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28 avril 2020 2 28 /04 /avril /2020 09:18
Dans le cadre du Big Bang, une visio-conférence sur le thème " la crise sanitaire annonce-t-elle l'effondrement de nos sociétés ? " animée par Alain Coulombel, porte-parole EELV, avec Pablo Servigne, ingénieur-agronome, Geneviève Azam, économiste, Dominique Bourg, philosophe. C'est en direct, mercredi 29 avril à 18h. Lire aussi Fédérer au sein des gauches et des écologistes : le temps nous oblige, vite et Plus jamais ça ! Construisons ensemble le jour d’après.
La crise sanitaire annonce-t-elle l'effondrement de nos sociétés ?
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28 avril 2020 2 28 /04 /avril /2020 08:00

StopCovid n'a l'air de rien, et l'application est d'une utilité plus que douteuse. Elle n'en porte pas moins atteinte à nos libertés. Il est des engrenages où il ne faut pas mettre le doigt. Par Esther Benbassa, sénatrice EELV, le 27 avril 2020.

StopCovid : notre santé est primordiale, nos libertés ne le sont pas moins
StopCovid. Le mot a tout d’une injonction. D’aucuns voudraient le faire passer pour le nom du sésame capable de nous sortir d’un confinement anxiogène tout en nous promettant des jours meilleurs. Il ne désigne en fait qu’une application de plus à installer sur son smartphone. Et dont le but est de tracer anonymement les contacts entre personnes saines et personnes infectées, d’anticiper et de contrôler les risques de contamination, et par là de juguler la circulation du virus.

Cette application n’est pas encore prête, mais suscite déjà maintes interrogations sur son efficacité et sur les dangers qu’elle fait peser sur les libertés publiques dans un pays comme le nôtre, dont le goût prononcé pour les états d’urgence n’est plus à démontrer, alors que chez nombre de nos voisins, par exemple en Allemagne, on est loin d’être aussi prompt à s’y lancer même en période de pandémie. 

Un penchant bien français pour les états d'urgence

Rappelons que plusieurs des mesures prises sous l’état d’urgence décrété à la suite des attentats terroristes de 2015 ont été par la suite intégrées dans notre droit commun. Cette pérennisation pourrait bien concerner aussi StopCovid. D’où le débat qu’il suscite dans la sphère politique et dans le monde associatif. Au point que les chefs des partis d’opposition ont demandé avec insistance au Premier ministre un débat à ce sujet au Parlement, suivi d’un vote.

Initialement, seul un débat était prévu. Le vote finalement accepté sera purement indicatif. De surcroît, pour parer à toute division gênante, y compris au sein de la majorité gouvernementale, à la dernière minute on l’a inséré dans un package : celui des mesures de « déconfinement » que le Premier Ministre exposera le 28 avril l’Assemblée. Le traçage, sujet hautement inflammable, devenant ainsi une mesure parmi d’autres. Il en sera de même, la semaine du 4 avril, au Sénat.

L’utilisation de cette application aurait justifié le vote d’une loi, mais on a pu s’en passer pour une raison toute simple : le cadre juridique en matière de traçage est respecté, il n’est pas interdit, en la circonstance, de procéder à une collecte de données individuelles, l’article 9 du Règlement général sur la protection des données (RGPD) l’autorisant lorsque le traitement en est nécessaire pour des motifs d’intérêt public dans le domaine de la santé publique. De même que l’article 15 de la directive européenne e-Privacy de 2002. Une loi spécifique aurait pourtant permis un suivi du recours à cette application plus strict que celui que propose Cédric O, secrétaire d'État chargé du Numérique, et aidé à parer à d’éventuelles dérives – telle, justement, la pérennisation de cette mesure.

Une efficacité douteuse sur le plan sanitaire, un danger pour nos libertés

Le gouvernement cherche à rassurer en arguant du fait que l’application n’utilise pas la géolocalisation mais plutôt le Bluetooth, moins invasif, qu’a priori elle ne centralise pas les informations sur une base de données, que celles-ci seront supprimées de toute façon tous les 21 jours, que l’application sera installée sur la base du consentement, et que l’anonymat sera garanti.

Pour la présidente de la Commission nationale informatique et Libertés (CNIL) StopCovid n’en présente pas moins un risque d’« atteinte forte » aux libertés. En fait, elle demande que le dispositif reste proportionné en privilégiant les solutions les moins invasives, et temporaire, pendant la seule durée nécessaire au traitement de la crise sanitaire. Elle demande la suppression régulière des données afin qu’aucune collecte ou fichage ne soient réalisés, la possibilité, pour le citoyen, de désactiver l’application à sa guise, des dispositions l’empêchant d’être discriminatoire – dans le cas, par exemple, où un employeur n’autoriserait ses salariés de reprendre le travail après le déconfinement qu’à la condition de télécharger l’application.

En période de crise sanitaire, la notion de consentement est par ailleurs plus que sujette à caution. Il ne faut pas sous-estimer ici le poids des attentes et des craintes de la collectivité au point de se transformer en pression morale sur ceux qui n’auraient pas spontanément opté pour le chargement de cette application. On peut facilement imaginer aussi, dans ce contexte, un développement de la délation.

On soutient que les Français seraient tous disposés à utiliser StopCovid. Mais doit-on oublier que seuls 39% d’entre eux accordent leur confiance au gouvernement ? Et sait-on seulement si ce système, qui n’est toujours pas au point, serait efficace ? Une chose, au moins, est certaine : il ne remplacera jamais le respect des gestes barrière, le port du masque et les tests. Et son utilisation à Singapour n’y a pas empêché une nouvelle vague de contamination et un reconfinement le 7 avril. Qui, enfin, pourrait faire fi de la fracture numérique qui handicape notre pays ? Les zones blanches y sont nombreuses. Les personnes les plus vulnérables comme les seniors sont 44% à avoir un téléphone mobile, alors qu’il faudrait plus de la moitié de la population télécharge l’application pour qu’elle joue son rôle. Et l’on n’oubliera pas les questions techniques importantes posées par la variété des modèles de smartphone…

Un paravent pour le gouvernement ?

Après tout, c’est au gouvernement que revient la gestion de cette crise sanitaire. Ce sont les choix austéritaires et libéraux successifs en matière de santé publique dans notre pays qui ont mis nos hôpitaux dans l’état où nous les voyons. Ce sont les choix économiques de nos dirigeants qui ont fragilisé notre industrie. Nous sommes dépendants, entre autres de la Chine, pour ces masques qui n’arrivent pas, pour ces tests qui ne sont pas prêts, pour ces respirateurs qui ne sont pas à la norme. À quoi il faut ajouter le manque de médicaments, de blouses pour le personnel hospitalier ou de gel hydroalcoolique en quantité suffisante…

Cette pandémie a été affrontée dans la confusion, avec des contradictions en série, et pas mal d’amateurisme. Pour le déconfinement du 11 mai, la communication aura de nouveau primé sur la rigueur, et les mesures annoncées sont de nouveau illisibles. StopCovid deviendrait-il un paravent pour le gouvernement ? Ce dernier chercherait-il à se mettre en retrait en transférant aux citoyens la responsabilité d’une deuxième vague ? En présentant ce dispositif comme un moyen de prévention crucial, l’exécutif se prépare-t-il insidieusement, en cas de nouveau pic, à en rendre coupables les citoyens qui n’auraient pas téléchargé l’application ou l’auraient mal utilisé ? Il faut espérer que non.

StopCovid est une « forme de bracelet électronique », un autre confinement ayant ses propres règles, en fait « une détention globale de tous les Français » à la merci d’une cyber-techno-police. En avons-nous vraiment besoin ? Au sein de l’Union européenne, les pratiques liberticides se développent. Songeons ainsi à l’application qui, en Pologne, depuis le début de la pandémie, sert à vérifier le respect de la quarantaine stricte pour les personnes rentrant de l’étranger. Il est des engrenages où il ne faut pas mettre le doigt. Une fois qu’une liberté est mise en cause, rien n’empêche que toutes le soient progressivement. Notre santé est primordiale. Nos libertés ne le sont pas moins.

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26 avril 2020 7 26 /04 /avril /2020 09:05

Depuis l’apparition de l’épidémie du COVID19, les discours bellicistes se multiplient. Nous serions en guerre. Cette rhétorique de la guerre n’est pas anodine. Elle sert à nier le lien évident entre la crise écologique et la pandémie. Elle a, en outre, une fonction performative, adapter nos esprits à une situation de guerre, une bataille contre un virus invisible, le SARS-CoV-2. Cette rhétorique est un piège pour nous faire croire que la situation exceptionnelle et singulière que nous vivons serait une guerre qui nécessiterait une administration de temps de guerre. Ce discours a déjà été utilisé dans la lutte face au terrorisme. Par Jérôme Gleizes le 16 avril 2020 pour Le Bruit des Arbres FIN DU MOI DÉBUT DU NOUS – Le journal de l’écologie politique., un magnifique journal en ligne auquel vous pouvez vous abonner. De Jérôme Gleizes, lire aussi Effondrement et justice sociale  et De l’impuissance des politiques à l’effondrement écologique.

Les conséquences - Gilbert Garcin (1929-17 avril 2020)

Les conséquences - Gilbert Garcin (1929-17 avril 2020)

Lexicalement, une guerre est une situation conflictuelle entre deux ou plusieurs pays, États, avec ou sans lutte armée, interétatique ou intra-étatique. S’il y avait une guerre, nous le serions contre la vie car le virus est un être vivant qui s’adapte à son environnement.

Par contre, nous vivons une crise singulière qui demande la mise en œuvre de politiques publiques économiques et sociales exceptionnelles comme ce fut le cas pour le New Deal décidé par le président Roosevelt aux États-Unis d’Amérique en 1933, la NEP dans l’Union Soviétique de Lénine en 1921, ou la reconstruction de l’Europe après la seconde guerre mondiale.

La lutte contre la pandémie du COVID19 nécessite en effet un ensemble de politiques très variées, notamment en recherche et développement, mais tournées vers un seul objectif et non un seul ennemi. En revanche, comme dans les années 1930, cette crise pourrait être un catalyseur de nouveaux conflits, profitant de l’affaiblissement de certains pays. La crise du COVID19 remplace la crise financière de 1929. Certains États, incapables de gérer la crise, trop dépendants pour leur approvisionnement ou ayant des décès trop nombreux dans les secteurs clé du pays, seront affaiblis et pourront devenir la cible d’États prédateurs. L’équilibre géopolitique est en train d’être déstabilisé.

