Les deux semaines de négociations climat qui se sont achevées jeudi à Bonn n’ont pas permis de suffisamment avancer sur les règles de fonctionnement de l’accord de Paris. De nouvelles discussions sont prévues à Bangkok en septembre avant la COP 24 de décembre en Pologne. D’après Reporterre et Libération le 11 mai 2018. Lire aussi 2018 : les vrais chiffres des financements climat, COP23 : Pas de sursaut face à l’urgence climatique et Réchauffement climatique : le rappel à l’ordre des pays vulnérables.
Il reste du pain sur la planche avant d’aboutir à un « mode d’emploi » de l’accord de Paris, qui vise à contenir le réchauffement mondial sous les 2°C, voire 1,5°C, par rapport à l’ère préindustrielle. C’est le bilan qui ressort de la session intermédiaire de négociations climatiques, qui se sont déroulées du 30 avril au 10 mai à Bonn (Allemagne). « Cette réunion avait plusieurs objectifs, avec l’idée de faire de 2018 une année tremplin pour donner de la crédibilité à l’accord de Paris, explique Lucile Dufour, du Réseau action climat (Rac). Premier enjeu : quelles règles d’application et de fonctionnement de l’accord de Paris définir, qui soient suffisamment robustes ? Deuxième enjeu : comment renforcer les contributions nationales [c’est-à-dire les feuilles de route dans lesquelles les États indiquent leur objectif de réduction des émissions de gaz à effet de serre et les politiques menées pour l’atteindre] car celles qui ont été soumises en 2015 ne sont pas suffisantes pour contenir le réchauffement climatique sous la barre des 2 °C ? Et enfin : quel soutien financier apporter aux pays en développement ? »
Tout d’abord, le mode d’emploi de l’accord de Paris, appelé le « roadbook » dans le jargon onusien. « Il s’agissait de définir les règles qui vont permettre aux États de construire des engagements ambitieux, de revoir leurs engagements tous les cinq ans à l’occasion d’un bilan mondial et de créer un mécanisme de reporting pour qu’ils rendent compte de ces engagements. », détaille Lucile Dufour. La pression pour avancer sur ce texte était forte, car l’accord de Paris prévoit qu’il soit adopté lors de la COP24, en décembre 2018 en Pologne. « Bonne nouvelle, les négociateurs sont venus pour travailler, dans un état d’esprit constructif, apprécie la spécialiste des négociations climatiques au Rac. Du travail a été fait et on a avancé sur certains points, par exemple sur les modalités du bilan mondial tous les cinq ans ou sur la mise en place d’un mécanisme de transparence. »
Las, ces progrès n’ont pas été suffisants. Patricia Espinosa, la responsable climat de l’ONU, a annoncé qu’aucun texte de négociation ne serait adopté lors de la plénière de clôture, jeudi 10 mai. « Il s’agit plutôt de notes informelles thématiques sur la comptabilisation des financements climat, les modalités du bilan mondial... plus ou moins longues en fonction de l’avancement des travaux », explique Armelle Le Comte, d’Oxfam.
2018 année cruciale pour les négociations sur le climat
Pour éviter la surchauffe lors de la COP24, une nouvelle semaine de négociations intermédiaires a été prévue en septembre à Bangkok (Thaïlande). « Les négociations sont rendues complexes par plusieurs facteurs. Tout d’abord, il y a de nombreuses règles à fixer sur de nombreux thèmes – reporting, adaptation... – qui ont des ramifications entre eux. Ce qui fait que beaucoup de négociateurs se regardent en chiens de faïence, et attendent pour lâcher sur un thème de voir sur quels thèmes les autres lâcheront, analyse Lola Vallejo, directrice climat à l’Iddri. Par ailleurs, les négociations sont ralenties par l’idée que les différents thèmes doivent avancer de manière équilibrée : les règles de reporting et de revue des engagements ne peuvent pas être fixées sans les règles sur la transparence des financements climat, etc. » Pour autant, ces pesanteurs ne devraient pas bouleverser le calendrier. « Pour l’instant, on n’a pas entendu de voix discordante qui mette en doute l’adoption du roadbook lors de la COP24 », assure Armelle Le Comte.
