Les scientifiques mettent en garde contre un « effondrement catastrophique des écosystèmes naturels ». La moitié des grillons, abeilles et autres coccinelles, essentiels aux écosystèmes et aux économies, décline partout dans le monde à une vitesse jamais vue. D’après l’Humanité et Le Monde. Lire aussi La biodiversité française décline massivement, La Convention sur la Diversité Biologique CDB - COP14 constate l’échec des objectifs fixés en 2010 et « La nature face au choc climatique » : la moitié des espèces des régions les plus riches en biodiversité menacées d’extinctions.
Le nombre d’espèces de papillons a chuté de 58 % sur les terres cultivées en Angleterre entre 2000 et 2009. A. Comas/Reuters
Les rapports scientifiques se multiplient et les constats sont à chaque fois plus alarmants. En novembre 2018, une étude publiée dans la revue scientifique numérique Plos One expliquait qu’en moins de trente ans les populations d’insectes volants avaient chuté de près de 80 % en Europe. Pour en arriver à cette conclusion les chercheurs avaient analysé les données de captures d’insectes en Allemagne depuis 1989. Cette fois, et comme si cela ne suffisait pas, la revue scientifique mondiale Biological Conservation appuie franchement sur le bouton d’alerte maximale. Selon elle, c’est plus de 40 % des espèces d’insectes qui sont en déclin et un tiers menacées. Volants, pas volants, ces petits animaux invertébrés sont en voie d’extinction et pourraient être tout simplement à l’origine d’un « effondrement catastrophique des écosystèmes naturels ».
Leur taux de mortalité serait en effet huit fois plus rapide que celui des mammifères, des oiseaux ou encore des reptiles. En moins de trente ans le total d’insectes existants sur notre planète a ainsi diminué tous les ans de 2,5 %. Parmi les plus affectés, les lépidoptères (papillons), les hyménoptères (abeilles, guêpes, fourmis, frelons), présents sur tous les continents sauf en Antarctique, et les coléoptères (scarabées, coccinelles) sont en tête de liste.
Pour les scientifiques, ce déclin vertigineux serait même comparable à l’extinction massive des dinosaures : « À ce rythme, ils pourraient disparaître d’ici un siècle. C’est très rapide. Dans dix ans, il y aura un quart d’insectes de moins, dans cinquante ans, plus que la moitié, et dans cent ans, il n’y en aura plus », déclarait il y a quelques jours au Guardian Francisco Sanchez-Bayo (université de Sydney), qui, avec Kris Wyckhuys, de l’Académie des sciences agricoles à Beijing (Chine), a collecté ces données. Ce recul des insectes, qui représentent deux tiers des espèces terrestres, remonte, toujours selon les recherches, au début du siècle dernier. Mais il s’est accéléré dans les années 1950, pour atteindre des proportions plus qu’inquiétantes ces vingt dernières années.
Les libellules vont-elles disparaître ? Comme les autres insectes, elles sont menacées d'extinction. | NAVESH CHITRAKAR / REUTERS
129 millions d’hectares de forêt ont été détruits entre 1990 et 2015
Constat établi, à quoi, dès lors, peut-on attribuer cette chronique d’une mort annoncée ? Là encore, les explications sont nombreuses et totalement identifiées. À l’origine, les chercheurs mettent en avant plusieurs facteurs et plus particulièrement la perte d’habitat pour de nombreuses espèces. L’urbanisation galopante – fin 2007 on estimait à 3,3 milliards le nombre d’habitants dans les villes, contre 220 millions en 1900 – serait l’un des facteurs clés. Mais pas le seul. Ainsi la déforestation – 129 millions d’hectares de forêt ont été détruits entre 1990 et 2015 –, la conversion agricole et bien évidemment le recours aux pesticides et engrais de synthèse – plus de 4 millions de tonnes de pesticides sont utilisées chaque année dans le monde – entreraient aussi en ligne de compte. Les nouvelles classes d’insecticides introduites tels que les néonicotinoïdes auraient encore aggravé la situation : « Ils sont utilisés régulièrement. Ils persistent dans l’environnement et finalement stérilisent les sols, tuant par exemple tous les vers blancs », explique Sanchez-Bayo. La liste est donc très longue et encore loin d’être exhaustive. Virus, parasites, espèces invasives et enfin changement climatique font aussi partie du kit des causes préjudiciables. Une étude menée en Grande-Bretagne par une équipe de biologistes britanniques a démontré, il y a peu, que les vagues de chaleur avaient des répercussions négatives sur le système reproducteur des insectes mâles et donc sur leur fertilité. L’impact de ce réchauffement aurait aussi des incidences sur les générations futures d’insectes dont la durée de vie pourrait être moins longue.
L’un des impacts majeurs : la chaîne alimentaire animale
Au-delà de la catastrophe annoncée, reste enfin à connaître les conséquences de cette hécatombe. L’un des impacts majeurs, outre les effets dévastateurs pour la végétation et l’activité agricole, sera la destruction à court et moyen terme de la chaîne alimentaire animale : oiseaux, reptiles, amphibiens, lézards et poissons se nourrissent de ces bestioles. Or, conclut l’étude, « si cette source de nourriture leur est enlevée, tous ces animaux mourront de faim ». Et avec eux, l’espèce humaine ?
