L'Union européenne, au terme d'une procédure inédite, a donné son feu vert à une ratification du traité de Paris
Par Simon Roger pour Le Monde le 1er octobre 2016
Un an après le sommet de la COP21 et son accord universel pour contenir le réchauffement, la conférence prévue du 7 au 18 novembre à Marrakech (COP22) ne devait être qu'un point d'étape. Finalement, elle pourrait constituer un moment décisif dans l'histoire de la gouvernance climatique puisque, selon toute vraisemblance, c'est au Maroc qu'entrera en vigueur l'accord de Paris sur le climat.
Cette hypothèse, improbable il y a encore un mois, a pris de l'épaisseur vendredi 30 septembre avec l'adoption par le conseil des ministres européens de l'environnement, à Bruxelles, d'un projet de décision validant la ratification de l'Union. Le document autorise également les Etats membres à rejoindre individuellement le texte de Paris, et non de manière simultanée, comme le veut la pratique communautaire habituelle. Dimanche 2 octobre, date anniversaire de la naissance du Mahatma Gandhi, l'Inde devrait à son tour adresser au secrétariat des Nations unies sa notification de ratification : le premier ministre Narendra Modi s'y est personnellement engagé.
Pour entrer en vigueur, le compromis adopté le 12 décembre 2015 doit recueillir l'assentiment d'au moins 55 pays (sur les 195 États investis dans les négociations) représentant au moins 55 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre. Le premier seuil a été franchi le 21 septembre à New York, à l'occasion de la rencontre des chefs d’État organisée en marge de l'assemblée générale de l'ONU. Ce jour-là, 31 pays ont rejoint l'accord de Paris, portant à 60 le nombre de ratifications et à 48 % la part des émissions couvertes.
La barre des 55 % paraissait plus difficile à atteindre alors que plusieurs grands pays émetteurs manquent encore à l'appel – le Canada, l'Australie, le Japon ou la Russie – et que l'Union européenne (UE) est paralysée par des dissensions internes sur sa politique climat. Sous la houlette de la ministre de l'environnement, Ségolène Royal, la présidence française de la COP21 s'est donc activée dans les coulisses de Bruxelles. S'appuyant sur une note commandée en mai au service juridique du Conseil, la France s'est d'abord appliquée à convaincre ses partenaires que la répartition des efforts de réduction des émissions n'était pas un préalable à la ratification.
Durant l'été, elle a obtenu des services juridiques de l'ONU l'assurance que les États membres de l'UE seraient comptabilisés individuellement dans le calcul des 55 % (et non comme un ensemble régional). " Il a fallu soulever une à une les objections, avance Ségolène Royal. Des pays comme la Pologne ont été durs à convaincre, mais tout le monde a compris que l'urgence climatique supposait une urgence dans les procédures européennes. "
La décision adoptée à l'unanimité le 30 septembre ne sera définitivement entérinée qu'après un vote du Parlement européen, mardi 4 octobre. Un examen qui ne devrait pas poser problème. " Dans toutes ses résolutions relatives à la COP, le Parlement demande une ratification rapide de l'accord et de plus grandes ambitions pour le climat et la transition énergétique ", assure le député européen Yannick Jadot, qui s'inquiète en revanche du décalage entre la dynamique diplomatique et la faiblesse des engagements concrets en faveur de la transition énergétique.
" Il fallait accélérer le pas "
Après un délai procédural de 24 heures, six Etats membres – l'Allemagne, l'Autriche, la France, la Hongrie, Malte et la Slovaquie – comptant pour 4,39 % des émissions mondiales, rejoindront l'accord climat le 5 octobre. Ajoutées aux 4,1 % d'émissions imputées à l'Inde, le seuil des 55 % sera donc franchi à cette date.
" Si les 55 % n'étaient pas atteints le 7 octobre, le rendez-vous de Marrakech - qui débute le 7 novembre - ne marquerait pas l'entrée en vigueur de l'accord ", souligne Ralph Bodle, expert à l'Institut écologique de Berlin, rappelant que l'accord climat ne peut s'appliquer que trente jours après le dépôt des ratifications. Puisque le scénario des 55 % est désormais crédible, " l'UE veut être en mesure de participer pleinement à la première réunion d'entrée en vigueur ", poursuit le juriste.
