La commission nationale des alertes en santé publique estime qu’un « doute sérieux » existe sur ces fongicides. Par Stéphane Foucart Publié le 19 novembre 2019 dans Le Monde. Lire aussi Fongicides SDHI : « On ne peut se permettre, comme l’Anses, d’attendre la catastrophe » et L’Anses n’a pas pris la mesure du drame des SDHI.
Les fongicides largement utilisés dans l'agriculture sont pointés du doigt par la Commission nationale Déontologie et Alertes en santé publique et environnement. (SEBASTIEN JARRY/MAXPPP)
La mise en garde des chercheurs relative aux pesticides SDHI (« inhibiteurs de la succinate déshydrogénase ») doit être prise au sérieux. La Commission nationale de la déontologie et des alertes en matière de santé publique et d’environnement (cnDAspe), une instance officielle indépendante constituée de 22 experts bénévoles, a publié, mardi 19 novembre, un avis estimant que l’alerte, lancée par une dizaine de scientifiques fin 2017, sur les dangers de cette famille de fongicides, est fondée, étayée par « des données scientifiques de qualité ».
Les informations fournies par les auteurs de l’avertissement, précise l’avis, « posent un doute sérieux sur des dangers qui ne sont actuellement pas pris en compte dans les procédures de toxicologie appliquées selon la réglementation européenne ». Et ce, en dépit des « incertitudes substantielles » qui demeurent sur les risques induits par ces produits dans leurs conditions d’utilisation.
Les données transmises par le biologiste Pierre Rustin (CNRS) et ses collègues viennent par ailleurs d’être publiées dans la revue PLoS One. Elles montrent, sur des cultures cellulaires, que les substances appartenant à la famille des SDHI ne ciblent pas seulement les champignons et les moisissures, mais une diversité d’organismes comme l’abeille domestique, le lombric ou l’être humain. Les scientifiques redoutent que le mécanisme ciblé par ces produits phytosanitaires n’élève les risques de certains cancers et de maladies neurodégénératives comme Alzheimer ou Parkinson. Selon les chercheurs, le recul n’est pas suffisant sur les usages actuels de plusieurs de ces produits pour pouvoir se fonder sur des données épidémiologiques relatives aux personnes exposées. Sur les onze substances en question, huit ont été autorisées pour la première fois il y a moins de dix ans.
L’Anses a réagi de manière « réactive et approfondie »
Créée par la loi d’avril 2013 sur la protection des lanceurs d’alerte, la cnDAspe est constituée de 22 membres, nommés pour quatre ans par arrêté ministériel. Y siègent des représentants d’organismes publics de recherche et d’agences sanitaires, des médecins, des juristes, des conseillers d’Etat, etc. Ses avis n’ont pas valeur d’expertise scientifique, mais la commission précise en l’espèce avoir demandé l’appui de deux experts toxicologues membres de son comité spécialisé, le Comité de la prévention et de la précaution (CPP), qui ont estimé fondées les inquiétudes des lanceurs d’alerte.
Ceux-ci n’ont saisi la cnDAspe qu’en avril 2019, après avoir échangé à l’automne 2017 avec l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses). Cette dernière n’a considéré l’avertissement formellement lancé qu’au mois d’avril 2018, avec la publication d’une tribune dans le quotidien Libération, dans laquelle les chercheurs appelaient à la suspension de l’autorisation des SDHI. L’agence a alors mandaté un groupe d’experts pour plancher sur le sujet. Ce panel a finalement publié son rapport en janvier, estimant que l’alerte n’était pas constituée, mais que des recherches ultérieures devaient être conduites. Mécontents du traitement de leur signalement par l’agence, plusieurs chercheurs du collectif se sont retournés vers la cnDAspe.
La commission estime toutefois, dans son avis, que l’Anses a réagi de manière « réactive et approfondie », notamment en informant ses homologues internationales du signalement des chercheurs français, ainsi qu’en « engageant des financements importants pour améliorer les connaissances sur les dangers identifiés ».
Une alerte dès 2012, selon la députée Delphine Batho
« Nous avons, en outre, demandé au CPP de préparer une méthode de travail à laquelle seront conviés les organismes de recherche et les agences compétentes pour rédiger un avis susceptible d’encadrer la manière dont les autorités sanitaires doivent tenir compte des données scientifiques nouvelles, dès lors qu’elles sont publiées, explique Denis Zmirou-Navier, professeur honoraire de santé publique de l’université de Lorraine et président de la cnDAspe. Cela permettra de faire en sorte que des alertes puissent être traitées sans qu’il soit nécessaire d’attendre que les médias s’en fassent l’écho. »
Les responsables de l’Anses étaient auditionnés sur le sujet, le 6 novembre, par le Groupe d’étude sur la santé environnementale de l’Assemblée nationale. Pour sa coprésidente, Delphine Batho, députée des Deux-Sèvres, l’alerte pourrait en réalité remonter à 2012, au moins pour l’un de ces SDHI, le bixafène. « Des travaux financés par l’Anses ont été publiés en 2012 et montrent que le bixafène est génotoxique [toxique pour l’ADN] in vitro, dit Mme Batho au Monde. Les experts toxicologues disent que ce type de résultat doit être confirmé in vivo : j’ai donc demandé à l’Anses si, depuis sept ans, de tels travaux avaient été entrepris. » L’Anses n’était pas en mesure de répondre mardi 19 au matin.
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