Plutôt que de faire diminuer le nombre de camions, les pouvoirs publics s’attaquent aux vieilles guimbardes. Un point de vue différent sur la Zone de Faible Emission de la Métropole du Grand Paris, par Hélène Torjman le 12 juin 2019 pour Politis. Lire aussi 100 000 euros d'astreinte journalière demandés à l'Etat face à l’inaction sur la pollution de l’air et Paris, encore loin des villes européennes modèles pour la pollution de l’air et la mobilité.
Une fois de plus, ce sera aux « gens qui ne sont rien » de payer pour la transition écologique. Par un abus de pouvoir, plusieurs villes, dont Paris et sa petite couronne, ont décidé d’interdire les voitures jugées trop anciennes, car elles pollueraient plus que les autres. Les personnes modestes ont rarement de quoi acheter le dernier cri en matière automobile, alors que les plus aisés changent de voiture tous les trois ans. Les propriétaires des gros 4x4 qui envahissent les villes n’ont donc aucun souci à se faire, pas plus que les camionneurs, malgré des émissions de gaz à effet de serre (GES) et de particules fines bien plus importantes. Le gouvernement s’était par ailleurs engagé lors du Grenelle de l’environnement à soutenir le ferroutage, pour porter sa part dans le transport de marchandises à 25 % en 2020. Il est de 10 % aujourd’hui, et le dernier train livrant des fruits et légumes à Rungis est menacé… Plutôt que de prendre des mesures ambitieuses pour diminuer le nombre de camions, les pouvoirs publics préfèrent s’attaquer aux propriétaires de vieilles guimbardes. Outre l’injustice d’une telle décision, cette politique est tout à fait contre-productive.
Tout d’abord, il s’agit d’obliger une partie de la population à acheter des voitures neuves pour faire tourner l’industrie automobile. Or, produire plus de véhicules signifie plus de matières premières extraites, plus d’énergie consommée dans la production, plus de pollution et plus de déchets (mais du travail). Cela participe à l’obsolescence accélérée qui touche les biens, les technologies, les compétences… Une telle « relance par les normes » est tout sauf écologique et sociale.
Ensuite, contrairement à une croyance commune, les nouvelles voitures ne sont pas plus propres que les anciennes. Elles émettent directement moins de GES et de particules fines, c’est vrai. Mais les moteurs électriques fonctionnent avec des aimants composés de métaux rares, dont les multiples gadgets électroniques font aussi un grand usage. Et l’exploitation de ces métaux rares est une catastrophe humaine et environnementale. La connexion généralisée engendre aussi un flot croissant de données qu’il faut traiter et stocker, d’où un besoin toujours plus grand d’énergie (1). Plus profondément, nos sociétés persistent dans la frénésie de ressources qui a contribué à nous mener là où nous sommes.
Enfin, les vieilles voitures peuvent facilement être entretenues et réparées par quelqu’un d’un peu bricoleur, pour des sommes en général modiques, ce qui n’est pas le cas des nouvelles, dont il ne sert à rien d’ouvrir le capot si on n’a pas une licence d’électronique et l’outillage adéquat. Dans les termes d’Ivan Illich, les vieilles voitures sont « conviviales », elles sont sobres et favorisent l’autonomie des personnes (2). Faire durer des objets solides et simples ferait plus pour la planète que de sans cesse renouveler des produits sophistiqués et toujours plus fragiles.
(1) La Guerre des métaux rares. La face cachée de la transition énergétique et numérique, Guillaume Pitron, Les liens qui libèrent, 2018.
(2) La Convivialité, Ivan Illich, Seuil, 1973.
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