notera par ailleurs que pas un(e) seul(e) des élu(e)s PS, PCF et EELV, qui représentent la Ville de Paris, la Seine Saint Denis, le Val de Marne et les Hauts de Seine au Conseil d’administration du SIAAP ne s’est exprimé sur ce désastre depuis le 3 juillet dernier...

Une nouvelle alerte syndicale

M. Stevan Kanban, responsable FO du SIAAP, avait exposé la veille, lors d’un CHSCT exceptionnel tenu à Seine Aval, l’exaspération de son syndicat :  «  (…) Le 26 août, alors que la détection incendie était en panne dans toutes les installations critiques du service 2, le SIAAP maintient la production sans aucun agent sur place, se contentant d’organiser des rondes toutes les heures pendant la nuit.

Le 31 août un départ d’incendie au service 2 de l’Unité de production des eaux (UPEI), sur des compresseurs de l’unité de nitrification n’a pas été signalé au CHSCT, et aucune enquête n’a été diligentée par le SIAAP.

Dans la nuit du 3 au 4 septembre, un autre départ de feu au service 2 de l’UPEI n’a pas non plus été signalé au CHSCT, et aucune enquête n’a été diligentée. »

Pour le responsable syndical, « depuis la nouvelle mandature, le SIAAP a accentué la censure contre les représentants du personnel aux CHSCT. Aussi bien au CHSCT central qu’à celui de SAV, les déclarations liminaires sont purement et simplement évacuées des procès-verbaux de séance et les prises de position lors des points à l’ordre du jour sont le plus souvent déformées ou non retranscrites. De l’habillage en somme. La politique de l’administration est limpide, c’est la préparation de l’outil de travail et de l’organisation à une gestion privée de nos installations : le refus systématique d’intégrer les éléments de sécurité définis par la réglementation relative aux administrations est un aveu s’il en faut. L’abandon par le directeur général lui-même de la présidence du CHSCT abonde dans ce sens. »

Le 16 septembre Mme Emmanuelle Wargon recevait à nouveau les représentants du SIAAP afin, notamment, d’évoquer l’audit de sécurité que l’entreprise doit réaliser. « Le marché sera lancé en octobre et le rapport devrait être remis à la fin du premier trimestre 2020 », précisait M. Yann Bourbon, le directeur du site de Saint-Germain-en-Laye. Une échéance jugée lointaine par plusieurs élus et associations du secteur.

Or l’omerta continue, plus que jamais. Alors que les conclusions des différentes enquêtes en cours ne sont pas connues, M. Jacques Olivier, directeur général du SIAAP, déclare le 25 septembre aux Echos : « La cause exacte de l’incendie n’est pas encore identifiée, mais trois pistes se dégagent : un problème au niveau des moteurs électriques des systèmes de ventilation, d’un éclairage halogène provisoire, ou d’un chemin de câble à proximité des cuves », avant de préciser : « Cette unité a été construite dans les années 1990 avec des standards de sécurité qui ne sont pas ceux d’aujourd’hui. »

Encore un peu ça va être la faute à pas de chance, ou à un travailleur détaché polonais...

La Seine polluée pour des années

Dans l’immédiat, pour pallier les problèmes de pollutions récurrentes, le syndicat prévoit d’augmenter à nouveau progressivement la capacité de traitement de la station. Notamment en remettant en service au printemps 2020 de gigantesques bassins de décantation à l’air libre, l’unité « Achères 4 », fermée lors de la mise en service de l’unité de clarifloculation. Or ces bassins à l’air libre dégageaient quand ils étaient en service des odeurs pestilentielles des kilomètres à la ronde…

« À partir d’un moment les pouvoirs publics doivent arbitrer entre des solutions moins bonnes ou pires. Si on n’installe pas cette décantation primaire, on est sûrs de ne pas passer l’été prochain », justifiait le préfet des Yvelines M. Jean-Jacques Brot, pointant la nécessité d’informer « loyalement » les populations riveraines de la station d’épuration.

Comment en est-on arrivé là ?

Dès le XIXème siècle, Achères accueillait les eaux usées non traitées de Paris, qui seront épandues dans sa plaine pour le maraîchage. Construite en 1940, la station d’épuration, longtemps réputée être la plus grande du monde avec celle de Chicago, connaîtra des agrandissements incessants à partir des années 1970, qui s’accéléreront à l’orée des années 2000 avec l’entrée en vigueur de directives européennes de plus en plus contraignantes.

Compte tenu de l’ampleur des investissements à mobiliser, avec le couperet de la transcription en droit français de la directive « Eaux résiduaires urbaines » (DERU), qui date de 1991, et a imposé à la France comme à tous les États membres de nouvelles obligations de résultat en terme de qualité de traitement des eaux usées, des bonnes fées vont se pencher sur le berceau du syndicat.

M. Michel Rocard, maire de Conflans-Sainte-Honorine de 1977 à 1994, et son directeur de cabinet M. Jean-Paul Huchon, qui lui succédera à la mairie de 1994 à 2001, avant d’occuper de 1998 à 2015 la présidence de la région Île-de-France, se démènent avec succès pour porter sur les fonts baptismaux une convention cadre entre le SIAAP, l’agence de l’eau Seine-Normandie et la région Ile-de-France, qui va permettre au syndicat de bénéficier de financements supplémentaires, ce qui va contribuer à lui conférer un statut d’exception. Avec ses 1 700 agents et son budget annuel d’1,2 milliard d’euros, c’est le premier donneur d’ordre européen dans le domaine de l’environnement.

De gigantesques marché publics se profilent. Près d’un milliard d’euros en différentes tranches pour la seule station d’Achères, ce qui a déjà suscité nombre d’interrogations….

L’unité de clarifloculation qui a entièrement été détruite le 3 juillet dernier est une installation classée pour la protection de l’environnement (ICPE), dont le fonctionnement doit être étroitement contrôlé par les services de l’État, notamment la Direction régionale et interdépartementale de l’environnement et de l’énergie (DRIEE). Les graves incidents enregistrés depuis des années, comme les différentes enquêtes en cours depuis le 3 juillet — un audit technique interne, une procédure judiciaire ouverte dès le lendemain, ainsi qu’une enquête de la DRIEE, et une expertise confiée au Centre national de protection et de prévention (CNPP) —, ne suffiront pas à faire oublier un contrôle jusqu’alors des plus laxistes.

Pour sa défense, le SIAAP, dont les dirigeants étaient à nouveau convoqués par Mme Emmanuelle Wargon le 16 septembre, invoque les difficultés provoquées par la coexistence sur un même site d’installations datant des années 1970 avec des équipements ultra-modernes… Dont acte.

Liaisons dangereuses

Dans deux vidéos promotionnelles de la société Schneider Electric, le directeur général du SIAAP, le directeur adjoint à la direction technique et le chef de service équipement/ingénierie n’hésitent pas à vanter les mérites du matériel de télégestion installé par l’entreprise, notamment à l’usine de Seine Aval.

On peut s’interroger sur le respect du devoir de réserve des fonctionnaires territoriaux concernés, puisque ce sont ces mêmes responsables qui ont imposé au fil du temps l’adoption puis le renouvellement de ces matériels, au risque de flirter allègrement avec l’encadrement réglementaire des marchés publics.

Car il y a un problème. Le système de contrôle-commande (SCC) de l’usine Seine-Aval est exclusivement du matériel Schneider-FOXBORO. Ce système a été vendu avec l’assurance que chaque nouvelle version serait interopérable avec la précédente. C’est-à-dire que lors du lancement d’une nouvelle version logicielle, les anciennes versions présentes sur l’usine doivent pouvoir dialoguer avec la nouvelle, et que les éléments des anciens ateliers de l’usine doivent pouvoir apparaître sur les écrans du nouveau système.

Ce n’est pas le cas !

Les versions proposées par Schneider au cours du temps ne sont que très imparfaitement compatibles entre elles. Un peu comme avec Windows : il n’est pas possible de faire tourner un jeu développé sous Windows XP avec un PC Windows 7, et encore moins avec Windows 10 ! On se retrouve donc à Achères avec un système de gestion automatisé spécifique pour le prétraitement, un autre pour la clarifloculation (l’unité qui a brûlé), et la nitrification-dénitrification, et un troisième système pour la dernière nouvelle tranche, la file biologique.

Ce qui oblige les opérateurs à jongler avec plusieurs PC et une multitude d’écrans dans la salle de commande du poste de commandement central. Chaque système ayant ses caractéristiques particulières, il n’est pas toujours facile de se rappeler qu’une action sur une pompe dans un système peut ne pas donner les mêmes résultats sur le même type de pompe via un autre système. En termes de gestion industrielle du process et de la sécurité, et pour un site classé « Seveso 2 seuil haut », on peut faire mieux…

Ajoutez à cela une réorganisation des équipes de personnel de l’usine qui passe très mal, et a déjà été à l’origine de plusieurs grèves, un management de plus en plus coercitif aux pratiques féodales, voire népotiques, que ne cessent de dénoncer les syndicats, et l’occurrence d’accidents industriels à répétition s’éclaire d’un tout autre jour. Car ces dysfonctionnements innombrables s’inscrivent dans un contexte délétère.

République bananière

Un mois avant l’explosion, en juin 2019, la chambre régionale des comptes d’Île-de-France (CRC) dressait un tableau accablant de la « gouvernance » du SIAAP, qui s’est affranchi de toute contrainte depuis des lustres (3) :  « Les statuts actuels ont été adoptés en mars 2000 et ne correspondent pas à la base légale de la compétence, installée par la Loi sur l’eau de 2006 (…) ; le règlement intérieur du Conseil d’administration ne comprend pas de dispositions relatives au fonctionnement du bureau, hormis sa convocation (…) ; le Président (du CA) était un élu de Paris (RPR), de 1984 à 2001, puis un vice-président du Conseil général du Val-de-Marne (PCF) de 2001 à 2015, et depuis lors un élu (PCF) du Conseil départemental de la Seine Saint Denis (…) ; 5 commissions thématiques ont été créées par le CA. Les documents transmis n’ont pas permis de constater si elles s’étaient réunies, ni d’évaluer leurs travaux (…) ; la commission de la Coopération décentralisée (dotée d’un budget annuel de 2 millions d’euros), a compté jusqu’à 18 administrateurs entre 2011 et 2014. Aucune procédure ni règle écrite ne régit son fonctionnement (…) ; l’absence de règle précise de désignation des administrateurs a conduit en 2015 à une crise institutionnelle de longue durée (…) ; un quart des usagers du SIAAP, soit 2,3 millions d’usagers, sont situés hors de sa zone statutaire (et) ne bénéficient d’aucune représentation au sein des organes de décision du syndicat (…) ; des indemnités ont été versées aux élus sans base légale (…). Leur coût total s’élève à 928 826 euros pour l’ensemble de la période de 2010 à 2015. »

Alors que la CRC et le préfet de région préconisent, dans la perspective de la réforme du Grand Paris, de transformer le SIAAP en syndicat mixte et de revoir profondément sa gouvernance, la ville de Paris, le Val-de-Marne et la Seine-Saint-Denis répondent à la CRC et au préfet qu’ils n’en voient pas la nécessité.

Soupçons de corruption à grande échelle

L’attribution par le SIAAP de gigantesques marchés publics aux multinationales françaises de l’eau, à leurs filiales d’ingénierie, à des bureaux d’étude spécialisés et à des géants du BTP défraie la chronique judiciaire depuis le début des années 2000.

