Alors que les énergies renouvelables sont présentées sur le Vieux Continent comme une source d’avenir et d’emploi, un accord signé entre quatre pays européens et le roi Mohammed VI pourrait mettre à mal cette perspective. Par Éric Serres le mercredi 30 Janvier 2019 pour l'Humanité. Lire aussi Climat : à Bruxelles, la France lâche les renouvelables, « Donner aux citoyens et aux territoires le pouvoir d’agir » contre le réchauffement climatique et Un coup de pouce Vert pour les Electrons solaires !
Noor, dans la province de Ouarzazate, va devenir la centrale solaire thermodynamique la plus importante de la planète. Chine nouvelle/Sipa
On annonçait les énergies renouvelables créatrices d’emploi en France. Et c’est le cas : « 100 000 personnes travaillent à ce jour dans ce secteur », se félicite Cyril Carabot, du Syndicat des énergies renouvelables (SER). On en prévoit 900 000 d’ici à 2050, selon les calculs de l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie. Pourtant, dans ce tableau aux lignes presque parfaites se cachent déjà quelques points de rupture qui froissent le regard. Ainsi – et c’est passé inaperçu ou presque –, le mercredi 19 décembre 2018, à Bruxelles, l’Allemagne, l’Espagne, la France, le Portugal et le Maroc se sont engagés pour l’intégration des marchés libres d’électricité de source renouvelable entre les entreprises. En clair, il s’agit de lever les barrières réglementaires et physiques afin de faciliter le commerce transfrontalier entre producteurs d’électricité renouvelable – plus particulièrement le Maroc – et les entreprises consommatrices de cette électricité en Europe. Cette initiative, qui a été saluée par le SER comme « un renforcement des interconnexions entre pays et non une concurrence accrue », en inquiète d’autres. L’idée n’est pas nouvelle : « Il y a une dizaine d’années, les Allemands avaient déjà imaginé un immense projet de panneaux solaires dans le désert nord-africain afin d’alimenter l’Europe en énergies propres », avoue Cyril Carabot. Jugée trop néocolonialiste, l’idée avait été abandonnée.
Alors, que penser de cet accord ? Pour Aurélien Bernier, auteur du livre les Voleurs d’énergie, cela fleure bon le cheval de Troie dans lequel se cacherait le futur grand marché européen de l’énergie, la fin des services publics de l’énergie, mais aussi celle des tarifs régulés. Pour lui, « cela commence par un marché réservé aux entreprises et, demain, le consommateur lambda y sera intégré avec tous les risques que cela comporte ». Derrière ce premier coup de boutoir, l’essayiste dénonce les principes mêmes du libéralisme, qui met en œuvre son « postulat : aller chercher la matière première là où elle est la moins chère à produire. Ce qui a été valable pour le pétrole peut l’être aussi pour les énergies renouvelables. Finalement, cette libre circulation des énergies aura un effet pervers et sera le frein à la création d’emploi dans ce secteur », avance-t-il. Et de confirmer : « L’énergie produite chez nous à un certain coût pourra l’être au Maroc à un moindre coût. Il y a du soleil toute l’année, le vent souffle régulièrement en été sur les côtes et la main-d’œuvre n’est pas chère. Pourquoi dès lors investir en France ? »
« Le royaume va produire le kilowattheure le moins cher au monde à partir de l’éolien »
De fait, le Maroc est en train de se positionner comme un exportateur plus que potentiel vers l’Europe « et beaucoup moins vers le reste de l’Afrique », précise encore Aurélien Bernier. Le royaume peut déjà compter sur une interconnexion avec l’Espagne qui, signe des temps, sera bientôt renforcée. Dans l’hebdomadaire le Point Afrique, on peut ainsi lire que « le Maroc est bien parti pour atteindre, voire dépasser, l’objectif de produire 42 % d’énergie renouvelable en 2020 et 52 % à l’horizon 2030 ». En moins de dix ans, en ouvrant son marché de l’énergie au secteur privé, ce pays s’est imposé comme un champion africain des énergies renouvelables. Le royaume chérifien a ainsi réussi à connecter la plus grande centrale solaire au monde et plusieurs nouveaux parcs éoliens au réseau électrique. Le complexe solaire Noor (province de Ouarzazate) va devenir la plus grande centrale solaire thermodynamique de la planète. À l’issue du projet, le complexe fournira non seulement de l’énergie à plus d’un million de ménages marocains, mais pourra aussi l’exporter vers l’Europe. Et, comme si cela ne suffisait pas, « notre pays s’apprête à produire le kilowattheure le moins cher au monde à partir de l’éolien », s’est réjoui récemment Abderrahim El Hafidi, secrétaire général du ministère de l’Énergie, des Mines et du Développement durable.
