À l'ouverture de la pré-COP22 de Marrakech, l'OCDE note une hausse des flux financiers du Nord vers le Sud par Simon Roger pour Le Monde du 19 octobre 2016.
À suivre le rythme soutenu de ratification de l'accord de Paris sur le climat – par 81 pays représentant 60 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre –, on en conclurait presque que la mobilisation de la communauté internationale, saluée fin 2015, avance sans encombre.
Ce serait omettre un autre dossier clé de la réussite de l'après-COP21, celui du financement des 100 milliards de dollars par an (91 milliards d'euros) promis, d'ici à 2020, par les pays du Nord à ceux du Sud confrontés aux effets du réchauffement. Une vieille promesse qui date de la conférence de Copenhague, en 2009, mais qui est toujours vivace dans les pays en développement et qui en fait un test de confiance face à la parole donnée par les pays industrialisés.
Ces derniers l'ont bien compris, commandant aux experts de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) une " projection des finances climat vers l'objectif 2020 des 100 milliards de dollars "
La date est opportune. Mardi débute à Marrakech, au Maroc, où se tiendra la prochaine conférence climat en novembre, une session ministérielle de deux jours pour faire le point sur l'avancée des sujets. La ministre française de l'environnement, Ségolène Royal, qui supervise la présidence tricolore de la COP, s'est donc envolée pour cette " pré-COP " avec dans ses bagages la note technique de 44 pages de l'OCDE qui doit être au cœur des discussions des 18 et 19 octobre.
Que dit le document ? Les trente-huit pays signataires du rapport, commandé par les coprésidences française et marocaine et piloté par l'Australie et le Royaume-Uni, tentent d'envoyer un signal positif :
Un message politique assorti de deux chiffres forts. Grâce aux engagements annoncés par divers États en 2015, les financements publics pourraient représenter à eux seuls 67 milliards de dollars en 2020, alors qu'une précédente analyse de l'OCDE, en octobre 2015, estimait ces flux à 42 milliards, en moyenne, sur les années 2013 et 2014.
Autre indication intéressante, l'OCDE évalue les conséquences des financements publics sur la mobilisation de fonds privés (on parle d'effet de levier). L'addition du public et du privé pourrait atteindre 77 milliards de dollars en 2020 selon l'hypothèse la plus basse… ou 133 milliards selon le scénario le plus optimiste ! La fourchette risque de dérouter plus d'un pays en développement face à l'objectif des 100 milliards. " Plus de 90 milliards de dollars de finance climat, publique et privée, devraient être mobilisés au total en 2020 ",
Prise de conscience
Ce choix de privilégier des hypothèses plutôt qu'une valeur moyenne s'explique. Dans la première photographie réalisée en octobre 2015, les statisticiens de l'OCDE avaient estimé ce montant à 52 milliards de dollars en 2013 et à 62 milliards en 2014. Censé conforter l'idée que la mobilisation financière progressait, le calcul avait eu l'effet inverse, déclenchant l'ire des pays du Sud qui jugeaient la somme très insuffisante.
Pour autant, les pays de l'OCDE ne pouvaient faire l'impasse sur l'actualisation des données et la définition de cette " feuille de route des 100 milliards " qui figure noir sur blanc dans les décisions de l'accord de Paris. " Les pays industrialisés se savaient attendus au tournant, observe Armelle Le Comte, de l'ONG Oxfam France. Le financement a été le point faible de l'accord de Paris. "
Cette prise de conscience collective des pays de l'OCDE était d'autant plus urgente que la comptabilisation financière avance lentement du côté des Nations unies (ONU), qui envisagent de rendre leur propre synthèse en mai 2017. Trop tard pour la présidence française de la COP21, à quelques semaines du passage de témoin, le 7 novembre, au Maroc. " Sur la ratification comme sur le financement, la dynamique avance ", assure Ségolène Royal.
Plus timorées, les ONG rappellent la faiblesse des financements spécifiquement mobilisés pour l'adaptation au changement climatique. Ces derniers devraient doubler, de 8 à 16 milliards de dollars, d'ici à 2020, indique l'OCDE. Mais " cela reste largement insuffisant au regard des besoins sur le terrain. L'adaptation n'atteindrait en 2020, malgré cette augmentation, que 20 % des 100 milliards de dollars promis, insiste Armelle Le Comte. Or, l'ONU estime que les coûts de l'adaptation pourraient atteindre d'ici à 2030 entre 140 et 300 milliards de dollars. "
" Sur ce volet, le travail de l'OCDE n'est pas terminé, reconnaît Marie Scolan, co-auteure avec Pierre Ducret de Climat, un défi pour la finance (à paraître le 20 octobre, Les Petits Matins). Le financement de l'adaptation est un sujet complexe, très lié aux circonstances locales des pays bénéficiaires. Par ailleurs, pour des enjeux de négociations politiques, cette problématique a été isolée, alors qu'il faudrait l'intégrer à la question plus large du financement du développement durable. "
" Un dossier mineur "
Ces deux spécialistes de la stratégie climat de la Caisse des dépôts voient dans le rapport du 17 octobre un réel effort de clarification des chiffres, difficile à mener puisque la feuille de route est pluriannuelle alors que les ministres des finances raisonnent en programmation budgétaire annuelle. Le sujet du financement climat n'est plus délaissé par les grands argentiers, constatent les deux économistes.
Ils louent aussi " un inventaire intéressant, qui commence à lister les outils de financement public capables de déclencher des financements privés ". Le document détaille en effet les divers mécanismes à l'œuvre : fonds vert pour le climat, initiative pour les énergies renouvelables en Afrique, actions propres à certains pays, etc.
" À l'échelle du financement de la transformation de l'économie mondiale, le dossier des 100 milliards de dollars est mineur, ajoute tout de même Pierre Ducret. Le sujet essentiel, c'est la mobilisation de l'épargne domestique partout dans le monde, qui représente, elle, des millions de milliards. "
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