Depuis les révélations d'Edward Snowden sur l'espionnage massif des communications des citoyens européens par les institutions et les entreprises américaines, et la surveillance généralisée, mondialisée de l'agence de renseignement américaine NSA, ceux qui nourrissaient encore des illusions sur l'espionnage politique et industriel de l'Europe par les USA ont dû se rendre à l'évidence. Et nombre de parlementaires européens ont demandé la suspension des négociations commerciales entre l'Europe et les Etats-Unis. De quelles négociations s'agit-il ?
Pendant longtemps, les grandes entreprises mondiales ont confié à l'OMC, organisation mondiale du commerce, le soin de libéraliser les échanges à travers la planète. Faciliter la circulation des marchandises, pas celle des hommes, est primordial pour l'extension du domaine des bénéfices. Mais ça ne va pas assez vite, et les domaines d'activités couverts sont encore trop parcellaires pour satisfaire le capitalisme mondial.
Entre 1995 et avril 1997, on négocie secrètement au sein des vingt-neuf pays membres de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) l’Accord multilatéral sur l’investissement (AMI). Proposant une libéralisation accrue des échanges (interdiction des discriminations par la nationalité entre investisseurs), il entraîne de vives protestations de la part des partisans de l'exception culturelle, des mouvements de défense de l’environnement et de quelques mouvements syndicaux lors de sa divulgation au grand public par des mouvements de citoyens américains. Des organisations non gouvernementales parviennent à se procurer le projet d'accord, et à alerter le public sur ce projet. Selon un de leurs leaders, Susan George, « l'AMI est comme Dracula : il meurt à être exposé en plein jour ». Finalement, devant l'opposition française et la tiédeur des États-Unis, et suite au rapport commandé par Lionel Jospin à Catherine Lalumière qui déclare le projet « non réformable », l’AMI est abandonné en octobre 1998.
Alors on passe à une nouvelle stratégie : les accords bi-latéraux engagent deux pays entre eux, et bien souvent un pays en voie de développement n'a pas le choix et doit valider de nombreuses attaques contre ses services publics pour obtenir quelques aides au développement des pays du Nord, sous les yeux de la Banque Mondiale et du FMI.
Nous vous avons déjà parlé d'ACTA, Renvoi d’ACTA à la CJUE : un clou de plus dans le cercueil d’ACTA, Restons mobilisés contre le traité ACTA ! et ACTA (accord commercial anti-contrefaçon) : l’heure de vérité. ACTA (pour Anti-Counterfeiting Trade Agreement ou accord commercial anti-contrefaçon) est un accord négocié secrètement de 2007 à 2010 par un petit "club" de pays (39 pays, dont les 27 de l'Union européenne, les États-Unis, le Japon, etc). Un mouvement citoyen massif, global et décentralisé s'oppose à cette offensive de plus contre le partage de la culture sur Internet qui s'attaque à nos droits fondamentaux, et ACTA est finalement rejetée par le Parlement Européen - une victoire historique contre les gouvernements.
TAFTA
Négocié depuis le mois de juillet 2013, le Partenariat Transatlantique de Commerce et d'Investissement (aussi connu sous le nom de TTIP, Transatlantic Trade and Investment Partnership ou TAFTA, Trans-Atlantic Free Trade Agreement) est un projet d'accord commercial entre l'Union européenne et les États-Unis. Il concerne des domaines aussi variés que l'accès aux médicaments, la sécurité alimentaire ou le règlement des différents privés-publics. Les négociations, menées par un petit groupe de fonctionnaires non élus, sont censées durer au moins jusqu'à fin 2014.
Malgré le rejet de l'accord commercial précédent, ACTA, en 2012 et les mises en garde de la société civile, la majorité du Parlement européen s'est exprimée en faveur du renforcement de la protection des droits d'auteur, des brevets et des marques dans le mandat autorisant la Commission européenne à négocier TAFTA. En outre, elle ne s'est pas opposée à la tenue de ces négociations dans l'opacité, et n'a pas exigé leur suspension en réaction à l'espionnage par la NSA des négociateurs européens. Initialement prévu pour les 7-11 octobre 2013, le 2ème cycle de négociations à Bruxelles est reporté en raison du blocage du vote du budget au Congrès américain.
Tous ces éléments laissent craindre que les négociateurs pourraient profiter de TAFTA pour tenter une nouvelle fois d'imposer des mesures répressives au nom de la protection des intérêts de l'industrie du divertissement, ou d'autres mesures attaquant nos libertés sur Internet. En effet, TAFTA édicte une sorte de norme supérieure qui devrait inspirer tous les traités à venir et avoir valeur d’exemple au niveau international. Les droits (humains, sociaux, alimentaires, écologiques,...), dans les textes préparatoires, se trouvent convertis en normes, qu'il s’agirait d’harmoniser en supprimant les règlements et lois que les firmes transnationales considèrent comme des «expropriations indirectes» dès lors qu’elles touchent à leur rentabilité. Ce vecteur de modification des « dispositions réglementaires » européennes sera effectif dans des domaines comme l'accès aux médicaments, la sécurité alimentaire, la finance.
Des cabinets d'affaires privés se substitueraient aux juridictions existantes pour arbitrer les différents entre investisseurs et Etats. Les investisseurs privés pourraient ainsi contourner les lois et les décisions qui les gêneraient, permettant par exemple aux pétroliers d'imposer en France l'exploitation des gaz de schistes et autres hydrocarbures dits non conventionnels. Une telle architecture juridique limiterait les capacités déjà faibles des États à maintenir des services publics (éducation, santé, etc.), à protéger les droits sociaux, à garantir la protection sociale, à maintenir des activités associatives, sociales et culturelles préservées du marché, à contrôler l'activité des multinationales dans le secteur extractif ou encore à investir dans des secteurs d'intérêt général comme la transition énergétique.
Et la volonté des négociateurs de discuter de « flux de données », au lieu de faire valoir le droit fondamental des citoyens européens à la vie privée, montre à quel point ces négociations pourraient encore une fois être utilisées pour se coucher devant les États-Unis et leurs industries. Dès maintenant et jusqu'à la fin des négociations, il est donc essentiel que les citoyens fassent entendre leur voix et se mobilisent pour éviter que ce nouvel accord commercial puisse porter atteinte à nos libertés fondamentales et à un Internet libre.
Pour plus d'information : https://www.laquadrature.net/fr/TAFTA. Très prochainement une conférence de presse annoncera un appel commun large contre le TAFTA rassemblant des citoyens, des organisations non gouvernementales et des partis politiques dont Europe Ecologie Les Verts. Et le 24 novembre, à Paris, le collectif des Engraineurs proposera une action militante citoyenne.