«  (…) Trois entreprises engrangent régulièrement des marchés : OTV, une filiale du groupe Veolia, Degrémont (une filiale de Suez), et Stereau, du groupe Saur (le numéro 3 du secteur de l’eau). En 2009, Degrémont a décroché un premier marché sur l’usine d’Achères (Yvelines) ; OTV, associée à Degrémont, en a obtenu un deuxième dans la même usine en 2010 ; OTV et Stereau l’ont emporté dans un troisième en 2016, ils avaient déjà décroché celui de Clichy-la-Garenne (Hauts-de-Seine) en 2015, et la modernisation de l’usine de Valenton (Val-de-Marne) qui a été attribuée à Veolia en 2017… Des marchés colossaux, entre 300 et 700 millions d’euros chacun  (4).  »

Alors que ces dossiers sont toujours en cours d’instruction au parquet national financier (PNF), plusieurs décisions de justice récentes viennent de confirmer l’existence d’irrégularités qui ont déjà entraîné l’annulation du marché de rénovation de l’usine de Clichy-la-Garenne (5).

(1) Voir la fiche de l’usine (PDF).

(2) Voir cette fiche explicative (PDF).

(3) « SIAAP, exercice 2010 et suivants ». Rapport d’observations définitives et sa réponse. Chambre régionale des comptes d’Ile-de-France. Observations délibérées le 28 novembre 2018, juin 2019.

(4) Franck Johannès, « Révélations sur des soupçons de corruption sur le marché de l’eau parisien », Le Monde, 13 mars 2018.

(5) Emmanuelle Serrano, « Et si l’italien Passavant Impianti était en passe de gagner une seconde manche contre le SIAAP ? », La Lettre A, 9 septembre 2019.

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8 octobre 2019 2 08 /10 /octobre /2019 09:09

 « Le nucléaire ne répond à aucun besoin technique ou opérationnel que ses concurrents sobres en carbone ne puissent satisfaire mieux, moins cher et plus rapidement ». Voilà la conclusion sans appel dressée par l’édition 2019 du World Nuclear Industry Status Report (WNISR). Plus coûteuse que les énergies renouvelables, la construction d’un nouveau réacteur dure en moyenne 10 ans : trop long pour sauver le climat ! Par Bernard Deboyser le 2 octobre 2019 pour Révolution énergétique. Lire aussi Aux Lilas, les citoyens s’unissent pour produire de l’électricité verte, Comment l’Europe profite à bas prix du soleil marocain et Les financements verts cachent un mouvement mondial de libéralisation des marchés de l’énergie.

Trop cher et trop lent, le nucléaire ne sauvera pas le climat

Aujourd’hui la production d’électricité par les installations solaires et les parcs éoliens concurrence efficacement les centrales nucléaires existantes, y compris en termes de coûts, et leur capacité de production augmente plus rapidement que celles de toutes les autres filières, peut-on lire dans les 323 pages de l’édition 2019 du World Nuclear Industry Status. Cette étude indépendante menée par 8 experts interdisciplinaires de 6 pays, dont 4 professeurs d’université, a été coordonnée par Mycle Schneider, un consultant français spécialisé dans les domaines de l’énergie et de la politique nucléaire. Entre 1998 et 2010, il a conseillé le ministère de l’Environnement allemand, le cabinet du ministre français de l’Environnement et celui du ministre belge de l’Énergie et du Développement Durable.

Il y a aujourd’hui 417 réacteurs nucléaires dans le monde. Bien que leur nombre ait légèrement augmenté au cours des dernières années, il est significativement inférieur au pic de 438 enregistré en 2002.

Mais les réacteurs entrés récemment en service étant plus puissants, la capacité nucléaire installée sur la planète n’a jamais été aussi élevée qu’aujourd’hui : 370 GWe, une puissance légèrement supérieure au maximum précédent de 367 en 2006.
Toutefois la construction de nouvelles centrales s’essouffle visiblement. Alors qu’en 2010 (l’année précédant Fukushima), 15 chantiers étaient lancés, il n’y en a eu que 5 en 2018 et, jusqu’à aujourd’hui, un seul en 2019.
Actuellement 46 réacteurs sont en construction dans le monde, mais ils étaient 68 en 2013 et 234 en 1979. Même en Chine
, pays qui investit le plus dans le nucléaire, aucun nouveau projet n’a vu le jour depuis 2016.
Conséquence de tout cela : l’âge moyen du parc mondial de réacteurs nucléaires dépasse maintenant pour la première fois les 30 ans.

Trop cher et trop lent, le nucléaire ne sauvera pas le climat

Heurs et malheur de l’EPR français

Problème : les chantiers de construction de nouveaux réacteurs sont de plus en plus long, 10 ans en moyenne selon le WNISR, et leur coût s’envole. L’exemple du seul réacteur actuellement en construction en France, celui de l’EPR de Flamanville [1] est significatif. Commencé en 2007, le chantier n’est toujours pas terminé, 12 ans plus tard. De retards en déboires nombreux et divers, sa mise en service prévue au départ en 2012, est actuellement programmée à fin 2022, soit après 10 ans de retard, au moins. Son coût, établi initialement à 3 milliards d’euros a déjà plus que triplé, la dernière estimation étant de 10,5 milliards. Mais le prix pour EDF pourrait s’élever au final à 15 milliards selon certains experts.

Un autre EPR de fabrication française se construit à Olkiluoto, en Finlande, et cela ne se passe pas beaucoup mieux. Débuté en septembre 2005 pour une mise en service initialement prévue à mi-2009, les travaux, s’éternisent aussi. Aujourd’hui, l’exploitant TVO estime ne pas pouvoir disposer de l’installation avant mi-2020. Vous comptez bien : plus de 10 ans de retard également. Côté coût, le montant forfaitaire de 3 milliards d’euros initialement convenu par contrat a explosé lui aussi suite aux indemnités de retard exigées par TVO. Le constructeur, Areva, étant une entreprise détenue majoritairement par l’État et par le Commissariat à l’énergie atomique (un établissement public), une grande partie des surcoûts liés à ces retards sera donc à la charge du contribuable français.

Enfin, EDF a prévenu récemment que son énorme chantier de construction de deux réacteurs EPR à Hinkley Point en Angleterre devrait coûter 3,3 milliards d’euros plus cher que prévu, alors qu’en 2017 le groupe français avait déjà annoncé s’attendre à un surcoût de 1,7 milliard d’euros. Quant au retard, évalué en 2017 à 15 mois pour le premier réacteur et 9 mois pour le second, Jean-Bernard Lévy, PDG d’EDF, avoue aujourd’hui qu’il « s’est accentué ». « Il ne faut pas se voiler la face, la filière nucléaire française vit des moments difficiles parce que les problèmes dans la réalisation des chantiers s’accentuent » a-t-il encore admis ce 24 septembre.

> Des dérapages en termes de coût et de durée jugés inacceptables par Bruno Le Maire, ministre de l’Économie. « Le nucléaire ne doit pas être un État dans l’État » s’est-il exclamé lors d’une récente intervention sur RTL. Révélant avoir demandé un audit « totalement indépendant », il a prévenu que les conclusions du rapport pourront avoir des conséquences « à tous les étages », y compris chez EDF.

L’électricité verte se développe 25 fois plus vite que le nucléaire

Pendant ce temps, les nouvelles installations solaires et éoliennes accroissent leurs capacités de production plus rapidement que tout autre type d’énergie. Au cours de la dernière décennie, les coûts actualisés d’une unité de production électrique ont baissé de 88% pour le solaire et de 69% pour l’éolien, alors qu’ils ont augmenté, en moyenne de 23% pour le nucléaire, révèle le rapport du WNISR. Ces dernières années, la poussée des coûts de sécurité dans le nucléaire a contribué à creuser l’écart. Par MWh produit sur la durée de vie d’une installation, le coût total (construction + exploitation) du solaire photovoltaïque varie entre 33 et 40 €/MWh et celui de l’éolien entre 26 et 51 €. Pour le nucléaire, la fourchette est de 102 à 172 € soit, en moyenne, 3 à 4 fois plus cher que les renouvelables. Désormais, dans de nombreuses régions de la planète, le coût de celles-ci passe même sous celui du charbon et du gaz naturel, affirme le rapport.

Les investissements reflètent cette évolution. Aux États-Unis, la capacité de production d’énergie verte augmentera de 45 GW au cours des trois prochaines années, tandis que le nucléaire et le charbon perdront 24 GW. En 2018, la Chine qui reste le constructeur nucléaire le plus actif au monde, a investi 91 milliards de dollars dans les énergies renouvelables, mais seulement 6,5 milliards dans l’atome. Pékin, a étoffé son parc nucléaire de près de 40 réacteurs au cours de la dernière décennie, mais sa production nucléaire est inférieure d’un tiers à sa production éolienne. Bien que plusieurs nouvelles centrales soient en construction, aucun nouveau projet n’a vu le jour dans l’empire du milieu depuis 2016.

En conséquence, depuis 2000, les capacités de production d’électricité verte se développent 25 fois plus vite que le nucléaire. Sur cette période, elles se sont accrues de 547 gigawatts pour l’éolien et de 487 GW pour le solaire contre seulement 41 GW pour le nucléaire.

Les capacités de production d’électricité verte se développent 25 fois plus vite que le nucléaire

Les capacités de production d’électricité verte se développent 25 fois plus vite que le nucléaire

Rien qu’en 2018 un record de 165 gigawatts de nouvelles capacités renouvelables ont été connectées au réseau électrique mondial, pour seulement 9 gigawatts de puissance nucléaire supplémentaire. En termes de quantité d’électricité générée, celle de l’éolien s’est accru de 29% en 2018, du solaire de 13%, et celle du nucléaire de … 2.4%. En comparaison de la situation au début de la décennie, les renouvelables (hydroélectricité non comprise) génèrent un supplément mondial annuel de 1.900 TWh (térawattsheures), dépassant le charbon et le gaz, alors que le nucléaire produit moins malgré l’augmentation de la puissance installée. La faute à la vétusté grandissante du parc de centrales dont les pannes sont plus fréquentes et les périodes d’entretien ou de rénovation plus longues. En Belgique, par exemple, le taux de disponibilité du parc nucléaire n’a pas dépassé les 50 % en 2018 et pendant toute une période, un seul réacteur sur les 7 était opérationnel.

L’énergie nucléaire s’avère la plus chère et la plus lente

Tous ces chiffres sont extraits de l’édition 2019 du World Nuclear Industry Status Report dont son coordinateur, Mycle Schneider, a déclaré lors de la présentation du rapport aux médias il y a quelques jours à Budapest : « Il n’y a aucun doute : le taux de renouvellement des centrales nucléaires est trop lent pour garantir la survie de la technologie. Le monde assiste à l’agonie lente de l’industrie de l’atome ». Pour le climat, le prolongement de la durée de vie des vieux réacteurs en service n’est pas une option non plus, estime-t-il. Leurs coûts opérationnels excèdent celui des installations de production d’énergie renouvelable dont intermittence peut être compensée par des solutions de stockage ou de production pilotables comme l’hydraulique, la géothermie ou les centrales à biomasse. Et dont les coûts baissent eux aussi, constamment.
Le constat de Mycle Schneider est sans appel : « Vous ne pouvez dépenser un dollar, un euro, un yuan ou un rouble qu’une seule fois. L’urgence climatique est telle que les investissements doivent être consacrés aux solutions énergétiques les plus efficaces, les plus économiques et les plus rapides ». La durée moyenne de construction des réacteurs à l’échelle mondiale est d’un peu moins de dix ans, rappelle Schneider. Un délai trop long qui a des conséquences majeures en termes de lutte contre les émissions de gaz à effet de serre, dans la mesure où il implique une prolongation de la durée de vie des centrales thermiques. « L’énergie nucléaire s’avère la plus chère et la plus lente », conclut-il. « Elle ne pourra pas sauver le climat ».