Pouvons-nous être en guerre contre la vie elle-même ?

Le SARS-CoV-2 est un virus à ARN comme l’est le VIH du Sida. Ce type de virus serait à l’origine de la vie en permettant le développement des premières cellules et de leur noyau (1). 8 % de notre génome serait d’origine virale, fruit de contaminations passées. Les virus infectent nos cellules mais comme tout processus darwinien, la téléologie d’une espèce vivante est de vivre et de se répliquer. Contaminer un être vivant pour le tuer, c’est se tuer soi-même. Un article récent de Nature montre que ce virus s’est aussi rapidement développé et répandu sur notre planète pour devenir une pandémie car il s’adapte efficacement à notre société par un processus de sélection naturelle darwinienne (2). Il n’y aucune intentionnalité chez un virus, contrairement à un ennemi dans une guerre.

Ce virus est totalement adapté à notre monde globalisé et à sa métropolisation, la concentration humaine dans des ensembles urbains (3). Il a des caractéristiques, très adaptées au modèle capitaliste dominant. La période d’incubation est très longue, de 6 à 14 jours avec des pics à 40 jours. Le taux de mortalité est 20 à 25 fois plus élevé que celui de la grippe (4). Le virus « est plutôt discret et très contagieux avec une très forte transmissibilité y compris par des sujets asymptomatiques ». Le taux de contamination est de 2,4 à 6 par personnes contre 1,3 pour la grippe. La portée de la contamination est estimée entre 40 et 70 % de la population. Sur celle-ci, 80 % ne vont pas développer la maladie, ou faiblement, mais, sur les 20 % restants qui auront besoin de soins intensifs, 5 % risquent de mourir.

La conjonction d’une forte contamination avec une moindre mortalité risque de provoquer des millions de morts sur toute la planète. Selon une étude d’une université australienne, il y en a aurait au minimum 15 millions (5). La crise sanitaire actuelle n’est que la conjonction entre la mutation d’un virus et son adaptation à une planète dominée par les êtres humains et leurs activités. C’est cette conjonction qui fait la singularité de cette crise. Jamais une espèce vivante n’aura eu une expansion aussi rapide grâce à un véhicule, l’espèce humaine, une espèce invasive présente sur toute la planète, circulant rapidement d’un point à un autre, sur toute sa surface. Aujourd’hui, pas un seul pays n’est épargné.

Une crise économique singulière

Nous ne sommes pas en guerre, donc nous n’avons pas besoin d’une économie de guerre. Dans une économie de guerre, la production et l’offre s’effondrent. Les situations de guerre s’accompagnent de pénuries notamment  en ressources naturelles et matérielles qui nécessitent de revoir le cycle complet de production orientée vers la fabrication de matériel de guerre. Toute la main d’œuvre est occupée par l’appareil de guerre. Une logistique se met en œuvre en réduisant tous les délais au minimum (production, transports). Au contraire, nous connaissons aujourd’hui une crise de la demande avec une offre qui ne s’écoule plus. Le confinement mondial met des millions de personnes au chômage et selon les systèmes sociaux (l’absence de système de chômage partiel), les revenus distribués vont nettement diminuer. Cette baisse de la consommation est renforcée par tous celles et ceux continuant à percevoir leurs revenus qui, durant le confinement, auront une épargne forcée.

Mais comme pour chaque crise, l’évènement, ici la pandémie, n’est pas la cause mais le révélateur d’une crise sous-jacente du capitalisme comme ce fut le cas avec la hausse du prix du pétrole en 1973, les subprimes en 2008 (6). À la différence de la crise des subprimes qui a affecté essentiellement les pays occidentaux en 2008 et impacté le reste du monde en 2009, cette crise est globalisée, n’épargnant aucun pays en 3 mois, de l’Iran aux États-Unis. Elle est universelle et quasi-immédiate, comme le sont nos communications. En terme de politiques économiques, la réponse devrait aussi être la même partout et elle a été présentée par Keynes lors de la crise de 1929 avec le concept de « demande effective » (7) et les politiques de relance, mais à l’échelle de la planète. Les États doivent se substituer aux entreprises et aux ménages lorsque ceux-ci sont défaillants. Cette fois-ci contrairement à la crise des subprimes, l’Union européenne a décidé de s’affranchir des contraintes de Maastricht, en levant la « norme » des 3 % de déficit budgétaire alors qu’elle ne l’avait pas fait en 2009. C’est un premier pas mais cela ne suffira pas car ce virus révèle aussi et surtout la fragilité de nos sociétés.

La singularité de cette crise est son universalité, sa quasi-immédiateté et son impact mondialisé : la première pandémie depuis la grippe espagnole de 1918-20. La globalisation de la production est en fait une centralisation de la production en Asie, un éclatement des processus industriels. Le néo-libéralisme a affaibli les États, notamment du fait des privatisations de nombreux services publics, à commencer par ceux de la Santé, ce qui a fragilisé les systèmes de soins. Cette crise singulière révèle notre faible résilience. Le COVID19 va plus tuer indirectement que directement, dans les EHPAD, dans les hôpitaux, par insuffisance de lits, de respirateurs, de masques, de personnels soignants… La singularité, c’est aussi la surprise d’une épidémie pourtant prévisible tant par les études scientifiques (8) que par les militaires. Comme souvent, les gouvernants sont en retard sur le reste de la société. Il y a eu un effet de sidération, et peut-être du cynisme de la part de certains, qui a fait que les différents gouvernements ont pris du retard et laissé le virus se répandre sur toute la surface habitée de la planète avec un objectif, atteindre une immunité de groupe. Seuls certains pays asiatiques ont été plus réactifs mais souvent au détriment des libertés publiques réactivant le concept de biopolitique, développé par Foucault.

Biopolitique (9) et post-capitalisme

Foucault pour construire son concept de biopolitique part d’une analyse de la « gestion » des grandes épidémies (lèpre, peste, choléra). La biopolitique consiste à maximiser et préserver la vie des populations au nom de l’économie contre le droit de vie et de mort qui caractérisait les formes plus anciennes de souveraineté. Dans cette droite ligne, Wendy Brown nous a alertés sur le néo-libéralisme comme négation de la démocratie (10) en se basant sur les concepts foucaldiens de biopolitique, de discipline et de « société de contrôle ».

Aujourd’hui, le néolibéralisme a inversé la biopolitique en un contrôle total des populations. Aujourd’hui, « toute action et toute décision politique obéissent à des considérations de rentabilité, (…) toute action humaine ou institutionnelle est conçue comme l’action rationnelle d’un entrepreneur, sur la base d’un calcul d’utilité, d’intérêt et de satisfaction, conformément à une grille micro-économique moralement neutre, dont les variables sont la rareté, l’offre et la demande. » Petit à petit, la politique a abandonné les normes pour des chiffres, des probabilités pour gérer les populations. Quant à la technologie biopolitique, pour Foucault, elle « doit s’exercer sur les individus en tant qu’ils constituent une espèce d’entité biologique qui doit être prise en considération, si nous voulons précisément utiliser cette population comme machine pour produire, pour produire des richesses, des biens, produire d’autres individus ». (9) Elle s’appuie sur la police qui « à travers le quadrillage et la surveillance permanente qu’elle assure – va permettre de constituer la population comme objet de l’action gouvernementale. »

Les analyses de Michel Foucault sont parlantes pour comprendre le présent même si actuellement la biopolitique ne se conjugue pas avec une société disciplinaire mais avec une société du contrôle. Les règles, les normes ne suffisant plus à contrôler les individus, « des corps dociles » ; des technologies vont permettre de prendre leur contrôle dans leur totalité.

C’est cette biopolitique par les chiffres que nous avons vu au début de la crise sanitaire avec la stratégie d’immunité de groupe : laisser le virus contaminer la population pour que celle-ci produise des anticorps. Ce virus apparaissait mortel uniquement pour les personnes les plus âgées. Un député républicain américain a même dit : « Laissez mourir les vieux, laissez-moi mourir, on a bien vécu, ne confinez personne, sauvez l’Amérique et ses emplois pour notre jeunesse ». Maintenir l’objectif de production, la priorité des priorités, laisser les probabilités gouverner nos vies avec un taux de létalité faible. Mais lorsque les gouvernants ont compris que si 80 % des contaminés vivent la maladie comme « une simple grippe », 5 % des malades vont mourir, ce qui représente des centaines de milliers de morts, ils ont été pris de panique. Les gouvernements décident alors les uns après les autres de confiner leur populations avec toujours cette même absence de contrôle de la maladie. Après n’avoir masqué et testé que les personnes ayant développé la maladie, tout le monde est confiné : porteurs asymptomatiques, malades en phase d’incubation, malades ne nécessitant pas d’hospitalisation. Après avoir laissé les probabilités gouverner la contamination des populations, le zéro risque devient la norme car les hôpitaux sont dans l’incapacité de soigner tous les malades. Le modèle épidémiologique SIR (pour Sain, Infecté, Recovered, guéri) devient le modèle qui gouverne notre confinement ou pas. Nous ne tentons pas de comprendre la diffusion de la maladie pour élaborer une stratégie d’endiguement, nous laissons notamment les espaces déjà fermés devenir des mouroirs, comme en France, avec les EHPAD ou encore les prisons. Mais parallèlement se construit un état juridique d’exception pour gérer la singularité du moment historique vécu. Les ordonnances se substituent aux lois. La police est garante de cet ordre biopolitique, de cette incertitude de l’état médical, malade ou pas, contagieux ou pas, immunisé ou pas.

Certains voient dans cette crise une forme d’effondrement de nos sociétés mais celle-ci n’a rien à voir avec la raréfaction des ressources non renouvelables, les conséquences du dérèglement climatique. Ce n’est pas un effondrement, c’est le contraire, le ralentissement brutal du capitalisme, une réduction de la production, et donc la non-consommation de ressources. La seule ressource qui diminue, ce sont des êtres humains, et souvent des êtres non-productifs pour le néo-libéralisme. Aujourd’hui, les êtres humains sont une ressource contrôlée sous toutes ses formes, et demain d’un point de vue sérologique pour sortir du confinement, un mélange entre le monde d’Orwell et celui de Huxley. Le nouvel ordre est loin d’être démocratique et surtout très inégalitaire. Le capitalisme, comme système d’accumulation infinie de capital, bute sur la raréfaction des ressources. Les capitalistes anticipent déjà ce monde d’après dont nous parlons. La crise sanitaire accélère cette transformation avec la mise en œuvre d’une société coercitive de contrôle (11). La question de la pénurie de ressources non renouvelables, des conséquences du dérèglement climatique ou de la pandémie ne sont plus des sujets réservés pour les écologistes mais des faits pris en compte pour les hyper-capitalistes. Le néo-libéralisme qui s’est souvent appuyé sur les États pour démanteler les services publics au nom d’une orthodoxie financière pourrait se transformer en société post-capitaliste en imposant un ordre autoritaire pour imposer un biopouvoir en réponse à toutes ses crises.

