À l’occasion de Journée mondiale des réfugiés 2016, un article de Maryline Baumard du 20 juin 2016 pour Le Monde sur http://www.lemonde.fr/immigration-et-diversite/article/2016/06/20/avec-65-3-millions-de-deracines-fin-2015-la-planete-bat-un-nouveau-record_4953783_1654200.html et un appel collectif de plus de quatre-vingt associations : « Pour un accueil digne et respectueux des droits fondamentaux des étrangers en France ».
Des réfugiés dans un camp à Paris le 27 mai. MATTHIEU ALEXANDRE / AFP
Pour la première fois, fin 2015, le seuil des 60 millions de personnes déracinées a été franchi. Ce sont 65,3 millions qui ont quitté leur foyer, chassés par les conflits et les persécutions, s’inquiète le rapport annuel du Haut-Commissariat de l’ONU pour les réfugiés (HCR), rendu public lundi 20 juin. L’augmentation a été importante en un an puisque, fin 2014, ils étaient 59,5 millions. Ces 65,3 millions représentent l’intégralité de la population française, ou un être humain sur 113.
Le groupe se compose des 21,3 millions de réfugiés que compte désormais le monde, auxquels s’ajoutent 3,2 millions de demandeurs d’asile en attente de traitement de leur dossier dans les pays industrialisés, et 40,8 millions de personnes déplacées au sein de leur propre pays.
« Politiques contre l’asile »
Ce record s’explique par la multiplication des conflits. À ceux qui durent depuis des décennies, comme en Somalie ou en Afghanistan, s’ajoute en 2015 l’impact important de situations plus récentes, comme la guerre en Syrie (qui dure depuis plus de cinq ans), ainsi que celles du Soudan, du Yémen, du Burundi, de l’Ukraine, ou de République centrafricaine. Par ailleurs, le rythme d’intégration des réfugiés et des personnes déplacées internes est en chute depuis la fin de la guerre froide, ce qui ne contribue pas à faire baisser le nombre de déracinés.
La Syrie en tête des pays les plus fuis
Le Haut-Commissaire des Nations unies pour les réfugiés, Filippo Grandi, s’appuie d’ailleurs sur la sortie du rapport pour faire une nouvelle fois part de ses craintes. « Davantage de personnes sont déracinées par la guerre et la persécution, c’est déjà inquiétant en soi, mais en plus, les facteurs menaçant les réfugiés se multiplient », déclare-t-il, insistant sur le fait qu’« un nombre terrifiant de réfugiés et de migrants décède en mer chaque année » et qu’« à terre, les personnes fuyant la guerre ne peuvent poursuivre leur voyage car les frontières sont fermées. Des politiques se dressent contre l’asile dans certains pays. »
Avec ses 4,9 millions de personnes chassées, la Syrie arrive en tête des pays les plus fuis. L’Afghanistan vient ensuite avec 2,7 millions, et la Somalie avec 1,1 million. A eux trois, ces pays produisent la moitié des réfugiés à travers le monde. Pour les déplacés internes, c’est la Colombie qui décroche le triste record avec 6,9 millions, suivi de la Syrie avec 6,6 millions et de l’Irak avec 4,4 millions. En 2015, c’est le Yémen qui a généré le plus grand nombre de nouveaux déplacés internes.
Alors qu’ils se pensent exclusivement terre d’accueil, les pays du Vieux Continent ont aussi produit quelque 593 000 réfugiés – originaires d’Ukraine pour la plupart, puisque les chiffres fournis par Kiev font état de 1,6 million d’Ukrainiens déplacés internes – et en ont accueilli 4,4 millions. Ce chiffre comprend le gros million de réfugiés et de migrants arrivés en 2015 dans l’Europe des 28, auxquels s’ajoutent les 2,5 millions de réfugiés installés en Turquie.
Près de 20% de réfugiés au Liban
En effet, 86 % des déracinés trouvent asile dans des pays à faible et moyen revenu, à proximité des situations de conflit, et la Turquie arrive au premier chef en 2015, comme les années précédentes. C’est même le plus important pays hôte au monde. Si l’on calcule en pourcentage de la population autochtone, c’est en revanche le Liban qui a accueilli le plus de réfugiés avec 183 pour 1000 habitants. L’Allemagne arrive en tête pour les demandes d’asile, avec 441 900 dépôts de dossiers, loin devant les États-Unis et leurs 172 700 dossiers.