L’Ademe aussi condamne le nucléaire pour raison économique

Les conclusions du WNISR confortent celles d’une autre étude révélée fin 2018 en France par l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe). Souhaitant éclairer le gouvernement au moment où s’ouvrait la consultation sur la nouvelle programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE), cet institut scientifique publique établit dans son étude que « le développement d’une filière EPR ne serait pas compétitif pour le système électrique français d’un point de vue économique ». Selon le rapport de l’Ademe intitulé « Vers un mix électrique 100% renouvelable en 2050 », la construction d’un seul réacteur supplémentaire de nouvelle génération en 2030 nécessiterait 4 à 6 milliards d’euros de soutien public en raison de ses coûts trop élevés. En revanche, atteindre 95% d’électricité renouvelable en 2060 est soutenable pour le réseau et permettrait de réduire les coûts de l’électricité pour le contribuable.

Bernard Deboyser est ingénieur polytechnicien et consultant en énergie et mobilité durable. Passionné par les énergies renouvelables depuis plus de 30 ans il développe des projets éoliens et photovoltaïques dans le cadre d'une coopérative citoyenne dont il est un des fondateurs et l'administrateur-délégué www.hesbenergie.be

Lire Le rapport du WNISR et L’étude de l’Ademe      

[1] EPR : European Pressurized water Reactor ou Réacteur Européen à eau Pressurisée. Conçu par Framatome (une filiale d’EDF) et Siemens, ce réacteur de 3e génération (la technologie la plus récente de réacteurs nucléaires) est censé offrir une puissance et une sûreté améliorées.

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7 octobre 2019 1 07 /10 /octobre /2019 11:50

La « convention citoyenne sur le climat » s’est ouverte vendredi à Paris afin de proposer des mesures destinées à lutter contre le réchauffement climatique. Les ONG dénoncent une mise en scène de la part de l’État. D’après Eric Serres pour l’Humanité, Coralie Schaub pour Libération, et Gaspard d’Allens pour Reporterre du 4 au 7 septembre 2019.

Le 4 octobre à Paris. Le premier ministre Édouard Philippe a prononcé le discours d’ouverture de la « convention citoyenne sur le climat» devant 150 personnes tirées aux sort parmi 250 000 numéros de téléphone. Raphael Lafargue/POOL/REA

Le 4 octobre à Paris. Le premier ministre Édouard Philippe a prononcé le discours d’ouverture de la « convention citoyenne sur le climat» devant 150 personnes tirées aux sort parmi 250 000 numéros de téléphone. Raphael Lafargue/POOL/REA

« Notre maison brûle et nous regardons ailleurs », dénonçait il y a dix-sept ans, Jacques Chirac en ouverture du sommet de la Terre. Aujourd’hui, la maison brûle toujours et le gouvernement français tente par tous les moyens de détourner les regards, faute de réel programme pour le climat. Certes, il vient d’innover, en mettant en place une « convention citoyenne sur le climat ». Un gage de démocratie plus participative, diront certains. Mais d’autres y voient déjà un énième enfumage, et notamment certaines ONG. Le récent incendie de l’usine Lubrizol à Rouen et les approximations de l’État face à la situation ont en effet mis le feu aux poudres quant à leurs inquiétudes. Car en ouvrant les travaux des 150 citoyens tirés au sort pour proposer des mesures de lutte contre le changement climatique, le Premier ministre a garanti que celles-ci seraient soumises à l’examen du Parlement ou au référendum, mais indiqué qu'il ne pouvait pas promettre que toutes seraient appliquées.

Un prétexte à l’inaction ?

Pour les organisateurs de la convention citoyenne pour le climat, la démocratie participative est d’abord un moyen de gagner du temps face à l’inertie du modèle actuel. Même si les propositions seront rendues d’ici quatre mois, fin janvier 2020, soit près d’un an après le lancement du « grand débat national », « la délibération au sein d’une assemblée citoyenne permet de dépasser les clivages et les blocages inhérents au système représentatif afin de créer des mesures plus justes et plus radicales », estime Thierry Pech, le coprésident du comité de gouvernance lors d’un point presse au CESE. Selon Cyril Dion, « le gouvernement, soumis à des enjeux électoralistes et de court terme, ne peut pas prendre les décisions nécessaires s’il veut se faire réélire ou plaire a tout le monde. Les citoyens, eux, le peuvent. Ils n’ont pas ces contraintes ».

Une position que partage Sophie Guillain, directrice générale de Res publica, une entreprise chargée de l’animation de la convention. « Les expériences délibératives montrent — un peu comme dans les jurys d’assises — que les gens viennent pour se mettre au service de l’intérêt général avec l’intention de faire de leur mieux, dit-elle. La délibération permet une évolution des positions contrairement à la démocratie représentative, où l’on hystérise des points de vue en les mettant en scène. »

Plusieurs associations écologistes restent néanmoins sceptiques. Greenpeace voit dans cet outil, « une manière de faire diversion » et une forme de procrastination : « Par cette manœuvre, le gouvernement se dédouane de ses responsabilités et repousse le moment d’agir, alors que les solutions sont connues depuis longtemps et que des textes importants pour le climat, comme la loi d’orientation des mobilités ou la loi Climat-Énergie, sont déjà en cours d’examen », écrit l’ONG dans un communiqué.

Une instrumentalisation de la part du gouvernement ?

Un gouvernement qui frappe et mutile les manifestants est-il réellement capable de laisser les citoyens décider à sa place ? Il est permis d’en douter, comme le montre l’exemple des États généraux de l’alimentation  (lire aussi L’Agriculture au glyphosate reste en Travert de la gorge des consommateurs et Sans répondre à la crise sanitaire, la loi Alimentation permet à l’industrie agroalimentaire d’augmenter ses prix) ou la récente consultation sur les pesticides. « L’enfumage écologique du gouvernement a depuis quelques mois la finesse d’un nuage de gaz lacrymos, note Maxime Chedin, il vise d’ailleurs le même effet de dispersion. »

La convention pourrait être une manière de faire peser sur les citoyens le poids d’une relance de la taxe carbone, qui obtiendrait, de ce fait, une onction démocratique. On retrouve cet enjeu dans les discours médiatiques de plusieurs ministres. Le 22 septembre, Emmanuelle Wargon, secrétaire d’État auprès du ministre de la Transition écologique, déclarait au micro d’Europe 1 que « la Convention citoyenne se penchera sur la question de la taxe carbone. On a échoué à l’expliquer et à convaincre dans la période précédente. C’est pour cela que nous avons arrêté son augmentation en 2019 et en 2020. Si on veut reprendre, il faut commencer par un débat citoyen ».

Mercredi 11 septembre, à la sortie du Conseil des ministres, Sibeth Ndaye, porte-parole du gouvernement, assurait que les ministres ne devraient pas être entendus par la convention. Pourtant Élisabeth Borne et Édouard Philippe sont déjà annoncés lors du premier week-end, ces 5 et 6 octobre. On retrouve aussi au sein du comité gouvernance de la convention Léo Cohen, l’ancien conseiller spécial de François de Rugy au ministère de la Transition écologique et solidaire.

Interrogé lors d’un point presse, Thierry Pech affirme cependant ne « recevoir, pour l’instant, aucune pression de la part du gouvernement et bénéficier d’une paix royale ». Trois garants, dont Cyril Dion, ont été nommés pour respecter l’indépendance de la convention.

Une mise sous tutelle des citoyens ?

Le rôle du comité de gouvernance au sein de la convention citoyenne est critiqué. Ce groupe composé d’une douzaine de membres — climatologue, experts de la démocratie participative, acteurs du champ économique et social — doit assurer le pilotage des travaux de la convention. Il définit l’ordre du jour, les méthodes de travail, le rythme des ateliers et sélectionne une liste d’experts et de grand témoins. Un rôle important qui interroge.

Car, « la démocratie délibérative, c’est la possibilité de déterminer par soi-même de façon autonome ce dont on veut parler et ce qui importe ou non », précise Maxime Chedin. « Dans cette convention, on traite les citoyens comme des mineurs, des écoliers que l’on va former grâce à des experts soi-disant neutres », dit-il. Pour le philosophe, les citoyens n’ont aucune souveraineté. « Ils sont enfermés dans un cadre imposé, avec un objectif défini sans eux. » Comment pourront-ils alors reprendre la main ?

Le philosophe appelle à un débordement de la structure. À un acte de désobéissance civile. « Les citoyens pourraient faire le Serment du palais d’Iéna », en référence à celui du Jeu de paume, quand les députés du tiers état, en juin 1789, s’étaient déclarés en assemblée souveraine. « Le serment pourrait être de ne pas se quitter avant d’avoir établi une fiscalité mettant fin aux scandaleuses inégalités qui sont la première source des désastres écologiques », pense Maxime Chedin.

De leur côté, les membres du comité de gouvernance assurent n’avoir qu’un « rôle méthodologique » et qu’il reviendra aux citoyens de la convention de choisir le chemin qu’ils veulent tracer. Néanmoins, quand Reporterre leur demande s’il sera possible d’aborder des cas d’étude précis, comme l’abandon de l’urbanisation des terres fertiles du triangle de Gonesse ou la fin de certains grands projets inutiles, ils en doutent. Leurs réponses restent prudentes. « Peut-être, mais ce n’est pas prévu », « J’aimerais bien, mais on n’y avait pas pensé », « ça risque d’être compliqué, on a peu de temps ». Pareil pour l’impôt de solidarité sur la fortune : Sophie Guillain, directrice de Res publica, ne voit pas le lien. « Pourquoi l’ISF ? Vous pensez que l’ISF peut faire baisser les émissions de CO2 ? On aura sûrement plus de débat autour de la taxe carbone », répond-elle à Reporterre.

« J’espère que ça servira à quelque chose »

Quoi qu’il en soit, ils étaient 150 citoyens – tirés au sort parmi 250 000 numéros de téléphone –, à franchir vendredi dernier les portes des locaux du Conseil économique, social et environnemental (Cese). Six week-ends de travaux au sein de la convention climat et une mission : « Proposer au gouvernement des mesures pour réduire les émissions de gaz à effet de serre d’au moins 40 % d’ici à 2030 par rapport à 1990… le tout dans un esprit de justice sociale », dixit le premier ministre, Édouard Philippe. Y a plus qu’à…

« Je suis très satisfaite, j’espère pouvoir faire entendre ma voix, j’ai de fortes convictions environnementales », expliquait ainsi Muriel, intermittente du spectacle. « J’espère que ça servira à quelque chose », racontait Alexia, une étudiante originaire de Guadeloupe. « Je vais poster mes impressions des travaux sur les réseaux sociaux, pour tenir au courant ma génération », continuait-elle. D’autres moins enthousiastes s’interrogeaient déjà sur les thématiques proposées. « J’attends qu’on nous explique. On nous dit 40 % de moins de gaz à effet de serre en 2030. Pourquoi 40 % ? Pourquoi pas 30 ? »

Des explications, ils en auront. Les participants pourront en effet s’appuyer dans leurs démarches sur l’expertise de scientifiques, d’économistes ou encore de chercheurs en sciences sociales ou politiques qui apporteront leurs connaissances sur les grandes thématiques qui devraient être abordées. À savoir : se déplacer, consommer, se nourrir, se loger, produire et travailler. Au terme de ces week-ends, les résultats seront soumis « sans filtre, soit au vote du Parlement, soit à référendum, soit à application réglementaire directe », a promis le président de la République Emmanuel Macron. « Ne doutez pas que nous serons à vos côtés pour les faire respecter », a confirmé en préambule Thierry Pech, coprésident du comité de gouvernance de la convention et directeur de la fondation Terra Nova.

