17 septembre 2016, par Jade Lindgaard et Ellen Salvi pour Mediapart
Le sujet de Notre-Dame-des-Landes avait disparu de la politique nationale depuis l’été et la victoire du oui lors de la consultation du mois de juin sur la construction de l’aéroport. Aucune déclaration de François Hollande ni de Manuel Valls, le ministre le plus résolu à faire évacuer la ZAD de ses occupants. Ce silence ne valait pas indifférence. Petit à petit, l’État prépare les conditions nécessaires à une expulsion manu militaride la zone d’occupation.
Mardi 13 septembre, une étape décisive a été franchie avec la publication par le préfet de Loire-Atlantique de l’arrêté autorisant la destruction du campagnol amphibie, petit rongeur inscrit sur la liste rouge des espèces menacées de disparition. C’était le dernier obstacle administratif à lever avant que les travaux ne puissent être légalement entamés. Présent sur la zone du projet d’aéroport, ce mammifère protégé doit faire l’objet de mesures de compensation en cas de démarrage du chantier de construction. Des animaux doivent être prélevés et déplacés vers des emplacements en dehors de la ZAD. Mais tous ne pourront être sauvés. D’où l’obligation légale d’obtenir une dérogation à sa protection avant de lancer les pelleteuses sur la zone humide.
L’arrêté précise le calendrier possible pour l’intervention : concernant le campagnol amphibie, les secteurs d’habitat seront détruits « si possible » entre le 1er juillet et le 31 octobre, période d’absence de sol humide ou inondé (« l’assec »). Plus précisément, le maître d’ouvrage a jusqu’au 15 octobre pour missionner un expert afin de constater l’absence de sol humide. Il a ensuite quinze jours « pour réaliser les travaux, afin de limiter le risque que de nouvelles pluies rendent le milieu favorable à l’espèce ». Pour les autres espèces à protéger sur le site – notamment des arbres où niche la faune –, les mois de septembre et octobre sont les seuls à ne connaître aucune restriction d’intervention au nom de la sensibilité des espèces. La fenêtre de tir pour l’expulsion semble correspondre à la seconde quinzaine d’octobre.
Avocat des opposants, Thomas Dubreuil s’étonne de l’absence de périodes interdisant la destruction du campagnol amphibie. L’arrêté fait peser peu de contraintes sur le maître d’ouvrage, la société AGO, filiale de Vinci. Il porte la marque d’une priorité accordée à la logique économique sur la préservation du milieu, l’une des plus grandes zones humides de France.
Le texte de la préfecture prend le temps, en introduction, de dérouler tous les arguments des porteurs du projet d’aéroport : il « répond à des raisons impératives d’intérêt public majeur, notamment pour assurer le développement socioéconomique de la métropole Nantes/Saint-Nazaire, dans une logique d’anticipation sur les besoins de déplacement induits par l’évolution démographique, l’activité économique et touristique du Grand Ouest pour pallier la saturation du site aéroportuaire de Nantes-Atlantique et ses risques pour la santé liés aux nuisances sonores ».
Au passage, il contredit la position du ministère de l’écologie, fondée sur le rapport rendu par ses trois experts, au printemps dernier : « Il n’existe pas d’autre solution alternative satisfaisante. » Ségolène Royal avait pourtant affirmé le contraire. Mais depuis la consultation de juin, elle a déclaré ne plus vouloir s’opposer au projet d’aéroport et laisse les mains libres à Manuel Valls. L’arrêté préfectoral reflète en tous points la position de Matignon sur le dossier. Depuis la parution de la déclaration d’utilité publique en 2008, et en dépit des faiblesses argumentaires, des mensonges et des conflits d’intérêts qui truffent le dossier de l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes, l’État poursuit inéluctablement la mise en œuvre du projet.
