La contestation grandit au sein de l’Office national des forêts. À l’appel d’une large intersyndicale, les agents organisent cet automne une « marche pour la forêt ». L’objectif : défendre ce « bien commun » menacé par des choix productivistes. D'après Alexandra Chaignon le jeudi 4 octobre 2018 pour l’Humanité. Lire aussi « Le Temps des forêts » : l’exploitation de la forêt est entrée dans la démesure et Sylvothérapie : « les bains de forêt » améliorent votre santé.
Marche à Mulhouse vers la forêt de Cerilly, le 26 septembre. Thierry Gachon/Photopqr/L’Alsace/Maxppp
« On vient de traverser la forêt du Doubs. On y trouve encore une grande variété de feuillus gigantesques, avec une véritable biodiversité. » Garde forestier au sein de l’ONF (Office national des forêts) mais aussi secrétaire général du syndicat Snupfen Solidaires, Philippe Berger ne se lasse pas d’évoquer ce « bien commun », « malheureusement » de plus en plus soumis aux lois du marché. C’est pourquoi, depuis le 26 septembre dernier, il participe quotidiennement à la « marche pour la forêt », une initiative portée par le personnel de l’ONF, constitué en une large intersyndicale, avec le soutien d’associations environnementales, pour dénoncer « l’industrialisation de la forêt publique et la privatisation de sa gestion ».
Philippe Berger, lui, est parti de Mulhouse – sachant que trois autres parcours coexistent (au départ de Strasbourg, Perpignan et Valence), pour converger à pied en forêt de Tronçais, dans l’Allier, le 25 octobre, où un grand rassemblement s’y déroulera. « Chaque jour, nous sommes entre 25 et 60 à marcher », constate le syndicaliste, tout en expliquant les origines de cette action. Celle-ci s’inscrit dans une lutte opposant depuis des années les agents à leur direction, sur fond de réforme : saignée des effectifs, dégradation des conditions de travail, instauration de critères de rentabilité. « La marche, c’est le résultat d’une longue exaspération », résume Gilles Quentin, de la CGT forêt.
Un modèle économique intenable
La racine du problème, tous les syndicats la dénoncent, c’est la privatisation de la gestion des forêts. Depuis sa création, en 1964, l’ONF tire l’essentiel de ses revenus de la vente de bois. En 2016, le dernier contrat d’objectifs et de performance pluriannuel prévoit de prélever en 2020 environ 1 million de mètres cubes de bois supplémentaires par rapport à 2014. « Ce mode de financement est bancal : le cours du bois n’ayant cessé de chuter depuis cinquante ans, cela accentue la pression pour toujours couper plus de bois, explique le secrétaire du Snupfen. On se retrouve à remplir des objectifs de coupe commerciale du bois, en contradiction avec la gestion à long terme que nécessite la forêt. Accaparés par les tâches les plus rentables, on est contraint d’en délaisser d’autres, décisives, comme l’entretien des forêts, l’accueil du public ou la surveillance… »
Découpe forestière et sociale
« Protection, biodiversité et accueil du public sont sacrifiés sur l’autel de la rentabilité de court terme. Les forêts sont de plus en plus considérées comme de vulgaires usines à bois à mettre au service de l’industrie », dénonce l’intersyndicale dans un tract. « Le personnel souffre d’une perte de sens », confie Gilles Quentin, évoquant « une période noire qui a abouti à des suicides ». Sans parler du climat social délétère, dénoncé par l’intersyndicale, qui a poussé en septembre 2017 cinq syndicats à démissionner des instances représentatives du personnel de l’ONF. « Le dialogue est rompu avec cette direction, qui va jusqu’à mettre les syndicats au tribunal », illustre la CGT. Sans compter qu’entre 2002 et 2016 un quart des effectifs a été supprimé. « Nous étions 16 000 en 1986. Aujourd’hui, on est à 8 500. On est à l’os. On n’est plus en capacité physique d’assurer la gestion des forêts », estime Philippe Berger. « 226 suppressions sont prévues en 2019. Et 1 600 postes en moins d’ici à 2022, a calculé Gilles Quentin. En outre, lorsqu’il remplace, l’office embauche des salariés de droit privé et non plus des fonctionnaires. Quand les fonctionnaires seront minoritaires, le statut de l’établissement changera. L’objectif, c’est la privatisation de l’établissement. L’ONF a été configuré pour devenir une entreprise privée. »
« Cette pression aboutit à une perte de la biodiversité, alerte également Philippe Berger. Un chêne, c’est 160 à 250 ans. Du coup, les industriels mettent une forte pression pour que l’on reboise plus de résineux, à la croissance rapide. En clair, on demande à la forêt de s’adapter à l’industrie. On est en train d’industrialiser la forêt. Aujourd’hui, on assiste à une fuite en avant de surproduction de bois qui va au-delà de la capacité de la forêt à se renouveler.
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