Un grand groupe industriel parmi les 12 membres de la gouvernance

Jusque-là, et pour une première en France, rien à redire. Pourtant, c’est souvent dans les détails que se cache le diable. C’est ainsi qu’un premier lièvre a été levé. Madame Catherine Tissot-Colle, membre du Cese, mais surtout porte-parole de la Fédération des minerais, minéraux industriels et métaux non ferreux, a été nominée pour faire partie avec 12 membres de la gouvernance de la convention citoyenne. Outre ce rôle de porte-parole, elle travaille également pour le groupe français Eramet, l’un des leaders de l’exploitation du nickel, du lithium et du manganèse. Premier élément de malaise !

De fait, cette convention est loin d’inspirer confiance aux ONG environnementalistes, qui voient aussi dans la démarche une manière pour l’État de ne pas assumer ses responsabilités. « Le lancement de cette convention ne doit pas faire oublier l’inaction continuelle du gouvernement », dénonce Greenpeace, qui demande aux participants de « s’affranchir des limites imposées par le gouvernement ». Autre subterfuge, et non des moindres, que soulèvent les ONG : la possibilité de faire peser sur les citoyens l’idée d’une relance de la taxe carbone, qui avait entraîné le début du mouvement des gilets jaunes. En septembre, Emmanuelle Wargon, secrétaire d’État auprès du ministre de la Transition écologique, le laissait déjà entendre : « La convention citoyenne se penchera sur la question de la taxe carbone. On a échoué à l’expliquer… Si on veut reprendre, il faut commencer par un débat citoyen. » À mi-mot : je refile passe la patate chaude.

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4 octobre 2019 5 04 /10 /octobre /2019 09:02

La famille des pesticides SDHI est-elle dangereuse au point de devoir être retirés du marché ? L’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses) a-t-elle laissé passer des produits susceptibles de déclencher un scandale sanitaire ? C’est ce qu’affirme l’ouvrage de Fabrice Nicolino Le crime est presque parfait, paru en ce début septembre. Personnage central de l’ouvrage de Fabrice Nicolino, Pierre Rustin, directeur de recherche au Centre national de la recherche scientifique (CNRS) et responsable d’une équipe de recherche à l’Inserm (Institut national de la santé et de la recherche médicale), est le scientifique qui a donné l’alerte sur les SDHI. Propos recueillis par Marie Astier pour Reporterre. Lire aussi Le 4 octobre, les SDHI sont nos ennemis ! et Les SDHI, ces pesticides qui alarment les scientifiques.                                    Venez manifester avec nous devant la mairie des Lilas ce vendredi 4 octobre à 18h30.

L’Anses n’a pas pris la mesure du drame des SDHI

Reporterre : Quel est votre domaine de recherche ?

Pierre Rustin : Avec mes collègues, nous travaillons depuis plus de 30 ans sur les maladies mitochondriales [1], c’est-à-dire des maladies liées à des anomalies de la respiration des cellules. Ces maladies concernent possiblement tous les organes, seuls ou en association. Elles interviennent à tous les âges de la vie. Chez le jeune enfant, le fonctionnement du cerveau, du cœur ou des muscles est souvent concerné, chez les personnes âgées ce sont des maladies de type Parkinson ou Alzheimer. En plus de ces maladies, connues depuis peut-être 40 ans, s’ajoutent depuis les années 2000 des cancers.

Nous nous sommes intéressés aux facteurs de l’environnement qui pouvaient intervenir dans le déclenchement ou l’évolution de ces maladies. En faisant des recherches bibliographiques, nous sommes tombés sur le fait que l’on utilisait des pesticides SDHI en agriculture. Or, les SDHI inhibent la SDH (la succinate déshydrogénase), qui est une des enzymes importantes dans la respiration cellulaire.

Vous avez contacté l’Anses pour l’avertir du danger sanitaire…

En fait, nous lui avons posé cinq questions scientifiques majeures auxquelles nous n’avons toujours pas obtenu de réponse.

La première question est liée au fait que les SDHI tuent l’enzyme chez toutes les espèces biologiques que l’on connaît. En matière de conséquence environnementale, c’est le pire que l’on puisse envisager pour un pesticide : aucune spécificité entre les espèces.

La deuxième question, c’est que nous avons découvert que les SDHI de nouvelle génération ne bloquent pas seulement la SDH mais bloquent aussi d’autres éléments dans les mitochondries, ce qui veut dire qu’il n’y a pas non plus de spécificité de cible et que les conséquences attendues de l’usage de ces nouveaux SDHI sont encore pires.

Le troisième élément, c’est que les tests réglementaires actuels ne sont valables ni au niveau cellulaire — ils ne permettent pas de voir si une substance va bloquer le fonctionnement des mitochondries — ni au niveau des animaux utilisés comme modèles pour tester la toxicité des SDHI. Les rongeurs ne présentent pas du tout une susceptibilité aux mêmes cancers que ceux observés chez les humains.

Le quatrième point, c’est que d’autres produits qui, comme les SDHI, touchaient la respiration cellulaire [2], ont dû être retirés parce qu’ils causaient chez l’homme la maladie de Parkinson. Et là encore, ni les tests réglementaires ni nos autorités sanitaires ne décelaient de danger…

Le cinquième point est que l’utilisation en préventif de ces molécules SDHI, comme d’autres pesticides, est totalement inadmissible. On ne donnera pas des antibiotiques à son bébé en prévision d’une éventuelle infection. C’est pourtant ce que l’on fait en agriculture. C’est inadmissible et absurde parce que chez les champignons comme chez les bactéries, cette pratique est sans doute la meilleure façon d’induire l’apparition de résistances. Un phénomène constaté dès maintenant pour les SDHI.

Nous leur avons posé ces cinq questions simples mais cruciales, mais pour chacune, nous n’avons pas reçu de réponse.

Aviez-vous déjà eu affaire à l’Anses ?

Jamais, nous sommes tombés des nues. Très franchement, nous nous sommes quasiment disputés avec mes collègues parce que, naïvement, j’étais convaincu qu’en recevant notre coup de téléphone, l’Anses allait prendre instantanément la mesure du drame possible. Mes collègues m’ont dit : « Ce n’est pas comme cela que ça se passe ! » Elles avaient raison.

Nous avons été obligés de publier la tribune dans Libération pour que — comme l’Anses ose le dire — ils « s’autosaisissent ».

Roger Genet, directeur général de l’Anses (Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail), le 23 septembre, sur France Info

Roger Genet, directeur général de l’Anses (Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail), le 23 septembre, sur France Info

Vous vous êtes alors retrouvé dans une bataille médiatique ?

À notre corps défendant ! Parce que la toxicité des pesticides n’est vraiment pas notre domaine de recherche. Mais pour des raisons morales, il n’est pas possible de ne rien dire, de ne rien faire.

Quand j’entends le ministre de l’Agriculture dire, qu’en accord avec l’Anses et les scientifiques, « cinq mètres d’écartement entre les traitements et les maisons, c’est bien », cela me fait bondir ! Comme sur bien des problèmes de pesticides, le ministre se trompe. Concernant l’espace de cinq mètres, cela a un côté ridicule, soit les pesticides doivent être proscrits, soit non. Tout le monde sait que les pesticides sont partout dans l’air, dans l’alimentation, les rivières. Cette discussion est absurde, il est urgent de sortir des pesticides.

Le directeur de l’Anses, Roger Genet, et son directeur du pôle sciences, Gérard Lasfargue, ont été ces derniers temps très présents dans les médias, pour répondre à votre alerte, à l’ouvrage de Fabrice Nicolino, et rassurer sur les pesticides SDHI…

Mais jamais ils ne s’adressent à notre équipe. L’Anses ne répond pas à mes méls, à mes lettres. Cette agence est complètement discréditée à mes yeux, ils ne font pas leur boulot. Ce n’est pourtant pas à nous de démontrer que ces pesticides sont dangereux.

Sur les SDHI, l’Anses a constitué un comité d’experts de gens sur le sujet, qui n’ont en aucune façon répondu à nos cinq points. Nous le leur avons dit, reprécisé, nous n’avons jamais obtenu de réponse. Je ne vois pas ce que l’on peut faire de plus.

L’Anses vous reproche de ne pas donner de preuve de la toxicité des pesticides SDHI sur l’homme.

On devrait tout d’abord parler de la toxicité peu discutable des pesticides, parmi lesquels les SDHI, démontrée en laboratoire et désormais constatée sur l’environnement. Mais, si l’on ne s’intéresse qu’aux seuls effets chez l’homme, l’effet attendu est l’apparition ou l’accélération de maladies neurologiques, du type maladie de Parkinson. Or, une incidence accrue de cette maladie est justement observée dans les cohortes d’agriculteurs, et cela dans les délais attendus.

Par ailleurs, vous écrivez dans une lettre ouverte à l’Anses qu’elle vous a demandé de montrer l’effet des SDHI sur l’enzyme des mammifères. Or, ceci est fait depuis 1976 ?

Absolument. Une recherche menée il y a plus de 40 ans par les spécialistes mondiaux de l’époque montre l’effet de la carboxine, l’ancêtre de tous les SDHI. Déjà, ils concluaient que c’était et que ce serait une folie complète d’utiliser ce type de molécules.

C’est une folie que de chercher à bloquer la respiration cellulaire en visant des étapes clefs, parfaitement conservées dans l’évolution, depuis les microorganismes jusqu’à l’être humain. Au départ, nous n’avons même pas pensé à publier ces observations : les revues scientifiques n’aiment pas republier des choses connues depuis… 40 ans. Quand l’Anses nous a dit que l’on n’amenait rien de nouveau, ils avaient raison d’une certaine façon.

Quelles recherches avez-vous menées sur l’effet des SDHI ?

Paule Bénit, dans notre équipe, a notamment étudié l’action des SDHI de dernière génération. Elle l’a fait dans des conditions qui font que l’on voit l’effet des SDHI, alors que les tests réglementaires ne le permettent pas. Elle montre que des cellules humaines normales meurent en présence d’une faible concentration de SDHI, et que les cellules de patients Alzheimer meurent plus vite. Comme ce sont des maladies où les mitochondries ne marchent déjà pas bien, quand l’on ajoute des inhibiteurs touchant les mitochondries, on a une mort cellulaire encore plus rapide. L’article scientifique exposant cette recherche va être publié dans les semaines qui viennent.

Vous étiez-vous intéressé aux pesticides auparavant ?

Pas vraiment. De fait, nous sommes entrés dans le sujet différemment de toxicologues, à partir de nos études sur des maladies humaines, ce qui d’une certaine manière nous a protégés de la chape de plomb qui pèse sur une partie de la toxicologie.