" Après la ratification des Etats-Unis et de la Chine - début septembre, à la veille du G20 de Hangzhou - , l'Europe devait accélérer le pas, estime la ministre suédoise Isabella Lövin, présente à Bruxelles. Elle a prouvé aujourd'hui qu'elle n'avait perdu ni sa crédibilité ni son leadership dans ce dossier crucial. "
" Le leadership n'est plus en Europe, corrige Pascal Canfin, directeur général du WWF France. D'un point de vue climatique, c'est assez logique que les grands émergents prennent l'ascendant. D'un point de vue énergétique et industriel, c'est problématique. La dynamique de la transition énergétique, aujourd'hui, elle est en Chine. "
Sur un plan plus politique, c'est l'annonce sino-américaine qui a poussé Narendra Modi à présenter en conseil des ministres le décret de ratification. Tout comme l'Inde, qui ne souhaite pas passer pour le mauvais élève dans la mise en œuvre de l'accord de Paris, certains pays européens semblent sensibles à l'enjeu réputationnel lié à ce sujet.
Rangées parmi les États les plus hostiles à la ratification en raison notamment de ses ressources en houille et en lignite, la Pologne ne s'est pas opposée à la décision du 30 septembre. La venue de Ségolène Royal le 27 septembre à Varsovie a peut-être contribué à rapprocher les positions, mais son homologue Jan Szyszko sait surtout qu'" une ratification rapide de l'accord de Paris aiderait certainement le gouvernement polonais à améliorer son image d'enfant terrible de l'UE ", analyse Julia Michalak, de l'Institut polonais des relations internationales.
Au niveau régional, " les Etats membres d'Europe de l'Est pourraient créer une dynamique intéressante autour du climat, à l'instar de la Hongrie, premier pays avec la France à ratifier l'accord de Paris " complète la chercheuse.
" Une UE à deux vitesses "
Pologne, Danemark, Slovénie et Suède envisagent de ratifier le traité mi-octobre. Le Parlement portugais a voté le 30 septembre en faveur de la ratification, le Parlement grec devrait l'imiter le 4 octobre. Italie, Pays-Bas et Royaume-Uni espèrent parachever la procédure d'ici la fin de l'année.
La situation est floue en revanche en Belgique et figée en Espagne où le gouvernement intérimaire n'est pas habilité à enclencher la ratification parlementaire. " En dépit de la volonté politique affichée par l'Europe, il est clair que l'on se retrouve face à une UE à deux vitesses sur le climat ", constate Valvanera Ulargui, directrice générale de l'office espagnol du changement climatique.
Lorsque débutera, au Maroc, la première réunion de mise en œuvre des engagements pris à la COP21, " tout le monde pourra participer aux discussions, soumettre des propositions, mais seuls les pays ayant ratifié un mois plus tôt pourront délibérer " note Ralph Bodle. Pour éviter une situation trop inconfortable, les négociateurs envisagent d'ouvrir symboliquement cette session mi-novembre, lors du sommet des chefs d'Etat présidé par Mohammed VI, puis de la refermer très vite.
-
Les Chiffres
12 %
Part des émissions mondiales de gaz à effet de serre qui viennent de l'UE
Pris comme un ensemble régional, l'Europe à vingt-huit apparaît comme le troisième plus gros pollueur de la planète après la Chine (20,1 %) et les Etats-Unis (17,9 %), selon les chiffres de l'ONU. Derrière l'Union européenne figurent la Russie (7,5 %), l'Inde (4,1 %) et le Japon (3,8 %). Au sein de l'Union européenne, c'est l'Allemagne qui émet le plus de gaz à effet de serre (2,56 % du total mondial) devant le Royaume-Uni (1,55 %), la France (1,34 %), l'Italie (1,18 %) et la Pologne (1,06 %).
47,8 %
Part des émissions mondiales qui sont couvertes par l'accord de Paris au 1er octobre
Soixante et une parties ont jusqu'ici ratifié l'accord de Paris selon les Nations unies, soit 47,8 % des émissions.
2 °C
Hausse maximale de la température prévue par l'accord sur le climat
Le traité international, adopté le 12 décembre 2015 à Paris, prévoit de maintenir le réchauffement climatique " bien en dessous de 2 °C par rapport aux niveaux préindustriels " et de " poursuivre les efforts pour limiter la hausse des températures à 1,5 °C ".
commenter cet article …