Le gouvernement s’apprête-t-il à expulser la ZAD ? En milieu de semaine, la position de l’Élysée était double : respect du vote des citoyens (favorable à 55 % à la construction), détails opérationnels entre les mains du premier ministre. Une réunion s’est tenue à l’Élysée en juillet, après la consultation. Manuel Valls y a réaffirmé sa volonté d’évacuer la zone occupée au nom de l’État de droit, Bernard Cazeneuve a dit sa réticence à affecter plusieurs milliers de gendarmes pour plusieurs semaines ou mois alors que la France vit sous une menace terroriste aiguë.
Jeudi 15 juin, le quotidien Presse Océan a publié ce qui ressemble à un plan d’intervention : le ministère de l’intérieur prévoit selon eux de mobiliser jusqu’à 3 000 gendarmes pour une action progressive, secteur par secteur. Un large périmètre de sécurité serait établi autour de la ZAD pour en bloquer l’accès. Environ 600 gendarmes pourraient être requis pour la première phase.
Mais selon d’autres sources, tous les scénarios seraient sur la table de Manuel Valls : évacuation complète, partielle, ou pas d’évacuation du tout. Sollicitée par Mediapart, la préfecture de Loire-Atlantique n’a rien confirmé mais semblait surprise des éléments publiés par Presse Océan. Contacté à son tour, le cabinet du ministère de l’intérieur n’a pas répondu à nos questions. Annoncée au lendemain de la consultation, la réunion d’information du préfet en direction des élus locaux n’a toujours pas eu lieu.
Bruno Retailleau, président (LR) de la région Pays de la Loire, n’a toujours pas été reçu par Manuel Valls, malgré une demande adressée par écrit dès juillet. Depuis le début de septembre, il appelle à cor et à cri à l’expulsion de la zone, protestant notamment contre l’organisation par les militants de formations d’autodéfense. « Côté administratif, c’est réglé. Reste à voir politiquement ce qu’il se passe. Je n’ai pas plus d’infos », explique-t-il à Mediapart.
Les obstacles politiques à l’expulsion manu militari de la ZAD sont nombreux. La mort de Rémi Fraisse, ce militant écologiste tué par la grenade d’un gendarme sur la ZAD du Testet (Tarn) en octobre 2014, est dans tous les esprits. Le décès d’une ou plusieurs personnes sur la ZAD de Notre-Dame-des-Landes à quelques mois des élections présidentielles jetterait une ombre indélébile sur le bilan de François Hollande. Il semble difficile d’imaginer que l’exécutif, si vulnérable électoralement, soit prêt à prendre un tel risque politique.
Par ailleurs, les gendarmes sont massivement requis par la surveillance des frontières pour bloquer l’arrivée des migrants, notamment à Vintimille, et pourraient être mobilisés pour évacuer le camp de Calais, priorité affichée du gouvernement.
Et il reste un obstacle juridique de taille : dans le cadre de sa procédure de pré-contentieux avec l’Union européenne sur le dossier de l’aéroport – Bruxelles demande une nouvelle étude d’impact –, la France s’est engagée à réviser le Schéma de cohérence territoriale Nantes-Saint-Nazaire (SCOT) de 2007. Après plusieurs mois de travail, un document a été rédigé. Mais il fait l’objet d’une enquête publique jusqu’au 21 octobre. Il doit ensuite faire l’objet de plusieurs réunions de calage jusqu’en décembre et doit être voté par le conseil régional, au plus tôt à la veille des vacances de Noël. Il ne sera donc achevé que début 2017.
Or Paris s’est engagé à ne pas démarrer les travaux avant l’achèvement de ce processus. Et Bruxelles considérerait comme une infraction l’ouverture du chantier avant remise du SCOT. De leur côté, les opposants historiques ont déposé de nouveaux recours contre la déclaration d’utilité publique et vont attaquer les arrêtés sur le campagnol amphibie. Ils appellent à un rassemblement sur la ZAD le samedi 8 octobre pour y planter des bâtons, en référence au mouvement d’occupation du plateau du Larzac.
D’après le collectif Copains, la mobilisation est forte parmi les agriculteurs tandis que les comités de soutien affichent une motivation sans faille. Dans le bocage de Notre-Dame-des-Landes, chacun redoute la confrontation et s’y prépare.
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