Pour les SDHI, depuis 1976, les toxicologues auraient dû dire stop. Depuis des années, il était possible de savoir à partir de la littérature scientifique accessible, que les tests réglementaires n’étaient pas valables. C’était leur boulot de monter au créneau et le dire haut et fort.

Pour vous quelle est l’étape suivante ?

Que l’on arrête d’utiliser les SDHI. Il n’y a pas besoin d’étude supplémentaire. Si usage il doit y avoir, alors il faudrait revoir complètement la façon de les utiliser, c’est-à-dire au moins en finir avec les épandages préventifs, qui sont des folies, que cela soit à 5 mètres ou plus.

D’autant que beaucoup de ces molécules n’ont pas prouvé leur efficacité. Je vous engage à essayer de connaître l’effet sur le rendement de ces SDHI. Ni la FNSEA [le syndicat agricole majoritaire], ni les industriels, ni l’Anses n’ont été capables de nous donner des chiffres sur l’effet sur le rendement de ces molécules. Le bénéfice-risque n’est donc même pas connu.

Et que pensent l’Inserm et le CNRS, vos employeurs, de tout cela ?

Avec leur accord, nous pouvons librement parler.

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3 octobre 2019 4 03 /10 /octobre /2019 09:09

Depuis la crise de 1929, les industriels fabriquent toujours plus de marchandises à la longévité toujours plus limitée. L’impératif environnemental implique de ralentir la consommation frénétique des biens. Mais comment remettre en cause le pilier d’un système que soutiennent presque tous les gouvernements ? Une idée simple et d’allure inoffensive pourrait ouvrir la brèche. Par Razmig Keucheyan pour Le Monde Diplomatique de septembre 2019. Lire aussi Ce que la bataille culturelle n’est pas et Apple, Samsung et Microsoft, champions de l’obsolescence programmée.

Laïla Bourebrab. — De la série « Les Mains et les Outils », 2004 Exposition du 19 septembre au 19 octobre, Artcité, hôtel de ville de Fontenay-sous-Bois www.artistescontemporains.net

Laïla Bourebrab. — De la série « Les Mains et les Outils », 2004 Exposition du 19 septembre au 19 octobre, Artcité, hôtel de ville de Fontenay-sous-Bois www.artistescontemporains.net

Comment sortir du consumérisme ? En étendant la durée de garantie des objets. Un simple constat justifie cette proposition : 80 % des marchandises tombées en panne pendant la garantie sont rapportées au vendeur ou au constructeur pour réparation (1). La proportion varie bien entendu selon les cas : on tient moins à une imprimante qu’à une montre, et on attend de la seconde une plus grande longévité, quand bien même toutes deux affichent le même prix. Même s’il représente une estimation globale, ce chiffre peu connu indique que l’écrasante majorité des consommateurs fait valoir son droit quand l’occasion se présente.

Or, sitôt la période de garantie terminée, le taux de réparation chute de plus de moitié — à moins de 40 % pour les appareils électriques et électroniques, par exemple. À tort ou à raison, le propriétaire juge alors plus pratique et/ou moins onéreux d’acheter un nouveau grille-pain ou un nouvel ordinateur. Il est donc possible de prolonger la vie des objets en changeant le droit : plus on étend la durée de la garantie, plus on répare les marchandises, et plus on accroît leur longévité. Le rythme de leur renouvellement, de l’exploitation des ressources naturelles et des flux d’énergie qu’implique leur fabrication s’en trouve par là même ralenti. La garantie, ça n’a l’air de rien. Elle constitue pourtant un puissant levier de transformation économique, et par là politique.

En France, plusieurs associations regroupées en collectif revendiquent l’allongement de la garantie. Les Amis de la Terre, soutenus notamment par France Nature Environnement, Halte à l’obsolescence programmée (HOP) et le Réseau Action Climat, ont lancé une pétition réclamant l’extension de la garantie à dix ans (2). Depuis la loi consommation de 2014, dite « loi Hamon », le droit français fixe à deux ans sa durée minimale, conformément à une directive européenne de 1999. Auparavant, rien n’empêchait les constructeurs de la fixer par exemple à un an ou même six mois. Le passage à dix ans — ou davantage — nous ferait basculer dans un autre monde. Il bouleverserait la production et la consommation des marchandises. Combinée à d’autres mesures, cette rupture du renouvellement incessant des biens ferait advenir une société plus soutenable sur le plan environnemental.

Réparer plutôt que racheter

On comprend sans peine pourquoi les industriels s’y opposent bec et ongles. Moins de marchandises déversées sur les marchés signifie, toutes choses égales par ailleurs, moins de profits. Certes, la réparation pourrait devenir un secteur profitable — elle l’est déjà dans certaines filières et fait vivre des milliers de garagistes. Mais cela impliquerait de repenser de fond en comble les modèles productifs en vigueur.

Soucieux de tuer dans l’œuf le désir même d’un tel bouleversement, les industriels répètent que le consommateur paierait in fine le coût d’une augmentation de la durée de la garantie. Des demandes de réparation beaucoup plus nombreuses susciteraient immanquablement des frais supplémentaires pour les fabricants et les vendeurs, lesquels se répercuteraient sur les prix. Ou alors, pleurnichent-ils, l’innovation actuellement dopée par la rotation perpétuelle des produits risquerait de s’essouffler. Ralentir le rythme reviendrait à faire perdre à la recherche et développement sa centralité dans le fonctionnement du capitalisme. Là encore, le consommateur paierait finalement l’addition, mais cette fois en matière de liberté, puisqu’il perdrait la possibilité de changer de smartphone aussi souvent qu’il le souhaite.

Les industriels ont raison sur un point : garantir les marchandises plus longtemps suppose de les produire autrement, avec des matériaux durables. C’est la fin de la civilisation du jetable, pilier, notamment depuis l’invention du rasoir Gillette à la fin du XIXe siècle, de la société de consommation (3). Allonger les garanties légales supposerait aussi de rendre les pièces détachées disponibles sur le long terme : dix ans, voire davantage, comme cela existe pour certains constructeurs d’électroménager. Les fabricants limitent volontairement leur disponibilité afin de provoquer l’obsolescence. Obtenir ces composants s’avère long et fastidieux. Même le vendeur ne sait pas s’ils existent encore. Et le consommateur n’a pas le temps d’attendre : il rachète un bien neuf.

Laïla Bourebrab. — De la série « Les Mains et les Outils », 2004 Exposition du 19 septembre au 19 octobre, Artcité, hôtel de ville de Fontenay-sous-Bois www.artistescontemporains.net

Laïla Bourebrab. — De la série « Les Mains et les Outils », 2004 Exposition du 19 septembre au 19 octobre, Artcité, hôtel de ville de Fontenay-sous-Bois www.artistescontemporains.net

Créer un fichier central des pièces détachées par secteur, accessible à tous, serait un premier pas nécessaire. Des embryons de répertoires de ce type existent déjà, par exemple dans l’automobile. Il s’agirait d’en démocratiser l’accès. La législation sur le copyright et le secret industriel ne pourront demeurer en l’état. Car derrière l’exigence de disponibilité des pièces détachées se profile la question de la propriété privée. Si une entreprise peut mettre un bien sur le marché et tirer bénéfice de sa vente, c’est qu’elle possède sur lui des droits exclusifs. De ceux-ci découlent en dernière instance les profits des capitalistes. Les mettre en question, comme l’a fait le mouvement ouvrier depuis ses origines, ouvrirait la voie à une autre organisation de l’économie.

Si l’on veut augmenter la durée de la garantie, il faudra davantage de réparateurs. Or, en dix ans, la moitié des indépendants ont fermé boutique en France (4). La réparation automobile se porte bien, mais, en matière d’électroménager ou de cordonnerie, le pays se désertifie. Si on allonge la garantie, cette noble profession retrouve toute sa place. Dans certains centres-villes, le mouvement des Repair Cafés, où des bricoleurs invitent des consommateurs à venir réparer leurs objets, suscite l’engouement (5). Effet de mode rétro, sans doute, mais aussi conséquence de la crise, qui incite nombre de personnes à retaper plutôt qu’à renouveler.

La profession de réparateur indépendant présente une particularité : elle n’est pas délocalisable. Quand votre smartphone tombe en panne, il est parfois envoyé à l’autre bout du monde, puis réexpédié. C’est le cas notamment lorsque la réparation passe par l’enseigne (situation la plus fréquente en France) ou par le fabricant (en Allemagne, par exemple). À l’inverse, l’intervention d’un réparateur indépendant mobilise un humain présent sur place en chair et en os. Contrairement à ce que prétendent les industriels, à savoir que l’extension de la garantie menacerait l’emploi en augmentant les coûts de fabrication et de distribution, plus de garantie suppose plus de réparations, et donc davantage de travail. Mais, bien sûr, la structure du marché du travail devrait évoluer : il incomberait à l’État de mettre en œuvre des mesures de reconversion vers cette activité.

Rallonger la durée de disponibilité des pièces détachées et ressusciter le secteur de la réparation ne sert à rien si les marchandises ne sont pas réparables, c’est-à-dire conçues pour pouvoir l’être. Or c’est de moins en moins le cas. Coller les composants ou les visser : ce simple choix entrave ou facilite le remplacement d’une pièce. Pour les structures dites « monoblocs », d’un seul tenant, l’idée même de composant disparaît : il n’y en a plus qu’un seul, à prendre ou à jeter, comme le montre l’exemple des phares automobiles. Les fabricants n’ont nul besoin de pratiquer l’obsolescence programmée stricto sensu. Il leur suffit de concevoir des marchandises impossibles à réparer. C’est beaucoup plus simple et juridiquement moins risqué.

L’allongement de la garantie fournirait un levier pour la relocalisation de la production, sans laquelle la transition écologique n’a aucune chance d’aboutir. En effet, les produits à bas coût en provenance de l’autre bout du monde, à grand renfort d’émissions de gaz à effet de serre, pourront difficilement satisfaire aux exigences d’une garantie décennale. On l’oublie souvent : la mondialisation marchande a pour corollaire une dégradation de la qualité des biens, ainsi que l’absence de garantie pour beaucoup d’entre eux. S’ils devaient couvrir leurs produits durant dix ans, les industriels devraient contraindre leurs fournisseurs, nombreux et géographiquement dispersés, à leur procurer des composants de qualité (6).

Enfin, l’allongement de la garantie doit s’accompagner de l’affichage du prix d’usage, qui, selon la loi Hamon, désigne « la valeur marchande associée à l’usage du service rendu par un bien meuble, et non à la propriété de ce bien (7) ». Le gouvernement de l’époque a confié cette expérimentation au bon vouloir des industriels, sans la rendre obligatoire. Résultat : personne n’a entendu parler du prix d’usage. Il s’agit pourtant d’un outil étonnant. Le prix affiché d’un bien peut être modique, mais son prix d’usage élevé. Les deux varient même souvent en proportion inverse. Un prix bas masque vraisemblablement la piètre qualité des composants, et/ou — cela va généralement de pair — les conditions de travail désastreuses des producteurs. Le prix d’usage inclut les coûts cachés : ceux de la durée de vie limitée qui contraindra le consommateur à renouveler le produit à brève échéance. L’affichage d’un tel indicateur pourrait inciter les clients à payer plus cher à l’achat afin de s’épargner des frais élevés pendant le cycle de vie de l’objet.

