Depuis 2016, la pollution à la paraffine industrielle sur le littoral est fréquente. Issue du transport maritime, son impact sur l’environnement et l’économie des communes touchées inquiète. D'après Sylvie Burnouf le 24 octobre 2018 pour Le Monde. Lire aussi La pollution chimique gagne les abysses et Accord pour diminuer la pollution du fret maritime.
Plus discrète que les marées noires, moins fétide que les algues en décomposition, la pollution à la paraffine industrielle passerait presque inaperçue, si elle ne recouvrait parfois par tonnes les plages du littoral. Apportée par la marée sous forme de boulettes blanches, jaunes, grises ou rosâtres, elle s’éparpille sur le sable ou ponctue les rochers, tels des petits paquets de pâte à modeler. Peu de doutes subsistent quant à sa provenance : transportée par navire à une température assez élevée pour être liquide, cette substance est rejetée en mer par les équipages lors du nettoyage des cuves, et se fige rapidement au contact de l’eau froide.
La pratique n’est pas illégale – pour peu que certaines conditions, notamment de volume et de distance par rapport aux côtes, soient respectées – mais la question des impacts est posée, tant du point de vue écologique ou sanitaire qu’économique. La limitation du rejet des paraffines industrielles en mer est d’ailleurs à l’ordre du jour de la 73e session du Comité de la protection du milieu marin (MEPC) de l’Organisation maritime internationale (OMI), qui se déroule du 22 au 26 octobre. Une disposition bannissant le rejet d’eaux de lavage en mer pour les navires transportant ce type de substances devrait y être adoptée, mais elle ne concerne que certaines zones d’Europe.
Le phénomène ne connaît pas de frontières. En France, au cours des dernières vacances d’été, deux alertes sont parvenues au Centre de documentation, de recherche et d’expérimentation sur les pollutions accidentelles des eaux (Cedre), implanté à Brest, pour des boulettes flottantes ou échouées en Méditerranée et dans le Calvados.
« Une pression de plus sur le milieu naturel »
Sur la Côte d’Opale (Hauts-de-France), le phénomène est presque devenu banal : ces deux dernières années, six arrivages de taille ont été dénombrés. « En juillet de l’année dernière, on s’est carrément retrouvés avec 30 tonnes sur le littoral », se souvient Jonathan Hénichart, président de l’association Sea-Mer, basée à Wimereux (Pas-de-Calais). Ce sont alors plus de 60 km de plages qui sont souillés.
La paraffine produit aussi ces étranges boulettes jaunes boulettes jaunes découvertes sur la plage du Ster à Penmarc'h (Finistère)
Le hic, souligne M. Hénichart, c’est que « la paraffine n’est pas ramassée assez vite ». Elle s’effrite, se fragmente, se disperse au gré des vents et des marées et se mélange au sable. « C’est une pression de plus sur le milieu naturel », déplore le militant.
Chaque année, ce sont plusieurs millions de tonnes de paraffine qui sont produites à l’échelle mondiale. La principale utilisation de ce dérivé du pétrole est la fabrication de bougies, mais il est aussi utilisé comme agent d’enrobage, isolant électrique, ou encore comme excipient dans les cosmétiques et les médicaments.
Analyses coûteuses et chronophages
Si les paraffines hautement raffinées sont généralement considérées comme non toxiques, bon nombre de cires industrielles ne présentent pas un tel niveau de pureté et peuvent renfermer des hydrocarbures aromatiques polycycliques (HAP). Les niveaux en HAP de certaines paraffines sont suffisants pour irriter la peau et les yeux, et beaucoup de ces composés sont en outre classés cancérogènes probables pour l’homme. Des solvants utilisés pour le nettoyage des cuves des navires peuvent également se mélanger à la paraffine rejetée en mer.
Selon une analyse menée en 2012 sur de la paraffine échouée sur le littoral allemand, le taux en HAP y dépassait largement les niveaux de sécurité en matière d’exposition pour les enfants. Mais de telles analyses, coûteuses et chronophages, sont loin d’être systématiques. Lorsque les agents du Cedre ou du Laboratoire d’analyse, de surveillance et d’expertise de la marine (Lasem) reçoivent des échantillons pour analyse, c’est souvent essentiellement pour en identifier la nature et la discerner de certaines huiles végétales comme l’huile de palme, dont les reliquats peuvent aussi être rejetés en mer. Mais « on ne recherche pas les contaminants potentiels », confirme Camille Lacroix, chercheuse au Cedre. Selon le coordinateur scientifique et technique du Cedre, Loïc Kerambrun, les risques pour l’homme restent faibles, dès lors que l’on évite le contact prolongé avec ces substances et que l’on n’en ingère pas.
De la paraffine dans l’estomac des oiseaux
Qu’en est-il des risques pour les écosystèmes ? Car même si des efforts sont faits pour éliminer cette pollution, il est compliqué, dans les faits, de parvenir à nettoyer de façon exhaustive les zones souillées. Faute d’études poussées sur le sujet, difficile d’appréhender l’impact réel de la persistance de cette pollution dans l’environnement. Mais des observations ont montré que des animaux ingurgitent les boulettes. Au détour de recherches sur l’ingestion de déchets plastiques par les oiseaux marins, l’équipe du biologiste Jan van Franeker (université de Wageningue, Pays-Bas) a par exemple constaté la présence de paraffine dans l’estomac de fulmars boréaux, en mer du Nord. Environ 20 % des oiseaux autopsiés étaient concernés. Ces morceaux pourraient avoir altéré l’alimentation correcte ou même obstrué les voies digestives des animaux.
Les poissons, les organismes filtreurs ou encore les détritivores, qui se nourrissent dans les laisses de mer, sont aussi susceptibles d’être affectés, déplore Sea-Mer Asso. Avec, pour effet, la contamination de toute la chaîne alimentaire, par bioaccumulation.
L’argument économique en faveur d’un changement de la réglementation sur le rejet de paraffine industrielle en mer est de poids. En cas d’échouage massif, c’est la double peine pour les communes : non seulement elles pâtissent d’une mauvaise image touristique, mais elles doivent, de surcroît, financer le coût du nettoyage. Car il n’est techniquement pas possible, à partir de la simple analyse des boulettes, de déterminer « si le rejet a été licite ou non (…) et quel navire a pu procéder au relâchement de ces substances », affirme le Lasem. De ce fait, « une action répressive est (…) quasi impossible. »
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