Néanmoins, l’heure n’est pas au bilan, mais au confinement, en absence de tests et de masques, même si la situation que nous vivons est due au cynisme et/ou à des erreurs politiques, car la contagiosité de la maladie est certaine.

Pour autant, nous ne pouvons pas accepter l’état de surprise ni l’usage de biais cognitifs (12). Nous ne sommes dans la situation du cygne noir de Nassim Nicholas Taleb (13) ; nous ne sommes pas face à un évènement imprévisible mais face à un évènement pratiquement certain, une zoonose. La seule incertitude était le type de virus et les formes d’infection, la grippe, un coronavirus, un paléo-virus avec la fonte du permafrost, ou un autre. Cette crise est une crise écologique, une perturbation extrême de nos écosystèmes, due à l’anthropocène. Et il y a une réponse écologiste à cette crise.

Une crise écologique niée

Vernadski est le premier scientifique en 1926 avec la notion de biosphère (14), à avoir une analyse bio-géologique et écologique, posant comme hypothèse que la vie est une force géologique qui transforme la Terre. Il développe une vision systémique de notre terre en développant les concepts développés par Pierre Teilhard de Chardin et Henri Bergson. Il montre que toute la vie vient de la biosphère et que notre planète est composée de cinq différentes couches en interaction : la lithosphère, noyau de roche et d’eau, la biosphère constituée par la vie, l’atmosphère, enveloppe gazeuse constituant l’air, la technosphère résultant de l’activité humaine et la noosphère ou sphère de la pensée.

Cette pandémie n’aurait jamais pu se produire si l’espèce humaine n’occupait pas autant la planète, si la circulation humaine n’était pas aussi rapide. Ce virus vient de la chauve-souris et aujourd’hui, les êtres humains contaminent d’autres animaux, des chats ou des chiens domestiques mais aussi des animaux en zoo comme des tigres, et peut-être des animaux sauvages. Les probabilités que certains ont voulues domestiquer par l’immunité de groupe agissent comme un effet boomerang : la sur contamination multiplie le nombre de mutations du virus.

De même, la propagation du Covid-19 dans le monde est liée au changement anthropique de l’environnement. La promiscuité entre les êtres humains et les animaux est un facteur qui favorise le risque de zoonose (15). Il y a les animaux d’élevage, déjà à l’origine de la grippe H5N5, mais aussi les animaux sauvages qui sont soient braconnés, soit poussés hors de leur habitat naturel par l’expansion humaine, notamment dans les forêts primaires. 65 % des maladies émergentes sont issues des animaux.

Par ailleurs, le confinement produit un ralentissement de la production, et donc des pollutions. L’effet est tel que de nombreux animaux sauvages reviennent dans les écosystèmes qu’ils avaient abandonnés. Le confinement n’est pas une suspension du temps, c’est une réorganisation du monde.

Cette épidémie n’est pas une guerre. L’anthropocentrisme est une impasse de la pensée et la réalité est celle d’une planète qu’aucune espèce vivante ne doit pouvoir contrôler. Nous vivons un moment de la période de l’anthropocène qui était prévisible et qui pourra s’orienter autant vers un nouvel ordre plus autoritaire qu’une prise de conscience écologiste.

(1) Nicholas V. Hud et David M. Fialho, “RNA nucleosides built in one prebiotic pot”, Science, vol. 366, n° 6461,‎ 4 octobre 2019, p. 32-33 DOI 10.1126/science.aaz1130

(2) Andersen, K.G., Rambaut, A., Lipkin, W.I. et al. “The proximal origin of SARS-CoV-2” Nat Med (2020). https://doi.org/10.1038/s41591-020-0820-9

(3) « La métropolisation du monde est une cause de la pandémie », 28 mars 2020, entretien avec Guillaume Faburel, https://reporterre.net/La-metropolisation-du-monde-est-une-cause-de-la-pandemie

(4) « Le Covid-19 est un réel danger ! », deux scientifiques font le point sur le coronavirus SARS-CoV2, Le quotidien du médecin, le 6 mars 2020, https://www.lequotidiendumedecin.fr/specialites/infectiologie/la-covid-19-est-un-reel-danger-deux-scientifiques-font-le-point-sur-le-coronavirus-sars-cov-2

(5) https://anu.prezly.com/coronavirus-is-highly-uncertain-and-the-costs-could-be-high#

(6) Jérôme Gleizes & Yann Moulier-Boutang, « Une lecture écologiste de la crise, la première crise socio-écologique du capitalisme », Ecorev’ n° 32, mai 2009.

(7) Voir Gilles Raveau, https://blogs.alternatives-economiques.fr/gilles-raveaud/2009/05/15/de-la-demande-effective-chez-keynes

(8) Depuis la crise de 2003 sur le SRAS, les chercheurs alertent sur l’inéluctabilité de ce type de pandémie, de cette zoonose. Par exemple, Noël Tordo, virologue, https://www.youtube.com/watch?v=Lh-rjnFj8O0&t=2934s ou le professeur Philippe Sansonetti, Covid-19 ou la chronique d’une émergence annoncée, https://www.youtube.com/watch?v=JKY1i7IpK3Y

(9) Pour aller plus loin sur les différentes interprétations du concept, Alexandre Macmillan, « La biopolitique et le dressage des populations », Cultures & Conflits [En ligne], 78 | été 2010, mis en ligne le 6 mars 2012, consulté le 5 avril 2020. http://journals.openedition.org/conflits/17959 ; DOI : https://doi.org/10.4000/conflits.17959

(10) Wendy Brown, « Néo-libéralisme et fin de la démocratie », 2 octobre 2004, Vacarmes n° 29 : http://vacarme.org/article1375.html

(11) Au nom du coronavirus, l’État met en place la société de contrôle, Gaspard d’Allens (Reporterre), 4 avril 2020, https://reporterre.net/Au-nom-du-coronavirus-l-Etat-met-en-place-la-societe-de-controle

(12) La Biosphère, 2e édition revue et augmentée, Paris, Librairie Félix Alcan, 1929, 323 p. – Rééd. avec une préface de Jean-Paul Deléage : Paris, Seuil, coll. « Points/Science », 2002

(13) L’hypothèse du cygne noir, c’est la réalisation d’un évènement rare mais possible. Les cygnes sont généralement blancs mais il peut y avoir la naissance d’un cygne noir.

(14) HEC Paris Webinar Series – Prise de décision et biais cognitifs: l’exemple du COVID-19 https://www.youtube.com/watch?v=H6IAOM3Ei2o&t=1062s

(15) Plusieurs études dont la dernière, Global shifts in mammalian population trends reveal key predictors of virus spillover risk, Christine K. Johnson, Peta L. Hitchens, Pranav S. Pandit, Julie Rushmore, Tierra Smiley Evans, Cristin C. W. Young et Megan M. Doyle, publié le 8 avril 2020 https://doi.org/10.1098/rspb.2019.2736

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25 avril 2020 6 25 /04 /avril /2020 09:09

Pour le philosophe allemand Hartmut Rosa, si le ralentissement brutal provoqué par le Covid-19 a des conséquences tragiques, il montre que le pouvoir du politique est bien réel. C’est aussi un moment historique où l’avenir est ouvert. Propos recueillis par Anastasia Vécrin le 23 avril 2020 pour Libération. Lire aussi Résonance - une sociologie de la relation au monde, Un moment d’accélération de la virtualisation du monde et Imaginer les gestes-barrières contre le retour à la production d’avant-crise.

Upwards - Gilbert Garcin (1929-2020)

Upwards - Gilbert Garcin (1929-2020)

Un coup de frein phénoménal a été donné à la folle mécanique de notre modernité. Personnes assignées à résidence, voitures au garage, avions au sol, devantures fermées, usines à l’arrêt… Cette décélération historique, conséquence de l’épidémie de Covid-19, peut-elle être un premier pas vers un remède aux pathologies de la modernité capitaliste ? Si l’envie d’un retour à la normale se manifeste ardemment avec le confinement, cette «norme» nous affectait individuellement et collectivement, comme elle affectait la planète. Pour le sociologue et philosophe allemand Hartmut Rosa, théoricien incontournable de l’accélération, si ce ralentissement à l’œuvre n’a rien d’idéal, il est surtout la preuve qu’une action politique que l’on disait impuissante peut être efficace. Ce virus, en révélant une vulnérabilité totale, nous met aussi en garde contre notre insatiable désir de dominer le monde, une motivation que le professeur à l’université Friedrich-Schiller de Iéna explore dans son dernier livre, Rendre le monde indisponible (La Découverte, janvier 2020). Un désir qu’il nous faut apprivoiser pour éviter de monstrueuses pertes de contrôle.

Certains, comme les décroissants, en rêvaient, le Covid-19 l’a fait : freiner la course folle de l’accélération, en quoi est-ce une rupture inédite ?

Tout d’abord, il est important de réaliser que c’est vraiment une rupture historique. Car, quand on regarde les chiffres, on voit une augmentation presque ininterrompue de la mobilité physique et matérielle globale de la Terre depuis le XVIIIe siècle. La quantité totale et la vitesse des personnes, des matières premières et des biens en mouvement à un moment donné ont augmenté d’année en année, même les guerres ou les récessions économiques n’ont pas eu plus qu’un impact local de courte durée sur cette logique.

Bien au contraire, comme nous le savons de Paul Virilio, le grand théoricien français de la vitesse, les guerres se sont en fait toujours avérées être des mobilisateurs et des accélérateurs excessifs. Il suffit de regarder les données disponibles des dernières décennies : la quantité totale de voitures produites et conduites dans le monde, le nombre et la taille des camions sur les routes, les trains, les tramways, les bus et les métros, le nombre et la taille des conteneurs, navires et bateaux de croisière : ils augmentaient tous d’année en année, pas seulement en Asie, mais aussi dans toute l’Europe. Et bien sûr, le plus spectaculaire, le nombre d’avions, de vols et de passagers dans le trafic aérien connaissait une croissance exponentielle au niveau mondial.