Compte tenu de l’état du monde, seuls 201 400 réfugiés ont pu retourner dans leur pays d’origine en 2015. Le nombre des admis à une réinstallation n’a, lui, été que de 107 100, et moins de 32 000 réfugiés ont pu être naturalisés au cours de l’année, dont une majorité au Canada. Autant de données qui gonflent le groupe des déracinés.
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Journée mondiale des réfugiés 2016 :
« Pour un accueil digne et respectueux des droits fondamentaux des étrangers en France »
Publié à l’occasion de la journée mondiale des réfugiés le 20 juin 2016
Près de 60 millions de personnes étaient déplacées, demanderesses d’asile ou réfugiées à la fin de l’année 2015 selon le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés : un chiffre sans précédent depuis la seconde guerre mondiale.
En France, un peu plus de 80 000 personnes ont sollicité l’asile en 2015. Si les premiers mois de l’année 2016 indiquent une augmentation relative (+23%) de ces demandes, ces chiffres sont sans commune mesure avec l’ampleur du défi et des efforts fournis par des pays tels que le Liban, la Turquie ou d’autres pays en d’Afrique.
S’il faut reconnaître les efforts déployés par le Gouvernement français pour renforcer les capacités d’accueil proposées aux réfugiés et demandeurs d’asile, ces mesures sont très insuffisantes et ne permettent pas à la France d’honorer ses engagements : non hébergement de nombreuses personnes demandant l’asile, délai de plusieurs mois pour accéder à la procédure, dégradation de la qualité de l’accompagnement, persistance de campements indignes, etc.
A l’occasion de la Journée mondiale des réfugiés, nous demandons une nouvelle fois au gouvernement de prendre les mesures à la hauteur de la situation, de respecter ses engagements internationaux, et de favoriser l’accueil dans la dignité et de manière pérenne des personnes contraintes à fuir la guerre et les persécutions. Face à une Europe frileuse qui se ferme et se replie sur elle-même, la France doit montrer la voie en apportant une réponse courageuse et humaniste.
ACCES SECURISE DES ETRANGERS AU TERRITOIRE FRANÇAIS et EUROPEEN
Nous réaffirmons avec force qu’il est urgent d’assurer un accès légal et sécurisé au territoire français des étrangers fuyant les dictatures et les zones de guerre. Le renforcement des contrôles aux frontières et les accords bilatéraux qui conduisent à enfermer et trier les étrangers, à l’instar de l’accord UE-Turquie, sont indignes et contraires aux valeurs que les Etats prétendent défendre. Ces mesures sont en outre criminelles car elles incitent les exilés à se tourner vers les réseaux et à prendre toujours plus de risques pour rejoindre l’Europe.
Depuis le début de l’année 2016, plus de 2 800 personnes au moins sont mortes en Méditerranée.
A l’inverse des choix politiques qui font primer les intérêts sécuritaires au détriment des droits humains, nous demandons d’une part que soient généralisés les mécanismes de réinstallation vers l’Europe des réfugiés à partir des pays de premier accueil, et d’autre part que soit étendue et facilitée la délivrance de visas aux personnes présentes dans ces pays et, souhaitant solliciter l’asile en France ou en Europe.
POUR UN PLAN NATIONAL SUR LE PREMIER ACCUEIL
Un plan national d’accueil global des exilés assurant leur prise en charge dès leur arrivée sur le territoire doit être mis en place. Aujourd’hui, les exilés arrivant en France au terme de leur parcours et qui n’ont pas de ressources ou de soutien communautaire n’ont souvent d’autre choix que de grossir les campements, dans le Calaisis comme à Paris, parfois durant plusieurs mois, avant d’être orientés vers un hébergement. Durant cette période, les citoyens et les associations tentent d’apporter le minimum vital aux exilés : repas, couvertures, kits d’hygiène...
Ces conditions de vie déplorables, qui touchent des personnes déjà affaiblies, sont intolérables et viennent dégrader encore l’état de santé physique et mentale de ces personnes.
Afin d’accueillir humainement ces personnes et de respecter nos engagements européens, un plan d’accueil global assurant l’hébergement de l’ensemble des exilés dès leur arrivée doit être adopté. Il reposera, entre autres choses, sur l’augmentation de l'offre de logements et d’hébergements pour l’ensemble des publics à la rue, sur la réduction des délais d’attente pour accéder à la procédure d’asile, sur la mise en œuvre d’un accompagnement sanitaire et social adapté, sur l’amplification des ouvertures de places d’hébergement pour les demandeurs d’asile et des bénéficiaires d’une protection afin de fluidifier l’ensemble du dispositif.