Le calcul du prix d’usage dépend de la durée de vie « normale » du bien. Toute marchandise possède une longévité attendue, estimée à la conception et entrée dans nos représentations. Nous attendons qu’un réfrigérateur fonctionne plus longtemps qu’un smartphone — renouvelé en moyenne tous les vingt mois (8). Plus le produit est durable, plus son prix d’usage baisse, puisque le coût total de l’utilisation se divise par un plus grand nombre d’années. D’autres critères entrent en ligne de compte. Si une voiture vieillissante occasionne des frais de réparation de plus en plus élevés, le coût d’usage explosera.

Ouvrir la boîte noire des prix ne peut que favoriser des changements d’habitudes en matière de consommation. Lorsqu’on achète un aliment, une étiquette nous informe de manière plus ou moins exacte et complète de sa composition — nutriments et calories, notamment. Cependant, on ne sait rien de ses conditions de production, du salaire des producteurs ou des marges des fournisseurs (9). Cela vaut non seulement pour les aliments, mais, à des degrés divers, pour toutes les marchandises.

Laïla Bourebrab. — De la série « Les Mains et les Outils », 2004 Exposition du 19 septembre au 19 octobre, Artcité, hôtel de ville de Fontenay-sous-Bois www.artistescontemporains.net

Laïla Bourebrab. — De la série « Les Mains et les Outils », 2004 Exposition du 19 septembre au 19 octobre, Artcité, hôtel de ville de Fontenay-sous-Bois www.artistescontemporains.net

L’affichage du prix d’usage doit s’accompagner d’une information précise portant sur l’ensemble du processus de production. Un nouveau type d’étiquette serait rendu obligatoire, indiquant les conditions de travail qui ont présidé à la production : salaires, temps de travail, respect de l’égalité femmes-hommes, etc. On renouerait alors avec la tradition des labels syndicaux, qui attestaient jadis la présence de syndicats dans les usines ou les magasins (10). Lorsqu’il s’agit d’un bien durable, l’étiquette précisera également le coût estimé de son usage dans le temps, un indicateur qui renseigne sur la qualité des matériaux, et donc sur la soutenabilité environnementale.

À terme, la logique d’affichage du prix d’usage prépare les consciences à un basculement plus fondamental, que certains appellent l’« économie de la fonctionnalité » : on vend des usages, et non plus des objets. Je n’achète plus une voiture, mais du temps de conduite. En d’autres termes, il n’y a plus de transfert de propriété. C’est le principe de la location, généralisé à l’économie tout entière. La valeur d’usage devient alors hégémonique par rapport à la valeur d’échange.

Mais, afin que les bénéfices de ce mode d’échange ne soient pas capturés par des plates-formes privées, il importe que la propriété des biens soit collective. Quand nous louons une voiture, l’entreprise de location possède le véhicule, ce qui lui donne le droit d’imposer des conditions et un prix. Mais, si le parc automobile devenait propriété sociale (commune ou publique), les utilisateurs pourraient peser sur ces conditions et sur ce prix : la démocratie commence à s’exercer sur les usages, avec ses débats et ses contradictions.

Pour rendre concevable une transition de ce genre, il faudra encore affronter les forces sociales qui soutiennent la valeur d’échange. Elles sont puissantes. Dans cette perspective, l’économie de la fonctionnalité doit s’accompagner d’un projet politique à même de mobiliser de larges secteurs sociaux et, en premier lieu, les classes populaires. La défense de la valeur d’usage contre la propriété privée forme le socle commun du socialisme et de l’écologie politique ; elle en constituera sans nul doute le point de départ.

Razmig Keucheyan, Sociologue, auteur de l’ouvrage Les besoins artificiels. Comment sortir du consumérisme, La Découverte, Paris, à paraître le 19 septembre 2019.

(1) « Allonger la durée de vie de nos biens : la garantie à dix ans, maintenant ! Note de plaidoyer » (PDF), Les Amis de la Terre, septembre 2016.

(2) « Signez la pétition “Garantie dix ans maintenant” », Les Amis de la Terre, 24 octobre 2016.

(3) Serge Latouche, Bon pour la casse. Les déraisons de l’obsolescence programmée, Les Liens qui libèrent, Paris, 2012.

(4) Allonger la durée de vie de nos biens : la garantie à dix ans, maintenant ! Note de plaidoyer » (PDF) op. cit.

(5) Nicolas Six, « Dans un Repair Café, avec les bénévoles qui redonnent vie aux objets cassés », Le Monde, 1er octobre 2017.

(6) Philippe Moati, « Étendre la garantie sur les biens à dix ans », Le Monde, 3 mai 2010.

(7) Loi du 17 mars 2014 relative à la consommation, chapitre ii, section 1, article 4.

(8) Clément Chauvin et Erwann Fangeat, « Allongement de la durée de vie des produits » (PDF), étude menée pour le compte de l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe), Angers, février 2016.

(9) Franck Cochoy, Marie Plessz, Diane Rodet et François Sarfati, « La consommation low cost », La Nouvelle Revue du travail, no 12, Paris, 2018.

(10) Jean-Pierre Le Crom, « Le label syndical », dans Jean-Pierre Le Crom (sous la dir. de), Les Acteurs de l’histoire du droit du travail, Presses universitaires de Rennes, 2005.

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2 octobre 2019 3 02 /10 /octobre /2019 10:59

En 1770, la première grande pollution industrielle chimique en France avait eu lieu à 500 mètres du site de Lubrizol. L’inspection des établissements dangereux, comme Lubrizol à Rouen, s’est « singulièrement assouplie » pour éviter de trop contraindre les propriétaires d’usine. Un héritage des siècles passés et de l’industrialisation à tout crin. Une tribune de Thomas Le Roux, historien, parue dans Le Monde le 2 octobre 2019. Chercheur au CNRS, Thomas Le Roux est auteur, avec François Jarrige, de « La Contamination du monde. Une histoire des pollutions à l’âge industriel » (Seuil, 2017). Lire aussi La toxicité du Roundup connue de Monsanto depuis au moins 18 ans et Amiante : un permis de tuer pour les industriels

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L’usine Lubrizol en feu, à Rouen le 26 septembre, vue d’un drone. (©SDIS 76)

L’usine Lubrizol en feu, à Rouen le 26 septembre, vue d’un drone. (©SDIS 76)

C’est à 500 mètres de l’actuelle usine Lubrizol de Rouen qu’eut lieu la première grande pollution industrielle chimique en France, au cours des années 1770, dans le quartier Saint-Sever, sur la rive gauche : les fumées corrosives d’une fabrique d’acide sulfurique détruisirent la végétation alentour et on les soupçonna de menacer la santé publique. Malédiction sur le site ou simple coïncidence ? Ni l’un ni l’autre : mais c’est au miroir du passé que l’on peut mieux comprendre comment le risque industriel et les pollutions sont encadrés aujourd’hui.

Le procès instruit en 1772-1774 après la mise en cause de la fabrique d’acide, a en effet produit un basculement dans l’ordre des régulations environnementales, un vrai changement de paradigme lourd de conséquences.

Une mise en lumière du processus historique aide à répondre à un panache de questions, telles que : « Seveso, quèsaco ? », « Une usine dangereuse dans la ville, est-ce possible ? », « Tire-t-on les leçons d’une catastrophe industrielle ? » Ou encore : « l’industriel : responsable, pas coupable ? »

Les directives européennes Seveso

L’usine d’additifs pour essence et lubrifiants Lubrizol est classée « Seveso – seuil haut ». Elle est donc parfaitement connue des autorités de régulation, à savoir l’Inspection des établissements classés, qui dépend du ministère de la transition écologique et solidaire, et qui a un rôle préventif et de surveillance.

Le classement Seveso découle d’une harmonisation européenne des règles de droit des différents Etats régissant les industries les plus dangereuses. Il tire son nom de celui de la ville de Lombardie où, en juillet 1976, l’usine chimique Icmesa laisse s’échapper un nuage toxique de dioxine qui contamine les environs. Pour prévenir ce type d’accident, trois directives européennes Seveso sont successivement adoptées en 1982, 1996 et 2012 (entrée en vigueur en 2015). Une telle exposition des faits pourrait laisser penser que, tirant les leçons de l’expérience (un accident), les autorités réagissent et fondent un droit protecteur, sans cesse amélioré. Il n’en est rien.

D’une part parce qu’avant la mise en place des directives Seveso, les Etats avaient déjà leur propre réglementation, parfois plus sévère. D’autre part parce que les centrales nucléaires, par exemple, y échappent. Enfin, parce que l’on peut douter de l’efficacité du dispositif.

En matière d’industrie dangereuse, l’accident n’est pas exceptionnel, c’est la norme. Les accidents dans les établissements classés français sont passés de 827 en 2016 à 978 en 2017, et 1 112 en 2018 et près de la moitié d’entre eux laissent s’échapper dans l’environnement des substances dangereuses. Les établissements Seveso contribuent sensiblement à cette progression : pour 15 % en 2016, 22 % en 2017 et 25 % en 2018.

Relâchement dans la régulation depuis la directive Seveso 3 de 2012 ? Remontons quelques années plus en amont, car, au nom d’une simplification des règles administratives, l’inspection des établissements dangereux s’est singulièrement assouplie pour moins contraindre les industriels.

Ainsi, depuis 2010, la nouvelle procédure de « l’enregistrement » a fait baisser significativement le nombre des usines devant se plier aux procédures d’autorisation de fonctionnement. Et cela malgré le souvenir, pas si lointain, de l’explosion mortelle d’AZF à Toulouse en 2001.

Cette procédure a accouché du dispositif des PPRT – plans de prévention des risques technologiques (2003), dans le but de réduire la proximité des installations classées avec les habitations, et dans lesquels, par un curieux renversement de perspective, il est prévu d’exproprier non pas l’industriel source de danger mais le résident qui a eu l’imprudence de venir habiter trop près ou la malchance de voir s’installer une usine près de chez lui. Chacun appréciera.

Comment comprendre que près de quarante ans après la première directive Seveso, la coexistence des habitations et des industries dangereuses soit encore possible ? C’est que ces directives reprennent l’esprit de législations nationales déjà existantes dont le but est, depuis le XIXe siècle, d’encourager l’industrialisation, quitte à sacrifier des zones au nom de l’utilité publique.

Revenons au procès de l’usine d’acide sulfurique de Rouen et son verdict par un arrêt du Conseil du roi, où l’affaire a été renvoyée, en 1774 : à l’encontre de la jurisprudence établie depuis des siècles et qui visait à protéger la santé publique en supprimant toute nuisance de voisinage, il est décidé, après moult débats entre les ministres, que l’usine peut continuer à fabriquer son acide, défense faite au voisinage de gêner son fonctionnement. L’acide sulfurique est alors un nouveau produit, puissant, innovant et indispensable au décollage des industries textile et métallurgique, moteurs de l’industrialisation.

Les populations doivent s’adapter

La décision du Conseil crée une brèche inédite dans la régulation des pollutions et risques industriels ; elle est à l’origine d’un bras de fer de plusieurs décennies entre industrialistes (acception large incluant les industriels, de nombreux scientifiques et la plupart des administrateurs de l’Etat) et défenseurs d’une jurisprudence rétive aux activités de production polluantes (voisins, agriculteurs, polices et justices locales).