C’est dans ce domaine que vous voyez également les effets les plus dramatiques de l’arrêt actuel : 85 % du trafic aérien est actuellement bloqué. Cela ressemble à une sorte de miracle, personne n’aurait imaginé que cela était possible en si peu de temps. Et cet arrêt n’a pas été provoqué par une guerre ou un crash économique complet, ni même par une catastrophe naturelle. Ce n’est pas le virus qui a fait tomber les avions et fermé nos écoles, cinémas et universités, et même stoppé les championnats de football. C’est une décision politique. La décélération spectaculaire à laquelle nous assistons est le résultat d’une action politique qui semblait pourtant si impuissante face à la crise climatique, aux marchés financiers ou à l’augmentation permanente des inégalités sociales. Tout à coup, nous réalisons qu’une action politique efficace est possible !

Faut-il s’en réjouir, étant donné que sans cette accélération, qui est le moteur de notre système depuis deux cents ans, ce sont toutes nos institutions qui sont menacées ?

Stopper un système qui ne peut que stabiliser et reproduire sa structure de manière dynamique, c’est-à-dire qui ne peut maintenir ses institutions que par la croissance, l’accélération et l’innovation, ne revient pas à créer une société nouvelle et meilleure. Ce n’est qu’un accident. C’est comme avec un vélo : un vélo ne peut rester stable sur la route que tant qu’il se déplace. En fait, plus il se déplace rapidement, plus il est stable. Cependant, si vous arrêtez le vélo et ne le supportez pas artificiellement de l’extérieur, il tombe, simplement. C’est la situation dans laquelle nous nous trouvons en ce moment : nos institutions ne fonctionnent plus, et ça n’a rien d’une situation souhaitable, bien sûr. Ce n’est pas la décélération dont beaucoup auraient pu rêver, elle suscite des tragédies liées à la souffrance et à la mort, mais aussi à l’anxiété économique et existentielle et à la pression qui l’accompagne.

Ce que nous vivons nous révèle peut-être la puissance du politique, mais souligne aussi la possibilité de perdre le contrôle.

Ce qui motive réellement l’accélération est en fin de compte le désir d’augmenter l’horizon de disponibilité - l’horizon de ce qui est scientifiquement connaissable, technologiquement manipulable, économiquement productif, politiquement et juridiquement gérable et prévisible, etc. - et de contrôler le monde. Il s’avère aujourd’hui que le monde rejette en quelque sorte cette tentative ; la vie est toujours plus grande que ce que nous pouvons contrôler. Et le Sars-CoV-2 signale vraiment le retour de l’indisponibilité totale du monde sous la forme d’un monstre : nous ne l’avons pas exploré scientifiquement, nous ne pouvons pas le gérer médicalement, car nous n’avons ni vaccin ni remède. Nous ne pouvons pas le contrôler politiquement. Il a des effets économiques massifs et imprévisibles. En tant qu’individus, nous ne pouvons ni le voir ni l’entendre, nous ne pouvons ni le toucher ni le sentir. Il peut se cacher dans l’air, au coin de la rue, et nous ne pouvons pas le percevoir. C’est ce que sont les monstres des films d’horreur.

En fait, la chose a peut-être déjà pris possession de l’étranger que je rencontre dans le magasin, ou de mon propre enfant, elle a peut-être déjà pris possession de moi sans que je le sache ! Corona est le pire cauchemar de la modernité devenu réalité. Et que faisons-nous ? Nous suivons la même logique qu’auparavant : nous essayons de le maîtriser à tout prix. L’OMS dit que nous devons identifier chaque cas d’infection, rechercher la trace des infections et isoler les porteurs du virus. Ainsi, et c’est ce que je trouve le plus intéressant, la puissance qui arrête maintenant toutes les roues d’accélération est en fait la même qui les a fait tourner en premier lieu : l’envie, l’envie d’augmenter le contrôle, la domination et l’horizon de disponibilité. Si nous n’apprenons pas à équilibrer ce désir, nous créerons à l’avenir des formes encore plus monstrueuses d’indisponibilité, comme un retour de bâton.

Le coup d’arrêt est réel pour la marche du monde, pour l’économie et la circulation des personnes et des biens. Mais pour tous ceux qui sont sur le front, il peut aussi être vécu comme une terrible suractivité…

C’est absolument vrai. Nous ne vivons pas l’utopie de la décélération. D’abord, beaucoup de gens n’ont pas ralenti, leur vie s’est même accélérée, en premier lieu celle des soignants, celle des familles qui doivent désormais s’occuper d’enfants ou de personnes âgées sans surveillance, mais aussi celle de certains politiciens, policiers ou salariés des services de livraison, etc. Les mondes numériques, ensuite, ne sont pas du tout affaiblis. En effet, la vitesse des flux numériques augmente massivement et cela approfondit la scission, l’écart entre notre «vie réelle» dans le monde physique et notre vie numérique : tandis que l’une ralentit, l’autre s’accélère. L’espace physique de disponibilité est actuellement confiné à mon appartement, tandis que la portée numérique est toujours mondiale.

C’est vraiment ce que prévoyait Paul Virilio lorsqu’il écrivait l’Inertie polaire : les gens collés à leurs écrans, presque complètement immobiles, tandis que des flux et des flux de données tourbillonnaient autour d’eux. C’est un arrêt hyperaccéléré ! Enfin, il y a beaucoup de gens dans l’anxiété ou le deuil à cause des menaces de maladie et de mort, et encore plus de gens sont désespérés à cause de leur situation économique. Ce sont trois raisons puissantes pour lesquelles le coronavirus ne nous met certainement pas dans une oasis de résonance et de décélération.

Le confinement a justement pour corollaire l’explosion des sociabilités numériques, l’utilisation du téléphone portable dépasse les trois heures par jour… Est-ce une façon de lutter contre l’indisponibilité que nous impose le virus ?

Il est vrai que nous avons désormais tendance à rendre disponible numériquement ce que nous ne pouvons pas avoir physiquement à notre portée. Je peux avoir accès à mon lieu de travail, à mes clients, à mes collègues, etc., et je peux toujours recevoir des nouvelles, des images et des données du monde entier pendant que je suis confiné dans mon petit appartement. Nous luttons ainsi contre l’indisponibilité temporaire du «monde réel». Mais nous sommes, en quelque sorte, toujours en fuite, toujours dans un mode panique : beaucoup de tâches de nos «to-do lists» et de nos calendriers ont miraculeusement disparu et un grand nombre d’entre nous avons devant nous des périodes de temps libre relativement longues et inattendues. Or nous faisons tout ce que nous pouvons pour les combler immédiatement et revenir au mode «roue de hamster» : nous organisons toutes sortes de réunions et d’activités inutiles, nous surfons sans cesse sur les réseaux sociaux et les sites web, et utilisons les services de streaming, comme si nous avions profondément peur d’entrer en résonance avec nous-mêmes, notre environnement et les gens avec lesquels nous vivons réellement. Evidemment, nous ne pouvons pas facilement abandonner notre mode d’être au monde acquis au fil des années dans la roue accélérée du hamster.

Dans de telles situations, nous devons prendre du recul, arrêter notre activité et écouter ce qui nous «appelle». C’est le début d’un mode de résonance : écouter et répondre au lieu de fixer et de contrôler. Ainsi, nous entrons dans un processus ouvert : nous ne savons pas quel sera le résultat ; nous nous permettons d’être touchés par quelque chose hors de notre contrôle et d’être transformés en quelque chose au-delà de l’horizon d’optimisation.

Dans la crise actuelle, alors que nos routines et nos travaux institutionnels sont interrompus, que nous avons quelques instants de temps non alloué, il y a de fortes chances que nous passions à un mode de résonance : essayer d’entrer dans cette dernière forme de contact avec quelqu’un ou quelque chose, qui peut être un morceau de musique, un livre, un arbre, une photographie, une lettre, etc.

Même chose pour notre situation politique et collective : comme on ne sait pas quoi faire dans cette situation inédite, nous pouvons changer d’écoute collective face à ce défi et trouver une réponse créative. Cela pourrait vraiment être une chance de réinventer nos sociétés, au lieu d’employer simplement des routines standard.

Cependant, individuellement ou collectivement, nous constatons qu’il n’est pas facile du tout d’entrer dans un mode de résonance. Nous ne pouvons pas simplement abandonner un mode d’existence auquel nous avons été formés et habitués pendant des décennies. D’autant que la résonance est elle-même l’incarnation de la non-disponibilité ; nous ne pouvons pas la réaliser à volonté. Ainsi, nous abandonnons rapidement et optons à la place pour Netflix ou Spotify.

L’impuissance face au virus révèle la vulnérabilité de la vie et la perte de contrôle de nos systèmes politiques, culturels et économiques. Mais a-t-on vraiment la capacité et la volonté de changer de paradigme ? Peut-on imaginer que plus rien ne sera comme avant ?

Fondamentalement, je vois trois issues possibles à la crise du Covid-19 : premièrement, elle pourrait empirer et la mort et la dévastation se répandre dans le monde entier. Dans ce scénario, notre système actuel vacillerait et la misère en résulterait. De toute évidence, ce n’est pas un scénario souhaitable, et heureusement, ce n’est pas très probable non plus.

Deuxième scénario, la crise s’éloignera petit à petit, et nous essaierons de revenir aux anciennes routines et dans les anciennes voies le plus rapidement possible. Cela signifierait que nous essaierons de remettre en marche les roues de l’accélération, de la croissance et de l’innovation, de l’accumulation de capital. Dans ce scénario, certaines choses seraient probablement encore différentes : l’Etat-nation sera probablement plus fort qu’auparavant, il jouera un rôle plus important dans l’ensemble du système de soins de santé et de bien-être, et éventuellement on nationalisera certaines industries ou secteurs vitaux.

Je pense que c’est le résultat le plus probable, même s’il n’est pas souhaitable non plus, car l’ancien système n’avait rien d’un âge d’or : le monde était déjà en crise avant que le coronavirus ne s’installe. Le besoin incessant de croître et l’accélération ont créé une crise écologique au niveau macro, une crise politique au niveau social et une crise psychologique au niveau des individus : un burn-out de la culture et des individus et un burn-up de la sphère politique et des «écosphères», pour ainsi dire. Mais avant le virus, il semblait que nous ne pouvions rien faire contre la logique de l’accélération, le dynamisme des marchés et la puissance des grandes entreprises. Les acteurs politiques et la démocratie semblaient impuissants.