Republier Réagir print Environnement BiodiverAbeille butinant une fleur de coriandre, en région parisienne: la forte mortalité des abeilles suscite une grande inquiétude en France et en Europe.
Pour les chercheurs australiens, ces pesticides tels que les néonicotinoïdes et le fipronil, introduits il y a vingt ans, sont dévastateurs. « Au total, près de la moitié des pertes de populations d’insectes sont dues à l’utilisation de ces produits, précise Francisco Sanchez-Bayo. C’est un cercle vicieux : plus nous utiliserons des pesticides pour améliorer les rendements, plus, au final, nous allons perdre en rendement par la disparition des insectes. » Le Dr Bernard Vaissière, chargé de recherche et responsable du laboratoire de pollinisation entomophile à l’INRA, apporte des précisions en répondant à ces questions.
« Les insectes sont indispensables à l’agriculture par leur rôle de pollinisateurs, qui consiste à transporter le pollen nécessaire à la fécondation d’une plante à l’autre. Ce service de pollinisation est important dans quatre grands domaines : en arboriculture fruitière, dans les cultures oléagineuses et protéagineuses, dans les cultures maraîchères et pour la production de semences. Ce dernier domaine est souvent négligé, mais il est le plus important. En effet, beaucoup de légumes, comme les carottes, les oignons, les poireaux ou les choux, n’ont pas besoin de pollinisateurs pour se développer, cependant le rôle des insectes est essentiel pour produire les semences qui vont permettre leur reproduction. Au total, 84 % des espèces cultivées en Europe pour assurer notre alimentation dépendent des insectes pollinisateurs. Ces derniers sont donc indispensables à la diversité de notre alimentation. »
" La valeur économique totale de la pollinisation par les insectes est estimée aujourd’hui à 178 milliards d’euros, ce qui représente 9,5 % de la valeur de la production agricole mondiale. Si les insectes venaient à disparaître, les conséquences sur la production seraient drastiques. Les productions chuteraient et les prix de certains produits augmenteraient considérablement. La qualité des cultures alimentaires serait également touchée, car la qualité de la pollinisation a un effet direct sur celle des produits. En allant de fleur en fleur, les abeilles transportent souvent du pollen issu d’individus d’une même espèce, mais génétiquement différents, ce qui contribue aux hybridations naturelles. Lorsqu’une fleur de pommier est mal pollinisée, cela joue sur la taille, la forme, la conservation et la teneur en sucre du fruit. Les graines des cultures oléagineuses mal pollinisées ont une teneur en huile plus faible. »
" Il y a en effet des insectes ravageurs qui posent problème aux agriculteurs en s’attaquant aux cultures (pucerons, chenilles) et d’autres qui, en régulant leurs populations, sont très utiles. Les ravageurs se développent de manière plus importante avec le réchauffement climatique, c’est le cas de la punaise diabolique, par exemple, une nouvelle espèce invasive venue d’Asie. Ces nuisibles se développent souvent parce que les autres insectes sont en régression. Quand les espèces qui assurent la régulation des populations de ravageurs disparaissent, l’équilibre écologique est rompu. »
" La réduction de l’utilisation des pesticides dans tous les milieux et le rétablissement d’un minimum de biodiversité pour assurer le gîte et le couvert des insectes pollinisateurs sont essentiels. Toutes les espèces d’abeilles sont sensibles aux pesticides, contrairement aux ravageurs qui peuvent, avec le temps, développer des résistances. Il est indispensable également de maintenir des milieux variés. L’abeille domestique, par exemple, est généraliste et peut butiner beaucoup d’espèces différentes. Les abeilles sauvages sont plus spécialisées quant à leur source de pollen et leurs sites de nidification. Il faut rétablir des environnements où leurs besoins de base sont couverts, et donc réintroduire de la biodiversité dans les environnements agricoles. »
Double défi pour le milieu agricole
L’équipe de scientifiques ne voit qu’une seule solution : repenser l’agriculture. « A moins que nous ne changions nos façons de produire nos aliments, les insectes auront pris le chemin de l’extinction en quelques décennies », alertent-ils. La restauration des habitats, associée à une réduction drastique des pesticides, serait probablement le moyen le plus efficace de rétablir les populations, en particulier dans les zones d’agriculture intensive, selon le rapport.
Il est indispensable aussi d’augmenter la diversité biologique des milieux cultivés, estime Jean-Claude Streito. « La replantation de haies, la mise en place de bandes enherbées, la plantation de zones fleuries et tout ce qui diversifie les espèces végétales dans le temps et dans l’espace sera favorable au retour de la diversité des insectes », avance le chercheur de l’INRA.
Le milieu agricole fait face à un double défi : produire des denrées alimentaires pour satisfaire la demande croissante d’une population qui augmente, mais sans basculer dans une alimentation qui abuse des intrants et détruit les écosystèmes.