Le projet de loi Énergie-Climat est arrivé mardi 25 juin devant l’Assemblée nationale. Il fixe les nouveaux objectifs du gouvernement en matière de transition énergétique et de réduction des émissions de CO2. Il entérine ainsi l’atteinte d’une neutralité carbone en 2050, décrète l’état d’urgence climatique et écologique et prévoit aussi d'élargir le périmètre de l’article 173. Cinq points à retenir, dont le problème des logements non-isolés est le plus criant. Une vingtaine de députés LRM voulaient interdire la location des logements étiquetés « F » et « G » d’ici 2025, sans succès. D’après Conception Alvarez pour Novethic et Isabelle Rey-Lefebvre pour Le Monde le 25 juin 2019. Lire aussi Urgence climatique : pour la simple et bonne ration, Des taxes carbone efficaces et approuvées par la population – c’est possible ! et Rétablir la justice fiscale en taxant les entreprises les plus polluantes.
1 - L’urgence écologique et climatique décrétée
C’est sans doute la mesure la plus emblématique du texte. En commission la semaine dernière, les députés ont inscrit à l'unanimité "l'urgence écologique et climatique" à l'article 1er du projet de loi. Une façon de répondre aux attentes des jeunes qui se mobilisent pour le climat depuis plusieurs mois. Avant la France, le Royaume-Uni était devenu début mai le premier pays au monde à déclarer l'urgence climatique après avoir fait l'objet de nombreux blocages de la part du mouvement Extinction Rebellion. Dix jours plus tard, le parlement irlandais approuvait lui aussi un amendement en ce sens.
2 - Neutralité carbone en 2050 sans crédits carbone internationaux
Conformément à l’engagement du gouvernement, le texte prévoit d'atteindre la "neutralité carbone" à l'horizon 2050. Ce principe suppose de ne pas émettre plus de gaz à effet de serre que le pays ne peut en absorber via notamment les forêts ou les sols. Pour y arriver, la France compte diviser par six ses émissions de gaz à effet de serre par rapport à 1990. Et pour compenser les émissions résiduelles, elle n’utilisera pas de crédits internationaux de compensation carbone, souvent source de polémique.
3 - Fin des subventions aux énergies fossiles
Un amendement porté par la députée Delphine Batho a été adopté en commission des affaires économiques, contre l’avis du gouvernement. Il vise à mettre fin aux subventions publiques aux énergies fossiles accordées sous forme de garanties à l’export pour des opérations liées à l’exploration, l’exploitation, le transport ou la combustion d’énergies fossiles. Entre 2015 et 2018, Bpifrance Assurance Export, qui est l’agence de crédit à l'exportation de l’État, a pris en garantie plusieurs projets d’énergie fossiles à hauteur d’environ 1,5 milliard d’euros d’argent public. La fin de ces crédits pour le charbon avait été actée en 2015 sous le précédent quinquennat.
4 - L’article 173 étendu à la biodiversité
La commission a adopté un autre amendement défendu par la députée Bénédicte Peyrol (LREM) visant à compléter l’article 173 sur le reporting extra-financier des investisseurs. Jusqu’à présent cantonné aux objectifs climatiques, celui-ci devra également prendre en compte "la préservation de la biodiversité des écosystèmes et des ressources naturelles, notamment la participation à l’objectif de zéro artificialisation nette et l’utilisation d’énergies renouvelables". Cet amendement a obtenu l’avis favorable du rapporteur et du gouvernement.
5 - L’expérimentation dans la lutte contre les « passoires thermiques » divise la majorité
L’interdiction progressive de la mise en location des passoires thermiques a été rejetée alors qu’il s’agissait d’une promesse de campagne d’Emmanuel Macron. À la place, les députés ont prévu une expérimentation à partir de 2021 au moment de la vente de ces logements. Une part du montant de la transaction - qui ne pourra pas dépasser 5 % du produit total – sera mise sous séquestre pour financer des travaux de rénovation énergétique. L'idée est d'inciter l'acquéreur à réaliser ces travaux. L’expérimentation durera deux ans dans les zones tendues.
Les députés ont par ailleurs voté l’intégration en 2022 d’un plafond de consommation d’énergie dans les critères de définition d’un logement décent. La mesure toucherait entre 200 000 et 400 000 logements. Enfin, la révision des loyers, en cas de travaux, sera conditionnée à l’atteinte d’au moins la classe énergétique "E".
Contre l’avis du gouvernement
Le premier ministre, Edouard Philippe, l’avait promis lors de son discours de politique générale, le 12 juin : l’acte II du quinquennat serait écologique. Le projet de loi relatif à l’énergie et au climat qui arrive, mardi 25 juin, en première lecture à l’Assemblée nationale, est l’occasion de concrétiser ce propos. Le texte, à l’origine composé de huit, puis de douze articles, en compte finalement, à l’issue du travail en commissions, une trentaine de plus, et il est assorti de 750 amendements.
L’article premier affirme, ou réaffirme, l’objectif de parvenir, avant 2050, à la neutralité carbone entre émission et absorption de gaz à effet de serre. Cela revient à diviser ces émissions par six au lieu de quatre, tel qu’inscrit dans la précédente loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte, du 17 août 2015.
Or, les immeubles de tous types consomment, à eux seuls, 45 % de l’énergie du pays et émettent 25 % des gaz à effet de serre. Le résidentiel représente 31 % de la consommation et 10 % des émissions et sa rénovation massive, programmée de plan en plan depuis 2012, prend du retard. L’objectif de mettre aux normes 500 000 logements par an, dont 120 000 logements sociaux et 150 000 « passoires thermiques », n’a jamais été atteint.