Nous venons de réaliser que nous pouvions réellement agir politiquement : nous avons le pouvoir d’arrêter les roues - et c’est un premier pas vers un autre chemin, vers l’adoption d’un nouveau paradigme. Dans le cours normal des événements, les chaînes de l’interaction ne peuvent presque jamais être interrompues, car dans une société complexe, le risque de quitter les chemins tout tracés et les routines enracinées est trop élevé et les dangers trop imprévisibles. Dès lors que ces chaînes sont brisées, les routines ont cessé. Ce sont précisément ces rares moments historiques où l’avenir est ouvert, où nos délibérations et nos actions peuvent faire la différence : aucun modèle économique ou sociologique, aucune science future ne peut désormais prédire comment nous allons continuer, si nous allons retourner dans les anciennes voies ou trouver de nouvelles idées et solutions. Ce n’est pas une question de connaissance, mais d’action politique. Évidemment, ce troisième scénario a ma préférence. Dans l’esprit de mon collègue Bruno Latour : réinventons collectivement la modernité !

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24 avril 2020 5 24 /04 /avril /2020 09:08

Le Covid-19 peut voyager sur des microparticules, dont celles de pesticides, affirment le mouvement Nous voulons des coquelicots, opposé aux produits phytopharmaceutiques, et son président, Fabrice Nicolino. Une raison supplémentaire, selon eux, de décréter un moratoire sur leur épandage. Une tribune parue le 19 avril 2020 dans Le Monde. Lire aussi Lancement d'une pétition européenne pour interdire les pesticides de synthèse, L’Anses n’a pas pris la mesure du drame des SDHI et Les SDHI, ces pesticides qui alarment les scientifiques.

Riss

Riss

Il y a un mystère des pesticides, et il est bien gardé. Mais ce n’est pas un mystère pour qui sait dépouiller des centaines de textes dispersés aux quatre vents que personne ne trouve intérêt à rassembler. Les pesticides de l’agriculture industrielle jouent-ils un rôle important dans la propagation du coronavirus? Tristement, mais certainement, la réponse est oui.

Il faut commencer par le commencement. Les particules fines contenues dans l’air que les Français respirent affaiblissent les défenses immunitaires, aggravent la situation des insuffisants respiratoires, des malades cardiaques, et tuent. En France, la pollution de l’air – et au tout premier rang les particules fines – conduit à la mort 48 000 personnes par an, selon l’étude de Santé publique France de 2016.

Or il apparaît que la terrible pandémie due au coronavirus peut être aggravée, notamment par propagation, au travers de nuages de particules fines. Ces dernières sont souvent connues sous leur acronyme anglais PM10 et PM2,5 –initiales qui signifient «particulate matter»– en fonction de leur diamètre. Les PM10 mesurent 10 micromètres, soit 10 millionièmes de mètre – et les PM2,5 quatre fois moins que les PM10. Plus ces particules sont fines, plus elles sont transportées par le vent et plus longtemps elles restent dans l’atmosphère.

Une étude chinoise de 2003 a montré que la pollution de l’air rendait le SRAS bien plus létal. On doit y ajouter deux travaux récents – une publication italienne et une autre américaine – qui montrent des liens puissants entre la concentration de particules fines dans l’air et la propagation du coronavirus. Ou son aggravation. Par ailleurs, 11 chercheurs américains, dont 4 des fameux Centers for Disease Control and Prevention, ont signé, en mars, un article sur la possible diffusion aérienne du virus. Que contiennent ces particules fines? Entre autres, la trace des activités humaines: cuisine et chauffage, transports, rejets industriels, mais sans oublier l’agriculture. Autant de véhicules pour le coronavirus.

Dérive et vaporisation

Tous les spécialistes de la question savent que deux phénomènes interviennent, qui se conjuguent. Le premier s’appelle dérive, et le second vaporisation. Dans l’exemple des pesticides, des microgouttelettes, de la taille des particules fines, sont poussées par le vent, loin de leur cible première. Et une partie notable devient une vapeur si légère qu’elle est reprise par les nuages et transportée jusque dans le cœur des villes, ce qu’attestent d’innombrables enquêtes officielles. Dans certains cas extrêmes, plus de 90 % du produit n’atteint pas sa cible. Les scientifiques de l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (Inrae) ont, de leur côté, constaté des pertes de 15% à 40% dans les traitements sur la vigne. La moyenne généralement retenue est comprise entre 30% et 50%. Qu’en est-il alors des nanoparticules, massivement utilisées par l’industrie des pesticides dans la discrétion la plus totale? A cette échelle 1.000 fois plus petite que celle des particules fines, plus aucune barrière biologique, pas même celle des cellules, ne demeure intacte.

On s’étonnera moins, dans ces conditions, de l’appel publié en ligne de scientifiques menés par la directrice de recherche Inserm Isabella Annesi-Maesano, pour lesquels «le printemps est la période d’épandage agricole, grand pourvoyeur de particules fines. En effet, lors des épandages, le gaz ammoniac (NH3) va, en passant dans l’atmosphère, réagir avec les oxydes d’azote (NOx) pour former des particules de nitrate d’ammonium et de sulfate d’ammonium». Fort logiquement, ces chercheurs appellent «les préfets à prendre des mesures urgentes visant à limiter drastiquement les émissions liées aux épandages agricoles (restriction, technique d’enfouissement de l’engrais) afin de tout mettre en œuvre pour limiter la propagation du virus».

Certes, on parle là d’engrais, mais les pesticides jouent très exactement le même rôle, ce que personne pour le moment ne dit. Personne, sauf l’Inrae, une nouvelle fois, qui note explicitement, dans des documents officiels datant de l’été 2019 : «Les activités agricoles sont responsables de 28% des émissions françaises de particules de diamètre inférieur à 10 micromètres, comme les composés azotés ou les pesticides.» Et le texte ajoute que l’agriculture émet plus de particules fines que l’ensemble des transports, d’un côté, et les activités industrielles, de l’autre.

Les mots de l’Inrae sont décisifs, car ils montrent précisément que les pesticides, tout comme les engrais et les lisiers, sont des particules fines.

Double peine

Toutes ces pratiques agricoles forment des nuées qui se combinent avec d’autres venues des villes pour former de vastes ensembles de pollution de l’air. C’est exactement ce qui s’est passé fin mars en Bretagne, avec un sévère épisode de particules fines circulant de Brest à Saint-Malo.

Dans ces conditions, que fait le gouvernement? Rien. Pour de nombreuses raisons politiques et historiques, l’agriculture industrielle semble intouchable. Ainsi que son plus illustre représentant, la FNSEA. D’un côté, les discours officiels affirment que la santé publique prime. Et de l’autre, on confine de nombreuses familles avec enfants tout près d’épandages de lisier, d’engrais azotés et de pesticides. Ce qu’on doit appeler une double peine.

Pis. On se souvient comment, début janvier 2020, l’éléphant a accouché d’une souris. A la suite d’arrêtés antipesticides pris par des maires, dont celui de Langouët, Daniel Cueff, nos autorités ont alors imposé des zones de non-traitement (ZNT) de pesticides, dont la plupart s’arrêtaient à cinq mètres des habitations. Une distance qui paraissait une simple plaisanterie, de très mauvais goût.

Mais c’était encore trop pour la FNSEA, qui n’a cessé de réclamer un assouplissement du dispositif, et l’a obtenu. Le 30 mars, en effet, le ministère de l’agriculture a accordé une dérogation, faisant passer la ZNT de cinq à trois mètres dans les départements où une «concertation aura été lancée».

Nous en sommes là. De solides éléments scientifiques nous assurent que les particules fines aggravent la pandémie en cours. L’Inrae, institut public, constate que l’agriculture industrielle produit près de 30 % des particules fines. Et l’on décide de faire un cadeau de plus à la FNSEA.

Cadeau de trop ?

M. Macron, qui vient d’en appeler, dans son discours du 13 avril, à la Révolution française et au Conseil national de la résistance, a-t-il bien besoin d’un procès retentissant pour mise en danger de la vie d’autrui? Responsables en ces temps de drame, nous ne le souhaitons pas. Alors, il faut changer de cap et rappeler, par exemple à Didier Guillaume, ministre de l’agriculture, qu’il n’est pas au service d’un lobby, mais de la société tout entière. Conscients de défendre l’intérêt général et la santé publique, nous demandons l’ouverture d’une enquête indépendante, sous la conduite de l’Inserm et avec contrôle parlementaire. Et dans l’attente de ses résultats, un moratoire sur les épandages de pesticides près des habitations est une nécessité sanitaire et morale.

Fabrice Nicolino est président du mouvement Nous voulons des coquelicots. François de Beaulieu, Mathieu Chastagnol, Françoise Fontaine, Eric Feraille, Marianne Frisch, Franck Laval, Emmanuelle Mercier et Franck-Olivier Torro sont membres du mouvement.

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23 avril 2020 4 23 /04 /avril /2020 09:06

La réponse du Gouvernement à la crise sanitaire du COVID-19 doit soutenir la transition bas-carbone juste pour renforcer notre résilience aux risques sanitaires et climatiques. C’est le constat du rapport spécial, « Climat, santé : mieux prévenir, mieux guérir –  Accélérer la transition juste pour renforcer notre résilience aux risques sanitaires et climatiques » publié le 21 avril 2020, consacré aux enseignements à tirer de la crise du COVID-19 pour le climat, et aux suites à donner vers la neutralité carbone.  D'après Élisa Sgambati sur https://www.hautconseilclimat.fr. et Marie Astier pour Reporterre. Lire aussi Premier rapport du Haut Conseil pour le climat : la France parle beaucoup mais agit peu et Cinquante propositions de la convention citoyenne pour « porter l’espoir d’un nouveau modèle de société ».

https://www.hautconseilclimat.fr/wp-content/uploads/2020/04/rapport_haut-conseil-pour-le-climat.pdf

https://www.hautconseilclimat.fr/wp-content/uploads/2020/04/rapport_haut-conseil-pour-le-climat.pdf

Composé d’experts du climat et de la transition énergétique, créé en 2019, le Haut Conseil est une instance consultative indépendante chargée d’évaluer la compatibilité de la politique du gouvernement avec l’accord de Paris sur le climat. Face à la crise, il a décidé de s’autosaisir. Dans son rapport, le Haut conseil pour le climat suggère dix-huit recommandations qui peuvent soutenir une sortie de crise qui nous reconstruira plus résilients face à l’avenir.