La Révolution française et l’Empire napoléonien scellent finalement le nouveau pacte entre l’industrie et l’environnement, dans un contexte de guerre et de mobilisation de masse. La période voit une libéralisation considérable des contraintes juridiques environnementales.

En 1810, au plus fort de l’Empire, une loi sur les industries polluantes (la première du monde) se surimpose au droit commun et y déroge. Elle instaure un régime administratif industrialiste, qui est copié immédiatement sur tout le continent, puis adapté outre-Manche et outre Atlantique à la fin du XIXe siècle.

Les réformes ultérieures de la loi (en 1917 et en 1976 en France), y compris celle de Seveso, n’y changent rien : c’est aux populations de s’acclimater à l’industrie et son cortège de risques et de pollution, au nom de l’utilité publique, l’industrialisation étant assimilée au bien général. Plutôt que d’interdire un produit, on commence à définir une acceptabilité par la dose et les seuils. D’où la banalité de la proximité des usines dangereuses avec des zones habitées depuis deux cents ans.

Surtout, en conséquence de la loi de 1810 et du contrôle administratif, l’industriel échappe à la sphère pénale en cas de pollution : déjà responsable sans être coupable. Les seuls recours judiciaires possibles sont civils, pour déterminer des indemnités pour dommages matériels. Encore aujourd’hui, les poursuites pénales sont extrêmement rares, et les condamnations très faibles, l’exemple de l’entreprise Lubrizol venant confirmer cette règle, avec sa condamnation pour un rejet de gaz toxique, en 2013, à 4 000 euros d’amende – soit une broutille pour une entreprise de cette taille.

Autre leçon des régulations post-1810 : leur insistance sur l’amélioration technique, censée rendre, toujours à court terme, l’industrie inoffensive. La récurrence de l’argumentation, décennie après décennie, laisse rêveur au regard de la progression parallèle de la pollution au niveau mondial. Si la pression du risque industriel est partiellement contenue en Europe depuis les années 1970, c’est en grande partie la conséquence des délocalisations principalement en Asie, où les dégradations environnementales sont devenues démesurées.

La régulation des risques et des pollutions ne protège donc pas assez les populations, parce qu’elle protège avant tout l’industrie et ses produits, dont l’utilité sociale et l’influence sur la santé sont insuffisamment questionnées. Les garde-fous actuels (dispositifs techniques, surveillance administrative, réparation et remédiation, délocalisations) ont pour but de rendre acceptables les contaminations et les risques ; ils confirment une dynamique historique tragique dont l’accident de l’entreprise Lubrizol n’est que l’arbre qui cache la forêt dense de pollutions toujours plus chroniques, massives et insidieuses.

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1 octobre 2019 2 01 /10 /octobre /2019 21:55

Le vendredi 4 octobre à 18H30, les signataires de l’Appel à la résistance pour l'interdiction de tous les pesticides Nous voulons des Coquelicots se retrouvent à nouveau devant les mairies de leurs villes et villages. 421 événements sont annoncés pour le 4 octobre ! Lire aussi  Les SDHI, ces pesticides qui alarment les scientifiques  et Nous voulons des coquelicots...

Le 4 octobre, les SDHI sont nos ennemis !

Pour le premier anniversaire de notre beau mouvement des Coquelicots, nous avons décidé de passer à la confrontation. Avec le système infernal et criminel qui autorise l’empoisonnement de tous.

Car il y a du nouveau, avec ce sigle que tout le monde va découvrir : SDHI. Ces nouveaux pesticides sont partout en France, et représentent un danger inouï. Ils sont pourtant soutenus et même félicités par nos autorités d’État, ainsi que le raconte un livre explosif qui parait le 11 septembre.

Notre agence de sécurité sanitaire, l’Anses, est partie prenante du lobby des pesticides et démontre d’une manière éclatante qu’elle ne protège ni les humains ni les écosystèmes. La situation est si grave qu’elle remet en cause le contrat social qui lie nos vies et nos institutions.

Bien sûr, le mouvement des Coquelicots est, reste et restera non-violent et démocratique. Mais cela n’empêche pas la révolte, la saine révolte contre un ordre qui n’est plus respectable. Nous découvrirons ensemble, au fil des semaines, quelles actions peuvent être menées. Sachez que le petit groupe d’origine a des idées précises, qui en étonneront plus d’un. En voici une première, à découvrir ici.

Il va de soi que chacun peut proposer sa propre partition, éventuellement meilleure que nos propositions. Retenez que la deuxième année des Coquelicots doit montrer sa force sur le terrain. Les rassemblements devant les mairies doivent être maintenus et amplifiés, mais ouvrez grand vos oreilles, et préparez-vous à l’action. C’est le moment.

L'association Nous voulons des coquelicots

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1 octobre 2019 2 01 /10 /octobre /2019 12:32

Pour l’agronome et théoricien de la collapsologie, tout l’enjeu est de limiter l’impact sur les populations de ce bouleversement provoqué par le réchauffement climatique. Propos recueillis par Audrey Garric le 28 septembre 2019 pour Le Monde. Lire aussi Il faut immédiatement mettre en œuvre une nouvelle organisation sociale et culturelle et « Nous sommes l’espèce la plus coopérative du monde vivant ».

L’ingénieur agronome français et chercheur indépendant et transdisciplinaire Pablo Servigne, en janvier 2018 à Paris. Serge Picard / Agence VU

L’ingénieur agronome français et chercheur indépendant et transdisciplinaire Pablo Servigne, en janvier 2018 à Paris. Serge Picard / Agence VU

Amazonie en feu, Bahamas ravagées par le cyclone Dorian, terres épuisées, records de température au mois de juillet. Partout, les témoignages de la catastrophe climatique en cours s’accumulent, s’ajoutant aux conflits géopolitiques et à la fébrilité des marchés financiers. Les collapsologues y voient autant de signes avant-coureurs de l’effondrement à venir de notre civilisation. Une ou des catastrophes auxquelles il faut se préparer, estime l’agronome Pablo Servigne, coauteur de plusieurs livres, dont le best-seller Comment tout peut s’effondrer (Seuil, 2015).

Dans les années 1980, on a annoncé l’hiver nucléaire, dans les années 2000, la fin du pétrole, et maintenant, l’apocalypse écologique et climatique. Pourquoi devrait-on vous croire lorsque vous annoncez un effondrement imminent ?

On s’est rapproché de l’échéance : désormais, ce ne sont pas les générations futures qui sont concernées, mais celles d’aujourd’hui. Dans nos livres, nous avons essayé d’être le plus rationnels possible sur les risques systémiques que court notre société. On montre que le système humain et la biosphère sont liés, et que des effondrements dans l’un peuvent entraîner des effondrements dans l’autre. Le paradoxe, c’est que plus notre société est puissante et complexe, plus elle est vulnérable.

Dans les travaux scientifiques que l’on cite, les experts parlent de possibilité que des chocs systémiques arrivent ; il reste toujours une incertitude. Personnellement, je vais plus loin et je ne suis pas le seul. J’ai l’intuition que cela va arriver, que c’est certain. C’est une conviction qui se nourrit de science, mais qui sort du cadre strictement scientifique. En considérant la catastrophe comme certaine, on augmente les chances de l’éviter, d’agir. Et notre horizon, notre vie, notre rapport au monde changent.

Comment les crises écologique, financière et politique se nourrissent-elles ?

Les crises écosystémiques peuvent déclencher des crises humaines qui peuvent en déclencher des écosystémiques en retour. Notre société a, par exemple, provoqué un réchauffement climatique qui fait fondre les glaciers de l’Himalaya, ce qui risque de déstabiliser la région, l’Inde, le Pakistan, le Bangladesh, etc. Cela augmente donc le risque de conflits armés pour les ressources en eau, ce qui diminue encore la capacité à agir pour préserver l’environnement… L’hyperconnexion du fait de la mondialisation – flux économiques, d’informations, de matériaux, de ressources, etc. – vient accélérer et aggraver la dynamique de rupture.

Actuellement, c’est le calme avant la tempête. On voit de nombreux signes avant-coureurs d’effondrements partiels qui peuvent faire effet domino : le retour des autoritarismes, les canicules, les pénuries, la fébrilité des marchés financiers, les tensions géopolitiques comme la guerre commerciale entre les Etats-Unis et la Chine… C’est comme si l’on était dans une pièce où la concentration en gaz a augmenté et qu’on ne savait pas d’où allait venir l’étincelle.

Pourtant, certains experts comme le climatologue Jean Jouzel estiment que rien n’est inéluctable et que les collapsologues sous-estiment « la force de résilience de l’humain ». Que répondez-vous ?

Avec mes coauteurs, on a toujours mis en avant la résilience de l’humain et on n’a jamais dit que tout était foutu, au contraire. Notre démarche consiste à rouvrir des horizons malgré les catastrophes qui arrivent. A titre personnel, je pense que l’on ne peut plus éviter des grands chocs qui vont éroder, voire détruire notre société dans les années ou les décennies qui viennent. J’ai même renoncé à employer le mot « transition », que je voyais à l’origine comme le passage d’un monde A (mourant) vers un monde B (à créer). Ce terme a été édulcoré, il est aujourd’hui trop neutre et mou pour représenter notre époque. Je parle désormais d’état d’urgence et de gestion des catastrophes.

Il faut dissocier les effondrements – au pluriel –, une réalité scientifique qui est en train d’arriver, de l’effondrement – au singulier –, qui est devenu un récit. Cette histoire est très puissante car elle permet d’aller au-delà du mythe de la croissance et du progrès qui est devenu toxique ; et elle permet d’envisager une renaissance. Mais elle comporte deux risques : l’« aquoibonisme », c’est-à-dire penser que tout est foutu et donc se décourager, et puis l’autoritarisme, le fait d’en appeler à une figure d’autorité, réactionnaire, pour nous sauver.

La stratégie de communication catastrophiste empêche-t-elle véritablement d’agir ?

L’annonce des effondrements va en paralyser certains, mais aussi mettre d’autres en mouvement. Notre démarche consiste à ne pas balayer les faits sous le tapis sous prétexte qu’ils peuvent provoquer de la peur. Puisqu’on va côtoyer la peur et les catastrophes toute notre vie, nous avons préféré réfléchir à comment vivre avec, les apprivoiser, grâce à un chemin intérieur, émotionnel, spirituel, psychologique. On a utilisé la métaphore du deuil pour montrer qu’avec la peur viennent aussi la colère, le désespoir, puis l’acceptation, qui peut déboucher sur l’action. C’est pourquoi la collapsologie peut aussi mener à une sagesse, que l’on a appelée « collapsosophie », l’apprentissage de la vie en société avec l’idée de notre finitude.

Comment concilier les effondrements que vous jugez souhaitables et ceux que vous voulez éviter ?

Il y a en effet des effondrements que je ne souhaite pas, comme ceux des populations d’abeilles et d’oiseaux, des sols vivants, de l’Amazonie, des glaciers. Et d’autres que je souhaite, tels que le capitalisme ou le monde thermo-industriel, qui détruisent l’humain et la vie. C’est bien de le souhaiter d’un point de vue théorique, mais des millions de personnes risquent de se retrouver dans une situation très difficile si cela arrive vite. Il faut donc faire des compromis entre des objectifs contradictoires : mettre fin à une société qui détruit la biosphère, mais en limitant les conséquences pour les populations. Je ne sais pas comment faire, je suis un peu perdu, comme tout le monde.

Comment se préparer à des effondrements ?