En 2018, seuls 290 000 chantiers de rénovation étaient engagés, dont 90 000 vraiment performants et faisant gagner deux grades dans l’échelle des consommations d’énergie. Reste à traiter en priorité 7,4 millions de logements étiquetés F et G, c’est-à-dire qui consomment plus de 350 kilowattheures (kWh) par mètre carré et par an – les fameuses « passoires thermiques ».
Seuls les bailleurs sociaux font le travail sur leur propre parc, dont il ne reste que 20 % des logements à réhabiliter, mais ce n’est pas le cas du parc privé, notamment locatif, dont 43 % des 7,2 millions de logements sont des « passoires thermiques ». C’est un enjeu non seulement climatique, mais aussi social, puisque ces appartements énergivores sont habités par des ménages modestes ainsi soumis à des niveaux de charges insupportables.
Risques de bouleversement du marché locatif
Un groupe d’une vingtaine de députés La République en marche (LRM), emmené par Marjolaine Meynier-Millefert (Isère), coanimatrice du plan de rénovation énergétique des bâtiments, a pris le premier ministre au mot et veut passer à l’action. Leur amendement propose d’interdire purement et simplement la location des passoires thermiques, d’ici à 2025 dans les zones tendues et 2028 ailleurs. Mais, bien qu’adopté en commission du développement durable, il a dû être retiré à la demande du chef du gouvernement, inquiet des risques de bouleversement du marché locatif.
« La majorité est très divisée sur cette question, entre ceux préoccupés d’écologie, qui ne veulent pas voir sans arrêt repousser les échéances, et les élus plus proches du monde du logement, explique Marjolaine Meynier-Millefert J’ai conscience que bloquer la location de ces biens jusqu’à ce qu’ils soient mis aux normes peut être anxiogène. » La divergence de vue existe également au sein du gouvernement, entre le ministre de la transition écologique et solidaire, François de Rugy, et celui chargé du logement, Julien Denormandie.
La députée compte cependant revenir à la charge dans l’hémicycle et elle a signé, lundi 24 juin, avec 34 de ses collègues et une quinzaine d’institutions – la Fondation Nicolas-Hulot pour la nature et l’homme, la Fondation Abbé Pierre, le Secours catholique, le syndicat CFDT, le think tank Terra Nova –, une lettre ouverte au premier ministre qui rappelle les propositions du candidat Emmanuel Macron, qui promettait, en 2017 : « Nous allons lancer un grand plan Marshall de la rénovation du bâtiment (…). Les passoires énergétiques seront interdites à la location à partir de 2025 (…). A cette fin, via un fonds public, nous prendrons intégralement en charge les travaux des propriétaires les plus précaires, avec un remboursement au moment de la vente du bien. »
« Traiter les passoires thermiques est l’un des leviers essentiels pour agir et il serait incongru que rien ne figure à ce sujet dans le texte », estime Mathieu Orphelin, député (non inscrit mais LRM jusqu’en février) du Maine-et-Loire, proche de Nicolas Hulot. « L’idée de ce fonds public est ingénieuse et pas si coûteuse que cela, puisqu’il se renfloue au fil des ventes qui interviennent, en moyenne, tous les sept ans. Il faut une mise de départ, à inscrire au budget 2020, mais où la trouver ? Il y a de quoi s’inquiéter que, au nom de l’équilibre budgétaire, les sommes consacrées au crédit d’impôt transition énergétique aient, dans le budget 2019, été divisées par deux », déplore-t-il.
Une situation de flou juridique et financier
Quant aux professionnels de l’immobilier, ils regimbent : « Cette mesure hérisse les bailleurs au moment où l’offre locative est déjà insuffisante dans les zones tendues, plaide Frédéric Verdavaine, directeur général délégué de Nexity, premier promoteur, gestionnaire et syndic de France. On risque de freiner la fluidité du marché locatif. »
Les trois quarts des logements concernés sont situés dans des copropriétés et leurs propriétaires n’ont donc pas, seuls, le pouvoir de décider de lourds travaux : c’est à la copropriété de les entreprendre. Cet obstacle devrait être levé par une ordonnance visant à simplifier ce processus de décision. En attendant, dans le flou juridique et financier actuel, rien ne se fera.
Le gouvernement propose, en guise de lot de consolation, d’intégrer dans les critères qui définissent le logement décent sa performance énergétique, avec un seuil minimal de consommation au-dessous duquel soit il n’est pas possible de le louer, soit le locataire peut faire baisser son loyer ou exiger des travaux. « C’est une vieille idée qui remonte à 2009, se souvient Manuel Domergue, de la Fondation Abbé Pierre, déjà inscrite dans la loi de 2015 mais affadie par son décret d’application de mars 2017, puisqu’avait disparu le critère de “seuil de consommation” pour celui, assez vague, “d’étanchéité à l’air” ».
« Toutes les “passoires énergétiques” F et G ne sont pas des logements indécents, un qualificatif que l’on peut réserver à ceux qui consomment plus de 700 kWh par mètre carré annuel, soit environ 200 000 », rectifie-t-on au ministère de la transition écologique et solidaire. Pour Manuel Domergue, « on se battra pour faire baisser ce seuil, s’il est voté, mais c’est un premier pas ».
Face à l’exigence imprévue de ses députés, le gouvernement semble improviser. Une mesure spectaculaire a ainsi été introduite in extremis. Elle vise encore les passoires thermiques F et G. Lors de leur vente, et après un audit chiffrant les travaux à réaliser, 5 % du prix serait séquestré pour financer la mise aux normes. Une idée séduisante, mais qui soulève des questions : qui réalise l’audit ? Chez qui consigner la somme ? Comment contrôler la bonne fin des travaux ? Dans quel délai les réaliser ? Des questions qui devront être tranchées au moins en partie lors du débat parlementaire.
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