La baisse radicale des émissions de gaz à effet de serre constatée en France pendant la crise sanitaire reste marginale face aux enjeux climatiques et ne répond pas aux attentes de la transition juste. Elle n’est ni durable, ni souhaitable, car elle n’est pas le résultat d’un changement structurel organisé.

La crise du COVID-19 souligne de façon brutale le besoin urgent de réduire les risques de catastrophes sanitaires et climatiques, notamment par le renforcement des systèmes d’alerte précoce. Ces crises « n’ont pu être empêchées »… et ont des causes structurelles similaires, notamment « la pression insoutenable que nous exerçons sur les milieux naturels », indique Corinne Le Quéré, climatologue et présidente du Haut Conseil pour le climat. Les « choix politiques (…) ont conduit, depuis plus de quarante ans, à des transformations écologiques, sociales et économiques majeures : mondialisation des échanges, (...) éparpillement planétaire des chaînes de valeur, délocalisation, flux tendus, intensification des mobilités de toute nature, réduction de l’intervention de l’État, recul de l’État-providence et de l’accès aux services publics, baisse de la protection sociale », détaille le rapport. « Au-delà de l’urgence immédiate, nous devons donc remédier à ces causes profondes afin de réduire nos vulnérabilités face aux crises sanitaire et climatique », poursuit Corinne Le Quéré.

Le contre-exemple de l’après-crise de 2008

Certes, à première vue, le confinement a un impact positif sur le climat. Les scientifiques du conseil ont évalué la baisse des émissions de gaz à effet de serre en France à 30 % pendant le confinement, et entre 5 à 15 % sur l’ensemble de l’année 2020. « Le transport est la plus grosse source de nos émissions en France. Comme on se déplace beaucoup moins, les émissions sont réduites, détaille la climatologue. Mais ce n’est pas une baisse durable, car elle ne repose pas sur des changements structurels. Et c’est très peu, comparé aux changements que l’on devrait mettre en place pour atteindre la neutralité carbone. »
Les membres du Conseil citent en contre-exemple la relance qui a suivi la crise financière de 2008 où, après une baisse temporaire des émissions, celles-ci étaient reparties de plus belle. Les mesures peuvent même avoir un effet de « verrouillage », alertent les experts, nous bloquant encore plus dans un modèle néfaste pour le climat. Après la crise de 2008, la prime à la casse encourageant l’achat de voitures thermiques ou le plan de construction de routes « ont fait que l’on n’a pas vu de baisse des émissions de gaz à effet de serre dans les transports pendant dix ans », souligne Corinne Le Quéré.
Les scientifiques appellent donc à des réformes profondes et durables, et voient dans les plans de relance à venir une opportunité de « rompre avec un modèle de développement fortement carboné ». Ils recommandent de prendre en compte les propositions de la Convention citoyenne pour le climat et émettent leurs propres recommandations, fixant pour objectif une neutralité carbone en 2050.

« Il faut négocier des engagements très fermes avec les entreprises »

Les vulnérabilités de nos sociétés, aggravées par les inégalités, doivent être réduites pour renforcer la résilience de l’ensemble de la population et ses capacités d’adaptation.

Il est essentiel de placer les enjeux climatiques au cœur des plans post crise du COVID-19. La reconstruction économique et sociale devra notamment réduire nos vulnérabilités, privilégier la décarbonation et transformer plutôt que de sauvegarder à tout prix. Les mesures budgétaires et fiscales devront être subordonnées à des perspectives compatibles avec la transition bas-carbone, s’éloigner des énergies fossiles et favoriser des approches innovantes des déficits et dettes publiques, et privilégier les secteurs structurants et porteurs d’emplois en lien avec une transition bas-carbone juste.

Une mesure a déjà eu l’occasion d’être débattue ces derniers jours : le Conseil propose la subordination des aides aux entreprises et collectivités à « l’adoption explicite de plans (…) bas-carbone », « avec mesures de vérification », précisent-ils. Or justement, samedi 18 avril, les députés de la majorité ont refusé de voter un amendement qui conditionnait l’aide de vingt milliards d’euros, prévue par le gouvernement à destination des entreprises, à l’adoption d’ un « plan de transformation compatible avec les objectifs fixés par l’Accord de Paris ». « Plus les contraintes sont mises en place de manière claire dès le début, plus elles sont efficaces, a sobrement commenté Corinne le Quéré. Le Haut Conseil encourage le gouvernement à négocier des engagements très fermes avec les entreprises en sortie de crise. »

Autre suggestion potentiellement polémique alors que le gouvernement envisage d’aider Air France, le conseil d’experts appelle à une baisse du trafic aérien. « Aujourd’hui, on n’a pas de solution pour amener les émissions de ce secteur très polluant à zéro. Alors que le trafic aérien est presque arrêté, c’est le moment de réfléchir : à quel niveau souhaite-t-on que ce secteur reprenne ? », interroge la climatologue.

Enfin, d’autres mesures très concrètes sont mises en avant dans ce rapport : fin des exonérations fiscales pour les énergies fossiles (plus facile à mettre en place alors que les prix du pétrole sont au plus bas), investissements massifs dans la rénovation thermique des logements et le ferroviaire ainsi que les transports doux, incitations au télétravail, à l’utilisation du vélo et de la marche… Le tout dans un souci de justice sociale, « car l’augmentation de notre vulnérabilité est proportionnelle à l’accroissement des inégalités », précise Corinne le Quéré.

Beaucoup de recommandations sont déjà mises en avant depuis plusieurs années par les défenseurs du climat. Les scientifiques seront-ils plus écoutés dans ce contexte de crise ? « Jusqu’ici on nous opposait la limite du financement. Le plan de relance de l’économie que le gouvernement va mettre en place est une opportunité », répond Corinne le Quéré. Qui souligne que cela ne se fera pas tout seul, mais avec une forte volonté politique : « Le risque est qu’aussitôt le confinement levé, si on ne fait rien, on revienne à la situation d’avant, à ce que l’on sait déjà faire. »

 

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21 avril 2020 2 21 /04 /avril /2020 13:10

Depuis le début de la crise sanitaire, de nombreuses initiatives, publiques ou non, tribunes et pétitions circulent pour faire advenir un monde nouveau. Ces appels doivent converger pour enclencher une dynamique qui bouscule le champ politique. Une tribune co-écrite par Clémentine Autain, députée (groupe LFI) , Guillaume Balas, coordinateur du mouvement Génération·s , Elsa Faucillon, députée (groupe communiste) et Alain Coulombel, membre d’EE-LV publiée le 20 avril dans Libération. Lire aussi Un prélude à la reconversion écologique de nos sociétés et Plus jamais ça ! Construisons ensemble le jour d’après.

Lorsque le vent viendra – une des émouvantes photographies de Gilbert Garcin (1929-2020).

Lorsque le vent viendra – une des émouvantes photographies de Gilbert Garcin (1929-2020).

Beaucoup a déjà été écrit sur la période que nous traversons. Plus personne ne nie que nous vivons un basculement, une rupture franche entre un avant et un après. Notre modèle de développement est en cause. Hérité du capitalisme industriel du XIXe siècle, il est basé sur la loi du profit, la prédation des ressources naturelles et énergétiques, l’exploitation, le temps court et la démesure. Depuis des décennies, le néolibéralisme, avec son lot d’austérité des budgets publics, de dérégulation économique et d’aveuglement à l’égard des limites des ressources naturelles, nous a considérablement affaiblis pour affronter la pandémie. Aujourd’hui, chacun pressent que ce modèle bute sur ses propres contradictions.

Stratégie du choc ou modèle alternatif

De nombreuses voix s’élèvent, au gouvernement comme au Medef, pour revendiquer un retour rapide à la normale, une mobilisation générale en faveur de la levée de toutes les contraintes sociales ou environnementales susceptibles de freiner le redémarrage. «L’important, c’est de remettre la machine économique en marche et de reproduire de la richesse en masse, pour tenter d’effacer, dès 2021, les pertes de croissance de 2020», déclare le patron du Medef qui ajoute clairement : «Ensuite, il faudra bien se poser la question tôt ou tard du temps de travail, des jours fériés et des congés payés pour accompagner la reprise et faciliter, en travaillant un peu plus, la création de croissance supplémentaire.» Bruno Le Maire ne dit pas autre chose : il faut «se remettre fortement au travail» pour «relancer la croissance».

Cette voie est une impasse dangereuse. Des voix nombreuses dans la société contestent cette orientation qui nous conduit dans un mur. L’austérité budgétaire, avec sa marchandisation de la santé et ses lits d’hôpitaux décimés, nous a considérablement affaiblis dans la crise sanitaire. Nous avons vu aussi que la rapacité d’entreprises à l’activité non indispensable conduisait des salariés à travailler sans protection. Les métiers nécessaires à nos vies se sont révélés au grand jour… Scoop : les aides-soignantes et les éboueurs sont plus utiles que les traders ou les publicitaires, ce qui ne se lit pas dans la reconnaissance sociale et la feuille de paie. Les catastrophes liées à la crise climatique nous apparaissent plus tangibles, le Covid-19 faisant figure de grande répétition : nous devons nous y préparer et changer pour empêcher le désastre planétaire.

Les termes d’une alternative sociale et écologiste se cherchent et s’inventent. Elle tient dans une articulation des objectifs sociaux et écologistes. L’heure est venue d’accélérer le processus de maturation d’une issue émancipatrice aux crises contemporaines. Le partage des richesses et des ressources naturelles, des pouvoirs, des savoirs et des temps de la vie est le fil rouge et vert qui peut relancer l’espérance d’une vie meilleure. Les conditions de l’habitabilité de la Terre doivent être assurées comme celles de la dignité et de la liberté pour chacune et chacun. Sortir du consumérisme pour se poser la question des besoins est un enjeu décisif. La hiérarchie des normes et des revenus s’en trouvera bousculée autant que le productivisme qui détruit l’écosystème et le sens de la vie. Développer les biens communs, relocaliser l’économie, changer la fiscalité et taxer les revenus financiers pour viser la justice sociale, étendre le socle des droits et protections, assurer une démocratie active en engageant la refonte de notre République : ces objectifs sont largement partagés au sein des gauches et des écologistes. Nous savons que bien des questions restent clivantes, sur la stratégie européenne, le niveau de rupture, le nucléaire ou encore la place de l’Etat. Le mot gauche lui-même est en débat. Mais l’histoire s’accélère et notre responsabilité est engagée.