De quoi intéresser l’Europe et plus particulièrement la France, qui affiche un retard dans son développement des ENR sans vraiment vouloir accélérer le processus. Selon l’agence de presse Euractiv, le Conseil d’État, en abrogeant en décembre 2017 un décret donnant aux préfets régionaux la responsabilité d’accorder les permis environnementaux nécessaires à la construction de champs d’éoliennes, a mis un sérieux de coup de frein au développement de celles-ci dans notre pays. « Plus personne ne peut plus en effet les délivrer à ce jour. La question de l’autorité compétente pour les permis est en suspens depuis plus d’un an. Aucun nouveau projet ne peut se développer », déplore Giles Dickson, PDG de l’association d’entreprises WindEurope. Le ministère de la Transition écologique et solidaire n’arrive d’ailleurs même plus à le cacher. Le nombre de projets d’éoliennes autorisés a chuté de 22 % entre 2017 et 2018. « En 2018, 103 parcs éoliens ont été autorisés pour une puissance installée cumulée de 1 510 MW », indique le cabinet du ministère à l’Écologie. La situation est encore plus problématique pour l’éolien en mer.
En France, pas un seul projet de parcs éoliens en mer n’a vu le jour
Depuis que la France s’est engagée en 2012 à construire le premier parc expérimental du pays au large des côtes bretonnes, pas un seul projet n’a vu le jour. Vendredi dernier, le gouvernement, en donnant la feuille de route de la nouvelle programmation pluriannuelle de l’énergie portant sur les périodes 2019-2023 et 2024-2028, a laissé entrevoir ce que serait l’avenir. Certes, et conformément à la loi de transition énergétique de 2015, il est indiqué qu’il y aurait 40 % d’énergies renouvelables dans la production d’électricité en 2030, mais, dans le même temps, a été repoussée de dix ans l’échéance des 50 % de nucléaire dans le mix énergétique. Une manière à peine déguisée de décourager les volontés vertes sur notre territoire.
Le royaume chérifien veut faire du Sahara occidental sa poule aux œufs verts
Occupé par les armées marocaines depuis 1975, ce territoire pourrait devenir l’eldorado des voleurs de production énergétique propre. Le roi Mohammed VI du Maroc, en demandant récemment de réviser à la hausse les ambitions initialement projetées en matière d’énergies renouvelables afin de dépasser l’objectif actuel de 52 % du mix électrique à l’horizon 2030, a omis de dire que, pour partie (voir la carte), cette hausse se ferait sans doute par l’implantation de nombreuses centrales au Sahara occidental, pourtant considéré par l’ONU comme la dernière question coloniale restante en Afrique. Selon WSRW, ONG qui travaille pour la reconnaissance des droits du peuple sahraoui, c’est la goutte d’eau de trop : « Une part croissante des programmes d’énergies renouvelables, dont se vante le Maroc, n’est pas implantée au Maroc, mais au Sahara occidental, territoire qu’il occupe illégalement et brutalement depuis 1975. » À ce rythme et dès 2020, plus d’un quart de toute la production d’énergie verte du Maroc sera situé dans ce territoire.
L’Europe encourage le Maroc à accélérer le pas
Dans son rapport, WSRW explique encore que le Maroc projette de construire des centrales à énergie renouvelable au Sahara occidental pour plus de 1 000 MW (mégawatts), et ce, au grand dam des Sahraouis totalement exclus de tous ces processus. À ce jour, la production d’énergie solaire et éolienne au Sahara occidental ne constitue que 7 % de la production énergétique totale du Maroc, mais, d’ici à 2020, cette part pourrait atteindre les 26,4 %. Face à cela, l’Europe ne pipe mot et encourage même le Maroc à accélérer le pas. Dans l’après-midi du 16 janvier 2019, le Parlement européen a approuvé l’application au Sahara occidental d’un nouvel accord commercial entre l’UE et le Maroc. Une manière de s’asseoir sur la décision, en 2016, de la Cour de justice de l’Union européenne, qui avait décidé que la conclusion de ce type d’accord avec le Sahara occidental constituait une violation du droit de l’UE sans le consentement du peuple de ce territoire. Une façon de permettre aux énergéticiens européens, déjà très présents au Maroc, de participer à la curée. Ainsi retrouve-t-on impliqués dans divers projets de production d’énergies vertes dans le royaume chérifien l’allemand Siemens Wind Power, l’italien Enel Green Power ou encore les français Engie et EDF– qui, en décembre dernier, a d’ailleurs remporté un appel d’offres pour une centrale solaire de 825 mégawatts dans le centre du Maroc.
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