Il y a trois manières, toutes nécessaires : lutter, créer des alternatives et revoir en profondeur notre rapport au monde. Ce dernier chemin, dit « intérieur », n’est pas individuel mais collectif. C’est très difficile à comprendre en France, où la spiritualité relève du domaine privé. Je pense au contraire que les questions relatives aux émotions, à ce qui fait sens, au rapport au monde et aux non-humains sont collectives.

La voie intérieure est même un préalable aux chantiers politiques qui nous attendent – mettre en place des communes autogérées, résilientes et fédérées, préparer à grande échelle les services publics aux catastrophes. Il faut retrouver des récits enthousiasmants qui font du commun. Seul l’imaginaire peut nous permettre de recréer de la vie dans les ruines de notre monde. Mais il est possible que l’on n’y parvienne pas.

Pablo Servigne interviendra au Monde Festival dans le cadre du débat sur « Comment vivre dans un monde effondré ? », animé par Audrey Garric, dimanche 6 octobre de 15 h 30 à 17 heures, à l’Opéra Bastille (amphithéâtre).

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30 septembre 2019 1 30 /09 /septembre /2019 17:40

Pour la première fois, l’Union pour la conservation de la nature a publié une « liste rouge » des arbres européens menacés - sorbier et marronnier sont en danger. Par Clémentine Thiberge le 27 septembre 2019 pour Le Monde. Lire aussi La croissance végétale en panne sèche au XXIe siècle, Les promoteurs, les arbres et la cité - lettre ouverte à BNP Paribas et L’homme et l’arbre font société.

Une forêt de pins près de Welzow, dans le Brandebourg (Allemagne), le 19 septembre, où de nombreux arbres souffrent de la sécheresse. JOHN MACDOUGALL / AFP

Une forêt de pins près de Welzow, dans le Brandebourg (Allemagne), le 19 septembre, où de nombreux arbres souffrent de la sécheresse. JOHN MACDOUGALL / AFP

Des 454 espèces d’arbres européens, 42 % sont menacées d’extinction, alerte, vendredi 27 septembre, l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN). Plus inquiétant encore, 58 % des arbres endémiques d’Europe – ceux qui n’existent nulle part ailleurs sur la planète – sont menacés et 15 % ont été classés dans la catégorie « en danger critique », soit le dernier pallier avant l’extinction. Les sorbiers, les marronniers ou encore certains lauriers font partie des espèces les plus menacées.

Baromètres de santé de la biodiversité, les listes rouges de l’UICN identifient les espèces menacées d’extinction au niveau régional ou mondial afin de pouvoir prendre des mesures de conservation appropriées. Le statut des espèces arboricoles n’avait encore jamais été évalué en Europe. « Les arbres jouent un rôle très important, ils structurent tout l’écosystème forestier, explique Serge Muller, responsable scientifique de l’herbier national et président du Conseil national de la protection de la nature. Sans arbres, il n’y a pas de forêt et toutes les autres espèces de cet écosystème sont alors menacées. C’est pourquoi une étude approfondie sur les causes et conséquences de ces extinctions est extrêmement importante. »

La menace des espèces invasives

Selon le rapport, les menaces qui pèsent sur ce pan de biodiversité sont différentes pour chaque espèce. « Mais de manière générale, on retrouve des causes d’extinction communes à beaucoup d’arbres », soutient Emily Beech, officière de conservation au Botanic Gardens Conservation International de Londres et coauteure du rapport. Le principal risque identifié par les scientifiques vient des espèces invasives. Touchant 38 % des espèces étudiées, il s’agit notamment de parasites et de maladies, mais également de plantes introduites par l’homme et concurrentes des arbres indigènes. Le marronnier commun, par exemple, a été classé « vulnérable » à la suite du déclin causé par la mineuse du marronnier. Cette chenille, qui endommage les feuilles de l’arbre, a colonisé l’Europe. « Les espèces insulaires sont également très touchées par ces invasions, explique Bruno Cornier, botaniste ayant participé à l’étude. Dans les Canaries, à Madère ou en Sicile, les milieux sont très fragiles et beaucoup d’espèces invasives sont importées par les activités humaines. »

A ces menaces s’ajoutent, soutient Emily Beech, « la déforestation et le développement urbain, qui sont responsables de la vulnérabilité de 20 % des espèces mais aussi l’extension des terres agricoles, les incendies, le changement climatique, le tourisme ». Ce dernier affecte principalement les espèces côtières. En effet, la construction d’infrastructures liées à l’activité touristique, combinée au piétinement de ces espaces sensibles, augmente la vulnérabilité des arbres. Ceux-ci sont également fragilisés par la montée des eaux et l’intensification des tempêtes, poursuit la chercheuse.

Epine dorsale des écosystèmes

Les scientifiques appellent aujourd’hui l’Union européenne à œuvrer de manière globale à la survie de ce patrimoine biologique. « Les arbres sont essentiels à la vie sur Terre et les arbres européens, dans toute leur diversité, constituent une source de nourriture et un abri pour d’innombrables espèces animales (…) et jouent un rôle économique clé », a déclaré Craig Hilton-Taylor, chef de l’unité « Liste rouge » de l’UICN, dans un communiqué.

Plus encore, l’organisation espère que ce message d’alerte permettra au grand public de s’intéresser davantage à la disparition d’espèces végétales. En effet, alors qu’une grande attention est souvent accordée au déclin d’espèces dites charismatiques, comme les grands mammifères ou les oiseaux, les plantes sont, elles, souvent oubliées. « Les plantes parlent peu au grand public, admet Emily Beech, et il est beaucoup plus difficile d’obtenir des fonds pour étudier des espèces que personne ne connaît. » L’UICN a donc souligné la nécessité de les inclure dans la planification de la conservation. « Ce rapport montre à quel point la situation est catastrophique pour de nombreuses espèces sous-estimées et sous-évaluées qui constituent l’épine dorsale des écosystèmes européens et contribuent à la santé de la planète », a déclaré Luc Bas, directeur du Bureau régional européen de l’UICN.

Cette « liste rouge » centrée sur l’Europe n’est que la première partie d’une évaluation mondiale. L’UICN souhaite en effet publier une liste mondiale exhaustive des espèces d’arbres menacés avant fin 2020. Une liste rouge qui représenterait plus de 60 000 espèces.

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28 septembre 2019 6 28 /09 /septembre /2019 09:09

La première centrale solaire citoyenne d’Ile-de-France voit le jour, avec l’appui de la ville et de plusieurs autres collectivités. Un article que j'aurai dû partager plus tôt sur ce blog, par Claude Guedon le 10 septembre pour Le Parisien. Lire aussi Un coup de pouce Vert pour les Electrons solaires ! et rejoignez les énergies citoyennes locales sur http://electrons-solaires93.org/Cooperative.html !

Les Lilas, le 5 septembre. La coopérative Electrons solaires cofondée par Pierre Stoeber a financé la première installation citoyenne d’Ile-de-France de panneaux photovoltaïques, sur le toit d’une école aux Lilas. LP/Claire Guédon

Les Lilas, le 5 septembre. La coopérative Electrons solaires cofondée par Pierre Stoeber a financé la première installation citoyenne d’Ile-de-France de panneaux photovoltaïques, sur le toit d’une école aux Lilas. LP/Claire Guédon

« Une aventure humaine. » Loin d'être galvaudée, l'expression que choisit Pierre Stoeber, cofondateur de la coopérative des Electrons solaires, au cœur du territoire d'Est Ensemble résume le chemin accompli ces trois dernières années. La poignée d'habitants convaincus du départ forme aujourd'hui une force de frappe de 120 sociétaires qui ont financé la pose de 117 panneaux photovoltaïques sur la toiture de l'école Waldeck-Rousseau, aux Lilas.

L'installation proprement dite qui s'est élevée à 75 000 € s'est déroulée au mois d'août. Une petite réception des travaux était organisée la semaine passée, pour inaugurer ce qui constitue la « première centrale solaire citoyenne d'Ile-de-France », comme le souligne Pierre Stoeber.

Sept coopératives en Ile-de-France

A sa connaissance, sept coopératives se sont montées en l'espace d'un an en région parisienne dont Plaine Energie citoyenne au nord-ouest de Seine-Saint-Denis. Parmi les projets avancés, figurent ceux d'EnerCit'IF, à qui la mairie de Paris a accordé au printemps 2019, le droit d'occuper le domaine public pour construire les neuf premières centrales solaires citoyennes de la capitale.

« Ça bouillonne depuis un an ou deux en Ile-de-France. On voit des habitants qui ont envie de se mettre ensemble, pour accompagner un projet d'énergie renouvelable », confirme Julien Courtel, d'Enercoop. Ce fournisseur d'électricité verte, qui compte 80 000 clients, travaille déjà avec 250 producteurs (centrales hydrauliques et installations éoliennes et photovoltaïques).

Une partie des 117 panneaux photovoltaïques posés sur le toit d’une école aux Lilas. LP/Claire Guédon

Une partie des 117 panneaux photovoltaïques posés sur le toit d’une école aux Lilas. LP/Claire Guédon

L'équipement de l'école des Lilas qui couvre une surface de 200 m2 produira l'équivalent de la consommation annuelle de douze à quinze foyers. Alors, évidemment, énoncée ainsi, la démarche pourrait paraître anecdotique. En réalité, elle a valeur d'exemple. « Notre but est d'amorcer la transition énergétique et de pousser les autres, à la faire. En tant que citoyen, on ne peut pas tout mais on montre que c'est possible », détaille Pierre Stoeber.

« Prise de conscience »

Et ça fonctionne : les villes des Lilas, du Pré Saint-Gervais, de Romainville, Pantin (et bientôt celle de Montreuil) ainsi qu'Est Ensemble sont devenus sociétaires de la coopérative. Chaque part est fixée à 100 €. « En moyenne, un sociétaire prend 4,5 parts », précise Pierre Stoeber.

« C'est une convergence de volontés, résume le maire socialiste des Lilas, Daniel Guiraud. On amorce une prise de conscience, pour encourager les copropriétés et les pavillons à poser des panneaux photovoltaïques et permettre l'augmentation du solaire dans le mix énergétique. »

Financé par la coopérative, l'investissement est assuré à 20 % en fonds propres, 30 % en emprunts et le reste en subventions. Un bail de trente ans a été passé avec la ville des Lilas qui en a profité pour coupler la rénovation de la toiture de l'école Waldeck-Rousseau aux travaux de pose des panneaux photovoltaïques.

Quatre nouveaux toits en 2020

En 2020, quatre nouveaux projets d'Electrons solaires vont pousser sur les toits du collège Jean-Zay (500 m2), à Bondy, d'un immeuble de logements sociaux, à Montreuil et de deux écoles à Pantin et Bagnolet.

L'objectif est de revendre l'énergie renouvelable à Enercoop. « Nous allons soutenir 18 projets citoyens en Ile-de-France portés par trois collectifs : Electrons solaires, EnerCit'IF et Sud Paris Soleil, précise Julien Courtel, d'Enercoop. Notre idée est de leur acheter l'électricité à un tarif légèrement bonifié et nous nous engageons auprès d'eux sur vingt ans, afin de leur assurer un modèle économique stable », poursuit-il.

Deux décennies, c'est effectivement la durée estimée pour « rentabiliser les installations », indique Pierre Stoeber. « J'essaie de faire de l'écologie par des actes. On crée quelque chose qui va vivre sa vie. C'est une très grande satisfaction. »

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