AMELIORER L’ACCUEIL DES ETRANGERS POUR CONSTRUIRE UNE SOCIETE OUVERTE ET SOLIDAIRE
L’insertion des étrangers en France est fortement liée à l’accueil qui leur est réservé à leur arrivée. Elle dépend aussi de l’accompagnement social dont ils pourront bénéficier tout au long de leur parcours. Sur ce point, la réforme de l’asile de l’été 2015 a abouti à une dégradation de l’accompagnement dans les structures d’hébergement qui ont dû réduire leur mission d’insertion, et ce, alors qu’un tiers des demandeurs d’asile obtiennent une protection internationale. Le regard sur les demandeurs d’asile doit changer. Ils ne peuvent plus être considérés comme de potentiels déboutés, mais comme nos futurs concitoyens, amenés à construire avec nous une société commune. Atteindre cet objectif passera nécessairement par la mobilisation des services publics et des associations sur l’accompagnement et l’accès aux droits sociaux, l’accès aux soins, l’apprentissage du français, la scolarisation des enfants, l’accès au logement, la formation professionnelle et l’accès à l’emploi.
Des dizaines de milliers de citoyens, bénévoles, salariés d’associations sont déjà mobilisés au côté des exilés arrivés en France. Le gouvernement se doit de prendre enfin le relais de cette dynamique d’accueil et de solidarité et, au-delà des politiques de gestion de crise à court terme, d’engager une politique volontariste d’accueil et d’intégration conforme à nos engagements internationaux et aux valeurs de la République.
Signataires :
FNARS, Secours Catholique, Médecins du Monde, Cimade, Emmaüs France, Emmaüs Solidarité, Comede, Fondation Abbé Pierre, France Terre d’Asile, Centre d’action social protestant (CASP), Fondation Armée du Salut, Fédération des Tunisiens pour une citoyenneté des deux rives, Réseau ELENA, Ligue des droits de l’homme (LDH), UNIOPSSJRS France, Mouvement des compagnons bâtisseurs, Groupement des Éducateurs Sans Frontières (GREF), Associations des cités du secours catholiques (ACSC), Fédération Entraide Protestante (FEP), Mouvement contre le racisme de pour l'amitié entre les peuples (MRAP) , Collectif National Droits de l'Homme (CNDH), Médecins sans frontières (MSF), Secours Islamique France, Action des chrétiens pour l'abolition de la torture (ACAT), Centre Primo Levi, CCFD Terre Solidaire, Réseau Éducation Sans Frontières (RESF), Habitat et Humanisme, ADVOCACY France, Dom'Asile, Mouvement des Amoureux au ban public, Association Service Social Familial Migrants (ASSFAM), Grdr, Fapil, Apprentis d’Auteuil, Osiris, Collectif Les morts de la rue, Hors la Rue, Collectif bidonville dans la ville, Secours Populaire 76, Turbulences Marne La Vallée, Carrefour des solidarités Littoral Nord, Ecodrom 93, Aide à la scolarisation des enfants tsiganes et jeunes en difficulté 69 (ASET 69), Association pour la Démocratie Nice, Association d'accueil des demandeurs d'asile (AADA), Français langue d’accueil, L’Auberge des Migrants, Habitat et Citoyenneté, SALAM Nord Pas de Calais, Welcome Metz, COVIAM, L’Union juive française pour la paix, Association montalbanaise d'aide aux réfugiés (AMAR), Agir Café Lyon, La Fanfare Des pavés (Association artis-Mbc), Comité Français pour la Solidarité Internationale, Collectif "lecture Lyon 02", Association Contact Moselle, Collectif Romeurope Antony-Wissous, Collectif Romeurope94, Collectif "Migrants: changeons notre regard!" Réseau de solidarité des associations messines (RESAM), Collectif des accidentés du travail, handicapés et retraités pour l'égalité des droits (CATRED), Alynéa, Secours populaire du 76, Fédération de Seine-Maritime du Secours populaire, La belle porte, Flandre Terre Solidaire, Femmes migrantes debout Migrations Santé Alsace, Association Rasine Kaf, Observatoire régional de l'intégration et de la ville (ORIV), Association Habitat-Cité, Association À Travers Chants, Maison des femmes de Paris, RAJFIRE, Association C.L.A.S.S.E.S., "Un toit pas sans toi", CEMÉA Alsace, CCBL, Observatoire du CRA de Palaiseau, Roms Action Grenoble, Réseau rouennais de Solidarité avec les Migrants, réfugiés, exilés, étrangers (RSM), Université populaire de Lyon, Collectif Lyonnais pour l'Accès à la Scolarisation et le Soutien aux Enfants des Squats.