Nous devons créer les conditions d’une alternative au duopole Macron-Le Pen. Nous sommes vent debout contre le pouvoir en place qui suscite chaque jour davantage de contestation et de colère. En face, l’extrême droite croît son heure arrivée. Nous aurions tort de balayer cette hypothèse d’un revers de la main, trop concentrés à compter nos divergences. La menace est sérieuse.

Construire l’archipel des gauches et des écologistes

Face à l’ampleur et à la gravité de ces enjeux, rien ne serait plus lamentable de la part des gauches comme des écologistes, que de rester dans leur couloir respectif et de se croire capable, chacune, de rassembler autour d’elle. Ce choix serait une impasse face aux forces nationalistes, libérales ou conservatrices qui se nourrissent des chocs pour se renforcer. Nous devons, dès maintenant, inventer un dispositif politique permettant de concilier les spécificités ou identités de chaque composante et le travail en commun autour d’un nouveau projet de société social et écologiste.

L’archipel politique, notion inspirée du poète martiniquais Edouard Glissant, fait partie des dispositifs envisageables rompant avec la tentation de l’hégémonie, du rapport de force ou du rassemblement derrière un seul étendard. L’enjeu est de dégager une forte cohérence d’ensemble tout en laissant vivre des collectifs, des partis, des sensibilités diverses. Le pluralisme participe de la richesse commune et de notre capacité à devenir majoritaire dans le pays. Aujourd’hui, il se traduit par une atomisation qui nous décrédibilise pour accéder aux responsabilités.

De nombreuses initiatives, publiques ou non, tribunes et pétitions circulent depuis le début de la crise sanitaire. Elles portent la volonté de faire advenir un monde nouveau. Ce foisonnement est positif mais si ces appels ne convergent pas, quelles sont nos chances d’enclencher une forte dynamique qui bouscule le champ politique ? Aucune. C’est pourquoi nous appelons au rapprochement de toutes ces initiatives. C’était le sens de notre appel à un big-bang il y a un an, après les élections européennes. Les raisons d’un chamboule-tout sont démultipliées en ces temps tragiques liée à la crise sanitaire. Il est urgent de dessiner un chemin commun, une perspective politique pour que «le temps d’après» ne soit pas la copie dégradée ou catastrophique du temps d’avant. Nous y prendrons toute notre part. Avec détermination et énergie.

Clémentine Autain députée (groupe LFI), Guillaume Balas coordinateur du mouvement Génération·s, Elsa Faucillon députée (groupe communiste), Alain Coulombel membre d’EE-LV.

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19 avril 2020 7 19 /04 /avril /2020 12:23

Pour Dominique Méda, Professeure de sociologie à l’université Paris-Dauphine, la pandémie de Covid-19 doit être comprise non pas comme une catastrophe naturelle dont il faudrait juste éviter qu’elle ne se reproduise, mais comme un coup de semonce exigeant une bifurcation radicale. Tribune publiée le 18 avril 2020. Dominique Méda a aussi écrit pour Politis :  « Nous savons aujourd’hui quels sont les métiers vraiment essentiels ».

Lire aussi sur ce blog Face à la pandémie planétaire : une indispensable solidarité, l'urgence de changer de modèle, Cinquante propositions de la convention citoyenne pour « porter l’espoir d’un nouveau modèle de société », Pour une plus grande résilience face aux crises et Plus jamais ça ! Construisons ensemble le jour d’après.

Dominique Méda, Professeure de sociologie et directrice de l’Institut de recherche interdisciplinaire en Sciences sociales de l’université Paris Dauphine.

Dominique Méda, Professeure de sociologie et directrice de l’Institut de recherche interdisciplinaire en Sciences sociales de l’université Paris Dauphine.

Le 15 mars 1944, en pleine seconde guerre mondiale, le Conseil national de la Résistance (CNR) publiait un court document de quelques pages – son programme – qui présentait à la fois « un plan d’action immédiate » et « les mesures destinées à instaurer, dès la libération du territoire, un ordre social plus juste ». La même année, William Beveridge, l’auteur du célèbre rapport qui avait dessiné dès 1942 les contours du Welfare State (« Etat-providence »), précisait dans une autre publication majeure toute teintée de keynésianisme, Full Employment in a Free Society, l’ensemble des politiques économiques et industrielles à mettre en œuvre dès la sortie de la guerre pour organiser le monde d’après sur des principes en rupture radicale avec ceux qui avaient conduit au désastre. Le 10 mai 1944, la Conférence générale de l’Organisation internationale du travail, réunie à Philadelphie (Pennsylvanie), adoptait à l’unanimité une déclaration qui établissait les fondements du consensus de Philadelphie.

Dans la plupart des pays occidentaux, la reconstruction s’est opérée en prenant appui sur ces principes, formulés au cœur même de la crise par ceux qui avaient compris que les leçons devaient être tirées au plus tôt non seulement pour raviver l’espérance et mobiliser les énergies mais aussi pour éviter que la coalition des intérêts particuliers ne fasse obstacle aux transformations nécessaires. C’est bien dès aujourd’hui qu’il nous faut engager la bataille pour éviter le retour du « business as usual », et pour que l’événement que nous sommes en train de vivre soit compris non pas comme une catastrophe naturelle dont il faudrait juste savoir éviter le retour – par exemple en érigeant partout des murs et des frontières –, mais comme un coup de semonce exigeant une bifurcation radicale.

Les dégâts de la croissance

L’irruption du virus a révélé au grand jour les dysfonctionnements majeurs de nos sociétés, et tout à la fois, leur immense fragilité et la folle confiance dans le génie humain qui leur a fait outrepasser toutes les limites. Juste avant le déploiement de la crise sanitaire, la prise de conscience de l’ampleur de la crise écologique et des dégâts de la croissance avait progressé au point que l’on pouvait espérer que nos sociétés finiraient par s’engager dans la voie de la transition écologique. Le paradoxe est qu’aujourd’hui, la réduction drastique des émissions de gaz à effet de serre que nous cherchions à obtenir est temporairement atteinte en raison de l’arrêt de la production et de la consommation dans une grande partie du monde.

Cette transition que nous aurions dû organiser sur une ou deux décennies vient de nous être imposée avec une brutalité inouïe : le risque est grand de ce fait qu’au lieu de jouer un rôle d’alerte, cette situation n’incite les gouvernements à pousser comme jamais les feux du productivisme et du consumérisme pour panser les plaies des citoyens et faire repartir l’économie comme avant. Le risque est réel de voir se développer dès la sortie du confinement, du côté des gouvernements, des relances « brunes » massives, et du côté des consommateurs, des pulsions d’achats consolatrices qui contribueront toutes à augmenter la crise écologique dont les conséquences seront pires encore que ce que nous vivons aujourd’hui. Le risque est quasi avéré de voir les légitimes appels à la post-croissance ou à la décroissance balayés d’un revers de main alors que des baisses du PIB massives sont annoncées.

Il nous faut donc réussir le tour de force de transformer la situation présente en prélude à la reconversion écologique de nos sociétés et être capables de penser et d’organiser celle-ci en quelques semaines. L’immense chance que nous avons est que les leçons à tirer de la crise sanitaire convergent totalement avec les conditions de mises en œuvre de ce processus : le rôle éminent de l’État, de sa fonction d’anticipation et de planification ; la nécessité absolue de relocaliser une partie de nos productions et de réindustrialiser notre pays, « quoi qu’il en coûte », en développant des filières de réparation, de recyclage, de fabrication de biens et services durables permettant de rendre les territoires les plus autosuffisants possible ; l’obligation de rompre avec la division internationale du travail actuelle et le pouvoir exorbitant des multinationales ; l’exigence de réduire considérablement l’éventail des salaires et la béance existant entre la hiérarchie des rémunérations d’une part, et celle de l’utilité sociale, d’autre part ; la nécessité de démocratiser nos entreprises… Nous avons besoin d’un programme équivalent à celui du CNR dessinant les voies que devra suivre notre pays pour organiser une Reconstruction qui soit dans le même temps une Reconversion.

Tous ceux qui ont profité des recommandations toxiques du Consensus de Washington et de Paris et qui ont tout à perdre d’une reconversion propice à la réduction des inégalités et d’une généralisation de la sobriété s’opposeront sans doute de toutes leurs forces à un tel processus. Mais il est vraisemblable que les classes moyennes et populaires auraient tout à gagner d’un projet qui devrait créer de nombreux emplois notamment dans l’agriculture et l’industrie, mettre au premier plan les métiers essentiels permettant la satisfaction des besoins sociaux et créant de la valeur pour la société plutôt que pour l’actionnaire et promouvoir de nouvelles formes d’organisation du travail.

Comme en 1944, la conception d’un tel programme ne peut revenir qu’à une large coalition d’acteurs représentatifs de toute la société – parmi lesquels les syndicats, les ONG et les partis politiques – délibérant en assemblée plénière : elle seule saura résister aux forces qui ne manqueront pas de s’opposer résolument à un tel projet.

Dominique Méda, Professeure de sociologie, directrice de l’Institut de recherche interdisciplinaire en Sciences sociales de l’université Paris Dauphine, est notamment l’auteure de La mystique de la croissance. Comment s’en libérer (Champs Flammarion) et, avec Eric Heyer et Pascal Lokiec, d’Une autre voie est possible (Flammarion).

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14 avril 2020 2 14 /04 /avril /2020 12:34

Voilà les premières propositions des écologistes face à la crise, élaborées lors de notre dernier conseil fédéral en visioconférence dédié à la question. Prenez connaissance, faites circuler ces propositions et proposez de les enrichir à l'aide de cette plateforme de mobilisation  !

Face à la pandémie planétaire : une indispensable solidarité, l'urgence de changer de modèle

Retrouvez les propositions des écologistes adoptées en conseil fédéral le 4 avril 2020.