En septembre également, du 12 au 14, se tient le Climate Action summit en Californie, grand rendez-vous des acteurs non-étatiques engagés sur le climat et qui aura une résonance particulière alors que Donald Trump multiplie les politiques climaticides. En octobre, le groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) publiera son très attendu rapport sur l’état d’un monde à +1,5°C, commandé lors de la COP21. Le tout pour donner une dernière impulsion avant la COP24 dont la présidence polonaise n’annonce pas un grand volontarisme.
En parallèle de ces négociations formelles s’est ouvert le « dialogue Talanoa », lancé par la présidence fidjienne de la COP. L’idée était d’encourager les États à relever leurs ambitions en matière de lutte contre le changement climatique, sachant que les engagements de réduction d’émissions de gaz à effet de serre pris jusqu’à présent conduiraient à un monde à +3°C . Et que les trois dernières années ont été les plus chaudes jamais enregistrées, avec des émissions de CO² reparties à la hausse en 2017.
« La discussion a eu lieu dimanche au cours de plusieurs tables rondes entre représentants des États et acteurs non-étatiques. Chaque table ronde devait répondre aux trois questions posées par le dialogue de Talanoa : Où en est-on ? Où veut-on aller ? Comment y parvenir ? L’idée était que les participants partagent des histoires et des expériences, de manière plus libre, et de créer une atmosphère de confiance et de bienveillance », explique Lucile Dufour. Lola Vallejo, qui a participé à ce dialogue, le trouve « intéressant. Les îles Fidji ont fait évoluer leur mandat d’un processus technique à quelque chose d’autre, davantage basé sur une atmosphère, presque un sentiment. Talanoa est une manière de résoudre les conflits. Aborder la question du climat par le biais d’histoires a permis de créer de l’empathie et de l’émotion. » Reste à savoir si ce dialogue va déboucher sur des décisions concrètes. « Le fait que les engagements des États soient insuffisants pour respecter les objectifs de l’accord de Paris était déjà connu. Et il est difficile de voir comment ce dialogue va être transformé en un relèvement concret des ambitions, poursuit la directrice climat de l’Iddri. Aucune déclaration claire n’a été faite à ce sujet. On attend de voir comment ce dialogue va se poursuivre pendant la phase politique de la COP24. »
Pour Sandrine Maljean-Dubois, chercheuse au CNRS, spécialiste des négociations climat, l’épreuve de vérité sera la publication à l’automne du rapport spécial du Giec consacré à l’objectif de 1,5 °C. Des éléments de ce rapport ont déjà fuité. Ainsi, d’après le Giec, dans les conditions actuelles, le monde atteindrait +1,5°C d’ici les années 2040. Et le groupe intergouvernemental d’étude du climat estime « extrêmement improbable » de ne pas dépasser 1,5°C sans transformations drastiques et immédiates. « Il faut ajouter à cela que le Giec a toujours un temps de retard, puisqu’il ne produit pas de savoirs mais synthétise des études, alerte Sandrine Maljean-Dubois. C’est ainsi que le dernier rapport du Giec présente une hausse de 2 °C comme un seuil de sécurité, mais que les études les plus récentes montrent qu’il existe une énorme différence, en termes d’impact, entre un réchauffement de 1,5 °C et de 1,8 °C. »
Enfin, l’épineuse question des financements a une nouvelle fois été mise sur la table. « Pour l’instant, on reste sur la position habituelle des pays en développement qui veulent des signaux concernant la promesse faite par les pays développés à Copenhague, de leur apporter 100 milliards de dollars par an de financements climat à partir de 2020 », rapporte Armelle Le Comte. Le roadbook doit contenir des règles sur la comptabilisation des financements climat, mais « toutes les options sont encore sur la table », indique la spécialiste financements climat d’Oxfam. Deux éléments de contexte devraient toutefois alimenter les discussions : la recapitalisation prochaine du Fonds vert et un récent rapport d’Oxfam, qui montre que les pays développés sont encore loin du compte : selon ses estimations, le montant total des financements climat publics déclarés par les bailleurs s’élève à 48 milliards de dollars par an, dont seuls 16 à 21 milliards de dollars aideraient réellement les pays du Sud.
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