Nos pensées vont en premier lieu en soutien aux malades et aux proches des victimes, ainsi qu'à tout le personnel médical.
Mais demain se décide aujourd’hui. 
L’enjeu, pour les écologistes est immense. Il s’agit de démontrer que le coronavirus n’est pas qu’une crise sanitaire, mais qu’il est le nom du dérèglement du monde. Cette "relance" qui se prépare doit être l’occasion de revoir l’échelle des valeurs qui structurent nos sociétés. Plutôt que les premiers de cordée, les "premiers de corvée" qui font que notre pays tient debout.
Pour nous il s’agit évidemment de concilier justice sociale et transition écologique.
Comment, pendant cette crise, garantir la protection du plus grand nombre et la viabilité du monde?
Et comment faire de cette période un levier pour accélérer la transition écologique de nos sociétés et faire naître une nouvelle donne mondiale fondée sur la solidarité et la coopération ?

Face à la pandémie planétaire : 45 propositions des écologistes solidaires et vigilants

Avec ce corpus programmatique, nous pouvons engager la discussion avec associations et syndicats ainsi qu’avec la convention citoyenne pour le climat (cf Cinquante propositions de la convention citoyenne pour « porter l’espoir d’un nouveau modèle de société »).
Nous proposerons ensuite à l’exécutif d’accepter que le monde d’après ne descende pas de Jupiter, mais plutôt qu’il monte de la société, des forces associatives, syndicales et politiques. Comme dans les années 30 aux États Unis, notre société a besoin d’une nouvelle donne, un véritable green new deal.
Dans l'attente, prenons soin de nous aujourd’hui pour, demain, continuer à sauver la planète.

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12 avril 2020 7 12 /04 /avril /2020 15:28

Ne pas rater le train de la crise sanitaire que traversent le pays et la planète tout entière. Et intervenir dans le débat qui se profile sur la sortie de crise. Réunis vendredi 3 et samedi 4 avril en visioconférence, après l’avoir âprement débattue, puis votée, les 150 membres de la convention citoyenne pour le climat, ont transmis leur « contribution à la sortie de crise » sous forme d’un texte général d’intention et de cinquante propositions de mesures, soit un tiers de celles élaborées lors de leurs six mois de travaux. D’après Audrey Garric et Rémi Barroux pour Le Monde. Lire aussi La France continue à soutenir les énergies fossiles alors que le monde prévoit d’en produire 120 % en trop, Une taxe carbone « juste » pour concilier justice fiscale et écologie est possible, et Une convention citoyenne sur le climat controversée.

Les membres de la convention citoyenne pour le climat, connectés sur l’outil en ligne Zoom, pour une session extraordinaire, les 3 et 4 avril, lors de laquelle ils ont réfléchi à une stratégie de sortie de crise.

Les membres de la convention citoyenne pour le climat, connectés sur l’outil en ligne Zoom, pour une session extraordinaire, les 3 et 4 avril, lors de laquelle ils ont réfléchi à une stratégie de sortie de crise.

Comment préparer la sortie de crise du Covid-19 ? Comment « porter l’espoir d’un nouveau modèle de société », répondant tant au défi climatique que sanitaire et économique ? Réunis en visioconférence les 3 et 4 avril, les membres de la convention citoyenne pour le climat ont décidé d’envoyer, jeudi 9 avril, cinquante pistes de mesures à l’exécutif mais sans les rendre publiques. Elaborées par leurs cinq groupes thématiques – se loger, se déplacer, se nourrir, consommer, produire et travailler –, elles doivent encore être amendées et votées par l’assemblée plénière.

Les 150 Français ont sélectionné celles qui permettent de répondre à un triple objectif : avoir un effet positif sur le climat, sur l’économie à court ou moyen terme dans un esprit de justice sociale ainsi que sur la santé et le bien-être des populations.

Rénover 20 millions de logements

Les citoyens proposent tout d’abord de rendre obligatoire la rénovation énergétique globale des bâtiments d’ici à 2040, et d’ici à 2030 pour les « passoires thermiques », ces logements étiquetés F et G pour leurs faibles performances énergétiques. « Notre ambition, écrivent-ils, est de passer d’une rénovation par petits gestes et à petits pas à une rénovation globale (toit, isolation, fenêtres, chauffage et VMC), en multipliant par trois le rythme des rénovations. »

Cela représente environ 20 millions de logements à rénover de manière globale, dont environ 5 millions de « passoires thermiques », ainsi que des bâtiments tertiaires et publics, qui devront atteindre un niveau de performance énergétique A, B ou C. Actuellement, la loi énergie-climat, promulguée en novembre 2019, prévoit l’obligation de travaux dans les « passoires thermiques » à partir de 2028, mais sans rénovation globale et avec des objectifs de résultats moins ambitieux (pour atteindre au moins la classe E).

Pour réaliser ce « grand chantier national », qui permettrait de créer des emplois, de réduire la facture énergétique et les dépenses de santé, les citoyens proposent des leviers incitatifs mais aussi des sanctions (par exemple un malus sur la taxe foncière), et des mesures d’accompagnement comme une « aide minimum pour tous » et un réseau de guichets uniques.

Contenir l’étalement urbain

Les citoyens souhaitent ensuite lutter contre l’artificialisation des sols et l’étalement urbain « de manière beaucoup plus efficace », afin d’agir en faveur de la biodiversité et de réduire les consommations d’énergie liées aux déplacements. Il s’agirait notamment de limiter, entre 2021 et 2030, le nombre d’hectares artificialisés par commune au quart de ce qui a été artificialisé entre 2000-2020, de stopper « immédiatement » les aménagements de nouvelles zones commerciales périurbaines « très consommatrices d’espaces » ou encore d’autoriser les réquisitions de logements et de bureaux vacants.

Réduire la place de la voiture individuelle

Les « 150 » se sont également attaqués au chantier des transports et en particulier de la voiture individuelle, qui représente 16 % des émissions de gaz à effet de serre du territoire.

Pour encourager d’autres modes de transport, le groupe « se déplacer » propose de rendre obligatoire et d’augmenter (entre 500 et 1 800 euros par an) la prime de mobilité durable prévue par la loi d’orientation des mobilités pour qu’elle bénéficie à l’ensemble des Français qui effectuent leur trajet domicile-travail à vélo ou par le biais du covoiturage.

Ils veulent aussi augmenter les montants du fonds vélo de 50 à 200 millions d’euros par an pour financer des pistes cyclables et interdire l’accès aux centres-villes pour les véhicules les plus polluants. Les citoyens souhaitent également accroître l’usage du train, notamment en réduisant la TVA sur les billets de 10 % à 5,5 %.

La convention propose de nombreuses mesures visant à faire évoluer rapidement le parc automobile français, majoritairement thermique et composé d’une part croissante de SUV. Il s’agit, entre autres, d’interdire dès 2025 la commercialisation de véhicules neufs très émetteurs (plus de 110 g de CO₂/km), de proposer des prêts à taux zéro pour l’achat d’un véhicule propre et d’augmenter les bonus pour les véhicules peu polluants et, dans le même temps, de renforcer « très fortement » les malus pour ceux qui polluent.

Favoriser les circuits courts et une alimentation durable

La crise sanitaire et ses effets sur le mode de vie, le confinement en premier lieu, ont évidemment donné plus de force à l’une des mesures du groupe de travail « se nourrir », avec le développement des circuits courts. La mesure n’est pas nouvelle puisqu’elle figure déjà dans la loi Egalim d’octobre 2018, mais, selon les citoyens de la convention, le changement de pratiques est insuffisamment mis en œuvre. Ils souhaitent promouvoir des outils comprenant « la création de fermes municipales et de plates-formes de regroupement des productions ». Il faut aussi, écrivent-ils, « utiliser le levier de la commande publique pour valoriser les produits issus de circuits courts, locaux, durables et à faible coût environnemental, sous la forme d’un “guide d’achat” à adresser aux acheteurs publics ».

Dans ce chapitre consacré à l’alimentation, les citoyens mettent encore en avant le développement des pratiques agroécologiques, et de « renégocier le CETA [traité de commerce entre l’Union européenne et le Canada] au niveau européen ».

Freiner la surconsommation

La volonté de tourner la société vers des modes d’alimentation et de production plus sains se retrouve aussi dans les nombreuses propositions issues du groupe de travail « consommer ». L’essentiel porte sur l’éducation et la formation du consommateur aux pratiques de « sobriété numérique », ainsi qu’à l’environnement et au développement durable. Afin d’« encourager la participation citoyenne », les membres de la convention proposent de décliner celle-ci dans de « miniconventions citoyennes pour le climat, pour élaborer collectivement des propositions concrètes pour l’environnement dans nos villes, nos campagnes, nos quartiers, nos régions »…

Surtout, les citoyens appellent à réguler la publicité pour « mettre un frein à la surconsommation ». Il s’agirait, dès 2023, d’interdire la publicité sur les produits les plus émetteurs de gaz à effet de serre (« une sorte de loi Evin sur le climat ») mais aussi, de manière plus générale, de « limiter fortement les incitations quotidiennes et non choisies ».
Les panneaux publicitaires seraient ainsi prohibés « dans les espaces publics extérieurs », hors l’information locale ou culturelle. De même, proposition est faite que soit rendue obligatoire dans toutes les publicités une mention de type « En avez-vous vraiment besoin ? La surconsommation nuit à la planète ».

Décarboner l’économie

La sortie de crise devrait aussi être l’occasion, estiment les membres de la convention citoyenne, de revisiter les modes de production et de travail. L’objectif est d’accélérer la transition vers une économie décarbonée, un objectif européen et français fixé à 2050.

Pour l’atteindre, les citoyens proposent que « d’ici à 2025, tout soutien à l’innovation s’inscrive dans une logique de sortie d’un modèle basé sur le carbone ». La recherche publique doit être financée dans les secteurs de l’innovation ayant un intérêt environnemental et écologique. Il faut « sortir de l’innovation pour l’innovation ». Ainsi pointent-ils le passage de la 4G vers la 5G qui générerait plus de 30 % de consommation d’énergie carbonée en plus, « sans réelle utilité (pas de plus-value pour notre bien-être) ».

Parmi les cinquante propositions transmises, se trouvent aussi l’augmentation de la longévité des produits et la réduction de la pollution liée aux modes de production et de fonctionnement : écoconception, développement des filières de réparation et de réemploi, du recyclage aussi, d’ici à 2023.

Même si l’impact de ces mesures est moins important sur les émissions de gaz à effet de serre, elles touchent aux ressources et aux pollutions. Elles sont donc « emblématiques d’un changement de société que nous souhaitons », écrivent les conventionnels.

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